Pas la peine d'en faire tout un cirque
L'ile de Barnanos s'étendait devant Hayato.
Le vagabond se tenait sur la proue de la navette qu'il escortait, en tant que garde. Même depuis sa lointaine West Blue natale, l'épéiste avait entendu parler de cette île. De cette île et, surtout, de l'immense ville qui la recouvrait : Manshon. Véritable terre sainte du crime, la cité demeurait officiellement sous la régence du gouvernement mondial. Dans les faits, les sept familles, ces puissantes entités tentaculaires du monde de l'ombre, tiraient les ficelles sans aucune vergogne. Le vice et la corruption ne dataient pas d'hier, le voyageur en était certain. Pourtant, voilà sans aucun doute plusieurs décennies que les sept familles se partageaient le pouvoir en ces lieux de haute déperdition. Des années que la marine et le gouvernement mondial n'arrivaient pas à les chasser. Au contraire ! Les hors-la-loi pullulaient sur Manshon.
Alors que la navette se frayait un chemin jusqu'au ponton, le Golden Port s'ouvrait devant le navire civil. Trois ans après le blocus qui avait ravagé ce seul point d'accès maritime, le port semblait de nouveau flambant neuf. Hayato soupçonnait les mafieux locaux d'avoir payé une grande partie de la restauration. Après tout, ils étaient les premiers à profiter du commerce ! Leur puissance, leur fortune, leur expérience et leur capacité à s'accrocher à cette île semblaient au delà du réel. C'était d'ailleurs pour ces raisons que le futur criminel avait souhaité découvrir Manshon. Il se payait le culot d'espionner la concurrence, pour en tirer des leçons profitables à son clan en devenir.
Le garde du corps remercia le capitaine et débarqua sans plus de formalité. Il s'attendait presque à se faire accoster d'entrée de jeu par des espions ou des sbires à la solde d'un capo. La réalité le déçut presque ! Outre son aspect flambant neuf, le Golden Port ressemblait à tous les autres ports qu'il avait connus. Des crieurs et des vendeurs à la sauvette, des dockers qui transportaient de lourdes caisses, des mouettes qui piaillaient, l'odeur salée du poisson et de la mer. Avec un sourire, le vagabond passa son baluchon sur son dos et débuta sa découverte des lieux. Bien vite, il tomba sur une affiche haute en couleur, poinçonnée sur un poteau.
- Un cirque ? s'étonna le guerrier à voix haute.
- Oi ! T'es nouveau dans le coin ? lança une voix derrière lui.
D'un geste tranquille, le voyageur se retourna pour faire face à un individu louche. Ce dernier approcha son visage aux traits patauds, avec un nez épaté et un sourire peu engageant. Il portait un costume noir avec une cravate rouge. Alors qu'il abaissait ses lunettes de soleil, Hayato aperçut une cicatrice sur sa tempe gauche. S'il tentait d'avoir l'air avenant, l'épéiste ne s'y laissa évidemment pas prendre.
- Je suis de passage, confirma le vagabond.
- T'as payé la taxe ?
- Évidemment, mentit-il sans sourciller Hayato. Je ne tiens pas à avoir de problème.
- C'est moi qui récolte la taxe... petit malin !
- Ah ? Dans ce cas vous avez un problème, glissa l'épéiste sans se démonter.
- Je... j'ai un problème ? répéta le mafieux, éberlué.
Le bretteur le regarda comme si la réponse était évidente, sans se départir de son calme naturel. Il finit par lui répondre, avant que la moutarde ne monte au nez de son interlocuteur :
- Quelqu'un récolte la taxe à votre place sur le port. C'est un problème, si c'est vous qui êtes sensé le faire, non ?
- Je... Oh bordel ! Il ressemble à quoi !?
- Un petit brun en costume noir, avec des lunettes de soleil, un peu comme vous.
- Le salaud ! J'vais me le faire...
Sans un mot de plus, le collecteur se dirigea à toutes jambes dans la direction pointée par Hayato au hasard. Il n'aimait pas vraiment mentir de la sorte, en particulier si cela pouvait attirer des ennuis à un innocent. Au contraire, son code d'honneur prohibait tout comportement avilissant. Pour autant, les manœuvres pour louvoyer au sein du monde de l'ombre, et ruser face à ses ennemis, n'allaient pas à l'encontre de son éthique personnelle ou de celle de son clan. Par ailleurs, trouver un être blanc de tout soupçon sur cette île, correspondant à la description donnée ? Cela devait relever du miracle ! De son côté, Hayato déchiffra rapidement l'affiche. Il s'agissait d'un cirque itinérant qui parcourait toutes les Blues ? Le nom ne lui disait rien, mais puisqu'il comptait rester sur cette île quelques temps, il avait sans doute le temps d'y jeter un coup d’œil. Après tout, il s'agissait peut être d'une des nombreuses façades utilisées par la mafia pour blanchir leur argent ? Le coup d’œil pourrait sans doute s'avérer utile pour en apprendre un peu plus sur ce type d'organisation.
Ainsi, le bretteur se dirigea vers le lieu où le cirque avait planté son chapiteau. Au fur et à mesure qu'il progressait dans la bonne direction, il laissait ses yeux fureter en tous sens. Hayato cherchait non seulement à assouvir sa curiosité sur cette île surprenante, mais également à surveiller ses arrières. Le sbire qu'il avait croisé ne serait sans doute pas le dernier à venir tenter de lui extorquer quelques Berrys. Peut être ne serait-il pas aussi chanceux la prochaine fois. Paré de son kimono bleu élimé et de ses sandales en mauvais état, le vagabond avançait d'un pas nonchalant. Armé de son bokken à la ceinture, fort de plusieurs années d'aventures, il se sentait serein malgré l'ambiance pesante de la ville.
« Voyons voir ce que tu as à m'offrir, Manshon ! », s'exclama-t-il en son for intérieur.