Sédition nocturne
Les clans Wave et Suisou venaient d'arriver à un terrain d'entente, après des négociations tumultueuses. Johnny Blue leur avait offert le gîte et le couvert, en guise de bonne foi. Néanmoins, Lamia, Hayato et sa famille restaient sur leurs gardes. Après tout, ils ne traitaient pas avec des enfants de chœur, mais avec des criminels des bas fonds de North Blue ! Aussi, le petit clan avait-il instauré des tours de gardes, afin qu'au moins l'un d'entre eux soit toujours discrètement à l’affût du moindre bruit suspect. Alors que la caverne où s'étendait Carcinomia était plongée dans une quasi totale obscurité, Hayato se reposait dans sa propre chambre.
La belle pièce, d'une quinzaine de mètres carrés, se situait au premier étage du quartier général du clan Wave. Le riche lit à baldaquins n'était pas au goût de l'ex vagabond. Le matelas était bien trop mou et les draps en satin bien trop glissants. Comme à son habitude, entretenue neuf années durant lors de ses périples, il somnolait assis contre un mur. Son sabre reposait sur son épaule gauche, ses deux mains posées non loin. D'un sommeil léger, le chef du clan Suisou se ressourçait après une journée riche en émotions. Pour autant, il était prêt à parier que les semaines suivantes le seraient bien plus encore !
Il n'en était qu'aux balbutiements de ce qu'il souhaitait accomplir, sur Carcinomia. Et c'était sans compter ses projets pour tout North Blue... avant d'étendre sa sphère d'influence sur les autres mers du globes ! La route vers le sommet, vers le trône d'empereur de la pègre, était semée d’embûches. Mais celle pour devenir un homme digne de rendre fier feu son père adoptif, était bien plus longue et sinueuse encore. Loin de le décourager, l'adversité renforçait sa conviction, aussi sûrement qu'une pierre à aiguiser affûtait un sabre.
Soudain, un bruit fit dresser l'oreille à l'épéiste. Il ne bougea pas d'un iota, sa respiration ne changea pas, mais son esprit se recentra immédiatement. Quelque chose, ou quelqu'un, n'était pas à sa place. Ses sens aux aguets, l'ex vagabond attendit. La seule porte d'entrée se situait à sa gauche. Le lit reposait en face avec, de part et d'autre, deux fenêtres. Il finit par comprendre ce qui l'avait tiré de son sommeil sans rêve : la brise nocturne. Comment expliquer pareil phénomène, alors qu'il avait fermé les fenêtres avant de s'endormir ? Le bruit qu'il avait perçu était donc un loquet qu'on forçait, le plus silencieusement possible. Quelqu'un tentait de rentrer par l'extérieur.
Il entrouvrit lentement les yeux. Les décombres bloquant la voûte céleste, loin au dessus de leurs têtes, avaient forcé les locaux à trouver une autre source de lumière que celle de la lune. Ainsi, de rares rais de lumière lui parvenaient depuis l'extérieur, grâce à un système d'éclairage artisanal sur l'île. Ce fut néanmoins suffisant pour repérer une silhouette gracieuse et élancée. Cette dernière enjambait silencieusement la fenêtre entrouverte, afin de poser le pied sur le plancher. Il aurait été sot de lui prêter des intentions louables, vu la façon dont elle prenait contact avec lui. Ainsi, Hayato lui laissa le temps de faire quelques pas, afin de la laisser pénétrer dans son maai. Une fois que l'épéiste fut certain que l'intrus était à sa portée, il prit la parole d'une voix calme :
- Encore un pas, et vous devenez manchot.
Hayato avait beau dégager en permanence une aura de quiétude, la menace n'était clairement pas à prendre à la légère. Sans un bruit, ses mains s'était déjà rapprochées de la garde de son sabre, de sorte que dégainer et trancher ne serait qu'une formalité, à présent. Il ouvrit totalement les yeux pour dévisager l'importun. Son regard d'airain ne traduisait aucune animosité, mais plutôt une détermination sans faille. Une fois certain d'avoir capté l'attention de son invité, il lança :
- Je vous laisse une seule chance de m'expliquer ce que vous faites ici, en pleine nuit.
Encore une fois, sa voix ne trahissait aucune intention belliqueuse. Il s'agissait en apparence d'une demande simple, formulée de manière posée. Pour autant, la posture de son corps ne laissait aucun doute quant aux conséquences d'ignorer sa requête. La balle était dans le camp adverse, à présent.