Wolt Hender, l'ombre des étoiles

Derrière son petit bureau en pin, le médecin attendait quatre candidats ce matin. Sous sa blouse blanche immaculée, le visage barré de ses lunettes, il s'ennuyait déjà bien fermement. La matinée n'avait pas commencée, qu'il n'attendait déjà plus que l'heure de sa pause. Devant lui, quatre formulaires l'attendaient ainsi qu'un stylo à l'encre noire. S'en saisissant, il cliqua sur le mécanisme déployant la mine de manière effrénée, trahissant son stress. Il bailla bruyamment, quand soudain, on toqua à la porte.

- Entrez ! Dit-il aussitôt, non sans laisser échapper un soupir mal dissimulé. Bonjour, monsieur, heu... bon prenez place s'il vous plaît.
- Enchanté, lui répondit son interlocuteur.
- Oui oui, bon.. alors je vois que vous avez trente quatre ans, des antécédents médicaux ? Demande l'homme en blouse blanche, sans même lever le nez de son dossier.
- Non, enfin quelques souci d'alco...
- Bon ça marche levez-vous et mettez-vous en sous-vêtements, le coupa-t-il toujours sans le regarder.

L'homme blond s'exécuta tranquillement. Il était serein. Il retira sa redingote, la posant sur le dossier de sa chaise, puis défit le nœud de sa cravate. Du haut de son mètre quatre-vingt, il semblait tout à fait dans les standards. De corpulence moyenne, son costume, bien que correctement taillé, ne laissait pas entrevoir sa musculature. Il balaya sa chevelure d'or, qu'il avait attaché préalablement en une queue de cheval qui lui tomba juste en-dessous de la nuque. Les deux mèches qui encadraient son visage, fines et délicates, lui allaient à la perfection. Sa barbe, légèrement broussailleuse mais aux contours parfaits lui accordaient un certain charme. Puis, il déboutonna les manches de sa chemise, s'attaquant juste après aux boutons principaux qui dévoilèrent un physique que l'on ne soupçonnerait pas de prime abord. Des pectoraux saillants, couverts d'un léger voile de poils bruns, des bras  puissants, chaque mouvement faisant danser ces muscles. Des abdominaux taillées comme dans du marbre, quelques cicatrices comme des lacérations passées. Il retira son pantalon, dévoilant des cuisses solides et des mollets développés comme ceux d'un coureur.

Le médecin fit le tour de son patient, le scrutant sous tous les angles. Il lui fit lever les bras, sautiller sur place, le pesa et le mesura. Après une dizaine de minutes passées à l'examiner, il l'invita à se rhabiller et s'asseoir.

- Wolt Hender, c'est bien ça ?
- Tout à fait monsieur.
- J'ai noté quatre-vingt cinq kilos pour un mètre quatre-vingt, vos réflexes ont l'air bons, votre rythme cardiaque l'est également. Avez-vous des douleurs particulières, des affections ?
- Non, mon poste d'analyste n'a pas entamé mon physique si ce n'est la qualité de ma vue qui a légèrement baissée ces dernières années.
- Des enfants ?! Demanda-t-il abrupt. Le visage de Wolt s'assombrit, sans que le médecin ne s'en rende vraiment compte.
- Non..
- Vous êtes comme tous ces grattes-papiers qui veulent pimenter un peu leur vie ?! Allons bon, vous êtes recevable selon moi. Je vous laisse aller au bureau suivant. Suivant ! Hurla-t-il, mettant ainsi un termes à l'examen clinique du trentenaire.

Proche du nihilisme, Wolt est un homme brisé qui ne vit désormais que pour son devoir d'agent du Cipher Pol. N'étant pas issu d'un milieu aisé, il a longtemps été un bourru de travail, un homme de valeur mais absorbé par ces devoirs familiaux.
Aujourd'hui, c'est un homme vide, qui n'a que son travail pour lui. Il est passé par une longue phase d'alcoolisme durant laquelle il a noyé son chagrin dans la boisson. Sevré, il est désormais un homme de rigueur. La dépression qui a éteint la flamme de l'humanité qui l'animait subsiste encore, sous la forme d'une mélancolie chronique. Eprouvé par les fantômes du passé, par les peines et la perte de ceux qu'il aimait, il s'est refusé au monde des hommes.

Cloisonnant l'ensemble de ses émotions dans un coffre blindé, ne devenant plus qu'un cadavre animé dont le cœur ne bat plus, il n'a d'homme que l'apparence. Pas cruel, ni machiavélique, il n'est simplement plus qu'une ombre qui erre entre vie et mort.

Analyste financier pour le Cipher Pol pendant quatre années harassantes et ennuyeuses à mourir, il est quelqu'un de droit, d'ordonné et de méthode. Logique et réfléchi, il intelligent et perspicace. Seulement, totalement désabusé, il semble aussi froid que les chiffres qu'il maniait.

S'étant fait un éducation au sein des services gouvernementaux, il est habile de parole et éloquent. Pour autant, il reste quelqu'un de discret, qui n'aime pas se mettre en avant. Une chose est capable de le sortir de sa stase émotionnelle : les enfants. Il s'agit du tout dernier rempart qui le sépare des défunts, la dernière once d'humanité qu'il recèle.

Fils de pêcheur, petit-fils de pêcheur, Wolt est né en 1592 dans une maison de loup de mer comme il y en a tant sur Poiscaille. Il huma l'air iodé dès son plus jeune âge et la petite tête blonde vogua toute son enfance, accompagnant son père sur les flots. Il aimait pêcher les coquillages, oursins et langoustes à la main, n'ayant que peu de goût pour l'ennuie que lui provoquait l'attente derrière une ligne. Tout feu tout flamme, il était un rayon de soleil pour les siens, toujours joyeux et plein de bêtises. Dès ses 10 ans il commença à travailler et s'acquitta de longues années de loyaux services à l'entreprise familiale. Homme de peu de vocabulaire, il n'était pas très cultivé à cette époque ou seul la quantité de poisson qu'il remontait comptait. Il rencontra une fille, il devait avoir 17 ans et connu les premiers émois au même moment. Rapidement il l'a présenta à ses parents et l'affaire était conclue. Ils ne formèrent plus qu'une seule grande famille et ils se marièrent l'année suivante. Le jour de son mariage, son père qui était un bourru comme peuvent l'être les pères, lui offrit une montre à gousset, dans lequel était glissé la photo de Svelnia, sa douce femme au visage d'ange.

Wolt vivait de la mer et lorsque la calle de son navire était pleine, il rentrait à quai et emmenait sa chère et tendre en balade. Ils s'aimaient follement et scellèrent leur liens par la naissance d'une petite fille, Hilda née au début à la mi-1611.

C'est alors que la concurrence devint de plus en plus rude, les chalutiers et consortium se multipliants, il devint de plus en plus compliqué pour l'entreprise familiale d'exister. Véritable bourreau de travail, Wolt allongea son temps de travail, amputa fortement son temps de sommeil, pour perdre le moins de moments avec les deux femmes de sa vie.
Seulement, son père tomba malade et ce qui était fait à la force de quatre bras, il dû le faire avec les deux siens. L'épuisement, les disputes qui essaimèrent ses soirées à cause de son absence eurent raison de son moral. Il commença par boire une bière après son travail, de temps en temps. Puis s'en fut deux, puis trois et il passa au rhum, whisky et autres alcools eaux de vies ardentes. Il rentrait alors bourré le soir, dormait comme une masse ou engueulait les siens dès qu'une once de bruit venait frapper sa tête embrumée. Les années passèrent, l'amour s'estompa et même le sourire d'Hilda ne parvenait plus à faire sourire Wolt. Lui, d'ailleurs, ne faisait plus sourire personne non plus. Il partit quelques fois pendant plusieurs jours, cherchant à s'éloigner des côtes pour trouver des poissons en plus grands nombres. S'arrêtant parfois dans d'autres ports, il fauta, accusant la lassitude du couple. Puis il fut confronté par Svelnia qui l'apprit, alors il accusa lâchement l'alcool.

Elle pardonna, mais lui n'arrangea rien et quelques années plus tard, en 1618, les amants se disputèrent une énième fois à cause du manque d'implication de Wolt dans l'éducation de leur fille. Eméché comme d'habitude, il s'emporta et franchit la ligne rouge, décochant une gifle à sa femme qui lui fit tourner la tête. Elle hurla, pleura et la petite Hilda s'interposa, vociférant à son père qu'elle le haïssait d'avoir fait cela. Fier, le pêcheur claqua la porte et ne revint plus au domicile familial. Ce fut le début de la descente aux enfers. Ecumant les bars, vivants sous les ponts, il planta l'entreprise que lui avait légué son propre père, pour ne plus vivre que comme un pilier de comptoir. Mendiant parfois un peu d'argent à ses parents pour s'acheter de quoi oublier, il fuyait Svelnia qui lui rappelait le déchet qu'il était.

Il plongea, toujours plus profondément pendant de nombreuses années. Un jour son père l'interdit de revenir quémander la pièce tant qu'il ne reprenait pas le droit chemin. Une dispute qui sonna comme une rupture s'en suivit et il quitta Poiscaille, errant d'île en île sur West Blue. Puis, vint le début de l'année 1622 durant lequel une épidémie foudroyante impacta l'île qui l'avait vu naître. On parlait de dizaines de morts, d'une maladie très contagieuse qui faisait de véritables ravages. Un sursaut d'intelligence saisit Wolt qui s'empressa de rejoindre sa terre natale. Seulement, c'était trop tard. Svelnia et Hilda étaient décédées parmi les premières victimes et son monde s'effondra. Il hurla, pleura un fleuve de larmes, bu à s'en rompre la panse mais rien n'aidait. Durant deux mois, il côtoya l'enfer. C'est alors qu'un déclic se joua dans son cerveau. Ses parents encore vivants, il alla les voir et fut accueilli par la gifle d'un père qui lui reprochait de les avoir abandonné. Bafoué, rejeté, son regard se ternit définitivement et il s'en alla. Sans affaires, sans nourriture ni but, il pris la mer.

Depuis lors, il ne bu plus une seule goutte d'alcool. Il passa des moments terribles durant lesquels le manque lui fit vivre de perfides visions morbides. Il pris la route d'un garnison de la Marine et s'enrôla, comme bureaucrate. Il classait, triait, rédigeait, tandis que la flamme de la vie s'était éteinte en lui. Son travail était la dernière chose qui le maintenant de le monde des vivants et cela lui suffisait.
Pourtant, avant que 1623 ne débute, il fut transféré au Cipher Pol 2, comme analyste financier. A l'aise avec les chiffres, il lisait, se cultivait mais n'appréciait plus rien. Ses nuits étaient écourtées par les rêves d'agonies de la femme qui l'aimait, les cris de sa petite Hilda qui le haïssait. Son cœur avait comme cessé de battre, le chagrin et les remords étant trop grands pour lui. Il auditait alors des activités d'entreprises, suivait les mouvements de fonds de sociétés suspectes et il expertisait des objets pour dénicher le vrai de la contrefaçon. Une vie terne s'ensuivit, une vie qu'il n'avait même plus la force de haïr. Spectateur de son existence, il ne faisait qu'être sans vivre.

En 1626, il appris le décès de son père, d'une rupture d'anévrisme. Plein de regrets, il n'eut même pas la force de se rendre aux côtés de sa mère. Se voyant comme un monstre, il tira un trait sur ce qu'il était. Il tenta de mettre fin à ses jours, au moyen d'une corde mais rata sa tentative. La corde céda et il écopa de quelques vertèbres déplacées. Cependant, celui lui fit ouvrir les yeux. Il n'avait pas même le droit de retrouver les siens de l'autre côté pour demander leur pardon. Alors, il décida de s'accrocher aux seuls qui croyaient en lui, à ceux qui lui avaient donné sa chance : le Gouvernement Mondial. Il entama une remise en forme drastique, s'entraîna si intensément qu'il crut en mourir à de nombreuses reprises. Puis, lorsqu'il se sentit physiquement prêt, demanda à changer d'affectation pour les équipe de terrain. Il passa les tests avec succès et se retrouva en bas de l'échelon, comme agent du gouvernement. Discret, lui qui n'était plus qu'une ombre officiait alors déjà au Cipher Pol 2, comme simple larbin. Se dévouant corps et âme, il fit le serment de servir le Gouvernement comme son agent le plus loyal. Il mis du temps avant d'attirer le regard de ses sa direction, mais en 1629, cela commença à changer. Car alliant le corps par une condition physique excellente et l'esprit par une culture, une bienséance et une perspicacité rare, son profil devint enfin intéressant. Il ne lui restait alors qu'à confirmer par la réussite, la rigueur et la droiture que l'on attendait de lui. L'agent Wolt était revenu de l'enfer, sans âme, mais avec une volonté inébranlable.