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Saule Mate


Saule Mate


La nuit était tombée depuis plusieurs heures sur le Bai Laohu et l’intégralité des membres d’équipage dormaient à poings fermés, le navire subissant le léger roulis de la crique où ils s’étaient amarrés. Feng lui ne dormait pas. Il n’avait de cesse de ressasser les évènement ayant mené à leur départ de Kanokuni. La cale était pleine du fruit de leurs larcins mais encore fallait-il écouler les stocks et faire le plein de vivres s’ils voulaient échapper. Qui plus est, il ne connaissait pas encore bien les deux nouveaux, Qin et Ojom. Ils semblaient se connaitre et cela ne faisait qu’attiser la méfiance de Feng. Non pas qu’il ait un préjugé contre eux mais la fortuité de cette rencontre laissait un doute quant à leurs motivations. Aussi avait-il donné l’instruction à Peng de garder un œil sur eux. Ce dernier avait donc réveillé son maître en pleine nuit pour lui signaler que l’homme-poisson était sur le pont et qu’il ne semblait pas dormir.

Le moment semblait donc tout choisi pour une petite discussion au clair de lune. Se glissant hors de sa cabine dans un silence absolu, il se para d’un de ses habituels habits de soie bien trop chers pour le commun des mortels et se rendit sur le pont du navire. Ojom était bien là, de dos, et il semblait contempler le ciel avec un air… indescriptible. A vrai dire, le Han n’avait jamais trop fréquenté d’hommes-poissons et les expressions que ceux-ci pouvaient manifester lui étaient totalement inconnues. L’occasion était donc venue de parfaire sa connaissance.

Rejoignant son compagnon à hauteur d’épaule, il ne put empêcher ses yeux de le détailler et son cerveau d’enregistrer un maximum d’informations à son sujet. De près, il ressemblait à un immense lézard griffu à la peau sombre et au regard reptilien. Même s’il avait croisé des individus de cette espèce, Feng sut qu’Ojom était un peu particulier. Il dégageait une impression de gêne impalpable avec son regard. Ses yeux semblaient morts, vides, et il n’avait pas de paupières. Le regarder dans les yeux provoquait un sentiment d’effroi ou de malaise indicible. sa peau, noire et translucide, exposait de nombreuses vascularisations pulsantes sous un amas d’écailles tranchantes. Ajoutez à cela une démarche un peu chaloupée et manquant d’assurance et vous aurez une image à peu près fiable de l’individu. Etrangement, Feng n’avait pas ressenti de dangerosité particulière en sa présence. Il savait à quoi s’en tenir quant à la puissance de l’homme-poisson car leur race était bien souvent plus forte que la sienne dans la nature. Pour autant, il n’avait pas perçu la moindre animosité dans toutes leurs interactions. Au contraire, Ojom semblait… curieux ? Râclant sa gorge pour signaler son arrivée, Feng dit les mots suivants :

« Belle nuit. Vous n’arrivez pas à dormir ? »


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Alors que le navire tout entier profitait d'une nuit de repos bien méritée, l'Homme-Poisson était sorti de sa tanière dans un recoin de la cale pour profiter du pont en toute quiétude. La nuit était fraîche et le silence à peine dérangé par le roulis des vagues sur la coque. Le cadre idéal pour un peu d'introspection. Et plus simplement pour profiter du paysage. Le reflet de la lune sur les eaux sombres avait quelque chose qui capturait l'imagination du requin. Peut-être parce qu'elle lui rappelait ses propres yeux d'une certaine façon. Appuyé contre la bastingage, son regard était rivé sur ce cercle blanc dans le ciel, berçant doucement son coeur allourdi par l'angoisse. La liberté... Cet air marin... Ils étaient si doux. Une part d'Ojom peinait à accepter que c'était vraiment la réalité. Combien de fois avait-il fait des rêves similaires en tous points à cette soirée ? Combien de scénarios fantasmés son esprit fatigué avait-il concocté pour s'extraire de sa longue captivité ? Plus d'une fois ces songes s'étaient mués en véritables séances d'auto-hypnose... Et à chaque fois il avait dû en affronter la fin abrupte. A tout moment, il allait se réveiller en sursaut, ouvrir les yeux et découvrir qu'il était encore dans cette maudite cage. Cette crainte, ce doute, continuaient de le dévorer de l'intérieur. Et maintenant il se retrouvait embarqué dans une quête dont il ne saisissait pas encore tous les enjeux, au milieu d'une troupe qu'il connaissait à peine. C'était grisant, oui. Fascinant même. Il y avait tant d'histoires possibles qu'il en ressentait presque de l'ivresse. Mais quel esprit dérangé ne serait pas au moins un peu effrayé par tous les dangers qui ne manqueraient pas de se dresser sur leur route ?

Il fut cependant tiré de sa réflexion par un bruit de raclement de gorge dans son dos. Un frisson parcourut l'échine de l'Homme-Poisson alors que son instinct se préparait à bondir pour rejoindre l'abri rassurant des abysses juste de l'autre côté. Mais ses muscles se détendirent d'un coup lorsqu'il reconnut son nouveau capitaine. Il se retourna pour le saluer, mimiquant les gestes Kanokunien qu'il avait vu chez son ancien maître.

-Bonsoir Capitaine... Oui... Très belle en effet.

La voix d'Ojom était un mélange incongru entre un sifflement et un râle, mais son ton était parfaitement calme. Le capitaine était-il venu le surveiller ? Le soupçonnait-il de quelque chose ? De vouloir s'enfuir peut être? Non... Ce serait absurde. S'il avait voulu partir de ce navire, l'Homme-Poisson n'avait qu'un saut à faire, ils en étaient tous probablement conscients. Peut-être cherchait-il juste à faire la conversation. A moins que ce ne soit un peu de tout ça en même temps. Ojom n'avait encore que très peu connaissance des mœurs de cet homme après tout. L'habitant des profondeurs ne pouvait s'empêcher de dévisager Feng. Tout en lui racontait l'histoire d'une vie intense et remplie d'adversité. Sa démarche était aussi assurée que celle d'Ojom était ratatinée, sa manière de parler à la fois ferme et assurée. Sa carrure et son regard perçant quant à eux trahissaient autant le guerrier que le leader qui se tenait là. C'était probablement un noble... Mais rien à voir avec Liu. Ses mains portaient les marques de quelqu'un qui a longuement tenu une arme. Le reste n'était que conjectures.

- Je dors peu. Et je crains que mes yeux aient du mal à s'habituer à la lumière du soleil. Je me sens plus à l'aise ainsi. J'espère ne pas vous avoir réveillé.

Cette dernière remarque était plus par politesse qu'une véritable inquiétude. Ojom n'était pas arrogant mais il avait confiance en sa capacité à se déplacer sans faire de bruit. C'était un talent qui l'avait maintenu en vie toute sa jeunesse dans les quartiers pauvres. Et surtout qui lui avait permis d'observer de près les pirates sans se faire prendre. Se laissant aller à ses réflexions de tantôt de nouveau, il se retourna vers les reflets argentés de l'océan. Après un bref silence, il reprit.

- C'est étrange... J'ai vécu dans cet océan presque toute ma vie. J'en ressens les plus infimes courants avec une finesse que les humains ne peuvent qu'imaginer. Et pourtant... C'est peut être la première fois que j'en contemple la surface de cette façon. Je crois... Que c'est ce que je voulais voir en quittant mon foyer.

Sa première escapade loin de son île s'était soldée par une capture rapide suivie d'un enfermement dans une cave. Autant dire qu'Ojom ne connaissait réellement la surface qu'au travers des histoires qu'il avait accumulées au fil des années. Maintenant qu'il se retrouvait là, est-ce qu'il regrettait d'être parti ? Toutes choses considérées, à la vue de ce spectacle pourtant si banal, il était persuadé que non.

- Vous aussi partez loin de chez vous, Capitaine.



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Le calme de l’homme-poisson décontenança un instant Feng qui, malgré ses quelques interactions avec lui, ne l’avait que peu vu contemplatif. Ses yeux avaient des difficultés à s’habituer au soleil ? Voilà qui confirmait le fait qu’Ojom venait de profondeurs plus intenses que celles à laquelle vivaient la plupart des hommes-poissons. Cette race était décidément riche et variée. Peut-être iraient-ils ensemble visiter un jour l’île des hommes-poissons ? Même depuis Kanokuni, l’endroit avait la réputation d’être incroyable malgré les troubles qui animaient parfois la gouvernance politique du lieu. Un des joyaux des mers d’après de nombreux aventurier qui lui en avaient parlé.

Pour l’heure, Feng avait bien des choses à accomplir avant cela. Tout d’abord, ils allaient devoir récupérer un peu de vivres et de cash pour pouvoir anticiper sur leurs prochaines actions. Armer un navire serait aussi nécessaire car le Bai Laohu, tout aussi robuste qu’il était, ne tiendrait sans doute pas longtemps face à des pirates bien équipés ou à des conditions plus difficiles que celles de West Blue. Ensuite, ils iraient se lancer à la recherche de la famille de Lee Yan. Malgré l’assassinat de son sifu, Feng avait reçu une part de son héritage. Aussi entendait-il respecter la volonté de son mentor et protéger les siens. Cela n’affecterait pas sa course, du moins le croyait-il encore. Le destin lui jouerait un tour bien différent en réalité.

Ojom semblait frappé d’une certaine mélancolie même s’il était difficile de le lire. Effectivement, Feng partait bien de chez lui et, jusqu’à preuve du contraire, pour une durée indéterminée. Les dangers qui les attendaient seraient sans doute nombreux et peut-être mortels pour certains d’entre eux. Pourtant, une profonde sérénité touchait le Han en ce moment. Il ne savait pas à quoi cela était réellement dû mais les individus qui voguaient à bord de cette coquille de noix étaient tous de rudes combattants. Même s’il n’avait pas vu Ojom se battre, Feng savait que l’homme-poisson était de ceux qui n’hésitaient pas à tuer pour se défendre. Et au vu de la réputation des hommes-poissons…

- Oui nous partons tous loin de chez nous. Personnellement, je dois honorer la mémoire d’un ami et retrouver sa famille. Il était gouverneur sur Kanokuni mais il est mort maintenant. Au vu de notre fuite récénte de l’île de Kanokuni, il va falloir se serrer les coudes. Aussi je préfère vous le demander franchement, ajouta-t-il en sondant les yeux vides du poisson.Vous comptez rester avec nous ? Je suppose qu’après les derniers évènements, nous sommes officiellement des pirates d’après la loi. Alors je préfère tout de même m’assurer de vos motivations.

Au vu de l’arrivée impromptue du requin sur le navire, Feng avait toujours un petit doute quant à la longévité de cet équipage de fortune malgré sa puissance de combat. Ils avaient tenu tête à une bonne troupe impériale et à un certain nombre de soldats à la solde des Chinjao mais peut-être certains d’entre eux penseraient-ils que c’était le bon moment pour se séparer ? Feng ne se souciait pas vraiment de cela. En l’état, il savait qu’il ne pouvait pas planifier trop à l’avance. Aussi préférait-il mieux connaître les gens à bord du navire. Et Ojom était celui qu’il connaissait le moins. Raison de plus pour le sonder en premier. Que lui et Qin se connaissent était une bonne chose si cela garantissait la force d’Ojom au même rang que celle de son camarade. Du reste, cela voulait aussi dire que ces deux personnes étaient d’une loyauté plus forte entre elles qu’envers lui. Mais chaque chose en son temps…


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