D'ses trois sœurs, Lara était la plus fraiche et la plus canon. Tout l'monde bavait dans l'même sens là-d'ssus. C'tait aussi la plus givrée. Pas qu'un peu. Et tout l'monde l'savait. Aussi. Tout l'monde: les moroses. Les biens rangés. Les "tu peux pas". Une race qui inonde. Qui répand son crachat et sa bave sur toutes les conversations. Une race qu'j'entends pas. Plus.
Lara par contre j'l'entendais. Elle m'avait grippé au détour d'une cuite. Ça avait direct collé. Lara avait une âme. Et j'suraimais ça. 'Tain, t'peux pas savoir comment. Elle me disait qu'mes manières lui plaisait. Dingue. On s'marrait bien. On pourrissait ses sœurs, qu'étaient des pertes. Des sans-âme. Un jour qu'la miss était d'bon vol, elle m'a dit:
Je veux quitter ce trou. Je veux partir.
Moi j'ai répondu:
Comme t'veux Lara. Vrai qu'ici ça pue. Et tes sœurs m'gonflent.
Et nous v'la sur l'premier bateau. L'soir même. Heureux comme des chiards. On a appris qu'on s'bougeait pour Shell Town une fois sur l'pont. Avant, ça puait pas l'importance. Quatre jours d'traversée qu'il y avait. L'premier était nickel. L'second, Lara s'sentait mal. L'troisième, l'médecin bord nous a tiré tout not'pognon pour dire qu'elle avait une grosse fièvre. Qu'ça passait ou qu'ça cassait. L'quatrième jour, j'ai débarqué seul. Lara était toute froide, dans une boite. Libre elle était son âme. Maintenant. Dans les faubourg d'Shell , j'ai fait un grand trou. Et j'ai dit ciao Lara en la foutant d'dans. Bienvenu à Shell Town.
D'puis, j'traine mes grôles dans l'coin. L'morale est pas terrible. Les coups durs, j'connais. Je gère. Mais c'lui-ci m'a broyé en d'dans. J'ai pioncé deux jours près d'la tombe. Pour enfin m'dire qu'ça servait à queud. Qu'Lara, sa belle âme et son p'tit cul était parti pour d'bon. Qu'tout c'qui restait d'c't'histoire, c'tait la belle chance: une fois, j'tais l'mec d'la plus belle poule d'la ville. Point.
Me r'levant, j'décide d'quitter l'mur des lamentations. D'aller m'frotter au cœur d'l'île. Piffer l'air d'la ville. Un coup d’œil à mes frusques. J'suis couvert d'terre, mais j'm'en fous. J'roule une tige d'tabac qu'restait dans l'pacson, et j'prend mon ch'min. L'programme fait pas un pli: me crever la tronche. M'rincer l'gosier jusqu'à la cra-maladie. J'ai un décès et une rupture à fêter. Ça s'impose d'soi, non ?
Shell Town est sympatoche. Dommage. J'perd p't'être un truc. Mais j'm'en tamponne un brin. Avançant sur les allées, j'sens les r'gards sur moi. Et j'me contente de tirer des bouffardes. Pas l'moment d'se lancer dans l'conflit. Si j'm'embrouille maint'nant, j'perdrai l'contrôle. Mais vachement. Salop'r... Mes crashages mentaux s'taisent. D'vant, là, apparait une auberge. Et la soif qu'j'ai nié pour deux jours m'fait la bise. Elle a d'la barbe, elle pique. M'faut un verre. Puis deux et trois. 'Fin... Voilà.
J'entre donc. L'ambiance est bonne. Les type sont pénards. Cool. Et plaisir. J'me dit qu'un effort s'rait pas mal d'ma part. J'vire les traces d'terre du singlet, d'un r'vers de main. Une bonne partie. D'bonne foi. Pour coller au buigue, qu'est plutôt gentil. Bois et rideau. Chaleureux. J'prend place sur l'tabouret. Au bar. L'air hagard. L'barman voit ma tronche. En type d'métier, il pige direct. Lui a suffit d'voir mes yeux. Y m'fait:
Lente ou rapide ta petite mort?
Bonne question... Prenons l'temps. Un verre pour s'rappeler. Un autre pour oublier.
Lente. J'veux envisager tout l'brol.
L'type a compris. Sont comme ça les bons Barmen. Y captent l'client. Et y l'servent. Une bouteille pleine s'pose d'vant ma tronche. Un rhum pas trop dégueux. Mais assez qu'pour faire vite mal. Brave type. Alors qu'je l'mate, y m'tape l'clin d’œil. Et m'envoie l'verre dans l'même mouvement. C'est parti.
J'travaille bien. Consciencieusement. Sans presser. Plus d'moitié d'la gnôle est d'jà passée. Du job d'grande classe. J'ai confiance pour la suite. J'la maitrise. C't'un travail pour Jack ça tiens. J'suis l'homme d'la situation. Aucune 'teille peut rien contre l'zig. moi. LE zig. Ouais. J'le sens bien. J'vais m'la finir la miss. J'me donne l'aprem. Cinq verres. Et elle s'ra bonne à enterrer. Comme la Lara. Lara la belle âme. Qu'est plus qu'un paquet d'viande. S'tu m'vois Lara, c'ui-là est pour toi. Santé Lara.
Et j'vide mon niènième verre. L'claque sur l'bar. Tranquilou. Mais viril! Un type s'pose à coté d'moi. J'le r'garde pas. En même temps, la serveuse m'frôle. Plateau à la patte. C't'une pro. Elle a rien lâché. Une mire d'traverse et j'capte qu'elle est chaloupée. Hurmf. Concentrons nous sur l'suivant. Un verre plein qu'vaux mieux qu'un vide. Même s'y r'viendra vide. Après être plein... Ça mène à rien. Hop; Slurp.
L'type à coté commande un truc. Du pamblerousse. Ou dans l'genre. Jamais entendu baver. Mais c'doit être rare. Même l'barman a pas l'air d'griller. Tout s'arrange pour f'nir. L'gus à son drink. Il le vide. Un deuxième et l'Barman a la paix. J'replonge dans mes songes, et mon voisin check ses poches. Problème d'liquidité? Héhé. Ma tronche m'gratte et j'ai envie d'pisser. J'fais signe au barman pour prendre l'ch'min des chiottes.
...
Hmmmmmmmmmmm. Héhé. C't'es une longue. Jack est fière d'lui. L'combat final peut s'engager. L'homme face à la fin d'teille. L'ultime lampée d'breuvage casseur d'tronche. Arf! J'ai l'pas vainqueur en r'venant à mon tabouret. Plan simple: vider c'qui reste d'abord. Après j'irai m'poser d'vant la toile noir. Et mater les truc brillants. L'grand univers. Tranqu... Merde. Pognon. Mes pattes! Au boulot. Checkage des poches. Arf... Nada. Tout est parti pour c'enflure d'doc. Va falloir cavaler. Dommage. L'barman était un cool type. Mais v'là. Mon titubage m'le confirme: j'suis 'fin raide. Et puis j'ai une furieuse envie d'faire mal. D'tout casser. Soit. Faut prendre l'vent. S'laisser porter par l'premier truc qu'pass'ra par ma tête. Ou à coté. Comme c'type là. Qu'est en train d'dire:
Sûr qu'être docker c'est pas le haut d'l'échelle. Mais on est indispensable. Au moins j'sers les gens.
Tout à fait vrai mec! J'approche du zig. Pose ma patte sur son épaule. Il s'tourne. Pas farouche. J'lui sort, av'nant:
Entre docker on s'comprend collègue. Mais c'pas l'cas de tout l'monde. L'type à coté d'qui j'suis, il passe l'temps à baver qu'on est qu'des bons à rien. J'vais lui apprendre. S't'veux en être.
L'bougre m'check d'un air entendu. Et s'lève à ma suite. J'vais sur l'zig au bar. Mon voisin d'tabouret, avec sa tignasse toute propre. Qu'finit son Tamblerousse.
Hé l'ami!
Qu'je jette. L'a pas eu l'temps d'tourner la tronche qu'je lui la claque dans l'bar. Sans forcer. Mais quand j'suis craché d'la trogne, j'gère pas ma force. Héhé. A peine qu'ma patte quitte son crâne encastré qu'mon "collègue" lui saute sur l'rabbe. L'barman m'mire d'un air mi-déçu, mi-colère. J'lui dis qu'j'm'excuse. Chope la bouteille. On a encore des trucs à s'dire elle et moi. Un type essaye d'me sauter d'ssus. J'le chope et l'envoie valser sur une tablée. Ça enflamme les derniers types encore calmos. J'en craque de-ci d'là. J'creuse une ch'min vers la sortie. J'l'emprunte. L'dit ch'min. La porte s'rapproche. Et j'la passe. L'chaos d'l'intérieur s'déchaine. Il est d'moi. Et j'm'éloigne. Grand prince. Sous les étoiles! Santé Lara!