Comme un poisson...
De prime abord vous pouvez apercevoir un garçon fluet, longiligne. Les jambes fines et musclés d'un pas de danse reposant sur deux pieds un peu grands au regard de l'ensemble. Un buste élancé, parsemé de divers tatouages indescriptibles, un dos ciselé et un torse bien fait selon des critères insidieusement suggérés. Des bras filiformes au bout desquels s'agitent deux mains aux larges proportions elles aussi, et le visage serein d'un fidèle au sortir de la messe dominicale. Le tout enveloppé la plupart du temps d'une toge jalouse et possessive, représentation plus sûrement symbolique d'un être que dissimulatrice d'un paraître.
Si vous vous approchez un peu vous découvrirez une peau claire et satinée, enrichie d'une légère teinte bleutée, reflets incertains mais néanmoins réels des origines sous-marines du jeune homme. Une chevelure hirsute, foncée et coiffée d'une frange curieusement albinos, qui prend ses plis au gré du vent autant que des caprices d'un couvre chef insistant.
Pour les plus intrépides, il sera possible de voir clairement un visage doux, aux traits fins et naturellement soignés. Deux pommettes, une pour chaque profil, un menton dessiné et une mâchoire assurée. Des yeux étirés à l'infini, au creux desquels se perdent deux iris d'un vert rappelant la caresse d'une herbe printanière. Des oreilles taillées en pointe tout droit sorties d'un roman de Tolkien, un nez fin et très légèrement busqué et une bouche aux allures courtoises, marquée à chaque coin par des zygomatiques offrant le réconfort d'un sourire à qui veut bien s'y attarder un peu.
Enfin, progéniture d'une humaine et d'un homme-poisson, le garçon a hérité de quelques caractéristiques de ce dernier. Du type poisson voilier, il n'a pas d'égal sous l'eau en vitesse pure, hormis les sirènes, grâce notamment à l'impressionnante nageoire dorsale qui fait immédiatement penser à la voile d'un navire lorsqu'il la déplie. Pour compléter l'ensemble pieds et mains palmés s'ajoutent à la légère teinte bleutée mentionnée plus avant.
...dans un bocal.
Exercice de style impitoyable s'il en est, comprendre le garçon, c'est répondre en premier lieu à une règle d'or...ne pas chercher à le comprendre ! D'un naturel bienveillant, il n'hésite pas une seconde à secourir l'enfant qui pleure de s'être amoché le genou, il se hâte sans arrière pensée pour aider celui qui a vu la mort frapper à la porte voisine et qui ne peux se relever seul, il distribue ses sourires au hasard du chemin à ceux qui émettent le besoin d'un soupçon de réconfort. Il aime échanger, partager, éveiller sa curiosité. Pourtant, il ne parle pas, ou peu, réminiscence d'une empathie au dessus de la moyenne. Il est de ceux qui préfèrent écouter avec attention plutôt que de faire semblant en attendant que ce soit son tour de parler. Son terrain de jeu c'est le bonheur des autres, il s'en nourrit, autant qu'il peut absorber leurs détresses. Sans doute la raison pour laquelle il aime tant être seul. Trop de proximité correspondant à un surplus de souffrances, celles qu'il emmagasine, qui le rongent et lui dévorent le cœur. Il ressent son environnement bien plus que de coutume. Astucieux aussi, capable d'inventer un monde avec deux bouts de ficelle. Trait de caractère qu'il a probablement conservé de ses nombreuses aventures enfantines en compagnie de Maïna. Passionné par la pêche, concepteur de marionnettes et autres spectacles, il dispose d'un goût prononcé pour tout ce que l'on peut assimiler à de l'art, bien que je vous souhaite du courage pour lui faire admettre ce mot et ce que l'on y attribue. L'art reste pour lui une vague notion de ce que chacun est capable de créer. Comme il aime à le répéter, créer c'est vivre, apporter au monde quelque chose de soi-même, et par conséquent être libre d’interagir avec lui sans le subir. Ainsi, il est du genre à penser qu'un coup de pinceau bien ajusté, une couleur bien choisi, ou encore une parole bien sentie, demeurent des options bien plus fiables que les poings pour cohabiter.
Biographie
Tout commence par un cri. La femme étendue sur le dos, épuisée mais satisfaite du travail accompli, heureuse du résultat obtenu, s'effondrant dans un râle de bonheur et de douleur mélangés. L'homme, subitement relaxé, fatigué lui aussi, le front ruisselant d'une sueur coupable d’avoir regardé sa bien-aimée souffrir sans n'y pouvoir rien faire. Repentant donc, mais émerveillé, la tête légèrement inclinée au-dessus du petit être qui vient de s'éveiller. Tous les deux sourient un peu bêtement, puis s'échangent des tendresses dans un triangle d'amour génétique.
Au fond, c'est ainsi que débutent de nombreuses histoires et c'est ainsi que pourrait débuter celle d'Héïon. A un cri près tout du moins. Celui qui ne sortit jamais de la gorge nouée de l'enfant. Peut-être madame et monsieur auraient-ils pu comprendre le sens de tout ceci si seulement on leur en avait laissé le temps. Mais il est des ères ou l'intolérance s'érige en souveraine, des époques où il est assurément malvenu pour une descendante de la plus haute noblesse mondiale de s'amouracher d'un pirate, homme-poisson de surcroît pour parfaire le sacrilège. Non, de toute évidence, du temps ils n'en avaient guère. Ce n'est que quelques années plus tard que le gamin put éclaircir le mystère de cette naissance silencieuse, après qu'Alistaire Morgus l'eût conduit chez un spécialiste des troubles du comportement.
Alistaire Morgus était un homme de quarante ans, pêcheur sur l’île de l’Abondance, petit bras de terre en plein centre de South Blue, au large duquel se pavanent une multitude de poissons, inexorablement attirés par les puissants courants marins des environs. Véritable paradis aquatique pour qui souhaite vivre de ses prises. Comblé par une femme qu'il chérissait et deux filles âgées de six mois et sept ans, il n'était pas rare qu'il parte en mer bien avant l'aube, afin de ramener ce que l’on pouvait trouver de mieux. Quelle ne fût pas sa surprise ce jour-là, lorsque piégé dans l'un de ses filet, un enfant pas plus âgé que sa cadette lui souriait, le regard fixe. Pas un cri, pas même le moindre son. Juste le sourire persistant d'un bien être évident. Face à l'incompréhensible, Alistaire c'était hâté de libérer le marmot et de le faire monter à bord du chalutier. Comment avait-il pu survivre en mer, seul et sans aucun point d’appui pour le maintenir hors de l’eau ? Le pêcheur comprit dès l'instant où il aperçut l'appendice dorsal en forme de voile du bébé. Malgré l'indéniable humanité physique du garçon, il tenait dans ses bras un homme-poisson autour du cou duquel ondulait un pendentif en forme de soleil, marqué de cinq lettres majuscules : H E I O N. Il déposa l'enfant un peu plus loin, puis se mit à marcher en rond en marmonnant mille et une questions auxquelles il répondait lui-même au fur et à mesure.
Les risques mesurés Bébé sourit toujours Heïon est adopté Juste au lever du jour.
C'est donc au milieu de cette famille qu'Heïon grandit depuis maintenant dix-huit ans. Plus jeune, le gamin était curieux de tout, et s'il ne distribuait ses paroles qu'avec parcimonie, il n'en était pas moins turbulent, toujours prêt à expérimenter la vie au mieux, accompagné de Maïna, la plus jeune des deux filles Morgus. Ils avaient quasiment le même âge et des liens solides s’étaient créés. Trop solides même de l'avis de madame. Elle n'en pouvaient plus d'entendre les prénoms des deux garnements aux quatre coins de l'île, la plupart du temps pour y associer quelques actions d'éclat. Comme cette fois où ils avaient attrapé les trois chats de Madame Sato pour les attacher ensemble, en nouant leurs queues les unes aux autres, avant de placer quelques morceaux de saumon frais aux quatre coins d'une pièce. Tout ça avaient-ils dit, pour tester si les chats, individualistes par nature, sont capables de s'organiser en groupe sociale si leurs objectifs individuels tendent vers un but commun. La réponse avait été un non cinglant et le résultat, visible, un sol recouvert des poils félins, plusieurs cicatrices et un matou borgne.
Parmi tout ce que le gamin découvrit, c'est étrangement la pêche qui attira le plus son attention. Il ne ratait pas une occasion d'en apprendre plus en suivant Alistaire dans ses périples, en mer comme sur terre. Le père adoptif le lui rendait bien en lui enseignant les différentes techniques, des rudiments jusqu'aux aspects les plus spécifiques, à la canne, au filet ou au harpon. Avec le temps, et bien qu’il délaissa rapidement le harpon, pas assez noble à son goût, Heïon voua un véritable culte à cet art. Sûrement là l'occasion de se retrouver seul avec lui-même, probablement sa manière à lui de s'éloigner des autres, du monde et de ses souffrances, celles qui le prennent sans cesse aux tripes sans pour autant qu'il ne puisse jamais verser la moindre larme. C’est d’ailleurs au cours de l’une de ces séances de pêche solitaire que je fis sa connaissance. Moi c’est Archibald Net mais tout le monde m’appelle Archi. J’ai bien vite compris que les particularités de mon espèce ne me permettraient pas d’autres aspirations qu’une vie de domestique, si je ne quittais pas au plus vite l’île des hommes-poissons qui m’a vu naître. Et oui, votre humble serviteur est également un homme-poisson, du type nettoyeur. Haut comme trois guppies dans une main de lilliputiens, ma fonction première est de nettoyer, laver, récurer, et assainir les corps de mes congénères, rongés par les parasites. Dans ce domaine je peux d’ailleurs affirmer que je suis le meilleur. Heïon avait réquisitionné le radeau familial pour s’éloigner des côtes. Confortablement installé, l'esprit vagabond, il laissait le bouchon de sa canne aller et venir au gré de flots capricieux, quand celui-ci fût brusquement aspiré sous l’eau. Le gamin saisit la canne, moulina un peu et remonta ce qui se trouvait au bout de l’hameçon. Justement, au bout de l’hameçon, c’était moi ! Ma première réaction fût de l'engueuler comme je pus en gesticulant dans tous les sens jusqu’à ce que la douleur buccale ne soit trop importante. Souriant, il m'ôta le crochet de la bouche en m'observant avec surprise. Par acquis de conscience, j’en profitai pour l’inspecter avec minutie après avoir suspecté puis reconnu ses origines. Le diagnostic n’étant pas terrible, je lui proposai mes services et entre deux coups de brosse à reluire, je m’insurgeai contre son incongrue passion pour la pêche, avant d'engager une conversation plus approfondie. Elle s’avéra rapidement infructueuse et pour seules contreparties à mes envolées lyriques je n'eus droit qu’à une poignée de phrases énigmatiques.
A la vie, à la mort Bienvenue mon ami Deux, nous serons plus forts Sourions à la vie.
Comme souvent les jours de repos de monsieur Morgus, toute la famille était réunie tôt le matin. Un rituel bien établi où chacun son tour lisait les nouvelles de la semaine tout en plaisantant autour d’un copieux petit déjeuner. Cette fois ci Heïon n’avait pas eu le cœur à plaisanter. En première page, le journaliste ressassait une histoire vieille de quatorze ans qui venait de s’achever par la mise à mort d’un homme-poisson par le gouvernement mondial. La photo du type en question trônait pleine page. Son dos était clairement surmonté d’une nageoire démesurément grande en forme de voile et son nez pointait, telle une épée longue d'un mètre. En médaillon, en bas à droite, une autre image, une femme cette fois, avec en sous-titre : « Malgré ses nombreux démentis, la noble mondiale Lucila Boswald fille du seigneur Boswald n’a pu empêcher l’exécution du pirate connu sous le nom de Torpilleur des mers ». Mes yeux ne quittèrent pas Heïon. Il serra contre sa poitrine le pendentif qu'il ne quittait jamais. La famille et moi étions les seuls à en connaître le contenu. Lorsqu’il lut avec attention les détails relatés dans la page suivante, son visage se figea, empli d’une douleur qui ne semblait pas être la sienne, comme s'il vivait les derniers instants de cet homme de l’intérieur.
L’article racontait l’histoire de l’enlèvement de mademoiselle Boswald, quatorze ans auparavant, ainsi que l'interminable poursuite qui s’ensuivit. Les autorités avaient finalement capturé l’odieux personnage deux mois plus tôt sur une île de North Blue et les médecins s'accordaient tous à définir comme miraculeux le parfait état de santé de la jeune femme. Un tel crime étant impardonnable le dossier avait été traité en priorité et la sentence prononcée presque immédiatement, sans aucune autre forme de procès. Le récit parlait également d'un certains syndrome de Stockholm à propos de la victime, celle-ci jurant de bonne foi qu'elle aimait cet homme, suppliant même pour qu'on ne lui tranche pas la tête. Rien n'y fit. Le sort de cet homme fût scellé au moment même où la demoiselle disparut du logis familial. Le journaliste précisait en bas de page qu'on lui avait refusé une interview privé avec la jeune femme, internée jusqu’à ce qu’elle recouvre la raison selon les propres termes de son père.
Tout semblait désormais plus clair. Pourtant, rien ne filtra du visage du gamin, pas une larme ne roula sur ses joues. La douleur étant sans doute plus profonde, plus perfide. Après tout pourquoi pleurerait-il pour des parents qu’il n’a jamais connu ? Des parents qui l’ont abandonné ? L’ennui c’est qu’il ne pleurait pour personne. Pas qu’il n’eût aucune compassion, non. Bien au contraire, les tourments des autres paraissaient l’atteindre jusqu’au plus profond de ses entrailles, le hanter plus que de raison. Juste il ne pleurait pas…jamais !
Elément déclencheur ou pas, après avoir parcouru le journal à son tour, Alistaire se décida enfin à demander conseil à un vieil ami qui habitait non loin. Le docteur Quenton était un spécialiste des troubles du comportement et deux heures plus tard, il diagnostiqua pour la première fois de sa carrière une frustration hyper empathique engendrant le refoulement de tout signe extérieur d’émotions négatives. Tout ceci résultant d’une ultra sensibilité à l’environnement dans lequel Heïon évolue. Un peu comme s'il absorbait les sentiments d'autrui. L'expert parlait même d’une très probable absence de cri à la naissance dans son cas, tant la découverte de la vie peut devenir impressionnante pour un nourrisson qui l’aborde avec la conscience de ce qui l'entoure. Deux conséquences possibles à tout ceci, l'extériorisation démesurée ou le mutisme.
Le soir même, une pièce de théâtre de marionnettes était jouée dans le village voisin. La troupe, qui parcourrait les mers du sud, se retrouvait ici chaque année pour y présenter sa nouvelle création. Toujours consensuels, leurs spectacles dépeignaient dans ses grandes lignes le monde tel qu’il nous apparaît aujourd’hui, en veillant toutefois à ne jamais froisser un gouvernement mondial qu’ils tenaient apparemment en haute estime. Sans doute entrevoyaient-ils là une possibilité d’étendre leur réputation par-delà les océans en s’attirant les faveurs des hauts fonctionnaires de l'état. Hormis Kaïna, l'aînée des filles Morgus qui n'en loupait pas une, la famille n'appréciait que modérément ce type de représentations et n'avait jamais assisté à aucune d'entre elles. Cependant, tous avaient convenu qu'il serait de bon goût de changer les idées d'Heïon après cette journée riche en émotions. Les marionnettes se déplaçaient avec une agilité fascinante. Le garçon, touché par la grâce de tous ces personnages de bois ne pouvait s'empêcher de vibrer avec eux. Au-delà de cette démonstration d'habileté, la pièce nous décrivait, d'un point de vu toujours négatif et discriminatoire, la relation des hommes-poissons avec le reste du monde, leur dangerosité et les bienfaits de la traque gouvernementale. On y voyait ainsi évoluer tout un équipage pirate d’hommes-poissons qui finissait par se faire capturer par la marine après une longue chasse, le tout dans une apothéose musicale grandiloquente. En somme, rien de très réjouissant pour le garçon. Mais curieusement, il en sortit guilleret, le sourire aux lèvres, puis se tourna vers moi pour me lancer une phrase que je n’oublierais jamais :
« Hey Archi...on dirait que le pouvoir donne des droits qui engendrent bien des désastres hein...c'est décidé, je serais marionnettiste...je dirais la vérité, qu'elle soit bonne ou mauvaise à entendre...s'il te plaît, deviens ma voix...libres, nous montrerons au monde entier qu’il n’est pas de droits ni de paix sans le plus indiscutable des devoirs. Celui de vivre ensemble !».
Ce jour-là, Heïon avait douze ans.
D’une journée morose Ne gardons que le bon Et demain si on l’ose Partageons l’ambition.
Le jeune homme mit à profit les six années suivantes pour apprendre sans relâche, maîtriser puis approfondir son art, en y ajoutant le mystère des masques et le son de l'accordéon qui l'accompagnent dans toutes ses créations. Quant à moi, je suis devenu son conteur. Comme il me l'avait demandé, je lui prête ma voix, tout en lui chatouillant les orteils mal récurés.
Il est maintenant temps pour nous de quitter notre île pour enfin débuter notre voyage, nos rêves en baluchon. Non Maïna, ne pleure pas, tu sais bien qu'il ne pourra pas te rendre ces larmes. Il est également temps pour moi de vous saluer. Mais pas d'inquiétude, l'histoire ne fait que commencer.
En tous points nos sourires Surpasserons leurs armes Vous qui souffrez le pire Venez sécher vos larmes.
Test RP
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