La poursuite enneigée [Ft. Ada]

Ce jour là, et pour la troisième fois de la semaine, je me retrouvais à nouveau dans le froid glacial de la forêt, la neige jusqu'aux chevilles, en train de traquer. Trois familles avaient chacune donné naissance à un nouveau né, et si les trois bambins ne raffolaient pas de ragoûts de lapin géant ou de gigots d'ours, les membres du clan avaient trouvé le prétexte parfait pour festoyer et vivre dans l'irresponsabilité pendant au moins la moitié du mois à venir. Les chasseurs adultes étant beaucoup trop occupés à parler à leur réflexion dans l'alcool renversé et à se rétamer à la moindre marche, j'avais été chargé de subvenir au clan autant que possible. Je m'en étais pris à une famille d'ours randonneurs les deux derniers jours, mais je soupçonne ces derniers d'avoir compris le danger que je représentais, et que ma fausse démarche nonchalante ne les bernerait pas une énième fois.

C'est ainsi que je me retrouvais à traquer une meute de lapins géants. J'avais beau être équipé d'une tenue adaptée aux conditions météorologiques désastreuses, cette dernière ne protégeait nullement des branches de pins fouettant tout autour d'eux, enragées par la tempête de neige qui durait depuis quelques semaines maintenant. C'était la saison, personne n'était surpris dans le clan, mais il fallait avouer que c'était un sacré manque de chance que je sois contraint de sortir aussi fréquemment lors de cette période. Cela rendait également la chasse plus compliquée ; une visibilité réduite, des traces de pattes très éphémères et le vent assourdissant m'handicapait encore plus que ma condition de borgne ne le faisait déjà. Sans parler de l'impossibilité de se servir d'un arc, raison pour laquelle je m'étais armé d'une lance de chasse classique.

Si la poursuite des rongeurs se faisait compliquée, je me souvenais, à force de chasser, dans quelle zone ils avaient tendance à se regrouper par un tel temps, un petit renfoncement dans un relief de roche, à l'abri du vent et de la neige. Je rampais à travers les buissons, ayant une vue dégagée sur leur foyer, immaculé de toute végétation, telle une minuscule plaine. On aurait presque envie de sauter dans cet amas de fourrure blanche, blottis les uns contre les autres. Mais la taille de leur quenottes dissuaderait n'importe lequel des idiots. Je restai au niveau de la lisière de la forêt, et à l'aide des affaires emportées dans mon sac je creusai un trou, recouvert d'une fine couche de feuilles disposées sur un filet. Il y avait suffisamment de place pour capturer quatre ou cinq jeunes lapins géants. Contournant discrètement le lieu de repos des rongeurs, il était maintenant temps de réveiller tous ces squatteurs pour qu'ils se précipitent en direction du piège installé.

Au travers de la neige froide et du vent mordant, Ada plaçait un bras devant son visage pour éviter de laisser des gouttes d’eau lui rentrer dans les yeux alors que de son autre main, elle maintenait une épaisse capuche sur sa tête.

Cette fois-ci, elle serait seule. Seule sur une mission importante pour elle, la première confiée par le Nouvel Ordre Marine et qui acterait la fin de son apprentissage et son entrée dans cette confrérie. Une mission qui lui offrirait peut-être un début de regard fière de la part de son père. Celui-là même qui l’avait habitué à l’indifférence devant ses réussites. Alors forcément, la jeune fille de 14 ans continuait d’avancer dans la neige, même si droit devant elle, elle ne percevait rien de plus d’une immensité blanche.

Et cela faisait maintenant une bonne heure qu’elle avait perdu la trace du chassé. Un marine, un mink, un traître. Tout du moins, s’il ne l’était pas vraiment, les dossiers seraient facilement falsifiés pour en arriver à cette conclusion et rassurer ses camarades qu'il n'était pas un bon élément qu’il fallait pleurer. Oh non. Car les non humain n’avait pas leur place dans l'institution de la marine et que les compétences et les réussites récentes de Marcof Crodur. Et si la rumeur d’une promotion prochaine en Commodore s'était fait entendre, il avait été clair que le NOM ne voyait pas cela d’un très bon œil. Alors plutôt que d’attendre, il fallait couper le mal à la racine et brûler tout autour pour être sûr que personne ne chercherait à y planter à nouveau.

Mais le chien avait senti le vent tourné et après l'échec d’un agent plus âgé, l’Amiral Tetsuda avait sauté sur l’occasion de proposer sa fille pour retrouver et exécuter le nouveau “traître”. Une responsabilité qui avait donné à Ada des palpitations tout au long du voyage en bateau jusqu’à Drum. C’était ici qu’avait fuit le clébard, cherchant surement dans les étendus sauvages une cachette en ces temps surement très troublés pour lui.

Alors la jeune agent continuait d’avancer dans la dernière direction où elle avait trouvé des traces du passage du marine jusqu’à un regroupement d’arbres qui coupaient le vent et lui offrait enfin un peu de visibilité. Son sens aigu de l’observation reprit rapidement le dessus lorsqu’elle observa des branchages cassés et de la neige retournée. Pour elle, cela sentait le piège à plein nez et alors qu’elle lança une pierre vivement ramassée au centre de cet aspect suspect, un large filet déploya autour pour venir capturer le bout de roche, convainquant davantage l’agent qu’elle était sur la bonne voie. Mais la jeunesse s’oppose à l’expérience et au premier bruissement étrange, la jeune agente usa du Soru pour venir écraser de son poid l’homme caché dans les fourrés.

Plaqué face dans la neige, elle appuyait avec son genou entre les omoplates de l’individu pour le contraindre à arrêter tout mouvement avant de glisser une lame contre sa nuque. Les menaces étaient claires, mais elle préférait les expliciter tout de même :

- “Bouge plus sale traitre ! Ou j’te crève !”

Tout s'était enchaîné bien rapidement. Mon piège qui se déclenche avant même que je ne fasse fuir les lapins, puis voilà que je me retrouvais plaqué au sol. Je ne sais pas ce qui me surprit le plus entre le fait qu'elle ait détecté mon piège, qu'elle m'ait trouvé, ou simplement qu'une personne semblant parler correctement se soit aventurée aussi loin dans la toundra. D'habitude je ne croise que des sauvages et autres arriérés, où un simple échange de cris et grognements suffit à calmer les tensions. Mais la situation présente n'avait rien à voir. Voilà que j'étais sous la menace, un genou bien placé me bloquant sur le ventre.

"- Mais dégage de là, tu vas faire partir tous le bétail !" m'énervai-je en tentant de rester aussi discret que possible. Avec un peu de chance les lapins endormis n'avaient pas entendu le piège s'activer ou notre discussion.

En tournant la tête autant que possible, je distinguai la silhouette de la saboteuse. Mince, bien plus petite que moi et sans aucun doute plus faible physiquement. Mais je devais bien lui reconnaître qu'elle savait où appuyer pour que ça fasse mal.

"- Et t'es qui d'abord, je t'ai jamais vue ici, alors de quelle trahison tu parles !?" continuai-je en repensant à ce qu'elle m'avait crié.

Au même moment, la horde de lapin commençait à s'éveiller, se dispersant petit à petit dans toute la forêt, sans que je ne puisse rien faire pour les rattraper.

"- Rahh mais bordel, comment je vais faire pour ramener de quoi manger maintenant. T'as vraiment intérêt à avoir une bonne explication car sinon t'as intérêt à me trouver de quoi bouffer rapidement." la menaçai-je en la fixant de mon unique œil valide.

Si le ton du jeune homme faisait durcir la prise d’Ada, elle ne prêtait guère attention au lagomorphe filant entre les branchages dans la neige. Et plissant les yeux, elle se concentrait sur celui qu’elle venait d’arrêter et pour lequel elle n’avait pas encore pris le temps de se demander si, à tout hasard, elle avait pu tomber sur la mauvaise personne.

Mais un minks chien aux oreilles tombantes et à l’haleine de phoque, cela n’était guère confondable avec le jeune trois-Yeux qu’elle venait de plaquer au sol. Surprise devant alors même qu’elle distinguait à peine son visage pour constater que sa prise n’avait rien de canin, la jeune femme relacha la pression et rapidement, elle se fit dégager avec force dans la neige.

Roulant sur deux bons mètres sous la force de l’inconnue, elle comprit par ce triste spectacle que physiquement, il était bien plus puissant qu’elle. Mais elle, elle était loin d’avoir accès ses talents sur la force brute et les affrontements directs. Sinon son père l’aurait sûrement laissé devenir marine plutôt qu’agent du Cipher Pol. Alors, elle termina sa deuxième roulade en se remettant agilement sur ses appuis, pour d’un Soru venir se replacer derrière son opposant. Et dressant sa jambe, elle lui écrasa l’intérieur du genou gauche, le forçant à s’écrouler dans la neige dans un gémissement de douleur mélangé à de la surprise.

- “Tu me parles pas comme ça le sauvage.”

Ada était loin d’avoir la patience et la confiance nécessaire à une discussion moins violente. Et la pression qu’elle ressentait à l’idée d’avoir raté sa cible et de la laisser filer un peu plus chaque seconde était suffisante pour le retransmettre au travers d’actes impulsifs et virulents.

- “Je cherche un Mink chien, aussi grand que toi ! Dis-moi où il est, et je te laisse en vie.”

Les menaces étaient bien souvent la marque des faibles d’esprits ou des agents paniqués.

A peine m'étais je débarrassé de cette gamine, qu'elle revenait déjà à la charge dans mon dos. Un genou à terre, j'écoutais avec toujours autant d'incompréhension ses paroles.

"- Mais t'es qui à la fin ? Tu fais partie de la milice pour rechercher quelqu'un comme ça ?" lui criai-je à travers le vent, n'ayant plus aucune raison de me faire discret désormais. "Et je connais pas de Mink chi- attends un peu, j'ai peut être vu une piste tout à l'heure..." me repris je au milieu de ma phrase.

Bien qu'agile, la jeune femme ne semblait pas très alerte quant au pistage. J'avais donc toutes mes chances pour inventer une fausse piste et qu'elle morde à l'hameçon. Je n'aurai plus qu'à la rediriger vers mon clan et profiter de notre supériorité numérique. Ainsi, je contournai le chemin par lequel j'étais arrivé, et nous progressions en parallèle de ce dernier. Je faisais mine de chercher des indices, inspectant les branches, la neige, le sens du vent. De nombreuses fois, j'eu envie de me retourner brusquement, profitant qu'elle n'ait pas son attention portée sur moi pour l'attraper et lui briser les jambes avant de m'en aller, mais celle qui se sentait si supérieure conservait une distance de sécurité trop importante pour toute attaque surprise.

Nous avions suffisamment marché pour que la tempête ait eu le temps de recouvrir en grande partie mes traces initiales, je choisis alors de rejoindre le sentier que j'avais originellement emprunté. Arrivant au niveau de mon premier passage, je m'apprêtais à feindre la surprise, mais je ne pus me retenir d'être pris à dépourvu par ce que je contemplais. Une seconde trace dans la haute neige coupait la mienne, presque à la perpendiculaire. Quelqu'un était bel et bien passé ici entre ma sortie du clan et notre retour.

"- Eh bien, continue de chercher." me claqua-t-elle.

Après quelques dernières secondes d'hésitation j'acquiesçai silencieusement, décidant de poursuivre les nouvelles marques. D'une part, j'étais désormais curieux de savoir qui avait pu s'aventurer aussi loin, d'une autre part que cela soit la rabat-joie ou l'inconnu, ces deux individus pourraient mettre le clan en péril, et les y amener ne serait peut être finalement pas la meilleure idée.

Ada comprenait que peu de chose au pistage en milieu hostile. Essentiellement car elle était loin d’en être là dans son enseignement au sein du Cipher Pol mais aussi parce que la traque d’individu n’était pas réellement son occupation principale. Depuis que son père lui avait refusé la marine pour cette autre branche du saint gouvernement mondial, la jeune fille passait son temps à infiltrer, espionner, rapporter, les faits et gestes d’opposant. Et lorsque les preuves à leur encontre étaient bien suffisantes, c’était au CP9 que les administrateurs faisaient appel pour régler le problème. Un Pôle plus noble, plus reconnu, plus craint que les autres. Et aussi celui dans lequel elle avait l’impression de devoir finir pour qu' enfin elle soit reconnue par son paternel. Mais la route était longue et si suivre le sauvage lui rappelait bien quelque chose, c’était qu’elle était encore loin d’avoir les connaissances et le talent nécessaire à entrer au sein du groupe d’assassin.

L’homme devant elle prit une bien étrange expression après ses mots. Comme une hésitation qui fit froncer les sourcils de l’agent. Elle avait de plus en plus l’impression que quelque chose clochait mais en même temps, elle se sentait capable de le tuer. Après tout, les affrontements ne reposaient jamais que sur la force physique et si dans la neige, le Trois-yeux aurait sûrement l’avantage, elle possédait tout un arsenal de technique qui lui assurerait la victoire. Alors petit à petit, elle reprenait confiance. Et ceux, jusqu’à que leur poursuite dans la neige finisse par les mener au un col étroit entre deux larges montagnes.


Du gouffre, ils étaient au pied. Sur leur droite, un cours d’eau cristallin filait entre les paroies rocheuses dans un clapotie délicat. Observant le fond du tunnel à ciel ouvert, ils n’y voyaient qu’une obscurité peu rassurante. Il était clair que si le lieutenant-colonel souhaitait leur tendre un piège, l’endroit était plutôt indiqué. Et c’était pour cela qu’elle ne prendrait pas le risque de s’y engouffrer en premier. Se rapprochant du sauvage pour le laisser sentir la pointe de sa lame dans son dos, elle lui ordonna :

- “Avance.”

Les traces finirent par nous mener dans cet interstice entre deux montagnes, dépourvue de toute installation humaine à première vue. Je n'avais aucune information sur l'homme que nous cherchions en dehors de sa race, et de fait je n'avais aucune idée de la sournoiserie dont l'individu saurait faire preuve, ni de l'instinct de survie qui pouvait l'habiter. J'avançais avec précaution entre les parois rocheuses, faisant au mieux pour ne pas glisser sur l'eau qui se transformait en verglas dès que les éclaboussures s'éloignaient du cours d'eau. Le blizzard s'était calmé, maintenant que nous étions abrités par les montagnes. Heureusement pour moi, d'une certaine manière, mon handicap de Trois-yeux ne possédant plus qu'un seul œil m'avait forcé à travailler mes autres sens, me permettant alors d'entendre sans grande difficulté le son d'une corde que l'on tranche. Le bruit si distinctif de la roche s'entrechoquant suivit rapidement, et une demi douzaine de boulets de pierre dévalait les deux pentes qui convergeaient sur notre position.

"- Attention !" criais-je en déviant la trajectoire de deux d'entre eux, mais après quoi je dus m'écarter du chemin pour ne pas finir écrasé sous leurs poids.

Des bruits de pas se précipitant se firent entendre en amont et en dirigeant mon regard vers la source du bruit je pus distinguer à travers la poussière soulevée la silhouette du Mink, au pelage presque doré. Aucun doute possible, il se savait suivi et surtout en danger. Je m'élançai, rebondissant de gauche à droite sur les parois du ravin, le plus rapidement nous aurons arrêté l'individu, le plus vite je pourrais retourner chasser. Alors que je n'étais plus qu'à quelques mètres de l'homme, ce dernier fit volte-face et après avoir fait crépiter d'électricité sa crinière, ce dernier me projeta une nuée de dagues crépitantes. Je croisai les bras pour réduire les dégâts subis mais l'une d'entre elles atteignit mon flanc, me faisant perdre l'équilibre et surtout la trace du fuyard.

S’il était évident que le fuyard finirait par être rattrapé, Ada ne s’attendait pas à se retrouver dans un endroit aussi exigu pour l’affrontement à venir. Le NOM avait été très clair, le Commodore Marcof Crodur devait mourir, ici, sur l’île de Drum. Mais l’agente était encore loin d’avoir une parfaite maîtrise du Rokushiki pour lui permettre de se battre aisément avec des parois rocheuses à quelques centimètres d’elle à chaque mouvement.

Explosant un rocher arrivant sur elle d’un Shigan perforant, puis le suivant d’un Rankyaku tranchant, les débris des obstacles détruis formèrent un nuage de sable et de roche qui l’aveugla un instant. Elle tourna la tête pour éviter que la majorité ne rentre dans ses yeux. Puis, sous le son des lames crépitantes, elle se hâte de poser à nouveau ses yeux sur le fuyard et le sauvage. Mais trop tard, elle ne vit que la queue touffu du Mink filer entre les veines rocheuses du gouffre alors que le gris avait fini à terre sous l’attaque.

- “ Comme c’est décevant …” Ronchonna-t’elle en arrivant au niveau du blessé.

Et sans lui prêter plus d’attention, elle l’abandonna pour poursuivre le traître. Le blizzard s’était calmé, et s’il sifflait toujours haut au-dessus de leur tête, sa vision n’était plus obstruée par toute cette neige volante. Elle courait, zigzagant entre les couloirs du gouffre jusqu’à que tous finissent par se rejoindre en un seul et même point. Et au fond du cul de sac, le traître se tenait droit.

- “ Vous savez que c’est faux, n’est-ce pas ! Je n’ai pas trahi le gouvernement. C’est vous qui avez tout manigancé !”
- “ Et qu’est-ce que cela change ? Votre nature est une insulte suffisante envers les Dragons Celestes pour vous considérer comme un traître.”
- “ En cent ans, le gouvernement n’a donc pas évolué …”

Retenant une énième réponse, Ada se décidait à ne rien rajouter. Elle n’avait ni l’envie, ni le temps à perdre dans des débats stériles avec un condamné. Alors elle dressa sa lame au niveau de sa gorge, pointant le tranchant vers son adversaire. D’un Soru encore fébrile, elle se rapprocha rapidement de sa cible qui avait fermé les yeux, comme pour accepter son sort. Mais alors que sa lame aurait dû pénétrer avec force la chair du Mink, elle fut déviée par un coup puissant de projeter dans une paroi rocheuse non loin. Ada, surprise et déséquilibrée, se hâta d'exécuter quelques pirouettes agiles pour reculer du contact du Commodore. Grognant, elle redressa les yeux pour observer une nouvelle silhouette élancée, à la fourrure brune et rougeâtre, et dont les doigts se resserraient avec force autour du pommeau d’une épée.

- “ Vous aviez raison Commodore. Le gouvernement mondial retombe dans ses vieux travers.”

Cette voix, ce physique, et surtout cet uniforme de la marine. Dans sa fuite, le Commodore Crodur avait entraîné un de ses hommes Minks, le Lieutenant Felix Criniflam. Les yeux de l’agent se plissaient dans un constat plus que désagréable : si le combat contre le Commodore ne serait pas facile, il allait devenir bien plus complexe avec un adversaire en plus.

Je rejoignais l'agente en reprenant ma respiration, cautérisant les brûlures superficielles causées par le choc électrique que j'avais encaissé, et cicatrisant de manière forcée la plaie minime laissée par la dague de basse qualité. J'avais récupéré sur le passage ma lance de chasse qui m'avait échappé des mains. J'avais beau haleter et reprendre mes forces, ma vision ne me jouait pas des tours, il y avait bien deux Minks face à la femme, leurs armes dégainées. Je n'entendis que la dernière phrase du nouvel homme, mais peu importe les raisons qui pourraient justifier la mort des hommes, je voulais simplement me débarrasser de cette corvée aussi vite que possible. Je n'étais pas là pour juger s'ils méritaient de mourir, mais si leur présence attirait toute sorte d'agents dangereux, alors le clan s'en sortirait bien mieux sans ces gêneurs dans ses pattes. Je bondis sur le marine aux poils roux en tentant de le transpercer, cela fut sans compter sur ses réflexes qui lui permirent de dévier ma lance d'un revers de la main.

"- Ils sont plusieurs, ils ne veulent vraiment pas vous rater Commodore." souffla le marine alors qu'il embrasait son épée, projetant nos ombres respectives contre les parois du ravin. "Montrons leur qu'aucun traître ne se battrait avec autant d'ardeur, Commodore." continua-t-il en agitant son épée tout en fonçant dans ma direction.

Les mouvements maîtrisés et précis du lieutenant projetèrent des gerbes de flammes qui m'étaient destinées. Je glissai sur mes genoux pour esquiver une entaille enflammées au niveau de ma taille, mais une seconde frappe à la verticale me frappa en plein bras gauche, ma glissade ayant trop d'élan pour que je puisse me ressaisir à temps. Malgré mon esquive bancale, l'ennemi était maintenant à mon corps à corps alors que je finissais de me relever. Le mink abattit son épée vers le sol, tentant de neutraliser complètement mon bras gauche, coup que j'esquivai facilement en me tournant de profil. Je profitai cependant que son épée soit au niveau du sol pour geler mon pied à l'air de mon Ice Heart et l'abattre violemment sur la lame. Celle-ci n'encaissa pas le changement brutal de température combiné au choc soudain et se brisa nettement, tandis que je portais enfin une première attaque à bout portant, transperçant l'épaule droite du Mink.

Si Ada n’avait fait que penser au sauvage comme un boulet dont elle se servait à ses propres fins, elle n’était pas peu heureuse de le voir débarquer et engager le combat contre le Lieutenant, scindant les affrontements en deux. Avec un peu de chance, la gris viendrait à bout de son adversaire et l’agent du Cipher Pol s’attribuerait en solitaire la réussite de la mission. Après tout, les instances du gouvernement mondial devaient bien se moquer qu’un autochtone ait assisté l’Agent Viper dans sa mission. Donc pas besoin de l’écrire sur le rapport.

Il ne fallait pas plus que cette simple pensée pour remotiver la jeune femme. Elle se redressa avec hâte, d’une concentration visible dans ses yeux, puis elle usa à nouveau du Soru pour approcher et venir porter un coup au Commodore. Cependant, le Mink avait déjà vu cette attaque et si la première fois, son Lieutenant était venu la contrer, maintenant il n’avait plus besoin d’aide extérieur pour déjouer les techniques primaires de la jeune agent. La jeunesse comme l’inexpérience, c’était bien là les plus gros désavantages d’Ada dans ce combat. Mais elle serait sûrement compensée par un mélange d'outillage que le Commodore ne verrait pas venir.

Repoussé contre une paroi, Ada s’abaissa pour esquiver in extremis le tranchant crépitant de l’épée du mink qui vint se planter fermement dans la roche. Puis elle profita de cet instant ou le marine tirait pour décoincer sa lame pour prendre appui sur ses mains et repousser l’homme d’un puissant coup de pied dans le thorax. Le commodore lâcha son arme qui resta plantée dans la pierre et vint à son tour percuter le fond rocheux du cul de sac en crachant une gerbe de bile. Il était toujours très efficace de frapper au thorax un adversaire pour lui couper la respiration et si le marine semblait avoir du mal à retrouver la sienne, Ada ne comptait pas lui laisser le temps de le faire. Elle fonça sur lui, dressa deux doigts et tenta un Shigan directement dans le cœur.

Cependant, malgré sa situation, le Commodore vint dévier l’attaque d’une main agile avant de frapper de sa paume électrifiée dans l’épaule de l’agent du Cipher Pol. Ada grogna de douleur, avant de pivoter sur elle-même, dressant une jambe pour venir coller un puissant coup de talon dans la tête du chien.

Le lieutenant tenta de retirer ma lance, mais je tenais bon, propageant petit à petit mon ice heart dans la plaie qui s'aggravait à chaque centimètre percé de ma lance. D'un coup de pied franc, le mink me repoussa, alors qu'il extirpa ma lance avant de la briser de ses propres mains. La posture de l'homme changea du tout au tout, adoptant une position plus propice au combat rapproché à mains nues. Je songeai à me saisir du fragment brisé d'épée qui n'était pas si loin de ma position, mais l'attraper sans aucune protection résulterait sans aucun doute à de sévères lésions sur mes propres mains. Le jeu n'en valait clairement pas la chandelle à moins de vouloir de devenir plus infirme que je ne l'étais déjà. Le mink à la fourrure parsemée de tâches écarlates, résultat de son propre sang, enflamma à présent ses poings, prêts à en découdre et à en finir pour de bon.

De toutes évidences, je ne possédais pas l'expérience de l'homme quand il s'agissait d'arts martiaux, mais mon instinct de survie pris le dessus, déviant les coups autant que possible, encaissant les moins dangereux et parvenant à répondre tout de même à l'aide de mes paumes gelées. Cependant, je n'étais pas de taille et il était inévitable que je ne perde petit à petit du terrain, me faisant repousser peu à peu vers la paroi le long de laquelle le ruisseau s'écoulait désormais plus paisiblement qu'à l'entrée du ravin. Alors que je m'apprêtai à asséner un coup qui aurait pu s'avérer décisif dans l'affrontement, le marine s'abaissa esquivant mon offensive, transformant son esquive en assaut alors qu'il pivotait désormais sur lui-même pour finir son geste en un joli coup de pied retourné, heureusement dénué de toute flammes. Je fus projeté plusieurs mètres en arrière, manquant de me fracturer le crâne contre la paroi, alors que mes cheveux trempaient désormais dans l'eau ruisselante et je sentais le courant frais parcourir mes paumes usées par l'affrontement.

Par réflexe, j'avais disposé mes bras derrière ma nuque et mon crâne pour limiter les dégâts lors de la projection, mais là était peut être la clé de ma victoire. J'entendis le mink affaibli par son utilisation intensive de Fire heart s'approcher, chancelant légèrement, mes coups avaient également eu leur petit effet. Je ne sais pas ce qui motiva le lieutenant à adopter cette méthode d'exécution, mais ce dernier passa ses mains autour de mon cou, serrant de plus en plus de ses mains encore chaudes bien qu'il ne semblait plus avoir la force de les enflammer. Alors que je feintais l'inconscience depuis ma chute dans le courant, j'utilisais une dernière fois mon ice heart autour de mes mains, action dissimulée par mes cheveux ondulant à la surface de l'eau. De nulle part, je sortis mes mains de sous mes cheveux, et je vins planter ce qui s'apparentait à des pics de glace, malformés, d'une structure bâclée, mais au tranchant suffisamment aiguisé pour chacun pénétrer le cou du marine, de part et d'autre. L'homme recula de plusieurs pas, me laissant reprendre ma respiration par la même occasion. Sa gorge se remplit de sang qui débordait déjà de sa gueule animale, et qui finit par sortir par les trous que je venais d'ajouter dans son cou, dès que les pics fondirent. Mon instinct de survie m'avait sorti de ce mauvais pas, mais il restait un ennemi à neutraliser, voire un second en fonction des futures décisions de l'agent...

Le coup de talon percuta le crâne du marine qui vint alors s’écraser contre la paroi rocheuse le sonnant. Ada fit alors un bond pour reculer, posant rapidement sa main à son bras touché par les décharges électriques et au travers duquel elle sentait encore le courant la traverser. Le bras ballant, elle grognait à nouveau devant le Commodore qui secoua la tête, laissant ses babines projeter de la bave autour de lui. Il essayait sûrement de retrouver l’équilibre mais l’agent ne le laisserait pas faire sans agir. Ada se replaça d’un Soru au niveau de la lame du marine plantée dans la roche rigide. Elle dressa une jambe, puis elle mit un puissant coup de pied dans le pommeau pour arracher la lame de son support de pierre. L’épée vola plus loin, en direction du Commodore qui tendit le bras en avançant pour essayer de l’attraper au vol. Mais l’agent Viper était plus rapide. D’un Soru, elle réapparu derrière l’épée, la saisissant avec agilité et fermeté avant d’un coup sec, trancher le bras du mink chien.

Son regard déterminé devant les cris de souffrance de l’animal montrait à quel point elle était prête à tout pour l'abattre. Et alors même que le Commodore, encore déboussolé, tombait à genou, Ada changeait la trajectoire de sa lame avec hâte pour venir trancher nette la tête de l’homme. Après tout, elle n’avait besoin que de ça. De sa tête, pour le gouvernement mondial.

Haletante, Ada venait récupérer le crâne du chien, l’attrapant par cette touffe de poile qui couvrait tout son corps. Elle n’avait pas fait attention à l’autre affrontement, et alors qu’elle entendait des bruits de pas rapide résonnant dans le gouffre, elle serrait ses doigts autour de l’épée du marine un peu plus fort. Ses yeux se dirigeaient vers l’arrivant sans que sa tête ne bouge.

- “Mission accomplie.” Disait-elle simplement au sauvage. “Tu es libre.”

Et alors qu’elle se baissait pour déchirer des morceaux de l’uniforme du mink pour envelopper la tête sanguinolente de l’homme, elle était surprise de voir encore sur place l’homme.

- “Dépêche-toi avant que je ne change d’avis.”

Visiblement l'agente sortit également victorieuse de son affrontement, non sans quelques égratignures, une tête tranchée à la main. Décidément, si je m'estimais quelque peu bourrin et violent, cette femme n'avait pas à rougir. Je me passais à nouveau de l'eau du ruisseau sur le visage pour me rafraîchir les idées malgré l'espèce de menace qu'elle avait proféré à mon égard. Lorsque je rouvris les yeux, je ne la vis plus nulle part, n'entendant qu'un claquement bref de talons comme dernier son de sa part. Voilà que je me retrouvais seul au fond du ravin, deux cadavres à mes côtés, dont un qui avait été privé de sa tête.

Malgré la scène qui en aurait fait vomir plus d'un, mon estomac choisit ce moment précis pour se réveiller et me rappeler que je n'avais rien avalé depuis la veille. Instinctivement, mon odorat huma l'air ambiant, et une odeur plutôt familière me parvint. Les minks avaient ils toujours eu cette odeur ? Si c'était le cas peut être devrai-je songer à les découper et les déguiser en gibier abattu par mes soins. Quoiqu'en me concentrant, je déterminai que l'odeur provenait d'un peu plus loin que du lieu de l'affrontement. Dans un recoin de la paroi, avait été aménagée une petite installation, avec de quoi se couvrir du froid, un endroit où se reposer, mais surtout des vivres. Emballés dans une serviette pourtant sèche malgré la météo, se trouvaient une trentaine de barres de céréales, de quoi permettre à un évadé de tenir plusieurs jours voire semaine si son esprit était suffisamment solide. Puis, couvert de neige et émergeant à peine de cette dernière, je distinguais un bois de cerf, suivi du corps de la bête qui se dévoilait alors que je creusai la poudreuse de mes mains meurtries.

Un gibier entier gisait là, à peine entamé et plutôt bien conservé par la neige et la température glaciale. Cela suffirait pour aujourd'hui. Après avoir accroché à ma ceinture le balluchon de provisions, je chargeai la bête sur mon dos, déjà bien large et musclé pour mon âge, et je repris la route du clan. J'aurai quelques onguents à préparer pour soigner ces vilaines brûlures mais cela ne devrait pas laisser de marques trop importantes sur mon corps déjà couvert de toutes parts de diverses cicatrises et lésions ayant laissé leur trace.