Mi-Marine, Mi-Pirate, Marine Pirate, Pirate marine.

Il est d'usage, quand quidam rencontre Marine, de dire qu'elle est contrastée. Physiquement, s'entend. Naturellement, la jeune femme est née étrange, aux yeux de ceux qui veulent bien la regarder. Après tout, sa peau d'une pâleur à faire pâlir les pâlots n'a d'égal que la rousseur enflammée de sa chevelure, elle-même frappée par une curiosité notable puisque les pointes de ses cheveux s'alignent depuis toujours à la couleur de l'oeil le plus proche, désarçonnant au passage la plupart des gens de peu de foi refusant de croire qu'un tel phénomène peut-être naturel. Car en effet, pour une raison obscure, notre amie frappée d'hétérochromie a nombre de ses mèches des mêmes couleurs rouge et bleu de ses yeux, ce qui est déjà une rareté en soi.

Mais ces contrastes ne s'arrêtent pas à son pur physique. Si la demoiselle est un tout menu brin de femme d'à peine 1m60 à la figure délicate et timide, ses frusques déchirées et son allure désinvolte témoignent d'un esprit beaucoup plus rebelle que son faciès mignon ne laisse paraître. Quoiqu'il arrive, notre chère héroïne n'osera en effet jamais se faufiler dans des habits serrés, propres ou procéduriers tant ils lui sont désagréables, par soucis de style autant que de liberté. Non, madame Pirate préférera toujours se parer de vestes aux teints délavés, de débardeurs ou T-shirts simplistes ne laissant deviner aucune forme tant ils sont lestes, et de pantalons larges, usés, démontrant d'une absence totale d'envie de prendre soin de son image. Elle mettra cependant toujours une certaine attention à respecter un code couleur suivant celui de ses atours naturels, parce que l'opposition de la froideur du bleu et la chaleur du rouge sont autant pour elle des témoins de ses conflits internes que de son identité.

Malgré cet aspect étrange, Marine est malgré tout regardée par ses pairs parce que ses airs timides de ne pas s'assumer lui donne un charme mystérieux que les gens qui l'entourent ont envie de protéger. Sa silhouette gracile, son rire mignon et fluet, sa joie qu'elle sait témoigner en levant grand les bras , sautant partout et en souriant jusqu'à enchanter les nuages, sa détermination quand elle veut faire respecter ce en quoi elle croit, ses tendances à faire la moue comme une gamine quand quelque chose ne lui convient pas... peu d'individus n'ont pas envie de chérir cet ensemble si discordant et harmonieux à la fois.

Bon, par contre, elle y voit rien, donc elle a des lunettes pas ouf, et comme elle a le pied bot, même si elle a fait de la rééduc, elle se casse la gueule dès qu'elle veut courir et ça, c'est moyen pratique.  Par contre, comme elle est forte en brasse, ses bras c'est des poteaux frère !

Marine, c'est la justice. Elle aime les règles, elle aime les normes, elle aime respecter ce qui est prévu, elle aime quand ça file comme c'est censé filer, bref, elle aime la justice. Bien que consciente du fait évident que le dit précepte n'est pas toujours ce qu'il y a de plus pratique et de plus facile à suivre et à faire respecter, et malgré avoir constaté maintes et maintes fois qu'humainement, la solution légale n'est pas celle que son cœur aurait choisi, sa confiance envers la loi, sa conviction du besoin de l'appliquer est tellement ancrée dans son âme que la voix de sa conscience est souvent celle qu'elle préfère ignorer. A la manière d'une croyante convaincue que son dieu lui font passer les pires épreuves pour mieux la récompenser plus tard, la pirate est persuadée qu'à qui suivra sa vérité sera sauvé par la justice.

Aussi, il est bien surprenant me direz-vous que notre chère amie se définisse comme une satanée criminelle. Eh bien, bon, disons que la justice elle a bon dos quand il faut suivre une destinée écrite dans le marbre. Quand il a fallut choisir la première des règles à suivre, Marine a d'abord choisi de respecter la vérité de sa famille plutôt que celle de ses convictions. Malgré cette dissonance dans le discours, si la corsaire est bien décidée d'une chose, c'est que ses deux moteurs de vie peuvent cohabiter : elle peut être une pirate tout en appliquant la loi. Elle porte donc une certaine velléité à être une méchante de bas étage, mais la réalité a souvent tendance à rattraper notre héroïne dont la culpabilité à l'idée de bafouer les règles l'amène bien souvent à ne pas aller au bout d'actes perfides, vénaux et indélicats. A défaut, elle s'amuse à faire des gags, même qu'une fois, elle a piqué la fourchette de son voisin de table, accompagnant d'un rire narquois son crime odieux. Une enfant terrible donc.

La réalité, même si elle ne l'avouera pas puisqu'incohérente avec son métier de choix, c'est que Marine est une grande gentille. Si sa fierté mal placée n'a rien à envier au pire des corsaires quand il s'agit de gagner ou d'avoir raison, elle sera toujours capable de la mettre de côté si c'est pour faire plaisir à ceux qu'elle apprécie. Rarement naïve, elle possède cependant cette innocence qui refuse à croire que le monde ne peut pas avancer dans le bon sens, et qu'il n'est pas impossible de faire cohabiter la liberté de la piraterie avec l'égalité que permet la loi. Aucune règle n'interdit de rire et d'aimer. Profondément éprise de positivisme et d'envie de faire avancer les gens qui l'entourent, elle déteste ne pas être capable de rendre à autrui ce qu'on lui donne. Lorsqu'un discours a un enjeu, lorsqu'un acte a une conséquence, Marine sera toujours celle qui le motivera ou, au contraire, l'empêchera. Elle est de ses héros qui veulent toujours se mêler de la vie des autres.

Pour l'anecdote, son look un peu exubérant camoufle une fausse timidité qui lui sert d'alibi pour ne pas trop en montrer sur elle et ses pensées. Elle a enfoui ses questions et ses besoins à l'intérieur de son être depuis suffisamment de temps pour qu'aucun individu n'ait seulement conscience de tout ce qu'elle leur cache. Il est difficile de savoir à quel point elle se sent seule au milieu de tous ceux qui l'apprécient puisqu'en réalité, personne ne la connaît encore vraiment.

Au cours des trois derniers jours, nous avons pu observer, entendre, constater comment ce jeune homme qui se prétend procureur et juge à la fois, a tenté de vous embrouiller à coup de tristes sophismes, vous perturber avec nombreuses spéculations sans fondements, vous ébranler en vous assaillant d'arguments de circonstance, dans l'honteux but fallacieux de situer mon client proche de la scène du crime à l'heure où se déroulait ce dernier. Dans ces témoignages, ces soi-disant preuves de la culpabilité de Mr Fergus, nous ne trouvons explicité nulle part pourquoi il aurait commis cet horrible meurtre dont on l'accuse, ni quelconque manière plausible d'avoir exécuté son plan. A la fin de la journée, messieurs-dames, il s'agit de votre décision. Est-il vraiment justifié que cet homme passe le restant de ses jours à Impel Down ? Sur vous pèse la vie d'un être humain. Il est de votre devoir d'analyser ces preuves, ces faits, tout ce que vous avez pu entendre ces derniers jours afin de déterminer si, et seulement si, sans l'ombre du moindre doute, cet individu doté d'un cœur, d'une âme, d'une famille... mérite sa peine. Est-ce que mon client est un homme parfait ? Bien sur que non. »
 « J'l'ai buté après tout. »
« Mais messieurs-dames, avez-vous seulem... Q-Qu... »

Digne, Marine tourna les talons sans accorder plus de cérémonie à la situation. Quitta la salle en pressant le pas. Et dans son dos, un soudain brouhaha.

 « J'ai merdé? »

Tapotant des doigts frénétiquement sur le bureau en bois du capitaine Muulh'bulo en attendant ce dernier, Marine essayait de retrouver un minimum de calme à l'idée que ce dernier n'allait pas la ménager. Il faut dire qu'organiser un blocus de la caserne pendant plusieurs heures en prétextant qu'il était injuste qu'un homme soit jugé sans défense digne de ce nom, en menaçant de faire moult rapports exagérés à l'état-major et à la royauté du patelin témoignant de corruption et de manque de justice dans cette petite caserne de North Blue, avait de nature fait parler tant l'accusé semblait coupable dès le départ. Par respect pour sa lignée, le contre-amiral avait accepté de lui accorder le droit de défendre le pirate Fergus, sans s'attendre à ce que le procès s'éternise sous les vagues d'arguments douteux de la jeune femme dont la ferveur judiciaire avait toujours impressionné depuis ses premières classes dans la marine. Mais au regard du dénouement stupéfiant  de l'affaire, et dans la mesure où il était désormais évident que la perte de temps imposée par la cadette était substantiel, il s'agissait désormais pour Marine de recevoir la leçon du chef. Et bien qu'elle ne regrettait rien de son action, elle était méfiante des conséquences qui découleraient de cette histoire pour ses divers intervenants.

« Cadette Fergus. »
« Monsieur ! »

Marine se dressa sur ses jambes sans se retourner, marquant le salut de son bras droit, lorsque le lieutenant entra dans son bureau. D'aussi loin qu'elle s'en souvienne, Muulh'bulo avait toujours été un ami de sa famille. Il était en effet l'ancien compagnon d'arme de Marine Mouette, la cousine de sa mère, un petit brin de femme ayant officié pendant des années sur South Blue, dont les divers hauts faits l'avaient portée au grade de lieutenante d'élite avant qu'elle ne prenne une retraite très anticipée pour se consacrer à la réinsertion de pirates de bonne nature dans la société. Le capitaine l'ayant toujours tenue en haute estime, il avait accepté avec plaisir la recommandation de cette dernière d'accueillir dans ses rangs sa petite cousine. Depuis, s'il a toujours apprécié l'intégrité de la gamine, le chef de la caserne du royaume de Sanderr ne cessait de s'arracher les cheveux quant à son besoin intense de toujours mettre son grain de sel dans les raccourcis qu'il était d'usage d'emprunter dans l'exercice de la loi. Et cette fois, c'était la goutte de trop.

« Marine, je sais bien que la situation est particulière, mais il est temps de vous mettre le nez sur ce que vos frasques ont apporté.  »
« Il n'avait personne pour se défendre, capitaine ! »
« Il n'a demandé personne pour le faire ! Il est coupable, et malgré tous vos efforts, toutes les preuves ont toujours tendu vers cette vérité. Combien de temps nous avons perdu dans notre quête de justice pour satisfaire votre besoin personnel ? »
« La justice est impersonnelle, capitaine ! Je ne - »
« C'est votre père, cadette. Je veux bien le taire au reste de l'escouade, mais ayez la décence de reconnaître votre manque de lucidité. »
« Mais je- »
« Ça suffit ! »

Muuhl'Bulo, qui depuis sa prise de parole avançait lentement vers son bureau, frappa d'un coup sec du poing sur ce dernier. Marine, qui n'avait pas bougé de sa position de garde à vous, frémit en se rendant compte que le capitaine n'avait jamais haussé le ton en sa présence. Arrivée 3 ans plus tôt dans la brigade, juste après avoir terminé ses classes de jeunesse dans lesquelles elle était toujours resté sage et appliquée, la jeune femme avait toujours été choyée par son mentor dans la marine. Le voir ainsi agacé contre elle était aussi impressionnant qu'incompréhensible pour celle qui pensait que sa ligne de conduite était exemplaire depuis ses premières heures. A quel point s'était-elle fourvoyée ? Sa grand-mère, Marine Civile, civile de métier, lui avait répété de nombreuses fois pourtant de faire attention, que les apparences sont trompeuses et qu'elle ne devait peut-être pas faire confiance à ce qu'elle pensait que son destin lui dictait depuis toujours.

« Écoutez, cadette Fergus. Vous allez me récurer les latrines pendant les quatre prochaines semaines. Allez voir votre père si vous voulez avant qu'il ne soit envoyé à Impel Down, mais arrêtez, arrêtez de vouloir vous opposer à la justice si vous l'aimez tant. La loi n'est pas aussi simple que l'interprétation que vous en faites, et il est nécessaire parfois de transgresser certaines de ses idées pour que le bien commun avance. Ça ne veut pas dire que nous ne la respectons pas, au contraire. Être marine, c'est se battre pour la justice. La loi n'est pas absolue, elle n'est que notre arme. Si vous n'êtes pas capable de différencier son application au quotidien et l'utilisation totalitaire qu'en fait celui qui ne la fait respecter que par nécessité de gagner ses combats, vous n'avez rien à faire dans la marine, quel que soit l'égard que j'accorde à votre famille. Disposez. »

Marine Fergus relâcha sa position et sortit en trombe du bureau de son capitaine. Elle n'était pas du tout d'accord avec son propos. La loi est absolue. La règle est inflexible. Être accusée de despotisme et de malhonnêteté par un représentant de la justice lui était insoutenable. Un outil pour faire avancer le bien commun... et puis quoi encore ? Le droit existe pour que les individus soient égaux. Ignorer ses préceptes, même si c'est pour faire profiter le plus grand nombre, n'est que l'aveu de faiblesse de ceux qui n'ont pas trouvé la solution pour que le monde entier puisse bénéficier des mêmes chances. Se sentant trompée, la jeune femme marchait droit vers la cellule où était détenu son père. Quand elle parvint jusqu'à lui, elle ne trouva là que le quidam benêt qu'elle avait laissé à son procès. Elle sourit, désabusée.


 « J'ai merdé ? »
« … pas tant. On ne peut qu'apprécier ton honnêteté. Finalement, je préfère que ça se soit finit ainsi plutôt que de savoir que j'avais protégé un criminel.»
 « Si tu m'avais demandé, je te l'aurais dit hein ! »
« Je t'aurais défendu quand même. Coupable ou innocent, tout le monde a le droit élémentaire d'être défendu. J'peux concéder que j'ai pas été lucide lucide, par contre. »
 « Je te sens énervée, ma fille. »
« Ils se trompent, papa. Ils se trompent sur leurs convictions. Et je suis là, forcée par le destin à être parmi eux alors qu'ils se trompent. Il y a d'autres solutions. »
 « Depuis combien de temps tu n'as pas vu ta mère ? »
« Quelques jours. Quel rapport ? Elle viendra pas te voir, vous ne vous êtes plus parlé depuis des années. »
 « Parce que si tes convictions sont ébranlées, c'est parce qu'elle n'a jamais été très honnête avec une certaine part de ton passé. Tu sais, ma fille, il est de nature pour les femmes de votre lignée d'exercer le métier lié à votre nom de famille. Et quand il n'est pas évocateur, de simplement se référer à votre prénom et de devenir marine. »
« Tu ne m'apprends rien. Et comme Fergus ne veut rien dire, me voilà engagée.»
 « Sais-tu que les agents du gouvernement ont une tendance malsaine à omettre des pans de la réalité pour arranger leurs souhaits ? »
«... Maman s'appelle Marine... »
 « Marine Cipher Pol. »
« Que... qu'insinues-tu ? Que m'a t'elle caché ? »
 « Je suis connu sous le nom du 'pirate Fergus', mais ce n'est pas exact. Mon vrai nom est Fergus Pirate. La nuance est subtile mais...»
«... mon nom de famille n'est pas Fergus. »

L'homme aligna un sourire amusé en se rallongeant dans sa cellule. Il savait pertinemment que cette discussion n'avait pas besoin d'aller plus loin. Marine déposa un baiser sur sa main avant de glisser cette dernière sur le front de son père à travers les barreaux de la cage. Elle ne le reverrait probablement plus, mais ce n'était pas grave. C'était un criminel après tout. La jeune femme se leva et marcha au pas de course vers ses quartiers personnels pour y ramasser tous ses effets. Sans dire au revoir ni prévenir, elle courut ensuite jusqu'à la maison familiale et attrapa la médaille de vice-amiral de son ancêtre Marine État-major, première à avoir respecté la tradition de sa lignée, que sa mère avait toujours gardé précieusement. Elle l'embrassa avant de saisir un fusain. Cette relique ne pouvait plus appartenir à sa mère, qui lui avait caché si longtemps sa véritable nature. Tout en respectant infiniment son aïeule, la jeune femme dessina sur la médaille sa détermination. Elle attrapa ensuite sa casquette de marine et y afficha fièrement sa nouvelle identité. Seulement équipée de ces quelques biens de cœur, notre héroïne poussa un grand soupir et la porte de chez elle. Aujourd'hui, elle changeait de vie. Aujourd'hui, elle embrassait sa réelle destinée. Aujourd'hui, elle devenait enfin Marine Pirate.