Trompe la Mort

Quelque part en mer, au large d'un bout de caillou presque désert.

Naviguant au milieu des vagues remuantes, les coups de butoir se perdirent dans des gerbes d'eaux glacées sitôt les détonations passées. L'averse fine ne calma pas l'excitation du bord, bien au contraire. Sous le pilonnage en règle, l'équipage du Hellhest s'afférait à la manœuvre à grands cris. Bataillant des coudes dans une sueur fiévreuse pour passer dans les escoutilles disputées et regagner leurs postes à grand-hâte. L'oisiveté cotonneuse des fieffés marins avait laissé place au chaos dès le martellement des cloches d'alerte. Depuis le nid de pie s'offrait le spectacle d'une fourmilière malmenée, des petits corps gesticulants en tout sens sortant en discontinu des entrailles de la Dame pour mieux se répandre sur le pont. Spectacle de confusion ne prenant son sens qu'au milieu des hommes. Si le croisement des forbans se faisait à la va-vite, un schéma se dessinait pourtant bien. Bart l'Affreux était à la manœuvre en bon quartier-maître qu'il était. Au milieu des troupes, il parcourait de long en large le pont furibond. Plus que quiconque il savait où chacun devait être et s'en assurait. Beuglant plus haut que tous. Cognant les moins rapides. Les plus agiles avaient déjà commencé à gagner les hauteurs pour libérer les voiles, les moins dégageaient le pont du bardât et tiraient sur des cordages. Les spécialistes bichonnaient avec empressement les canons de bordées entrain d'être armés. Le reste convoyait de mains en mains attirails de mort et munitions. Qui que soit l'importun sonnant par bon matin, les Faucheurs se préparaient à rendre le bonjour !

Une nouvelle déflagration plus proche nettoya le pont arrière de sa crasse dans de nouvelles gerbes de flotte. Un craquement de l'ossature de bois prévint alors l'équipage qu'Hell changeait son cap sous l'impulsion des voilures déployées. Épousant adroitement les courbes de la mer, l'embarcation animée s'extirpa de sa ligne d'eau avant d'exposer soudainement son flanc à l'ennemi. La brusquerie du mouvement envoya valdinguer tout ce qui ne s'était ferré, mais la manœuvre atteint son objectif. Les canonniers fermement agrippés aux bastingages regagnèrent  les cracheurs de mort et lâchèrent la purée d'un même bloc.


Engloutissant le pont d'un nuage de poudre acre, la fulgurance de la déflagration souleva une vague de cris enthousiasmes. Les poings se serrèrent et se levèrent sous l'excitation belliqueuse. Aucun boulet ne fit mouche mais l'histoire n'était pas là. Il s'agissait surtout de montrer qu'on en avait en rendant coup pour coup. Coups de canon après coups de canon la distance entre les deux embarcations se réduisaient. La tension palpable montait de part et d'autre avec l'envie d'en découdre. Montant l'escalier vers le pont supérieur en poupe, le visage grimaçant de Bart s'étonna de ne voir qu'un homme attendre son rapport. Habillé de la tête aux pieds d'un blanc d'ossuaire, William seul contemplait paisiblement les flots en direction de leurs adversaires. Une atmosphère paisible se dégageait de l'homme de confiance du Capitaine une fois l'agitation des ponts inférieurs quittée. Grommelant, le quartier maitre gratta sa gorge pour signaler sa venue au second et fit part de son étonnement.

- L'est pas là le C'ptaine ? Encore entrain de roupiller alors qu'en s'en va batailler ? Manquerait plus les hommes s'en aperçoivent et s'auraient pu se prendre un coup de mou ! Gruhmph..
- Boucle là Bart, prends plutôt ma lorgnette et dis moi ce que t'évoque leur drapeau.
- Grumph... Une croix blanche ailée.. Barrée de lames fines... Attends dis.. Serait pas le Saint Pirate des Neuf Flibustiers ?! Un supernova des Neuf qui vient nous chercher des noises !! Katabolonga l'insaisissable mangeait encore à notre table en ami il n'y a pas si longtemps. Quelle mouche les pique ?! Et que fout le Cavalier bon sang !! John en vadrouille, on aura besoin de vous deux ce coup là !
- Comme à chaque fois tu veux dire...
- Grumph.. Et le Capitaine du coup ?
- Le Capitaine a parlé d'une affaire entre eux qu'il s'en allait résoudre.
- Quoi ?! L'est parti où ?!
- Regarde, là...

Modifiant la direction de la longue vue, William révéla à l’œil ébahi du quartier maitre une petite barque se discernant entre deux nuages de poudre. Frêle dans les vagues, le cercueil flottant avançait sous l'impulsion de rames prises de vie. Debout en proue se devinait le crâne chauve du Capitaine des Faucheurs.
Seul passager de son embarcation, sourire insouciant aux lèvres il n'en doutait pas.

Quelque part en mer, au large d'un bout de caillou presque désert, la barque percée longeait doucement les flancs de l'imposant trois-mâts nommé la Sainte. Si quelques tires avaient été tirés depuis les hauteurs du navire quand il était arrivé à portée de mousquet, ils avaient rapidement cessé. Grâce à l'ordre d'un commandant plus curieux qu'inquiet de l'approche d'un vieil homme probablement. Sans lâcher sa faux du voyage, le Cavalier saisit l'échelle de corde de sa main de libre et se hissa lentement le long. Les tires de boutoir ininterrompus en direction de son propre navire, en plus de l'ensevelir sous le bruit, égrainaient son ascension de lourdes vibrations. Pas en reste, les répliques de ses hommes toujours plus proches ne tarderaient pas à le happer. Parcourant les derniers mètres comme un singe boitant à trois pattes, il balança sa carcasse sur le pont rutilant du Saint Pirate et salua respectueusement le comité d’accueil. Pointes d'acier et fusils pointés, une haie d'honneur l'invitait à se montrer à carreau. Siégeant au centre une masse d'arme en main, l'Abbé Arthurio Bellingor Wallace plissait les yeux méfiants sans trop savoir pourquoi. Une grosse carrure au visage familier sortie des rangs, cracha au visage de la Mort et lui arracha son arme avant de se retourner vers son Capitaine.

- Maintenant je peux le tuer ?
- Mouhéhé.. Mais ouai cette sale trogne v'là que je m'en souviens ! Me disais qu'il restait pas grand chose de toi pourtant à mon départ.
- C'était mon p'tit frère pourriture ! Prends donc ça !!

Le molosse écrasa son poing en forme de boulet de canon dans le bide du Cavalier sans susciter grande résistance de sa part, cognant comme il se doit le malandrin jusqu'à le mettre au sol. Ce n'est qu'une fois aux pieds de l'Abbé que ce dernier ordonna à son second d'arrêter le massacre. Sourire aux lèvres, l'ancien membre des neufs flibustiers tout juste déchu prit la parole ravi.

- Après quelques déboires malheureux, mes prières m'apporte un bien drôle présent. Un fils de chien avec pour nom le Cavalier et une prime de 27.000.000 ฿ ayant sonné par le passé à mon oreille. Est ce bien toi ?
- Huf.. Pour vous servir héhé..
- Tu parles de me servir maintenant mis en reddition par le tire de mes canons ? Permets moi d'en douter. Bien que tu te fais passer pour un honnête défenseur du Code de la Piraterie, tu m'as pris un Lieutenant de grande qualité et le frère de mon ami, une belle âme arrachée de cette terre alors qu'il missionnait pour ce même Code.
- Dans mes souv'nirs il avait surtout choppé un gosse histoire d'faire cracher au père le morceau de butin qu'il t'avait pillé héhé...
- De l'or recueilli par les lois du Code pour la préservation de ses règles ! En t'opposant à une sentence juste, la mise en exemple d'un frère ayant volé les siens, tu es devenu le complice de ce méfait. A toi en incombe dorénavant la sentence ! A la mise à mort douloureuse pour laver l'affront et la traitrise, je vais t'en accorder une rapide en échange de ton navire, tes hommes et tes biens. La seule clémence que mon renouveau spirituel t'accordera.
- Monsieur l'Abbé ?!
- T’énerve pas mon gros, tu vas l'avoir ta vengeance si tu sais la saisir.. Et toi mon Père Demescouilles, j'aimerais corriger un point qui clarifiera la situation avant d'aller plus loin ! Mouhéhéh !

S'étant levé, le Cavalier semblait bien minuscule devant la centaine de pirate le reluquant. Les traits osseux couverts par une vieille soutane. Désarmé à l'épicentre d'une bataille maritime. L'aura maudite aux senteurs d'abimes s'écoulant de son ombre éveillait cependant quelques inquiétudes. Un doute que la raison ne savait expliquer. Crachant un peu de salive ensanglantée, le fier Capitaine des Faucheurs ne cacha pas son assurance de leur mettre la tête au carré. Le vieux parla comme un grand.

- Si j'suis là c'est pas pour une reddition mon gars, se trouve que j'viens de vous aborder à l'instant ! Mouhéhéhé !!! Pas besoin de se rendre, je m'en vais pas faire de quartier !!! NIDDHOG !! Arrête de roupiller et viens là ! STURT ! Montre leur de quel bois de me chauffe ! MOUHÉHÉ !!

Bondissant sous des regards sortant de leurs orbites par la surprise, la faux venait de bondir entre les mains de son maitre. Le fil acéré s'était déformé en un sourire carnassier pendant que des yeux cherchaient ses prochaines proies. Dans le dos du vieillard, une flamme éclata de rire en sortant sans bruit d'un des nombreux plis et glissa le long de l'arme, le rouge passa au bleu mais la chaleur de l'élémentaire persista en une gaine flamboyante. Sans que grand monde comprenne grand chose, le petit primé semblant un pied dans la tombe il y a encore un instant se transformait en une adversaire aux relents cauchemardesques sous la garde stupéfaite de l'équipage de l'Abbé. Hurlant à plein poumon, le supernova auréolé de confiance encore il y a peu ordonna à ses troupes l'assaut ! Prestidigitateur de talent ou nouvelle menace, le temps de la parlote se terminait !!! Les forbans chargèrent comme un seul homme !!! Le Cavalier répondit comme un seul monstre !

La masse pirate poussée en avant d'un même bloc se retrouva bien embêtée quand des crocs enflammés se dressèrent à leur rencontre. Jaillissant de la gauche sous l'impulsion d'un vif mouvement de bassin du Cavalier, un Niddhog en feu ratiboisa l'assaut d'une coupe emplie de sauvagerie ! Les mâchoires d'acier de la faux animée embrasèrent et arrachèrent acier comme corps sans la moindre distinction. Si les plaies béantes jetèrent la première ligne de forban au sol, les flammes bleutées finirent de noyer l'assaut dans le désordre. Leur chaleur se propagea vivement le long des tissus et des cordages au milieu des cris d'effarement d'un équipage dépassé. De la panique naissante les commandements se perdirent, couverts par des blessés pleurant les morceaux de chaires perdues et des allumettes gesticulantes se précipitant par dessus bord. Une pluie de plombs se déchaina bien en direction du damné mais la fumée, les flammes et le nombre fouillis mis sur le pied de guerre n'aidèrent pas la visée. Seul le ricanement dément du vieillard indiquait sa présence entre deux chocs d'acier. Furibond devant le chaos prenant forme sous ses yeux, l'Abbé déchaina ses ordres plus fortement encore. Pendant qu'une partie continuait d'hurler dans le désordre le plus complet, une chaine de seaux d'eau finie par voir le jour pour faire face aux flammes entrain de s'étendre. Quand la dernière flammèche se retrouva noyée, aucun corps troué n'attendait.  A la place un morceau de plancher avait été déchiqueté offrant une porte de sortie vers les ponts inférieurs. Le Capitaine de la Sainte se détourna dépité vers ses lieutenants et beugla plus fort qu'à son habitude.

- Allez me le chercher dessous pendant qu'on garde le pont ! N'en laissez rien vous m'entendez !!! Il est costaud mais seul, faite lui goûter de la colère divine !!!
- Avec plaisir..  S'avez entendu les gars ? On en laisse rien !
- Niak niak niak !
- ...
- Comme si c'était fait !
- Comme si c'était fait !

Autour les forbans retinrent leurs respirations, l'appréhension suscitée par l'intrus venait de s'effacer au profil de l'équipe de l'inquisition. Même s'ils avaient beau naviguer sous la même bannière que le reste de l'équipage, les protégés du Saint Père restaient à part. Des esprits torturés aux corps malmenés recueillis au cours des années par l'Abbé. Des fanatiques de son culte capables des pires atrocités en son nom. Des fidèles parmi les fidèles justifiant par leur seule présence le respect craintif des règles au sein du navire....

Pulvérisant une nouvelle cloison avec le crâne d'un malandrin, le corps vouté du donneur de mort enjamba les débris et entra dans la soute suivante. Un compartiment de cale cette fois ci dédié aux pièces d'artilleries, parfaitement alignée en bordure de la muraille de bois. S'ils n'avaient pas arrêté de tonner depuis un moment, son entrée accompagnait leur silence. Les brebis galeuses aux gueules amochées s'échinant à les faire cracher avaient lâché leurs canons pour accueillir l'intrus comme il se doit. Durcissant leurs mains contre le manche de sabres et haches d'abordage, ils dévisageaient le vieillard. Les cris d'en haut couvert par le bruit de la poudrière leur avait échappés, mais ils n'étaient pas encore assez idiot pour ignorer un inconnu défonçant leur rafiot à coup de crâne ami en pleine bataille. Sa longue faux enflammée et sa tête de macchabée avait de quoi faire peur, mais une bonne cinquantaine de gars se tenait là. Traversant l'entre pont au pas de course, la Mort se jeta dans la mêlée sur le pied de guerre !

Glissant comme une ombre malgré son corps usé, le Cavalier abattit sa lame avec une brusquerie que ça frêle silhouette n'aurait pas laissé deviner. La lame trancha dans le lard du premier malheureux à croiser le fer avant de finir sa course dans le second. Pirouettant sur lui même pour sortir d'une tentative d'encerclement, il pulvérisa la pointe de sa hampe droit dans le menton de tout le petit monde. Un à un ils décollèrent pour s'encastrer dans le plafond. Que déjà un tatoué barbu jaillissait dans son dos dans l'espoir de l'harponner. Grossière erreur. Un retour de lame le cueillit dans le flanc et l'envoya s'écraser en arrière. Tournoyant, bifurquant et bondissant, dans un mouvement de plis de tissus étrangleurs, le faucheur semblait partout à la fois. Plusieurs minutes il se déchaina ainsi avant de venir à bout des larbins, tant il dut se montrer précautionneux pour ne pas embraser les tonneaux de poudre n'attendant pas plus pour lui exploser au visage.

Alors qu'il regardait fièrement son œuvre satisfait, un cri douloureux s'entendit soudain. Un rescapé cherchant à se replier en catimini gisait au sol le cou étranglé dans une étreinte d'acier. Des gaillards beaux comme des cœurs faisaient leur entrée. De belles bouilles comme il émet, qu'en avait vu autant qu'elles en avaient fait voir...

- Si tu marches encore, combat pour le Saint Père ! Fils indigne ! Niak niak !
- Urgh...
- Enfin ! L'heure de la vengeance est là.
- Comme j'disais, seulement si t'arrives à la saisir ! Mouhéhé !
- Massacrez-le !!

Dos à la porte le colosse de second à la robe blanche en barrait l'entrée, laissant au sextuor de l'horreur le soin d'attaquer. N'attendant que ça, ils ne se firent pas prier et lancèrent les hostilités. Grossière erreur... Toujours piégés par la faible prime de leur adversaire, il ne mesurait pas encore l'étendu de la menace. Prenant d'abord du recul, un bourgeonnement d'âme éveilla les tonneaux de poudre sous les yeux de nouveaux surpris de l'escouade inquisitrice.

- Libérez la place je vais y aller franco ! Héhé !

Bondissant au garde à vous, les barils s'en allèrent au sprint des jambes de leur maitre se cacher vers la poupe. Loin du feu purificateur du purgatoire qu'il s'apprêtait à libérer. S'embrasant plus que jamais d'un bleu glaçant, la faux douée de vie referma ses mâchoires contre la scie d'un des jumeaux s'apprêtant à s'abattre tout en parant la deuxième de son tranchant. Jouant de l'hampe pour bloquer la chaine du grand dadais, il ne resta rien en réserve au Cavalier quand le tas de muscle en plein élan lui écrasa sa roue d’écartèlement dans le nez. Propulsé par le choc, le vieillard s'écrasa comme dans un jeu de quille au milieu de la rangée de canons encore chaud. Il n'eut pas le temps de fermer un œil que déjà le micro-nain de la bande venait tenter de l’arracher. Le pince coupante lui griffa seulement le visage grâce à un réflexe, mais avant que le petit être disparaisse de nouveau de son attention Jormun enroula un lambeau de soutane autour du pied et d'un sifflement furieux le matraqua violemment contre la rudesse d'une poutre de soutien.

- Oh non, il l'a eu !
- Oh non, il l'a eu !

Furibond, les jumeaux frappèrent d'une coupe de chaque côté pendant que de nouveau le grand placé en retrait au centre tenta de l'entraver de sa chaine. Cependant cette fois ci, le faucheur tourna sur lui même après l'une des lames dentelées saisies par les mâchoires de Niddhog. Le premier cogna le deuxième, et les deux premiers le troisième. Il tourna, tourna, sur lui même avant de stopper brusquement projetant les trois corps sonnés à chaque bout de la soute. L'un droit dans la tronche de la tête de corbeau entrain de reculer. Moment que choisit le méga costaud pour s'écraser dans son flanc, mais cette fois ci c'est un corps solide l'attendant qu'il percuta. Aussi maigrichon qu'il soit, le Cavalier ne bougea pas d'un pouce à la charge musculeuse. Forçant comme un taureau biberonné aux stéroïdes, rien n'y fit. Crâne enflammé d'une flamme bleue, la Mort le regarda d'un œil désolé. Une claque l'encastra dans le sol. Un poing lui fit traverser. Devant le visage livide du second dernier debout, le damné aux pouvoirs maudits venaient d'annihiler son escouade de dur à cuire.

- Bon... Les canons neutralisés serait bon de remonter t'en dit quoi ? Héhé !
- ...

- CAAAAPITAIIIIIINNEEE !!!!
- QUOI ?
- Venez voir ! Ça chauffe sous nos pieds !!
- Qu'est ce que...

S'écartant prudemment tout en envoyant des hommes vérifier ce qu'il en était, le Saint Pirate pressentait plus que jamais la pestilence de l'histoire. Un déchainement de violence s'entendait de tous dans les profondeurs des cales depuis quelques moments déjà. Sa longue expérience à tromper la mort éveillait tous ses capteurs à danger. Rien n'allait comme ça aurait du depuis la venue du vieillard. Une hiérarchie existait dans le monde de la piraterie découlant des primes, jamais un avis de recherche de quatorze millions n'aurait du lui donner des sueurs froides. Des jeunes sortants de leurs cambrousses avaient pu créer la surprise par le passé, mais avec un vieux gâteux les choses ne se passaient pas ainsi. Il était de l'âge de ceux qui se retiraient, pas de ceux qui arrivaient ! Il défiait les règles de ce monde..

- AHHH !!
- PUTAIN C'EST QUOI CA ?
- TIREZ DONC TRIPLE IDIOT !!!

Jaillissant dans un fracas de bois pulvérisés, une longue griffe enflammée s'extirpa des profondeurs de la coque. Recourbée à l'extrémité, elle semblait ignorer les hommes s'échinant à lui tirer dessus. Mais plus que la griffe, c'était le monstre coincé dessous qui effrayait. L'attente ne fut cependant pas bien longue avant qu'il ne parvienne à s'ouvrir un passage. Le déchainement reprit de plus belle à coup de balafres endiablées. Rapidement il ne resta plus qu'une crevasse aux bords enflammés au centre du navire, dont s'échappa la cauchemardesque créature des tréfonds... L'élémentaire embrasé d'un bleu plasmatique laissa entrevoir un visage sans humanité aux visages livides du bord... D'une taille gigantesque, il s'éleva nonchalamment dans les airs avant de fuser en direction des tireurs l'entourant. Griffant des rangs entiers tentant de la fuir, la créature embrasa en un instant l'espace soumis à sa damnation. Feu et douleur devinrent sa loi. Dégommant tout ce qui croisait son passage, elle vaporisa le bas-mât en un nuage de cendres laissant choir les tireurs embusqués et les grandes voiles droit dans l'incendie infernal se répandant sur le pont. Les flammes bleues dansèrent de tout part, n'apportant qu'un peu plus de confusion dans les rangs perdus. L'Abbé ne voulant en rester là devant le fiasco de son navire mis en miette, il sauta contre la créature masse en avant, porté par un courage ne lui étant pas coutumier. Espoir et désespoir donnaient des ailes disait-on. Mais le Cavalier prenait un malin plaisir à les arracher...

A peine hissé hors du trou aux bords fracassés à la suite de sa créature, il avait saisi les flammes ceignant sa faux. Tirant dessus d'abord, il décocha une puissante flèche de feu qui explosa dans une déflagration enflammée au contact du petit père tentant de défendre sa planche de salut. Laissant le soin au corps cramé de s'écraser misérablement, l'enfant du chaos écarta les bras ravis à la vu de son nouveau pouvoir en action. Sous ses yeux, Drocco Magnus sa bête de l'apocalypse se déchainait. La flamme coiffant son crâne dégarni s'intensifia davantage encore.

- Mouhéhéhéh !! Encore mieux qu'je pensais ! Bien fait de ne pas essayer cette technique sur le Hellhest héhé !!!
- Huf.. huf... Qu'as tu fait démon ?!
- Oh ? Toujours en vie toi ? S'êtes des costauds dans cet équipage ! Me plait bien !!
- Ne me fais pas rire, huf.. huf.. T'sais rien de ce que c'est de bosser avec des monstres du Nouveau Monde !!! Ne crois pas pouvoir me tuer comme ça !
- Arrête donc, t'vas me donner envie de tenter ma chance... Héhé !
- Euh attends ! Je viens en mission pour le grand Corsaire Jack !! Conduis-moi à lui et tu seras généreusement récompensé !
- Mouhéhéhé !! Pas prêt de rompre l'pain avec celui là, reste donc là j'ai vu ce que je voulais voir d'façon ! Drocco on remballe !!!!

Délaissant sa basse œuvre à contre cœur, à base de frappes ardentes, l'entité retourna vers son maitre pendant que son lien commençait à s'estomper. Dès que le filin enflammé le liant à la faux du Cavalier se rompit, l'être cessa d'être. A la place, les trois morceaux d'âmes fatiguées du maudit reprirent leurs formes initiales. Temps qu'il suffit au Hellhest pour finir d’apponter sa masse à l'embarcation dévorée par les flammes. Sautant à l'abri de son navire d'un bond adroit, le fieffé Capitaine des Faucheurs salua son hôte du jour avec une courbette pleine de malice. Saluant l'Abbé défait ne sachant comment réagir au dénouement amer, au milieu des rescapés luttant farouchement contre l'incendie.

- Porte-toi bien l'ami ! Depuis l'temps que j'entendais qu'tu me cherchais, ce fut un plaisir de te rencontrer. J'ai bon espoir qu'on se r'trouve un jour crois-le !! Mouhéhéhé !!! Mais avant ça.... COMPAGNIE POUDRIÈRE !! MONTREZ-MOI CE QU'VOUS AVEZ DANS L'VENTRE !!! L'HEURE EST VENUE !!!

Pendant que le navire de la Mort prenait son envole en s'éloignant, les voiles gonflées par l'appel du large, une dizaine de barils de poudre ravie de se faire entendre se jeta dans les flammes de la Sainte en chantant. Quelques instants suffirent...

Au large de l'ile, un type en habit roussi agrippe désespérément une planche qui, contrairement à lui, semble d'une flottabilité à toute épreuve.

Quelques minutes plus tard, les brûlures lui font toujours aussi mal mais il est assez en forme pour commencer à battre des jambes, et lentement, se diriger vers l'ile où son échec l'a condamné à faire naufrage une nouvelle fois...

Une mauvaise passe c'est sur.

Mais l'abbé en a vu d'autres. Juste ça commence à faire beaucoup !!!