C’est comme se réveiller d’un rêve. Un rêve interminable que l’on ne peut ni veut quitter. Tout est si paisible, en ordre. Pourquoi cesser subitement d’être soi et de voguer parmi ceux qu’on a chéri ? Quitter la chaleur d’un foyer si ardemment désiré pour ne plus revenir. Un geste inconcevable, préjudice. Tout est si clair en ces lieux, tout semble si simple. Ce n’est pourtant qu’un mirage, un reflet bref de notre subconscient. Un dernier soubresaut de notre âme, une dernière larme envers un passé qui n’a jamais existé et un avenir qui jamais ne sera. Voilà tout ce à quoi nous aurions pu aboutir, si cette voie funeste ne ruisselait pas sous nos pas. Qu’est ce qui peut donc nous pousser à se rallier à un dessein aussi suicidaire, à une cause tant meurtrière. Car c’est un rêve. Un rêve qui vaut la peine d’être sacrifié. Un endroit que d’autres désireraient arpenter, mais qui ne le peuvent que dans leurs songes. Un territoire vierge et qui ne demande qu’à être créé. Un pays qui ne cherche qu’à être. C’est une cause pour laquelle il n’y a pas de fin, c’est un combat interminable où la mort moissonne toujours en pleine saison. Peu importe les sages et les ignorants, les forts et les faibles. Tous sont égaux et leurs cadavres fourmillent sous les dalles instables de nos idéaux. Seule la tête reste. Elle domine, façonne et se maquille. Nous ne sommes rien face à ce qui nous surplombe. Pourtant, ce sont les pions qui font le monde. Paradoxe. C’est un rêve. Un rêve pour lequel mourir n’est pas exclu. Il faudra payer le prix du sang, revendre ce que nous avons pris. Ne pas rechigner à la tâche, ne pas faiblir. Nous sommes humains, nous sommes imparfaits et belliqueux. Ceci n’est qu’une utopie, mais n’en arracher qu’un seul bout à la gueule de la dictature nous fait l’effet d’une libération, de la fin d’un calvaire. Nous souffrons et endurons en silence. Tous autant que nous sommes. Nous sommes marqués par le fer de la tourmente, mais nul n’a encore courbé l’échine. Nous vivons pour notre salut et pour celui des autres, et jamais ce fardeau ne pourra être déchargé. Toute époque à connu ses bouleversements, mais là n’est pas notre but. Nous ne cherchons qu’une seule chose, rendre ce rêve véritable.
Le ressac de la mer était entêtant. Il allait et venait, tantôt léchant les pieds, tantôt cherchant à l’emporter. C’était un étau frigorifiant qui agitait sans cesse la plage et apportait son lot d’étrangetés. Certains voyaient là des trésors, qui n’étaient qu’immondices pour d’autres. Mais même dans cette décharge, il y avait des choses inhabituelles qui transparaissaient. Des choses d’une vie, des choses effrayantes. L’air était chargé des embruns de la mer, et empestait le poisson pourri à des lieues à la ronde. La crique était le résultat de faux courants qui enfermaient là une quantité incroyable de composants et empêchait les espèces maritimes de regagner leur habitat. Certaines y subsistaient tant bien que mal, mais d’autres se voyaient forcées d’y dépérir par la faim ou la sécheresse. Une légère baie ensablée s’étalait au fond et on pouvait y distinguer quelques matériaux qui sortaient de l’ordinaire. Une ancre rongée par la rouille, un crâne simiesque. Et ce n’étaient pas les reliquats les plus mirobolants de l’endroit. Certains s’y seraient amusés à chercher des richesses ou autres, mais cette place était connue depuis des lustres par les naufrageurs et ils avaient plaisir à venir récupérer là les fortunes des navires écrasés contre les récifs. Et les survivants qui échouaient là … devenaient rapidement un moyen simple de subsistance pour les espèces affamée de la crique. On la nommait la Crique du Grand-Croque. Pourquoi ? Certains avançaient l’hypothèse qu’on l’eut dite faite de main de diable, ou encore que vu de haut, elle ressemblait à une figure maléfique. Mais bien peu connaissaient la véritable histoire, tant les hypothèses fourmillaient sur cet endroit incongru. Son nom n’avait pourtant rien d’intéressant, mais les histoires qui couraient sur cet endroit étaient toutes fascinantes et égayaient les soirées arrosées des tavernes des environs. Beaucoup se targuaient d’y avoir assisté, mais en réalité, il s’agissait souvent de la même histoire racontée avec des intervenants différents. À qui mieux-mieux serait le naufrageur qui avait entendu parler de l’homme qui avait connu l’homme qui avait retrouvé là, un jour, un fragment du fameux One Piece. Ou encore, un étrange fruit qui aurait possédé des propriétés mystiques ! Fait cocasse, cette histoire était véridique, et nous ramenait donc directement à notre homme. Homme, qui par ailleurs, avait ingéré ledit fruit quelques jours plus tôt. Fait qui expliquait, entre autre, l’état dans lequel il se trouvait actuellement, c'est-à-dire endormi au milieu de cette fameuse crique. Mais nous y reviendrons.
Après avoir essuyé une douloureuse rencontre avec son frère, notre homme s’était retrouvé déporté malgré lui par les courants aériens et avait fini par perdre connaissance alors qu’il dévalait à une vitesse ahurissante les airs. Cette rencontre fatidique avait sonné le gong pour son mental douloureusement affecté par la mort supposée de son jumeau. Qu’il ne l’eût jamais cru mort relevait du miracle, mais cette flamme avait animé son cœur et motivé ses convictions quant à entreprendre une quête désespérée pour le sauver. Mais il subsistait une seule variante non négligeable à ce qu’il recherchait, lui-même. Il avait été impuissant à aider son frère lorsque la Marine était apparue. Comment-donc parvenir à juguler ce manque et détruire tous ceux qui avaient osé toucher à sa famille, une fois de plus ? La réponse était simple, par le pouvoir. Qui n’avait pas entendu parler de ces fruits mythiques qui donnaient des pouvoirs démesurés à leurs détenteurs en échange d’une faiblesse au Granit Marin et à l’eau de mer ? Mais il se berça d’illusions en pensant en trouver si facilement, et fut rapidement découragé dans sa quête jusqu’à ce qu’il apprenne l’existence d’un fruit des plus puissants. Une simple rumeur qui le fit néanmoins prendre la mer et finalement arriver après des mois de navigations et des expériences incroyables sur une île éloignée de tout et parcourue par une organisation sans foi ni loi qui faisait sa loi. Ne faisant cure de ces informations, il poursuivit le dernier détenteur du fruit avec un sang-froid implacable et finit par le pousser à la mort à force de menaces. C’est là un autre fait qui le marqua, mais pas sur l’heure. Il avait sacrifié beaucoup dans sa quête et le côté sombre de lui-même, qui le guettait tant, a failli prendre le dessus. Cela aurait été un tournant funeste pour bien des personnes, mais nous y reviendrons aussi. Bref. Il avait fini par remonter le long d’une troupe de bandits qui s’étaient accaparés le fruit et par un concours de circonstances et de batailles, il s’était finalement emparé du fruit tant recherché. Il comprit alors qu’il avait acquis la capacité de se changer, de générer et de contrôler la fumée. Chose inhabituelle car elle l’éveillait à de nouveaux sens qu’il ne comprenait pas encore. Cependant, par le plus grand des hasards, la troupe de bandits qu’il avait combattus n’était autre qu’une branche éloignée de la famille qui avait pourchassé les assassins à travers le monde entier. Les Borgia qui avaient donc anéanti une grande partie des aïeux de Rafaelo. Et alors que celui-ci se faisait le serment de tous les éradiquer, aveuglé par la colère, il fit la rencontre d’un homme à la sinistre renommée, un chien du gouvernement nommé Hakumen. Cependant, celui-ci perdit son masque après quelques échanges de coups, ce qui révéla le visage du jumeau de Rafaelo. Perdant toute constance, celui-ci relâcha la puissance de son fruit sans en maîtriser une seule once et à moitié en état de choc, il s’était fait happer par le vent qui balayait le sommet de la tour dans laquelle il se trouvait. Son frère semblait amnésique mais il alternait entre états de chocs, violence et réactions positives, ce qui ébranla fortement l’assassin qui jura de le retrouver et de l’aider, comme de juste. Et en même temps que sa conscience l’abandonnait, il se fit le serment de ne jamais finir ainsi, et de toujours garder sa volonté intacte, mais ce détail importe peu pour l’instant. Dérivant parmi les courants aériens, l’assassin se retrouva trainé sur des lieues et des lieues par-dessus les montagnes et parfois même les nuages, tel un nuage qui jonglait avec les éléments. Puis, après plusieurs heures dans cet état second, son corps dériva lentement vers la terre alors qu’il se reformait et fini par s’écraser au milieu des flots. Sa nouvelle faiblesse le tortura longuement, mais la clémence des courants côtiers le ramenèrent vers la côte, l’empêchant de se noyer. Il ne savait plus nager, certes, et voyait sa force diminuer dans les proportions exactes de son immersion. La Crique du Grand-Croque l’accueillit donc en son sein et le tortura durant une journée entière avant qu’il n’ait la force d’exécuter le moindre geste.
Se portant sur ses bras, l’assassin réussit à se relever et dégagea légèrement la tête du sable humide pour aspirer une goulée d’air frais. Il relâcha un nuage de fumée et toussota avant de s’effondrer de nouveau. À bout de forces, mais conscient. Il remarqua alors qu’il était presque nu. Seules lui restaient sa tunique, son pantalon et quelques morceaux de sa capuche. Sa rapière était solidement fixée à sa hanche, comme toujours, mais une de ses bottes avait disparu dans les profondeurs océaniques. Ainsi que le reste de son attirail. Il entreprit donc de se débarrasser des restes de vêtements qui l’encombraient et les glissa mollement vers l’eau. Il dut s’y reprendre à trois fois avant de pouvoir retirer la dernière botte qui lui restait. Il en chassa aussi les quelques algues et autres indésirables qui s’y étaient logées puis la considéra avec dédain et la jeta avec le reste de ses affaires abîmées. Plus les secondes passaient et plus il reprenait des forces. Il se recula dans le fond de la crique et croisa les bras, grelottant. Il prit soudain conscience qu’il mourrait de faim et qu’il était transi jusqu’aux os. Il ôta donc sa tunique aussi et l’étendit comme il put sur le sable humide. C’était peine perdue, le Soleil ne passait pratiquement jamais ici. Il soupira et se passa une main lasse sur le visage. Il remarqua alors que sa peau était comme bouffie au niveau de son menton et se rappela soudain le coup de pied de son frère. La plaie partait de sa lèvre inférieure et battait tout le bas de sa mâchoire. Le sel avait rongé la plaie et il en garderait une marque indélébile. Lui qui était autrefois si soucieux de son apparence ne s’en formalisa pas. Il n’avait pas besoin d’avoir une gueule d’ange pour être assassin. Prenant son temps, il se redressa, sans tenir compte des protestations de ses articulations. Il se sentait étiré de toutes parts, comme si il avait été soumis à cette torture. Celle où l’on vous attachait les membres et on vous écartelait petit à petit en tournant une roue. Il n’était pas improbable qu’il tombe malade aussi, à être resté tremper dans cette flotte tout ce temps. Il farfouilla un peu dans les lieux lorsque, soudain, une corde tomba du haut de la crique. Rafaelo s’en écarta précipitamment et se recula dans l’ombre, observant la silhouette d’un homme qui descendait vers lui. Instinctivement, il exécuta le geste propice à dégainer sa lame secrète et fut presque surpris d’en entendre le chuintement. Il regarda son bras gauche et s’aperçut que ce n’était là que le mécanisme qui s’était déclenché, mais que la lame avait disparu de belle lurette, tout comme la majorité des composants de ce savant rouage. Un étrange cliquetis retentit alors que l’ensemble se désagrégeait. Il ferma les yeux, refoulant une vague de tristesse à voir ainsi son héritage partir en miettes puis ôta le bracelet et le posa doucement à terre, jugeant qu’il ne ferait que l’encombrer. L’inconnu posa alors pied à terre.
« Qui êtes-vous ? » questionna Rafaelo, encore masqué par l’ombre de la crique.
L’homme sursauta devant cette question venue du néant, puis il tira un couteau à viande de son ceinturon et sonda les ténèbres de son œil valide. Il était couturé de cicatrices et avait les mains rêches d’un pêcheur. Il renâcla puis souffla bruyamment et l’assassin compris qu’il ne pouvait plus parler. Il se déplaça doucement, du moins autant qu’il le pouvait, dans l’angle mort de cet homme et tenta d’en apprendre plus sur lui par sa simple allure. Grand mal lui en fit car dès l’instant où il commit l’imprudence de s’aventurer dans un endroit un peu moins obscur, le naufrageur se rua sur lui et tenta de lui planter son couteau dans le flanc. Laissant parler son corps, l’assassin crocheta son arme et la retourna contre lui sans mal. La lame rouillée s’enfonça dans la gorge sale de l’homme. Il n’eut pour râle d’agonie qu’un gargouillis ensanglanté et un léger cri aigu. Il se relâcha alors et l’odeur âcre de l’urine envahit la crique, tandis que Rafaelo déposait le corps sans vie à terre. Il le fouilla rapidement et s’empara de quelques berrys ainsi que d’une outre à Rhum largement entamée. Il se saisit de ses bottes et les enfila. Trop petites. Mais cela importait peu pour l’instant. Il n’était certainement pas seul. Ainsi, l’assassin rusa et secoua la corde deux fois. Une tête se pencha alors au-dessus du gouffre et sonda les ténèbres de la crique avant de hurler des mots dans un patois incompréhensible. Rafaelo soupesa le couteau à viande et le fit jouer dans sa main avant de bander tous les muscles de son bras directeur. Il envoya l’arme filer dans les airs et fit mouche. Comme toujours, non pas vraiment. Le couteau était vraiment rudimentaire mais restait régulier, ce qui était en soi une chance. Il s’enfonça dans un des orbites du second homme qui s’écroula et bascula dans le vide sans un bruit. L’assassin amortit la chute autant qu’il put et entreprit de le fouiller lui aussi. Il dégota une paire de bottes à sa taille, ainsi qu’une clef, certainement celle de sa mansarde, et quelques rations séchées de viande. Il les dévora tout en continuant la fouille. Il possédait aussi quelques berrys mais ça s’arrêtait là. L’assassin ôta le couteau de sa gorge et l’essuya dans l’eau de mer avant de secouer à nouveau la corde, vérifiant cette fois qu’elle était bien attachée. Personne ne vint. Peu de probabilité que ce soit un piège, ils avaient l’air bien trop pauvres et trop peu civilisés pour en avoir l’audace. Il rangea donc le couteau dans un repli de sa tunique, puis il entreprit de grimper à la force de ses bras. Les pierres étaient glissantes et chaque contact le déséquilibrait plus qu’autre chose. Il atteignit cependant le haut de la crique sans trop de mal, mais néanmoins essoufflé. La lumière l’éblouit quelques secondes et il papillonna des paupières avant de pouvoir distinguer quoi que ce soit. Un filet grossier traînait là, ainsi que quelques ustensiles, certainement ceux des deux hommes qu’il avait croisés en bas. Certainement des naufrageurs. Mais peu lui importait. Il soupira et pour la première fois depuis longtemps, sourit. Enfin libre. Et il n’avait plus le fardeau du danger que courait Césare à présent. Ils lui avaient tourné la tête, et son cœur lui criait vengeance, mais il savait qu’ils ne le tueraient pas. Ils avaient voulu le garder et cela jouerait en faveur de Rafaelo. Il le retrouverait et briserait leur sortilège. Il n’était pas apaisé, mais ce combat et l’acquisition de son nouveau pouvoir lui permettait de s’affranchir. Il était à présent bien plus fort que son frère. Et cela lui redonnait confiance.
« Ohé, qui va là ? » tonna une voix, derrière lui.
L’assassin se retourna et avisa un homme dans la force de l’âge et aux tempes grisonnantes. Il était vêtu d’une vareuse grise et portait un pantalon en cuir noir terne et deux bottes de bonne facture. Il pointait sur Rafaelo un fusil et visait droit son cœur. N’ayant d’autres choix, il leva doucement les mains.
« Un simple naufragé. Je ne vous veux pas de mal. » répondit-il, hésitant sur la conduite à tenir.
L’homme plissa les yeux et finit par baisser son fusil. Il se gratta le menton et parcouru le camp des naufrageurs d’un œil suspicieux avant de revenir à l’assassin.
« Un simple naufragé. Roumpf. Un simple naufragé n’aurait pas tué deux naufrageurs. Un simple naufragé aurait donné son nom, mais t’as pas l’air de quelqu’un de mauvais, alors ça ira. » trancha-t-il en rangeant son arme.
Rafaelo leva un sourcil, étonné, puis inspecta mieux cet homme qui lui accordait si facilement crédit. Il voulut dire quelque chose, protester mais rien ne lui vint à l’esprit et il resta interdit pendant que l’homme commençait à s’affairer dans le campement à retourner un peu tout.
« Reste pas là, l’affreux. Tiens. J’t’appelle Dastan, ça te va, Dastan ? Moi ça sera Tom. Bon, tu t’bouges et tu viens m’aider à balancer tout ça en bas ou tu vas rester à me regarder avec cet air de mouette ? »
L’homme déblayait les restes épars de morceaux d’épaves remontés avec une fougue incroyable. Il levait des monceaux de bois d’une seule main, tandis que Rafaelo restait là à l’observer malgré lui. Il lui fallut quelques secondes pour qu’il daigne lui prêter main forte mais jamais il ne le quitta du regard. Son esprit était pris dans un brouillard impénétrable et il sentait encore cette douleur sourde au fond de sa poitrine, cette trahison indicible. L’assassin ne comprenait pas réellement ce qu’il se passait sous ses yeux, mais l’inconnu n’était pas n’importe qui, ça il aurait pu le jurer. Il se déplaçait trop vite, et était trop agile. Il n’était pas tombé sur le premier imbécile venu, mais il était sur Grand Line, après tout. Comment croire qu’on pouvait survivre en un tel endroit sans devenir un minimum fort. Traînant les restes d’une caisse éventrée et remplie d’aliments visiblement avariés, l’assassin la fit lourdement glisser dans le trou et aperçu dans un mince rai de lumière les restes de son équipement brisé qui disparaissait sous les vagues. Une époque s’achevait là, alors qu’il enterrait les attributs qu’il avait tant arboré aux côtés de son frère durant ce presque quart de siècle. Son passé d’assassin populaire, d’homme irresponsable, terminé. Autrefois ils étaient deux pour penser, deux pour se venger. Aujourd’hui il était désespérément seul et il ne pourrait compter que sur ses propres choix pour avancer. Un tournant fatidique de sa destinée, une avancée phénoménale dans son combat. Il était devenu le détenteur d’un pouvoir recherché de tous et il ne se ferrait pas la honte de le gâcher. Dès qu’il avait croqué dans ce fruit il s’était fait une dette envers ce pourquoi il se battait. Il n’existait plus d’Auditore à présent, mais une quête et un but qui passait avant tout cela. Il serait Il Assassino avant tout, dès à présent, et nul ne prendrait plus son passé pour terrain de jeu. Il se savait traqué par des hommes dont il ignorait tout, il se savait seul. Tout cela n’importait que peu, au final. Il n’avait plus besoin de carcan pour se livrer à son combat. Il était libre d’aller où bon lui semblerait et retrouverait Césare et comprendrait pourquoi il s’était agenouillé face à l’oppresseur. Il comprendrait pourquoi il ne se rappelait plus de lui et pourquoi il leur était un si fidèle serviteur. Mais il ne devait pas sombrer dans les affres de la vengeance simple. Non, il devait se servir de cette force, de ce moteur vindicatif pour auréoler son combat d’une gloire sans précédent. Et ainsi, seulement, il saisirait le cœur des populations. Dès aujourd’hui, il se faisait le serment de ne se livrer qu’à des actes à la hauteur de ses prétentions. Fini les assassinats de bas étage où on ôtait la vie à tel ou tel mauvais homme. Il ferait choir dès à présent les têtes hautes et aidé par son pouvoir inestimable, il raserait toutes les places fortes de la Marine.
« Tu tires une drôle de tête, mon gars. » lui fit Tom, qui le dévisageait alors des pieds à la tête.
L’assassin émergea brusquement de ses pensées et remarqua qu’un léger filet de fumée s’échappait de ses mains. Il jugula aussitôt ses émotions vengeresses puis lui rendit un sourire quelque peu forcé avant de se remettre au travail. Ce type ne le lâchait pas du regard, c’était étrange. Tout autant que sa manière de l’accueillir. Rafaelo s’arrêta quelques secondes pour souffler et se frotta vigoureusement les mains. Sa tête lui tournait, et il se sentait étrangement faible. Voilà plusieurs jours qu’il n’avait pas mangé, et son corps commençait à le lui reprocher. Il s’assit par terre et réprima un frisson, tandis qu’un voile noir fugace passa devant ses yeux. Il surprit le regard intéressé de Tom.
« Je suis à bout de forces. Désolé. » conclut-il, simplement.
Le vieux briscard hocha de la tête puis se retourna brusquement, lâchant malgré lui un petit sourire en coin. Le croyait-il ? Peu importait. Rafaelo n’aspirait qu’à fausser la compagnie à ce désagréable personnage. Il n’aimait pas être aidé par une tierce personne car alors il ne savait plus comment agir. La tuer, la conserver ou tout simplement l’ignorer. Ces questions passaient sans arrêt dans sa tête et seul le fait qu’il pensait que cet homme lui cachait quelque chose l’empêchait de se décider. Il l’observa donc discrètement pendant quelques secondes, tâchant d’étudier le comportement de cet étrange personnage. Il mettait une énergie toute relative à effacer les traces de ce camp. À tel point que l’assassin se demandait ce qu’il cherchait réellement à faire là. Etait-il mêlé à tout cela ? Ou aidait-il réellement Rafaelo ? Quoi qu’il en soit, il lui en était reconnaissant. Un ennemi supplémentaire aurait été difficile à encaisser, mais fort heureusement, la chance finissait par lui sourire. Après quelques minutes, Tom eut fini de nettoyer l’endroit et de faire disparaître toute trace des naufrageurs. Rafaelo se leva doucement et marcha vers son nouvel allié. Il écarta du pieds deux ou trois boutes qui restaient là puis soupira. Dans le feu de l’action, il ne s’était pas rendu compte à quel point il était fatigué. Mâché de partout, et chaque cellule de son organisme le tiraillait. Etait-ce le contact avec ses vêtements humides qui exagérait cette douleur ? Ils étaient lourds du sel et de l’eau de la mer, et avec ses nouvelles capacités, l’assassin y était en quelque sorte allergique.
« Bon, j’vais te ramener chez moi pour que tu te reposes un peu, mon gars. On va t’préparer à grailler aussi, j’vois que la lutte a été dure. » marmonna-t-il, en désignant la rapière de l’assassin.
L’arme était maculée de sang et l’eau salée avait commencé à en attaquer le cuir, si ce n’était les derniers combats. Rafaelo releva la tête et ne sut réellement que répondre à cet homme qui lui venait en aide. Un détail étrange attira cependant son attention. Peut être impossible à déceler par un profane, mais l’assassin était physionomiste et il voyait clairement que son interlocuteur était apaisé. Il semblait enragé quelques secondes plus tôt, mais à présent dans ses pupilles luisait une étrange satiété, comme si d’avoir mis ce camp à ras avait suffit à le complaire. Interloqué, Rafaelo marqua un temps d’arrêt. Et si tout cela était lié, et si tout cela avait un sens ? Sa confiance trop rapide, sa hargne à tout mettre en bas …
« Tom … que vous avaient donc fait ces hommes pour mériter votre courroux ? » murmura l’assassin, en se rapprochant dudit personnage.
Le vieil homme se retourna lentement vers lui et sembla chercher quoi répondre, puis, comme si un de ses arguments l’avait emporté sur l’autre, il se décida à ouvrir la bouche.
« Ces … hommes … étaient des meurtriers. Ils m’avaient ôté un des êtres les plus chers à mon existence et s’étaient honteusement repus de sa chair. » cracha-t-il, une violente bouffée de colère emportant sa voix.
« Consuela … Reine parmi les Reines … » murmura-t-il, les larmes aux yeux.
L’assassin leva un sourcil, interloqué. Ces naufrageurs étaient des monstres ! Ingérer de la chair humaine, c’était un crime …
« Ignoble ! Ma meilleure coureuse, élevée depuis l’œuf jusqu’à la plus haute des sphères de la victoire … Oh, Consuela ! » se lamenta-t-il, ne pouvant retenir une larme.
De nouveau, Rafaelo fut pris de court par la réaction de son nouvel allié. Il le considéra de haut en bas, sentant qu’il y avait là anguille sous roche. Il posa une main affectueuse sur son épaule, ne sachant pas réellement comment réagir mais il sentit que son geste apaisa Tom. Ainsi, il lui avait si facilement accordé crédit car il avait mis à mort les deux meurtriers de Consuela ? Il l’avait fait sans savoir, mais en d’autres circonstances, il aurait agi de même. Ce genre de méfait se devait d’être puni copieusement, et même la mort ne suffisait pas à racheter un tel péché.
« Oh, Faviola, ma belle, ma douce ! » murmura soudain Tom.
L’assassin releva alors les yeux et aperçu un immense silhouette se dirigeant vers eux. Il recula d’un pas, terrifié par la chose de plus de deux mètres qui s’avançait vers lui, et un cri guttural accueilli son geste. La bête ouvrit grand la bouche et s’interposa entre Tom et Rafaelo, levant les bras et agitant ses immenses plumes. Plumes ? Un coup de bec bien placé vint perforer la chemise de l’Auditore, le propulsant à terre, et une patte massive le plaqua au sol. Avant qu’il n’ait pu réagir, un souffle glacé vint lui caresser la gorge, à quelques centimètres à peine de sa jugulaire, promesse d’un tourment insoutenable. L’air sembla s’assécher autour de l’assassin, tandis que la pression sur sa poitrine se renforçait de secondes en secondes. Il voulut se dégager, mais c’était peine perdue. Il ne dut son salut qu’à l’intervention propice de Tom qui, caressant le cou de sa créature, lui murmura de doux mots à l’oreille et la calma aussitôt. La bête ôta sa patte de la poitrine de Rafaelo, et celui-ci en profita pour se relever précipitamment. Il se maintint les côtes, douloureusement amoché par la créature et reprit son souffle, tâchant de calmer son palpitant qui s’était mis en branle. Il tenta de se redresse au mieux, mais c’était peine perdue, l’incroyable créature le dominait et il se sentait à la fois perturbé par la lueur mortellement inintelligente de son regard et la grâce tudesque de ses proportions. Jamais il n’avait vu de telle bête par chez lui, jamais il n’avait eu à se confronter à cette chose incroyable et pourtant si familière. Jamais l’assassin n’avait tenu tête à une autruche.
« Il y a un mois à présent, que le drame s’est produit. Ces satanés naufrageurs se sont introduis dans mon ranch et on attaqué Consuela pour s’en repaître. Et depuis lors, sa douce jumelle d’œuf, Faviola est devenue impossible à vivre. Je n’ai eu de cesse que de traquer ces vils malfrats, mais tu as agis avant moi et pour cela je t’en suis reconnaissant. Savoir que leur vie entière repose dans ce trou d’eau m’apaise plutôt, mais il semble que ma douce Faviola soit marquée à vie par ce triste destin. Je te demanderais donc de ne pas tenir compte de son geste, Dastan. Désolé pour tout ce dérangement, mais je te suis redevable au final. Je me nomme en réalité Tom Booker, mais tu dois me connaître, non ? L’homme qui murmure à l’oreille des autruches … » se présenta l’homme, après moult excuses.
D’un œil sagace, Rafaelo jaugea les deux opposants qui se tenaient face à lui et hésitait quant à la conduite à tenir. D’un côté, la bête odieuse, et de l’autre l’homme qui lui semblait redevable. Mais dans quoi s’était-il embarqué. Il se tenait toujours les côtes, à bout de force et blessé, qui plus est. Il ne cherchait même pas à savoir dans quoi il était tombé, trop exténué pour chercher midi à quatorze heures. Il baissa les bras et soupira bruyamment. Faviola semblait le considérer d’un œil plus amical depuis que Tom s’était approché d’elle et lui avait glissé quelques mots à l’oreille. Elle semblait toujours aussi peu encline à la paix, mais au moins elle ne l’attaquait pas. L’assassin finit par s’incliner, de mauvaise grâce.
« Ouch … Elle n’y est pas allée de main morte, Tom. Je ne serais pas contre un peu de repos, et un peu de nourriture, sans abuser de votre hospitalité. Mais si vous dites m’être redevable … alors j’aurais l’audace de vous demander un autre service. Comme vous le savez, je me suis échoué ici, alors que je cherchais un moyen de rentrer chez moi, loin dans les blues, de l’autre côté de Reverse Mountain … » répliqua-t-il, tentant le tout pour le tout.
Le vieil homme s’arrêta un instant, et fit glisser son fusil sur son épaule, grattant discrètement le cou de Faviola de son autre main. L’animal émit un étrange bruit guttural et sembla se complaire de la marque d’affection. Tom sembla réfléchir puis se raviser quatre fois avant de finalement ouvrir la bouche.
« Oui. Je connais un moyen. » répondit-il.
Un poids s’envola soudain des épaules de Rafaelo et un soulagement sans borne l’envahit. Il était réputé difficile de quitter cette zone lorsqu’on n’était pas un Marine, ainsi il était inquiet quant à ce sujet, mais Tom venait de raviver le peu d’espoir qu’il avait en lui. Lui, et cette colossale créature. L’assassin resta cependant de marbre et attendit la suite. Quelque chose lui disait que ce serait tout sauf facile.
« Chaque année, nous organisons ce que nous appelons ici le ‘Ostrich Race’, qui se tiendra dans un mois, jour pour jour. Une grande course pour laquelle tous les éleveurs de Grand Line sont en compétition. Or, après dix ans d’absence, suite à un traumatisme malheureux qui priva la mère de Consuela et Faviola de ses pattes, j’étais enfin de retour pour gagner cette fatidique course, avec la nouvelle génération d’autruches. Je n’étais, autrefois, qu’un simple dresseur mais aujourd’hui ma vocation exige que je remporte cette course en la mémoire de mes deux autruches disparues … or moi-même, je ne peux chevaucher Faviola, à présent. » commença-t-il, son regard se perdant dans les méandres d’un temps oublié.
« Et le grand prix de l’Ostrich Race … est une croisière dans les blues ! »
Le ressac de la mer était entêtant. Il allait et venait, tantôt léchant les pieds, tantôt cherchant à l’emporter. C’était un étau frigorifiant qui agitait sans cesse la plage et apportait son lot d’étrangetés. Certains voyaient là des trésors, qui n’étaient qu’immondices pour d’autres. Mais même dans cette décharge, il y avait des choses inhabituelles qui transparaissaient. Des choses d’une vie, des choses effrayantes. L’air était chargé des embruns de la mer, et empestait le poisson pourri à des lieues à la ronde. La crique était le résultat de faux courants qui enfermaient là une quantité incroyable de composants et empêchait les espèces maritimes de regagner leur habitat. Certaines y subsistaient tant bien que mal, mais d’autres se voyaient forcées d’y dépérir par la faim ou la sécheresse. Une légère baie ensablée s’étalait au fond et on pouvait y distinguer quelques matériaux qui sortaient de l’ordinaire. Une ancre rongée par la rouille, un crâne simiesque. Et ce n’étaient pas les reliquats les plus mirobolants de l’endroit. Certains s’y seraient amusés à chercher des richesses ou autres, mais cette place était connue depuis des lustres par les naufrageurs et ils avaient plaisir à venir récupérer là les fortunes des navires écrasés contre les récifs. Et les survivants qui échouaient là … devenaient rapidement un moyen simple de subsistance pour les espèces affamée de la crique. On la nommait la Crique du Grand-Croque. Pourquoi ? Certains avançaient l’hypothèse qu’on l’eut dite faite de main de diable, ou encore que vu de haut, elle ressemblait à une figure maléfique. Mais bien peu connaissaient la véritable histoire, tant les hypothèses fourmillaient sur cet endroit incongru. Son nom n’avait pourtant rien d’intéressant, mais les histoires qui couraient sur cet endroit étaient toutes fascinantes et égayaient les soirées arrosées des tavernes des environs. Beaucoup se targuaient d’y avoir assisté, mais en réalité, il s’agissait souvent de la même histoire racontée avec des intervenants différents. À qui mieux-mieux serait le naufrageur qui avait entendu parler de l’homme qui avait connu l’homme qui avait retrouvé là, un jour, un fragment du fameux One Piece. Ou encore, un étrange fruit qui aurait possédé des propriétés mystiques ! Fait cocasse, cette histoire était véridique, et nous ramenait donc directement à notre homme. Homme, qui par ailleurs, avait ingéré ledit fruit quelques jours plus tôt. Fait qui expliquait, entre autre, l’état dans lequel il se trouvait actuellement, c'est-à-dire endormi au milieu de cette fameuse crique. Mais nous y reviendrons.
Après avoir essuyé une douloureuse rencontre avec son frère, notre homme s’était retrouvé déporté malgré lui par les courants aériens et avait fini par perdre connaissance alors qu’il dévalait à une vitesse ahurissante les airs. Cette rencontre fatidique avait sonné le gong pour son mental douloureusement affecté par la mort supposée de son jumeau. Qu’il ne l’eût jamais cru mort relevait du miracle, mais cette flamme avait animé son cœur et motivé ses convictions quant à entreprendre une quête désespérée pour le sauver. Mais il subsistait une seule variante non négligeable à ce qu’il recherchait, lui-même. Il avait été impuissant à aider son frère lorsque la Marine était apparue. Comment-donc parvenir à juguler ce manque et détruire tous ceux qui avaient osé toucher à sa famille, une fois de plus ? La réponse était simple, par le pouvoir. Qui n’avait pas entendu parler de ces fruits mythiques qui donnaient des pouvoirs démesurés à leurs détenteurs en échange d’une faiblesse au Granit Marin et à l’eau de mer ? Mais il se berça d’illusions en pensant en trouver si facilement, et fut rapidement découragé dans sa quête jusqu’à ce qu’il apprenne l’existence d’un fruit des plus puissants. Une simple rumeur qui le fit néanmoins prendre la mer et finalement arriver après des mois de navigations et des expériences incroyables sur une île éloignée de tout et parcourue par une organisation sans foi ni loi qui faisait sa loi. Ne faisant cure de ces informations, il poursuivit le dernier détenteur du fruit avec un sang-froid implacable et finit par le pousser à la mort à force de menaces. C’est là un autre fait qui le marqua, mais pas sur l’heure. Il avait sacrifié beaucoup dans sa quête et le côté sombre de lui-même, qui le guettait tant, a failli prendre le dessus. Cela aurait été un tournant funeste pour bien des personnes, mais nous y reviendrons aussi. Bref. Il avait fini par remonter le long d’une troupe de bandits qui s’étaient accaparés le fruit et par un concours de circonstances et de batailles, il s’était finalement emparé du fruit tant recherché. Il comprit alors qu’il avait acquis la capacité de se changer, de générer et de contrôler la fumée. Chose inhabituelle car elle l’éveillait à de nouveaux sens qu’il ne comprenait pas encore. Cependant, par le plus grand des hasards, la troupe de bandits qu’il avait combattus n’était autre qu’une branche éloignée de la famille qui avait pourchassé les assassins à travers le monde entier. Les Borgia qui avaient donc anéanti une grande partie des aïeux de Rafaelo. Et alors que celui-ci se faisait le serment de tous les éradiquer, aveuglé par la colère, il fit la rencontre d’un homme à la sinistre renommée, un chien du gouvernement nommé Hakumen. Cependant, celui-ci perdit son masque après quelques échanges de coups, ce qui révéla le visage du jumeau de Rafaelo. Perdant toute constance, celui-ci relâcha la puissance de son fruit sans en maîtriser une seule once et à moitié en état de choc, il s’était fait happer par le vent qui balayait le sommet de la tour dans laquelle il se trouvait. Son frère semblait amnésique mais il alternait entre états de chocs, violence et réactions positives, ce qui ébranla fortement l’assassin qui jura de le retrouver et de l’aider, comme de juste. Et en même temps que sa conscience l’abandonnait, il se fit le serment de ne jamais finir ainsi, et de toujours garder sa volonté intacte, mais ce détail importe peu pour l’instant. Dérivant parmi les courants aériens, l’assassin se retrouva trainé sur des lieues et des lieues par-dessus les montagnes et parfois même les nuages, tel un nuage qui jonglait avec les éléments. Puis, après plusieurs heures dans cet état second, son corps dériva lentement vers la terre alors qu’il se reformait et fini par s’écraser au milieu des flots. Sa nouvelle faiblesse le tortura longuement, mais la clémence des courants côtiers le ramenèrent vers la côte, l’empêchant de se noyer. Il ne savait plus nager, certes, et voyait sa force diminuer dans les proportions exactes de son immersion. La Crique du Grand-Croque l’accueillit donc en son sein et le tortura durant une journée entière avant qu’il n’ait la force d’exécuter le moindre geste.
Se portant sur ses bras, l’assassin réussit à se relever et dégagea légèrement la tête du sable humide pour aspirer une goulée d’air frais. Il relâcha un nuage de fumée et toussota avant de s’effondrer de nouveau. À bout de forces, mais conscient. Il remarqua alors qu’il était presque nu. Seules lui restaient sa tunique, son pantalon et quelques morceaux de sa capuche. Sa rapière était solidement fixée à sa hanche, comme toujours, mais une de ses bottes avait disparu dans les profondeurs océaniques. Ainsi que le reste de son attirail. Il entreprit donc de se débarrasser des restes de vêtements qui l’encombraient et les glissa mollement vers l’eau. Il dut s’y reprendre à trois fois avant de pouvoir retirer la dernière botte qui lui restait. Il en chassa aussi les quelques algues et autres indésirables qui s’y étaient logées puis la considéra avec dédain et la jeta avec le reste de ses affaires abîmées. Plus les secondes passaient et plus il reprenait des forces. Il se recula dans le fond de la crique et croisa les bras, grelottant. Il prit soudain conscience qu’il mourrait de faim et qu’il était transi jusqu’aux os. Il ôta donc sa tunique aussi et l’étendit comme il put sur le sable humide. C’était peine perdue, le Soleil ne passait pratiquement jamais ici. Il soupira et se passa une main lasse sur le visage. Il remarqua alors que sa peau était comme bouffie au niveau de son menton et se rappela soudain le coup de pied de son frère. La plaie partait de sa lèvre inférieure et battait tout le bas de sa mâchoire. Le sel avait rongé la plaie et il en garderait une marque indélébile. Lui qui était autrefois si soucieux de son apparence ne s’en formalisa pas. Il n’avait pas besoin d’avoir une gueule d’ange pour être assassin. Prenant son temps, il se redressa, sans tenir compte des protestations de ses articulations. Il se sentait étiré de toutes parts, comme si il avait été soumis à cette torture. Celle où l’on vous attachait les membres et on vous écartelait petit à petit en tournant une roue. Il n’était pas improbable qu’il tombe malade aussi, à être resté tremper dans cette flotte tout ce temps. Il farfouilla un peu dans les lieux lorsque, soudain, une corde tomba du haut de la crique. Rafaelo s’en écarta précipitamment et se recula dans l’ombre, observant la silhouette d’un homme qui descendait vers lui. Instinctivement, il exécuta le geste propice à dégainer sa lame secrète et fut presque surpris d’en entendre le chuintement. Il regarda son bras gauche et s’aperçut que ce n’était là que le mécanisme qui s’était déclenché, mais que la lame avait disparu de belle lurette, tout comme la majorité des composants de ce savant rouage. Un étrange cliquetis retentit alors que l’ensemble se désagrégeait. Il ferma les yeux, refoulant une vague de tristesse à voir ainsi son héritage partir en miettes puis ôta le bracelet et le posa doucement à terre, jugeant qu’il ne ferait que l’encombrer. L’inconnu posa alors pied à terre.
« Qui êtes-vous ? » questionna Rafaelo, encore masqué par l’ombre de la crique.
L’homme sursauta devant cette question venue du néant, puis il tira un couteau à viande de son ceinturon et sonda les ténèbres de son œil valide. Il était couturé de cicatrices et avait les mains rêches d’un pêcheur. Il renâcla puis souffla bruyamment et l’assassin compris qu’il ne pouvait plus parler. Il se déplaça doucement, du moins autant qu’il le pouvait, dans l’angle mort de cet homme et tenta d’en apprendre plus sur lui par sa simple allure. Grand mal lui en fit car dès l’instant où il commit l’imprudence de s’aventurer dans un endroit un peu moins obscur, le naufrageur se rua sur lui et tenta de lui planter son couteau dans le flanc. Laissant parler son corps, l’assassin crocheta son arme et la retourna contre lui sans mal. La lame rouillée s’enfonça dans la gorge sale de l’homme. Il n’eut pour râle d’agonie qu’un gargouillis ensanglanté et un léger cri aigu. Il se relâcha alors et l’odeur âcre de l’urine envahit la crique, tandis que Rafaelo déposait le corps sans vie à terre. Il le fouilla rapidement et s’empara de quelques berrys ainsi que d’une outre à Rhum largement entamée. Il se saisit de ses bottes et les enfila. Trop petites. Mais cela importait peu pour l’instant. Il n’était certainement pas seul. Ainsi, l’assassin rusa et secoua la corde deux fois. Une tête se pencha alors au-dessus du gouffre et sonda les ténèbres de la crique avant de hurler des mots dans un patois incompréhensible. Rafaelo soupesa le couteau à viande et le fit jouer dans sa main avant de bander tous les muscles de son bras directeur. Il envoya l’arme filer dans les airs et fit mouche. Comme toujours, non pas vraiment. Le couteau était vraiment rudimentaire mais restait régulier, ce qui était en soi une chance. Il s’enfonça dans un des orbites du second homme qui s’écroula et bascula dans le vide sans un bruit. L’assassin amortit la chute autant qu’il put et entreprit de le fouiller lui aussi. Il dégota une paire de bottes à sa taille, ainsi qu’une clef, certainement celle de sa mansarde, et quelques rations séchées de viande. Il les dévora tout en continuant la fouille. Il possédait aussi quelques berrys mais ça s’arrêtait là. L’assassin ôta le couteau de sa gorge et l’essuya dans l’eau de mer avant de secouer à nouveau la corde, vérifiant cette fois qu’elle était bien attachée. Personne ne vint. Peu de probabilité que ce soit un piège, ils avaient l’air bien trop pauvres et trop peu civilisés pour en avoir l’audace. Il rangea donc le couteau dans un repli de sa tunique, puis il entreprit de grimper à la force de ses bras. Les pierres étaient glissantes et chaque contact le déséquilibrait plus qu’autre chose. Il atteignit cependant le haut de la crique sans trop de mal, mais néanmoins essoufflé. La lumière l’éblouit quelques secondes et il papillonna des paupières avant de pouvoir distinguer quoi que ce soit. Un filet grossier traînait là, ainsi que quelques ustensiles, certainement ceux des deux hommes qu’il avait croisés en bas. Certainement des naufrageurs. Mais peu lui importait. Il soupira et pour la première fois depuis longtemps, sourit. Enfin libre. Et il n’avait plus le fardeau du danger que courait Césare à présent. Ils lui avaient tourné la tête, et son cœur lui criait vengeance, mais il savait qu’ils ne le tueraient pas. Ils avaient voulu le garder et cela jouerait en faveur de Rafaelo. Il le retrouverait et briserait leur sortilège. Il n’était pas apaisé, mais ce combat et l’acquisition de son nouveau pouvoir lui permettait de s’affranchir. Il était à présent bien plus fort que son frère. Et cela lui redonnait confiance.
« Ohé, qui va là ? » tonna une voix, derrière lui.
L’assassin se retourna et avisa un homme dans la force de l’âge et aux tempes grisonnantes. Il était vêtu d’une vareuse grise et portait un pantalon en cuir noir terne et deux bottes de bonne facture. Il pointait sur Rafaelo un fusil et visait droit son cœur. N’ayant d’autres choix, il leva doucement les mains.
« Un simple naufragé. Je ne vous veux pas de mal. » répondit-il, hésitant sur la conduite à tenir.
L’homme plissa les yeux et finit par baisser son fusil. Il se gratta le menton et parcouru le camp des naufrageurs d’un œil suspicieux avant de revenir à l’assassin.
« Un simple naufragé. Roumpf. Un simple naufragé n’aurait pas tué deux naufrageurs. Un simple naufragé aurait donné son nom, mais t’as pas l’air de quelqu’un de mauvais, alors ça ira. » trancha-t-il en rangeant son arme.
Rafaelo leva un sourcil, étonné, puis inspecta mieux cet homme qui lui accordait si facilement crédit. Il voulut dire quelque chose, protester mais rien ne lui vint à l’esprit et il resta interdit pendant que l’homme commençait à s’affairer dans le campement à retourner un peu tout.
« Reste pas là, l’affreux. Tiens. J’t’appelle Dastan, ça te va, Dastan ? Moi ça sera Tom. Bon, tu t’bouges et tu viens m’aider à balancer tout ça en bas ou tu vas rester à me regarder avec cet air de mouette ? »
L’homme déblayait les restes épars de morceaux d’épaves remontés avec une fougue incroyable. Il levait des monceaux de bois d’une seule main, tandis que Rafaelo restait là à l’observer malgré lui. Il lui fallut quelques secondes pour qu’il daigne lui prêter main forte mais jamais il ne le quitta du regard. Son esprit était pris dans un brouillard impénétrable et il sentait encore cette douleur sourde au fond de sa poitrine, cette trahison indicible. L’assassin ne comprenait pas réellement ce qu’il se passait sous ses yeux, mais l’inconnu n’était pas n’importe qui, ça il aurait pu le jurer. Il se déplaçait trop vite, et était trop agile. Il n’était pas tombé sur le premier imbécile venu, mais il était sur Grand Line, après tout. Comment croire qu’on pouvait survivre en un tel endroit sans devenir un minimum fort. Traînant les restes d’une caisse éventrée et remplie d’aliments visiblement avariés, l’assassin la fit lourdement glisser dans le trou et aperçu dans un mince rai de lumière les restes de son équipement brisé qui disparaissait sous les vagues. Une époque s’achevait là, alors qu’il enterrait les attributs qu’il avait tant arboré aux côtés de son frère durant ce presque quart de siècle. Son passé d’assassin populaire, d’homme irresponsable, terminé. Autrefois ils étaient deux pour penser, deux pour se venger. Aujourd’hui il était désespérément seul et il ne pourrait compter que sur ses propres choix pour avancer. Un tournant fatidique de sa destinée, une avancée phénoménale dans son combat. Il était devenu le détenteur d’un pouvoir recherché de tous et il ne se ferrait pas la honte de le gâcher. Dès qu’il avait croqué dans ce fruit il s’était fait une dette envers ce pourquoi il se battait. Il n’existait plus d’Auditore à présent, mais une quête et un but qui passait avant tout cela. Il serait Il Assassino avant tout, dès à présent, et nul ne prendrait plus son passé pour terrain de jeu. Il se savait traqué par des hommes dont il ignorait tout, il se savait seul. Tout cela n’importait que peu, au final. Il n’avait plus besoin de carcan pour se livrer à son combat. Il était libre d’aller où bon lui semblerait et retrouverait Césare et comprendrait pourquoi il s’était agenouillé face à l’oppresseur. Il comprendrait pourquoi il ne se rappelait plus de lui et pourquoi il leur était un si fidèle serviteur. Mais il ne devait pas sombrer dans les affres de la vengeance simple. Non, il devait se servir de cette force, de ce moteur vindicatif pour auréoler son combat d’une gloire sans précédent. Et ainsi, seulement, il saisirait le cœur des populations. Dès aujourd’hui, il se faisait le serment de ne se livrer qu’à des actes à la hauteur de ses prétentions. Fini les assassinats de bas étage où on ôtait la vie à tel ou tel mauvais homme. Il ferait choir dès à présent les têtes hautes et aidé par son pouvoir inestimable, il raserait toutes les places fortes de la Marine.
« Tu tires une drôle de tête, mon gars. » lui fit Tom, qui le dévisageait alors des pieds à la tête.
L’assassin émergea brusquement de ses pensées et remarqua qu’un léger filet de fumée s’échappait de ses mains. Il jugula aussitôt ses émotions vengeresses puis lui rendit un sourire quelque peu forcé avant de se remettre au travail. Ce type ne le lâchait pas du regard, c’était étrange. Tout autant que sa manière de l’accueillir. Rafaelo s’arrêta quelques secondes pour souffler et se frotta vigoureusement les mains. Sa tête lui tournait, et il se sentait étrangement faible. Voilà plusieurs jours qu’il n’avait pas mangé, et son corps commençait à le lui reprocher. Il s’assit par terre et réprima un frisson, tandis qu’un voile noir fugace passa devant ses yeux. Il surprit le regard intéressé de Tom.
« Je suis à bout de forces. Désolé. » conclut-il, simplement.
Le vieux briscard hocha de la tête puis se retourna brusquement, lâchant malgré lui un petit sourire en coin. Le croyait-il ? Peu importait. Rafaelo n’aspirait qu’à fausser la compagnie à ce désagréable personnage. Il n’aimait pas être aidé par une tierce personne car alors il ne savait plus comment agir. La tuer, la conserver ou tout simplement l’ignorer. Ces questions passaient sans arrêt dans sa tête et seul le fait qu’il pensait que cet homme lui cachait quelque chose l’empêchait de se décider. Il l’observa donc discrètement pendant quelques secondes, tâchant d’étudier le comportement de cet étrange personnage. Il mettait une énergie toute relative à effacer les traces de ce camp. À tel point que l’assassin se demandait ce qu’il cherchait réellement à faire là. Etait-il mêlé à tout cela ? Ou aidait-il réellement Rafaelo ? Quoi qu’il en soit, il lui en était reconnaissant. Un ennemi supplémentaire aurait été difficile à encaisser, mais fort heureusement, la chance finissait par lui sourire. Après quelques minutes, Tom eut fini de nettoyer l’endroit et de faire disparaître toute trace des naufrageurs. Rafaelo se leva doucement et marcha vers son nouvel allié. Il écarta du pieds deux ou trois boutes qui restaient là puis soupira. Dans le feu de l’action, il ne s’était pas rendu compte à quel point il était fatigué. Mâché de partout, et chaque cellule de son organisme le tiraillait. Etait-ce le contact avec ses vêtements humides qui exagérait cette douleur ? Ils étaient lourds du sel et de l’eau de la mer, et avec ses nouvelles capacités, l’assassin y était en quelque sorte allergique.
« Bon, j’vais te ramener chez moi pour que tu te reposes un peu, mon gars. On va t’préparer à grailler aussi, j’vois que la lutte a été dure. » marmonna-t-il, en désignant la rapière de l’assassin.
L’arme était maculée de sang et l’eau salée avait commencé à en attaquer le cuir, si ce n’était les derniers combats. Rafaelo releva la tête et ne sut réellement que répondre à cet homme qui lui venait en aide. Un détail étrange attira cependant son attention. Peut être impossible à déceler par un profane, mais l’assassin était physionomiste et il voyait clairement que son interlocuteur était apaisé. Il semblait enragé quelques secondes plus tôt, mais à présent dans ses pupilles luisait une étrange satiété, comme si d’avoir mis ce camp à ras avait suffit à le complaire. Interloqué, Rafaelo marqua un temps d’arrêt. Et si tout cela était lié, et si tout cela avait un sens ? Sa confiance trop rapide, sa hargne à tout mettre en bas …
« Tom … que vous avaient donc fait ces hommes pour mériter votre courroux ? » murmura l’assassin, en se rapprochant dudit personnage.
Le vieil homme se retourna lentement vers lui et sembla chercher quoi répondre, puis, comme si un de ses arguments l’avait emporté sur l’autre, il se décida à ouvrir la bouche.
« Ces … hommes … étaient des meurtriers. Ils m’avaient ôté un des êtres les plus chers à mon existence et s’étaient honteusement repus de sa chair. » cracha-t-il, une violente bouffée de colère emportant sa voix.
« Consuela … Reine parmi les Reines … » murmura-t-il, les larmes aux yeux.
L’assassin leva un sourcil, interloqué. Ces naufrageurs étaient des monstres ! Ingérer de la chair humaine, c’était un crime …
« Ignoble ! Ma meilleure coureuse, élevée depuis l’œuf jusqu’à la plus haute des sphères de la victoire … Oh, Consuela ! » se lamenta-t-il, ne pouvant retenir une larme.
De nouveau, Rafaelo fut pris de court par la réaction de son nouvel allié. Il le considéra de haut en bas, sentant qu’il y avait là anguille sous roche. Il posa une main affectueuse sur son épaule, ne sachant pas réellement comment réagir mais il sentit que son geste apaisa Tom. Ainsi, il lui avait si facilement accordé crédit car il avait mis à mort les deux meurtriers de Consuela ? Il l’avait fait sans savoir, mais en d’autres circonstances, il aurait agi de même. Ce genre de méfait se devait d’être puni copieusement, et même la mort ne suffisait pas à racheter un tel péché.
« Oh, Faviola, ma belle, ma douce ! » murmura soudain Tom.
L’assassin releva alors les yeux et aperçu un immense silhouette se dirigeant vers eux. Il recula d’un pas, terrifié par la chose de plus de deux mètres qui s’avançait vers lui, et un cri guttural accueilli son geste. La bête ouvrit grand la bouche et s’interposa entre Tom et Rafaelo, levant les bras et agitant ses immenses plumes. Plumes ? Un coup de bec bien placé vint perforer la chemise de l’Auditore, le propulsant à terre, et une patte massive le plaqua au sol. Avant qu’il n’ait pu réagir, un souffle glacé vint lui caresser la gorge, à quelques centimètres à peine de sa jugulaire, promesse d’un tourment insoutenable. L’air sembla s’assécher autour de l’assassin, tandis que la pression sur sa poitrine se renforçait de secondes en secondes. Il voulut se dégager, mais c’était peine perdue. Il ne dut son salut qu’à l’intervention propice de Tom qui, caressant le cou de sa créature, lui murmura de doux mots à l’oreille et la calma aussitôt. La bête ôta sa patte de la poitrine de Rafaelo, et celui-ci en profita pour se relever précipitamment. Il se maintint les côtes, douloureusement amoché par la créature et reprit son souffle, tâchant de calmer son palpitant qui s’était mis en branle. Il tenta de se redresse au mieux, mais c’était peine perdue, l’incroyable créature le dominait et il se sentait à la fois perturbé par la lueur mortellement inintelligente de son regard et la grâce tudesque de ses proportions. Jamais il n’avait vu de telle bête par chez lui, jamais il n’avait eu à se confronter à cette chose incroyable et pourtant si familière. Jamais l’assassin n’avait tenu tête à une autruche.
« Il y a un mois à présent, que le drame s’est produit. Ces satanés naufrageurs se sont introduis dans mon ranch et on attaqué Consuela pour s’en repaître. Et depuis lors, sa douce jumelle d’œuf, Faviola est devenue impossible à vivre. Je n’ai eu de cesse que de traquer ces vils malfrats, mais tu as agis avant moi et pour cela je t’en suis reconnaissant. Savoir que leur vie entière repose dans ce trou d’eau m’apaise plutôt, mais il semble que ma douce Faviola soit marquée à vie par ce triste destin. Je te demanderais donc de ne pas tenir compte de son geste, Dastan. Désolé pour tout ce dérangement, mais je te suis redevable au final. Je me nomme en réalité Tom Booker, mais tu dois me connaître, non ? L’homme qui murmure à l’oreille des autruches … » se présenta l’homme, après moult excuses.
D’un œil sagace, Rafaelo jaugea les deux opposants qui se tenaient face à lui et hésitait quant à la conduite à tenir. D’un côté, la bête odieuse, et de l’autre l’homme qui lui semblait redevable. Mais dans quoi s’était-il embarqué. Il se tenait toujours les côtes, à bout de force et blessé, qui plus est. Il ne cherchait même pas à savoir dans quoi il était tombé, trop exténué pour chercher midi à quatorze heures. Il baissa les bras et soupira bruyamment. Faviola semblait le considérer d’un œil plus amical depuis que Tom s’était approché d’elle et lui avait glissé quelques mots à l’oreille. Elle semblait toujours aussi peu encline à la paix, mais au moins elle ne l’attaquait pas. L’assassin finit par s’incliner, de mauvaise grâce.
« Ouch … Elle n’y est pas allée de main morte, Tom. Je ne serais pas contre un peu de repos, et un peu de nourriture, sans abuser de votre hospitalité. Mais si vous dites m’être redevable … alors j’aurais l’audace de vous demander un autre service. Comme vous le savez, je me suis échoué ici, alors que je cherchais un moyen de rentrer chez moi, loin dans les blues, de l’autre côté de Reverse Mountain … » répliqua-t-il, tentant le tout pour le tout.
Le vieil homme s’arrêta un instant, et fit glisser son fusil sur son épaule, grattant discrètement le cou de Faviola de son autre main. L’animal émit un étrange bruit guttural et sembla se complaire de la marque d’affection. Tom sembla réfléchir puis se raviser quatre fois avant de finalement ouvrir la bouche.
« Oui. Je connais un moyen. » répondit-il.
Un poids s’envola soudain des épaules de Rafaelo et un soulagement sans borne l’envahit. Il était réputé difficile de quitter cette zone lorsqu’on n’était pas un Marine, ainsi il était inquiet quant à ce sujet, mais Tom venait de raviver le peu d’espoir qu’il avait en lui. Lui, et cette colossale créature. L’assassin resta cependant de marbre et attendit la suite. Quelque chose lui disait que ce serait tout sauf facile.
« Chaque année, nous organisons ce que nous appelons ici le ‘Ostrich Race’, qui se tiendra dans un mois, jour pour jour. Une grande course pour laquelle tous les éleveurs de Grand Line sont en compétition. Or, après dix ans d’absence, suite à un traumatisme malheureux qui priva la mère de Consuela et Faviola de ses pattes, j’étais enfin de retour pour gagner cette fatidique course, avec la nouvelle génération d’autruches. Je n’étais, autrefois, qu’un simple dresseur mais aujourd’hui ma vocation exige que je remporte cette course en la mémoire de mes deux autruches disparues … or moi-même, je ne peux chevaucher Faviola, à présent. » commença-t-il, son regard se perdant dans les méandres d’un temps oublié.
« Et le grand prix de l’Ostrich Race … est une croisière dans les blues ! »