Une douce mélodie [ft. Ada & Sœur Chang'e]
Eden se tenait au centre de la petite base de la Marine, les mains dans les poches, observant les allées et venues des soldats. La chaleur de South Blue baignait l'île, rendant l'air lourd et pesant. Le soleil, haut dans le ciel, n'offrait que peu de répit, mais Eden était habitué à ces conditions après tant d'années passées à sillonner les mers pour la Marine.
Il avait été appelé en renfort avec quelques hommes du G-4 pour sécuriser un convoi de fonds à destination de Marie-Geoise. Une mission qui, à première vue, semblait simple, presque routinière. Mais Eden savait mieux que quiconque qu'il ne fallait pas sous-estimer la situation. South Blue pouvait être trompeuse ; la quiétude apparente de cette mer pouvait cacher bien des dangers.
C'est durant ce séjour qu'il fit la rencontre du jeune Lieutenant-Colonel Thierry, surnommé "Le petit Thierry". Le surnom amusait Eden ; Thierry n'était pas particulièrement petit, ni par la taille ni par la stature. Mais il était jeune, plus jeune que la plupart des officiers de son rang, ce qui lui valait ce sobriquet affectueux, mais qui semblait aussi trahir une certaine condescendance de la part de certains soldats plus âgés.
Thierry avait été propulsé à la tête de la base suite à la maladie de son supérieur, un Commodore, laissant sur ses épaules frêles le poids de la responsabilité. Malgré cela, Eden avait pu constater que le jeune homme se débrouillait bien, faisant preuve d'un calme et d'une assurance que beaucoup de ses pairs plus âgés pouvaient lui envier.
Les journées d'Eden se passaient souvent à attendre. Il déambulait dans la base, se familiarisant avec les lieux, observant les soldats vaquer à leurs occupations, et profitant du temps libre pour peaufiner ses propres stratégies. L’ennui n’était jamais loin, mais il savait l’importance de ces moments de calme avant une mission.
Le soir venu, Eden retrouvait le dortoir qu'il partageait avec plusieurs autres soldats. C’était un retour à une forme de simplicité qui lui rappelait ses premières années dans la Marine. Mais cette simplicité avait ses inconvénients. Ses camarades de chambrée avaient pris l’habitude de ronfler bruyamment, un concert nocturne qui aurait pu priver Eden de sommeil s’il n’avait pas pris soin de toujours avoir des protections anti-bruit à portée de main.
Allongé sur son lit, les bras croisés derrière la tête, il sentait les petites vibrations du bois chaque fois que l’un de ses voisins émettait un ronflement sonore. Mais les protections faisaient leur travail, et Eden appréciait ces moments de repos malgré tout. Le dortoir, bien que rudimentaire, avait une atmosphère qui lui était étrangement réconfortante. Le ronronnement de la vie militaire, les bavardages étouffés, les rires discrets, tout cela faisait écho à des souvenirs d’un temps plus simple, où la vie n’était que rigueur et entraînement.
Malgré les conditions, Eden trouvait du réconfort dans cette routine. Il savait que la mission approchait, que bientôt, il faudrait quitter la sécurité relative de la base pour escorter le précieux convoi. Mais pour l'instant, il se contentait d'observer, de comprendre le fonctionnement de la base, et de nouer des liens avec ses nouveaux camarades, dont le jeune Thierry.
Eden avait déjà commencé à apprécier la compagnie du Lieutenant-Colonel. Ils avaient partagé quelques discussions, échangé des anecdotes, et Eden avait rapidement perçu en Thierry un potentiel immense, une détermination qu’il aurait aimé avoir. Peut-être se voyait-il un peu en ce jeune officier, encore en train de se faire un nom, mais déjà porteur de grandes responsabilités.
Pour Eden, ces moments d'attente, aussi longs soient-ils, étaient essentiels. Ils lui permettaient de se préparer mentalement, de renforcer sa conviction, et d'affiner son instinct. Il savait que le voyage vers Marie-Geoise serait périlleux, mais il se sentait prêt, entouré d'une équipe solide et sous le regard attentif du jeune Thierry.
Ainsi, chaque nuit passée dans ce dortoir, malgré les ronflements et les conditions sommaires, renforçait son sentiment d'appartenance à cette vaste machine qu'était la Marine.**************************Le drame arriva lors d’une nuit sans lune.
Eden ouvrit les yeux brusquement, réveillé par une lumière vive qui inondait sa chambre. Il plissa les paupières, le cœur battant, et jeta un coup d'œil autour de lui. L'étrangeté de la scène lui sauta immédiatement aux yeux. Ses camarades de dortoir se tenaient debout, mais quelque chose clochait. Leurs mouvements étaient lents, presque mécaniques, comme s'ils étaient devenus des marionnettes dirigées par une force invisible.
Leurs regards étaient vides, dénués de toute conscience. Ils avançaient, maladroitement, leurs corps se balançant comme ceux de zombies sortis d’un cauchemar. Eden sentit un frisson lui parcourir l’échine. Il se fit le plus discret possible, glissant hors de son lit sans un bruit, son instinct de survie en alerte maximale. Il s'accroupit derrière un des lits, son esprit tournant à toute vitesse pour comprendre ce qui se passait.
Les soldats de la base semblaient tous hypnotisés, marchant dans la même direction, se dirigeant vers la cour centrale. Eden se décida à les suivre, mais sans se faire remarquer. Il avançait lentement, à pas feutrés, guettant la moindre occasion pour se dissimuler dans les ombres des corridors.
Lorsqu'il jugea que la voie était dégagée, il se prépara à enlever ses boules insonorisées pour mieux percevoir ce qui se passait autour de lui. Mais alors qu'il portait une main à son oreille, il sentit une pression sur son épaule.
En une fraction de seconde, Eden se retourna, prêt à affronter une menace, son corps tendu comme un ressort. Ses muscles se relâchèrent légèrement lorsqu'il croisa le regard d'une jeune femme qu'il n'avait encore jamais vue dans la base. Elle avait l'air apeurée, mais déterminée. Avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, elle porta un doigt à ses lèvres, un signe universel pour demander le silence.
La jeune femme se mit alors à bouger ses mains avec une fluidité étonnante, utilisant la langue des signes pour communiquer. Eden comprit rapidement qu’elle était sourde. Ses gestes étaient rapides, précis, et il parvint à capter l’essentiel de son message : elle lui demandait de ne pas enlever ses boules anti-bruit.
Eden hocha la tête pour signifier qu'il comprenait. Il observa la jeune femme alors qu’elle continuait de signer, ses mains exprimant des informations cruciales. Elle expliqua, toujours en langue des signes, qu'une musique étrange était diffusée par les hauts-parleurs de la base. Cette musique, apparemment inaudible pour elle, avait hypnotisé tous les soldats présents.
Eden jeta un regard inquiet autour de lui. Il réalisa alors à quel point la situation était dangereuse. Si cette musique avait le pouvoir de contrôler l’esprit des hommes, il n’avait pas le droit à l’erreur. Il devait rester vigilant, éviter d’être contaminé par cette influence sonore.
Il fit signe à la jeune femme de le suivre. Elle acquiesça d’un hochement de tête, restant tout près de lui. Eden se remémora rapidement les plans de la base, cherchant une issue, un endroit où ils pourraient se mettre à l’abri tout en réfléchissant à la meilleure façon de neutraliser cette menace. Il savait qu'il devait atteindre le centre de contrôle de la base, là où les hauts-parleurs étaient probablement gérés. Mais il devait être prudent, car chaque soldat qu’ils croisaient était un ennemi potentiel, manipulé par cette étrange mélodie.
Avec un dernier regard en direction de ses camarades hypnotisés, Eden prit une décision. Ils allaient devoir traverser la base sans se faire repérer, atteindre le centre de contrôle, et stopper cette musique avant qu'il ne soit trop tard. Eden se tourna vers la jeune femme et lui fit signe qu’ils devaient bouger rapidement.
Eden observa la jeune femme qui l'accompagnait, une sourde détermination dans son regard. Il savait qu'impliquer une civile dans une mission aussi dangereuse était inacceptable. D'un geste ferme, il lui indiqua de rester cachée. Elle sembla vouloir protester, mais Eden lui adressa un sourire rassurant et un signe de la main pour lui faire comprendre qu'il reviendrait la chercher une fois la situation sous contrôle.
Il s'avança ensuite prudemment à travers les couloirs de la base, ses pensées tourbillonnant autour des événements étranges qui se déroulaient. La musique hypnotique qui avait pris le contrôle de ses camarades était un outil de manipulation redoutable. Qui pouvait bien être derrière une telle machination ? Et surtout, comment avaient-ils réussi à infiltrer une base de la Marine aussi bien protégée ?
Alors qu'il progressait dans le dédale de couloirs, Eden vit des ombres se mouvoir sur les parois. Il se plaqua contre un mur, son cœur battant plus fort. Un groupe de soldats passa, leurs yeux vides, leurs mouvements synchronisés, complètement sous l'emprise de la musique. Il n'avait pas d'autre choix que de se joindre à eux s'il voulait éviter de se faire repérer.
D'un geste rapide, Eden rabattit ses cheveux sur ses oreilles, dissimulant les protections contre le son. Il prit une grande inspiration et se mêla au groupe, imitant leurs mouvements rigides. Ils avancèrent tous ensemble, en silence, comme des automates, jusqu'à la cour centrale de la base.
Là, une scène surréaliste l'attendait. Des rangées et des rangées de soldats se tenaient immobiles, formant un véritable mur humain, les yeux fixés droit devant eux. Eden se plaça dans l'un des rangs, se fondant parmi eux. Son regard, perçant, balayait la scène, cherchant à comprendre la situation.
Au centre de la cour, une jeune femme blonde aux yeux rouges, à l'allure étrange, presque féerique, semblait dominer la scène. Elle avait une apparence presque irréelle, semblable à une sorte de lutin à taille humaine, mais avec une aura de danger palpable. À ses côtés, un homme imposant, un sabreur au regard dur, se tenait droit comme un I, surveillant la scène avec une vigilance implacable. Quelques autres hommes les entouraient.
Eden reconnut immédiatement ces individus pour ce qu'ils étaient : des pirates. Des ennemis qui avaient réussi à prendre le contrôle de la base en utilisant cette musique hypnotique. Leurs visages ne lui étaient pas familiers, mais leur intention ne faisait aucun doute. Ils étaient là pour intercepter le précieux butin en route vers Marie-Geoise.
La jeune femme blonde se délectait de sa victoire. Elle parlait, son expression triomphante, mais Eden ne pouvait entendre un mot de ce qu'elle disait. Les boules anti-bruit, son seul bouclier contre la musique hypnotique, l'isolaient du monde sonore, mais le protégeaient également de la manipulation.
Il comprit alors l'ampleur de la situation. Tous les soldats de la base, ses camarades, étaient sous l'emprise des pirates. Il était le seul à être encore maître de ses actions, le seul qui pouvait empêcher le plan des envahisseurs d'arriver à son terme.
Eden serra les poings, sentant la pression de la situation s'accumuler, mais il ne faiblit pas. Il était seul, oui, mais pas démuni. Son esprit s'affola à la recherche d'une solution, d'un plan qui pourrait déjouer les pirates. Il savait qu'il devait jouer la comédie, rester discret et attendre le bon moment pour agir.
Le jeune homme porta son attention sur les autres pirates, essayant de repérer les failles dans leur formation, des détails qui pourraient lui permettre de renverser la situation. Il ne pouvait pas se permettre d’agir impulsivement. La moindre erreur pourrait le trahir et sceller le sort de la base.
Il fallait qu'il trouve un moyen de neutraliser la source de la musique. Cela devait être une sorte de dispositif central, probablement contrôlé par la jeune femme aux yeux rouges. Eden savait qu'il devait s'en approcher sans éveiller de soupçons, trouver un moyen de l'arrêter et de libérer ses camarades de l'emprise des pirates.
La réunion dans la cour centrale touchait à sa fin. Eden, parfaitement immobile parmi les soldats hypnotisés, attendait patiemment son moment. Les pirates donnaient des instructions aux soldats, probablement des ordres visant à sécuriser leur plan. Une fois les ordres donnés, la jeune femme blonde aux yeux rouges quitta la scène avec ses hommes, et les soldats commencèrent à se disperser.
Eden, vigilant et opportuniste, profita du chaos pour se glisser hors des rangs. Il se déplaçait avec une discrétion calculée, avançant prudemment vers les grilles de la base. Par chance, les gardes étaient absents, certainement réquisitionnés ailleurs sous l'influence de la musique. Sans perdre une seconde, il s'échappa de la base, ses mouvements rapides et silencieux.
Il se dirigea à toute vitesse vers la ville la plus proche, espérant y trouver un moyen de renverser la situation. Mais lorsqu'il atteignit les premières rues, un frisson glacial lui parcourut l'échine. Ce qu'il découvrit le laissa sans voix.
La ville entière était sous l'emprise de la musique hypnotique. Les habitants, tout comme ses camarades soldats, marchaient d'un pas lourd et mécanique, leurs visages vides de toute émotion. Les hauts-parleurs installés dans les rues, initialement destinés à prévenir des attaques de pirates, diffusaient désormais cette mélodie maudite. La scène était d'une horreur indescriptible, un véritable cauchemar éveillé.
Eden se tenait là, pétrifié, observant ce spectacle grotesque. La ville qui, quelques heures plus tôt, était pleine de vie, s'était transformée en un théâtre macabre où les âmes semblaient prisonnières de leurs propres corps. Le poids de la situation s'abattit sur lui avec une force inouïe.
Il savait qu'il devait se mettre à l'abri, trouver un endroit où la musique ne pourrait pas l'atteindre. Son esprit bouillonnait de questions et d'angoisses, mais il ne pouvait pas se permettre de perdre son sang-froid. En repérant une maison dont les habitants semblaient avoir été capturés par la mélodie, il se précipita à l'intérieur.
La maison était étrangement silencieuse, vide de toute vie. Eden referma la porte derrière lui, son cœur battant la chamade. Il fouilla rapidement les pièces jusqu'à trouver une cave. Là, il descendit les marches et, dans un geste précipité, ferma la porte de la cave, espérant que les murs épais bloqueraient la mélodie maudite.
Il s'assit sur un vieux tonneau et, après s'être assuré que le calme régnait, enleva délicatement ses protections de ses oreilles. Le silence était total, une oasis de tranquillité au milieu de ce chaos sonore. Eden ferma les yeux un instant, laissant son esprit s'apaiser, même si les images de la ville sous hypnose restaient gravées dans sa mémoire.
La réalité de sa situation lui apparut alors dans toute son horreur. Il était seul, face à une menace qu'il ne comprenait pas encore complètement. Ses pensées tournaient en boucle, cherchant désespérément une solution, un plan, un moyen de stopper cette folie. Mais pour l’instant, il était impuissant.
Il lâcha un soupir lourd de frustration, passant une main dans ses cheveux ébouriffés. Le poids de l’isolement et de l’ampleur de la tâche à accomplir l'écrasait presque, mais il savait qu'il n'avait pas d'autre choix que de continuer. Il devait attendre des renforts, s'assurer qu'il n'était pas seul dans cette lutte.
Dans ce silence pesant, un seul mot lui échappa, presque dans un murmure, mais chargé de toute sa frustration :
"Et merde, dans quoi j'me suis fourré encore ?"
Eden s'appuya contre le mur de pierre, fixant le plafond de la cave. L'attente allait être longue, mais il savait que l’issue de cette mission, et peut-être même la sécurité de toute la région, dépendait de sa capacité à tenir bon.