“- … et c’est là que je me suis rendu compte que j’avais de la peinture plein les cheveux !” finis-je mon monologue qui semblait d’ailleurs n’intéresser personne d’autre que moi, si je me fiais à la mine exaspérée de Trisha qui préférait regarder par le hublot du sous-marin que de m’écouter une seconde de plus.
Heureusement qu’America était toujours là pour me remonter le moral, me sollicitant pour lui lancer une balle qui rebondissait plus ou moins aléatoirement selon les mouvements du véhicule.
“- Tiens on est bientôt arrivés, je reconnais les algues du coin !” m’exclamai-je en m’imposant au niveau du même hublot occupé par la révolutionnaire grisonnante pour constater les fonds marins.
Cela faisait maintenant un bon moment que nous naviguions d’île en île, et en ayant eu vent de notre destination finale il était on ne peut plus logique que je peinais à retenir mon excitation. Voilà que j’allais enfin retrouver mon île natale, celle qui m’avait vu grandir et qui m’avait donné cette fougue artistique qui avait continué de croître en moi, alors même que j’avais été châtiée de cette terre fleurie.
La situation avait bien évolué depuis mon départ. En effet, le Sultan était tombé, le climat révolutionnaire de l’île semblait l’avoir emporté, mettant un terme à cette ère de tyrannie qui était à l’origine de tous mes malheurs. Cela faisait maintenant presque deux années que la situation s’arrangeait sur tous les plans pour l’île, cependant Hypérion, un homme en grande partie responsable du mouvement contestataire à l’époque, et surtout en contact avec l’Armée Révolutionnaire, nous a récemment contacté suite à une crainte plus que fondée.
Sa demande était aussi claire que mystérieuse, il avait besoin d’aide au plus vite et l’avenir de l’île en dépendait. Nous avions donc été dépêchés avec plusieurs sous-marins afin d'intervenir. La première étape était désormais de débarquer sur l’île sans faire de vagues et de prendre contact avec l’homme. Profitant d’un angle mort dans une falaise de l’île, notre sous-marin émergea de la mer salée, nous déployant une simple barque pour rejoindre le port de Rosetta. Là-bas débarquent habituellement un grand nombre de bateaux marchands et touristiques et c’est aussi l’endroit le plus proche de notre point de rassemblement.
J’avais tout de même pris la peine de me couvrir d’une cape, dissimulant mon visage. Sûrement une vieille crainte d’être reconnue alors que j’avais été chassée de l’île avec des menottes aux poignets. Sur mon dos se trouvait un sac contenant mes prothèses mécaniques, je craignais toujours de perdre mes nouveaux bras en bois dans un accident quelconque. Mes pieds foulaient à nouveau cette terre au parfum si délicat. C'était comme dans mes souvenirs, la garde des ronces en moins. Ces brutes de la milice avaient dû déguerpir en même temps que le retour du Roi et ce n'est pas le peuple qui allait les regretter.
Malgré les années, je me revoyais sans difficulté en train d'arpenter les pavés de la ville, cherchant le meilleur endroit pour avoir un éclairage parfait, ou simplement pour trouver le plus beau paysage en longeant les falaises. Je fis signe de me suivre à mes collègues, tentant de me fondre dans la foule et le décor. Puis après quelques minutes, je finis par réaliser que les tensions habituelles de l'endroit semblaient apaisées, les gens vaquaient avec le sourire et les marins s'occupaient de décharger leurs garnisons. J'en vins à soulever ma capuche, me sentant plus que jamais chez moi, alors que je dirigeais le groupe vers notre première étape.
“- Bon, tout d’abord il nous faut nous aventurer dans la forêt de Rosetta… J’ai eu quelques instructions pour trouver l’endroit voulu, mais je n’ai moi-même jamais mis les pieds au-delà des pavés dorés qui forment un sentier. Je ne sais honnêtement pas à quel point les légendes qui entourent l’endroit sont véridiques alors restez sur vos gardes, il paraît que des esprits habitent les endroits dépourvus de toute lumière… Qui veut ouvrir la voie ?” me retournai-je vers mes deux compagnons, n’ayant pas particulièrement envie d’être la cible des créatures inconnues de l’endroit. “Promis je vous guiderai, de derrière…” tentai-je de les rassurer alors que nous apercevions au loin les premiers champignons luminescents de la forêt.
L'heure de couper les ronces
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