Gustav von Falingen était de mauvaise humeur, et c’était communicatif, à en juger par la mine de ses subordonnés. Il y avait de quoi, ceci dit : la 28ème Flotte Mobile, par définition, n’était pas rattachée à une base particulière ou à un itinéraire de patrouille régulier. Sa fonction était de pouvoir rapidement être déployée n’importe où selon les besoins en hommes et en navires de la Marine. Le reste du temps, elle était censée patrouiller en choisissant ses propres itinéraires irréguliers, de façon à être moins prévisible pour ses cibles. Ça c’était la théorie, mais dans la pratique, certains hauts-gradés traitaient les Flottes Mobiles comme des espèces de flottes à tout faire, auxquelles ils refilaient les affectations dont personne d’autre ne voulait.
Dans le cas présent, cela voulait dire servir d’escorte à un luxueux bateau de plaisance affrété par une coterie de nobles de West Blue. Le Commodore n’appréciait déjà pas cet abus de pouvoir de la part d’aristocrates suffisamment riches pour pouvoir facilement engager leur propre sécurité privée, sans détourner des ressources de la Marine qui seraient mieux employées ailleurs. Il appréciait encore moins que cette bande d’écervelés consanguins aie choisi de poursuivre sa croisière jusque sur la Route de Tous les Périls. N’avaient-ils donc aucun instinct de survie, ou se croyaient-ils si importants que rien ne pouvait leur arriver ?!
Et comme si ce n’était pas suffisant, après des semaines de frustration, ils avaient décidé de mettre la cerise sur le gâteau en allant faire une virée à Water Seven. Water Seven ! Cette foutue île flottante lui sortait par les yeux ! Si ça ne tenait qu’à lui, ce repaire de vermines écoperait d’un bon Buster Call bien senti, et tous ses charpentiers de navires seraient pendus aux mâts de leurs propres créations ! « Le libre marché », quelle mauvaise blague… Commercer avec des pirates n’était peut-être pas un crime, mais la vente de vaisseaux et d’armes – ce qui était plus ou moins la même chose dans le cas d’un bateau équipé de canons – devrait être une exception à ce principe. La Galley-La Company savait pertinemment ce que ses clients comptaient faire des bâtiments construits dans ses chantiers navals ; rien ne servait de plaider l’ignorance, elle était complice de leurs méfaits. Hélas, le haut commandement avait déterminé qu’un assaut dans les règles serait trop coûteux en vie comme en matériel, en plus des autres répercussions négatives qu’aurait une telle action, aussi étaient-ils forcés de tolérer la présence de cet abcès purulent qui défiait leur autorité.
Desserrant péniblement les dents, l’officier supérieur cessa de tenter de détruire la détestable ville à la seule force de son regard, et se tourna plutôt vers ses subordonnés. Avec un profond soupir, il les désigna les uns après les autres et leur donna leurs ordres.
« Hauptmann, Meng, prenez vos hommes avec vous, vous accompagnerez les mioches. Le marquis de Callioste a prévu une excursion pour eux, pendant que les adultes iront dans des lieux de divertissement plus appropriés à leur âge. »
Façon polie de dire qu’une bonne partie d’entre eux iraient soit visiter les courtisanes les plus en vue de l’île, soit dans les casinos, et qu’ils n’avaient pas envie d’avoir leur progéniture dans les pattes. À la place, ce serait à leurs domestiques et à ses pauvres Marines qui n’avaient certainement pas signé pour ça de s’occuper d’un ramassis de sales morveux pourris-gâtés. Joie.
Résignés à leur sort, les soldats en question saluèrent avec un professionnalisme des plus louables, et il leur rendit leur salut. Puissent-ils revenir avec leur santé mentale intacte. Quant à lui, il était temps qu’il se mette en quête d’une bonne bouteille…
Water Seven aurait dû être un paradis. La beauté de l’architecture, la fontaine géante surplombant la ville, les canaux, les Yagaras, les costumes colorés et la profusion de mets exotiques… autant d’éléments qui offraient d’ordinaire une inexpérience inoubliable aux touristes. Zhihao, cependant, n’était pas là pour le plaisir. Non, sa mission était de protéger une bande de gosses capricieux, d’autant plus insupportables qu’ils étaient convaincus que leur argent ainsi que leur statut social les rendaient meilleurs que tout le monde. Ils avaient encore moins de respect pour les soldats chargés de garantir leur sécurité que pour leurs serviteurs, et la femme-poisson en particulier était une cible toute trouvée pour leur mépris. Les filles dénigraient son apparence et ses manières – pourtant parfaites, le Commodore s’étant assuré que ses subalternes sachent interagir avec la haute société sans se couvrir de ridicule –, tandis que les garçons avaient recours à des commentaires racistes plus crus, qu’ils répétaient sans doute après les avoir entendus de la bouche de leurs parents, et les plus âgés allaient jusqu’à émettre des propos graveleux.
La kanokunienne se considérait comme quelqu’un de très patient, capable d’ignorer ce genre de paroles, mais le voyage avait mis ladite patience à rude épreuve, et les heures écoulées depuis leur débarquement n’avaient rien arrangé. Ajoutez à cela le fait qu’elle était incapable d’apprécier l’ambiance de la ville en sachant qu’elle devait une grande partie de sa prospérité à l’argent sale d’innombrables équipages pirates, plus celui que les flibustiers en question semblaient s’être donné le mot, plusieurs d’entre eux étant venus narguer les Marines tout au long de la journée en profitant de la neutralité de l’île, et elle avait vraiment envie de retourner se coucher. C’était toujours mieux que le caporal qui ne plaisantait qu’à moitié en demandant si elle ne pouvait pas attraper l’un des mioches, puis lui plonger la tête dans un canal jusqu’à ce qu’il arrête de faire des bulles, ou les soldats qui avaient de plus en plus de mal à se retenir de répondre aux provocations des pirates.
« Calmez-vous, nous sommes presque arrivés. » les admonesta-t-elle. Il était hors de question de faire du mal aux enfants, aussi énervants soient-ils, et s’il fallait se battre avec les écumeurs, ce serait uniquement si ces derniers attaquaient en premier. Elle n’aimait pas céder l’initiative aux ennemis de la Justice, mais elle n’avait guère le choix : les Marines n’étaient pas chez eux ici, et les autorités locales ne prendraient leur parti que s’ils agissaient en état de légitime défense.
Heureusement, leur destination était toute proche, et ils n’écopèrent que de quelques moqueries supplémentaires – celles-ci demandant si la Marine avait ouvert une garderie – avant que leur King Bull ne s’arrête devant le célèbre Temple de la Magie, un établissement assez récent mais qui n’avait pas tardé à se tailler une réputation dans le milieu du divertissement de Water Seven. Les enfants y avaient rendez-vous pour assister à un spectacle de magie, après avoir passé la journée à faire le tour des grands sites touristiques de l’île. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’ils se comporteraient mieux dans ce cadre à la clientèle distinguée...
Dans le cas présent, cela voulait dire servir d’escorte à un luxueux bateau de plaisance affrété par une coterie de nobles de West Blue. Le Commodore n’appréciait déjà pas cet abus de pouvoir de la part d’aristocrates suffisamment riches pour pouvoir facilement engager leur propre sécurité privée, sans détourner des ressources de la Marine qui seraient mieux employées ailleurs. Il appréciait encore moins que cette bande d’écervelés consanguins aie choisi de poursuivre sa croisière jusque sur la Route de Tous les Périls. N’avaient-ils donc aucun instinct de survie, ou se croyaient-ils si importants que rien ne pouvait leur arriver ?!
Et comme si ce n’était pas suffisant, après des semaines de frustration, ils avaient décidé de mettre la cerise sur le gâteau en allant faire une virée à Water Seven. Water Seven ! Cette foutue île flottante lui sortait par les yeux ! Si ça ne tenait qu’à lui, ce repaire de vermines écoperait d’un bon Buster Call bien senti, et tous ses charpentiers de navires seraient pendus aux mâts de leurs propres créations ! « Le libre marché », quelle mauvaise blague… Commercer avec des pirates n’était peut-être pas un crime, mais la vente de vaisseaux et d’armes – ce qui était plus ou moins la même chose dans le cas d’un bateau équipé de canons – devrait être une exception à ce principe. La Galley-La Company savait pertinemment ce que ses clients comptaient faire des bâtiments construits dans ses chantiers navals ; rien ne servait de plaider l’ignorance, elle était complice de leurs méfaits. Hélas, le haut commandement avait déterminé qu’un assaut dans les règles serait trop coûteux en vie comme en matériel, en plus des autres répercussions négatives qu’aurait une telle action, aussi étaient-ils forcés de tolérer la présence de cet abcès purulent qui défiait leur autorité.
Desserrant péniblement les dents, l’officier supérieur cessa de tenter de détruire la détestable ville à la seule force de son regard, et se tourna plutôt vers ses subordonnés. Avec un profond soupir, il les désigna les uns après les autres et leur donna leurs ordres.
« Hauptmann, Meng, prenez vos hommes avec vous, vous accompagnerez les mioches. Le marquis de Callioste a prévu une excursion pour eux, pendant que les adultes iront dans des lieux de divertissement plus appropriés à leur âge. »
Façon polie de dire qu’une bonne partie d’entre eux iraient soit visiter les courtisanes les plus en vue de l’île, soit dans les casinos, et qu’ils n’avaient pas envie d’avoir leur progéniture dans les pattes. À la place, ce serait à leurs domestiques et à ses pauvres Marines qui n’avaient certainement pas signé pour ça de s’occuper d’un ramassis de sales morveux pourris-gâtés. Joie.
Résignés à leur sort, les soldats en question saluèrent avec un professionnalisme des plus louables, et il leur rendit leur salut. Puissent-ils revenir avec leur santé mentale intacte. Quant à lui, il était temps qu’il se mette en quête d’une bonne bouteille…
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Water Seven aurait dû être un paradis. La beauté de l’architecture, la fontaine géante surplombant la ville, les canaux, les Yagaras, les costumes colorés et la profusion de mets exotiques… autant d’éléments qui offraient d’ordinaire une inexpérience inoubliable aux touristes. Zhihao, cependant, n’était pas là pour le plaisir. Non, sa mission était de protéger une bande de gosses capricieux, d’autant plus insupportables qu’ils étaient convaincus que leur argent ainsi que leur statut social les rendaient meilleurs que tout le monde. Ils avaient encore moins de respect pour les soldats chargés de garantir leur sécurité que pour leurs serviteurs, et la femme-poisson en particulier était une cible toute trouvée pour leur mépris. Les filles dénigraient son apparence et ses manières – pourtant parfaites, le Commodore s’étant assuré que ses subalternes sachent interagir avec la haute société sans se couvrir de ridicule –, tandis que les garçons avaient recours à des commentaires racistes plus crus, qu’ils répétaient sans doute après les avoir entendus de la bouche de leurs parents, et les plus âgés allaient jusqu’à émettre des propos graveleux.
La kanokunienne se considérait comme quelqu’un de très patient, capable d’ignorer ce genre de paroles, mais le voyage avait mis ladite patience à rude épreuve, et les heures écoulées depuis leur débarquement n’avaient rien arrangé. Ajoutez à cela le fait qu’elle était incapable d’apprécier l’ambiance de la ville en sachant qu’elle devait une grande partie de sa prospérité à l’argent sale d’innombrables équipages pirates, plus celui que les flibustiers en question semblaient s’être donné le mot, plusieurs d’entre eux étant venus narguer les Marines tout au long de la journée en profitant de la neutralité de l’île, et elle avait vraiment envie de retourner se coucher. C’était toujours mieux que le caporal qui ne plaisantait qu’à moitié en demandant si elle ne pouvait pas attraper l’un des mioches, puis lui plonger la tête dans un canal jusqu’à ce qu’il arrête de faire des bulles, ou les soldats qui avaient de plus en plus de mal à se retenir de répondre aux provocations des pirates.
« Calmez-vous, nous sommes presque arrivés. » les admonesta-t-elle. Il était hors de question de faire du mal aux enfants, aussi énervants soient-ils, et s’il fallait se battre avec les écumeurs, ce serait uniquement si ces derniers attaquaient en premier. Elle n’aimait pas céder l’initiative aux ennemis de la Justice, mais elle n’avait guère le choix : les Marines n’étaient pas chez eux ici, et les autorités locales ne prendraient leur parti que s’ils agissaient en état de légitime défense.
Heureusement, leur destination était toute proche, et ils n’écopèrent que de quelques moqueries supplémentaires – celles-ci demandant si la Marine avait ouvert une garderie – avant que leur King Bull ne s’arrête devant le célèbre Temple de la Magie, un établissement assez récent mais qui n’avait pas tardé à se tailler une réputation dans le milieu du divertissement de Water Seven. Les enfants y avaient rendez-vous pour assister à un spectacle de magie, après avoir passé la journée à faire le tour des grands sites touristiques de l’île. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’ils se comporteraient mieux dans ce cadre à la clientèle distinguée...