C'est temps d'agrandir la famille

- "Ilaya unirois ?" articulait Camillus devant un bout de papier.

Les deux mains maintenant l'objet, le dragon grimaçait devant les lettres qui se dessinaient dessus. Près de lui, Davinia avait pris place pour essayer de lui expliquer ce que tout cela pouvait signifier. Voilà un moment maintenant que l'équipage s'était mis en tête d'apprendre à lire à la bête. Un exercice bien plus compliqué qu'il n'y paraissait tant le temps de concentration de Camillius semblait court. Et il diminuait à chaque nouveau exercice.

- "VOILA, CA VEUT RIEN DIRE !"

Rageur, il se redressait violement en faisant valser la table au travers le pont. L'encre et le papier venaient tacher le sol devant l'air dépité des silencieux, balais en main, qui venait de finir de tout nettoyer. Mais heureusement pour Camillius, ils étaient bien trop effrayé par le dragon impulsif pour se rebiffer face à lui.

- "Lire ça sert à rien ! C'est juste fait pour frimer !"

Camillius venait mettre un coup de pied dans le mat du bateau, faisant trembler l'ouvrage et laissant s'envoler plusieurs oiseaux. Rapidement, Arondel couru pour poser ses deux mains contre la construction de bois comme pour la retenir devant le coup qui lui était infligé.

- "Non mais tu te calmes oui ! Tu vois bien que le bateau est pas en état de subir tes mouvements d'humeur."

Devant les réprimandes de la navigatrice, Camillius grondait, montrant les crocs. Pourtant, il ne répondait pas. Il n'en avait pas envie. Et s'il était visiblement agacé par la "lecture" il était surtout frustré de ne pas y arriver. Avec les long jours qu'il avait passé en mer au près de l'équipage des Erynies, il avait fini par comprendre que beaucoup le voyait comme un idiot hargneux. Une image qui ne lui plaisait pas du tout. Mais les efforts, c'était bien compliqué à fournir, surtout avec une patience aussi limité que la sienne. Et il était clair que le bateau avait morflé. Les silencieux avaient essayé de reboucher les trous laissaient par les canons de leur adversaire comme ils pouvaient mais cela n'était suffisant que pour atteindre l'île suivante. Heureusement pour eux, sur place, ils devraient pouvoir trouver quelqu'un pour réparer leur bâtiment, moyennant financement. Ce détail là aussi dérangeait le dragon.

Davinia soupira profondément, son regard posé sur Camillius qui, une fois de plus, laissait libre cours à sa frustration. Assise tranquillement, elle observait la scène d’un air las, comme si elle en avait déjà vu bien d’autres. Sans broncher, elle regarda la table voler à travers le pont, emportant avec elle encre, papier et crayons dans un chaos aérien. Pourtant, au dernier moment, elle tendit le bras, juste assez rapidement pour attraper sa tasse de thé préférée avant qu’elle ne subisse le même sort.

Sans lever un sourcil, ni quitter sa position, ses cheveux se mirent doucement en mouvement. Les longues mèches sombres s'étirèrent comme des serpents paresseux, s’enroulant autour des objets dispersés. Une mèche saisit la table renversée, une autre récupéra les papiers froissés, tandis qu’une troisième ramassait calmement l’encre et les crayons éparpillés. Davinia resta immobile sur sa chaise, buvant le liquide chaud coloré en récupérant méticuleusement chaque élément sans même sembler y prêter attention.

Elle secoua légèrement la tête, ses lèvres dessinant un léger sourire fatigué. La patience dont elle faisait preuve contrastait avec les tempêtes d’émotion qui traversaient Camillius. Tout en observant les mèches de ses cheveux remettre en ordre le capharnaüm. Davinia, d'une voix douce mais ferme, souffla pour calmer les esprits.

"La lecture n'est pas quelque chose de facile, Camillius. Prenons une pause. Je crois qu'il reste de la viande caramélisée que j'ai fait préparer pour toi. Va donc voire si tu ne peux pas en avoir un morceau."

Elle essayait d'apaiser son compagnon, sachant que la nourriture avait souvent un effet magique sur son humeur. Alors que Camillius grognait mais se dirigeait vers les entrailles du navire, attiré par la perspective du repas, Davinia laissa échapper un soupir, ses yeux glissant sur le bateau en piteux état. Le navire, autrefois fier, montrait désormais les cicatrices de leurs batailles récentes. Les Silencieux et Thorvald avaient fait ce qu'ils pouvaient pour réparer les dégâts, mais le bâtiment était fatigué. La vue du mât fragilisé et des réparations de fortune serra le cœur de Davinia, qui s'était profondément attachée à ce vaisseau. Ses pensées dérivèrent naturellement vers le charpentier, Thorvald, qui s'approcha en jetant un regard de travers à Camillius, inquiet.

"La petite dame n'a pas tort... On a eu de la chance avec le beau temps. Pas de tempête, rien de trop grave. Mais le bateau ne tiendra pas longtemps si ça change. Il faut vraiment qu’on fasse une escale et qu’on trouve des matériaux pour réparer."

Thorvald, le rouquin qui s’était porté volontaire pour rejoindre l’équipage afin de fuir Tanuki, croisa les bras sur sa poitrine, observant le mât qui se tenait debout par miracle. Davinia hocha la tête, songeuse, alors que Camillius disparaissait à la recherche de son encas.

"Je sais," répondit-elle, la voix empreinte de lassitude. "Nous allons nous arrêter à Inu Town et espérer que nous y trouverons ce qu’il faut pour les réparations. Il faut aussi refaire le plein de nourriture et de matériaux divers. La dernière bataille nous a coûté très cher."

Thorvald acquiesça.

"Je crois qu'il y a la Guilde des Usuriers sur place. Ils pourraient nous fournir des matériaux sans trop de problèmes."

Davinia réfléchit un instant avant de reprendre :

"Dès que nous arriverons au port, tu iras les voir. Arondel, tu pourras t'occuper de la liste de courses avec les Silencieux ? Et peut-être te renseigner sur ce qu'il se passe d'intéressant sur l'île. Bristass, si tu veux l’accompagner pour faire le plein de produits médicaux, ce sera le bon moment."
"Bien sûr, patronne," déclara Arondel avec enthousiasme.

Elle adorait ces sorties, Davinia lui laissant toujours quelques berrys supplémentaires pour qu’elle puisse s'offrir une petite récompense personnelle.

"Bjorn," ajouta Davinia, tournant son regard vers lui, "quand nous arriverons sur l'île, il faudra être subtil. Si je ne me trompe pas, il y a une garnison de la marine sur place. Alors, évitons de faire des vagues pendant les réparations. Et il va falloir occuper Camillius..."

Elle laissa sa phrase en suspens, sachant que gérer la frustration du dragon serait l'un de leurs plus grands défis une fois à terre.

Si l'équipage avait bien morflé dans leur dernières aventures, c'était désormais au pauvre bateau des Trois-Grâces de naviguer sur les mers avec un bras dans le plâtre. L'embarcation nous avait bien servi et il m'était compliqué d'imaginer continuer notre aventure sans sa fidèle compagnie.

"- C'est compris Davinia, je vais faire au mieux pour canaliser le dragon, mais tu sais comme il peut se montrer impulsif... Il faudrait inventer un dispositif pour empêcher ces bêtes là de mordre les gens." finis-je en rigolant avec ma capitaine tandis que le concerné finissait de brûler son parchemin en crachant des gerbes enflammées dans les airs. "Je le ferai bien courir après un de mes gants mais je ne suis pas sûr que ça soit l'occupation la plus discrète..."

Après avoir vogué sous la bonne étoile de North Blue, nous finîmes par arriver à Inu Town sans rencontrer d'obstacles pouvant mettre en danger notre navire, si nous ne comptions pas Camillius comme l'un de ces obstacles évidemment. Après un bras de fer remporté, non sans l'assistance de Bob qui était venu bavé sur les pieds du trois-yeux draconique, ce dernier avait fini par accepter de porter la cape que je lui tendais et il enfila sa capuche.

"- Si mes souvenirs sont bons, la guilde des usuriers devrait se trouver sur cette côte de l'île, pas loin du port." annonça Thorvald.

"- Arondel ! Cap vers la côte !" criai-je à Arondel en lui montrant du doigt l'endroit voulu.

La navigatrice acquiesça et la caravelle s'orienta vers les embarcations en bois qui s'avançaient dans la mer et auxquelles étaient déjà accostés un bon nombre de bateaux. Les bruits de craquement qui résonnaient alors que notre navire manœuvrait était un indicateur inquiétant de l'urgence de la situation.

Le bateau finit par accoster en bonne et due forme grâce à l'expérience d'Arondel et des Silencieux et je sentais que Camillius était déjà sur les nerfs de devoir cacher son visage.

"- Tu veux qu'on aille se balader ? Je suis sûr qu'on peut trouver des boutiques sympas." tentai-je de lui remonter le moral. "On vous laisse gérer les réparations Davinia et Thorvald, on va faire un tour !" indiquai-je à notre capitaine alors que je m'éloignais en poussant gentiment le dragon par les épaules pour ne pas lui laisser le choix de m'accompagner.

- “Non mais tu m’as pris pour un chien ? Ou une femelle ? T’as cru que je faisais du shopping de type vestimentaire ?!”
- “Hein ?”
- “Je sais pas, je dis n’importe quoi. Je suis énervé !”

Et Camillius finissait par avancer tout de même, non sans ronger la fin d’un morceau de viande nervuré et caoutchouteux comme un os à mâcher. Il savait bien que son discours était dissonant, mais Davinia et Bjorn l'avaient toujours traité comme un animal instable. Et si au début, il s’était persuadé qu’il s’en moquait, cela lui serrait le cœur à chaque fois qu’on le traitait comme un simple toutou colérique. Alors il ronchonnait dans son coin en marchant dans les rues, secondé par le gris. Et au bout de plusieurs minutes, quelque chose attira son attention.

- “Regarde ça ! C’est elle. La saleté qui m’a volé mes Allods !”

Camillius avait arraché d’un geste vif une affiche d’un mur de prime posté à quelques rues de la garnison marine. Il avait tracé à l’endroit, sans regarder autour de lui lorsqu’il avait aperçu ce visage familier au loin. Il ne savait pas lire, mais il avait une bonne vue et se souvenait aisément des visages. Surtout des gens qu’il n’aimait pas. Et celui de la fameuse Izya, on lui avait déjà montré sur une affiche de prime il y a de cela quelques années.

- “Tiens regarde, y’a Davinia.” ajoutait Bjorn en tendant le bras pour attraper une affiche plus basse et à moitié recouverte par d’autres aux montants plus importants.

Le regard de Camillius se tournait alors vers le mur de prime, et si ses yeux ne s’arrêtaient pas sur les autres montants astronomiques des plus grands pirates de ces mers, c'était parce qu’il se cherchait lui, avant tout. Mais il ne trouva que :

- “Toi t’es là.”

Le draconique arracha alors l’affiche pour la tendre à Bjorn et le laisser lire le montant :

- “24 500 000 Berries. C’est beaucoup non ?”

Camillius haussait les épaules. Pour les deux garçons de l’équipage, un sauvage et une bête, l’argent avait une valeur bien relative. Pour le dragon, cela s’estimait plus à la taille du tas que les pièces faisaient qu’à un chiffre particulièrement flou.

- “Davinia est à 28 000 000.”
- “Et moi ?”

Les deux membres des Erynies dressaient la tête pour chercher l’affiche de prime de Camillius. Les deux étaient sûrement impatients de se mesurer l’un l’autre dans une guerre d’égo.

- “Ah t’es là. 12 000 000.”
- “C’est plus ou moins que vous ?”
- “C’est bien moins.”
- “Comment ça se fait ?!”

Camillius attrapait avec rage l’affiche que tenait Bjorn, lui arrachant des mains sans prévenir. Il regardait l’objet sans le comprendre mais la rage et la colère montaient en lui. Dressant la tête, il vit au-dessus de l’épaule de Bjorn une patrouille marine au fond de la rue voisine. Un sourire satisfait se dessinait sur son visage.

- “Je vais corriger ça tout de suite.”