C'est temps d'agrandir la famille

- "Ilaya unirois ?" articulait Camillus devant un bout de papier.

Les deux mains maintenant l'objet, le dragon grimaçait devant les lettres qui se dessinaient dessus. Près de lui, Davinia avait pris place pour essayer de lui expliquer ce que tout cela pouvait signifier. Voilà un moment maintenant que l'équipage s'était mis en tête d'apprendre à lire à la bête. Un exercice bien plus compliqué qu'il n'y paraissait tant le temps de concentration de Camillius semblait court. Et il diminuait à chaque nouveau exercice.

- "VOILA, CA VEUT RIEN DIRE !"

Rageur, il se redressait violement en faisant valser la table au travers le pont. L'encre et le papier venaient tacher le sol devant l'air dépité des silencieux, balais en main, qui venait de finir de tout nettoyer. Mais heureusement pour Camillius, ils étaient bien trop effrayé par le dragon impulsif pour se rebiffer face à lui.

- "Lire ça sert à rien ! C'est juste fait pour frimer !"

Camillius venait mettre un coup de pied dans le mat du bateau, faisant trembler l'ouvrage et laissant s'envoler plusieurs oiseaux. Rapidement, Arondel couru pour poser ses deux mains contre la construction de bois comme pour la retenir devant le coup qui lui était infligé.

- "Non mais tu te calmes oui ! Tu vois bien que le bateau est pas en état de subir tes mouvements d'humeur."

Devant les réprimandes de la navigatrice, Camillius grondait, montrant les crocs. Pourtant, il ne répondait pas. Il n'en avait pas envie. Et s'il était visiblement agacé par la "lecture" il était surtout frustré de ne pas y arriver. Avec les long jours qu'il avait passé en mer au près de l'équipage des Erynies, il avait fini par comprendre que beaucoup le voyait comme un idiot hargneux. Une image qui ne lui plaisait pas du tout. Mais les efforts, c'était bien compliqué à fournir, surtout avec une patience aussi limité que la sienne. Et il était clair que le bateau avait morflé. Les silencieux avaient essayé de reboucher les trous laissaient par les canons de leur adversaire comme ils pouvaient mais cela n'était suffisant que pour atteindre l'île suivante. Heureusement pour eux, sur place, ils devraient pouvoir trouver quelqu'un pour réparer leur bâtiment, moyennant financement. Ce détail là aussi dérangeait le dragon.

Davinia soupira profondément, son regard posé sur Camillius qui, une fois de plus, laissait libre cours à sa frustration. Assise tranquillement, elle observait la scène d’un air las, comme si elle en avait déjà vu bien d’autres. Sans broncher, elle regarda la table voler à travers le pont, emportant avec elle encre, papier et crayons dans un chaos aérien. Pourtant, au dernier moment, elle tendit le bras, juste assez rapidement pour attraper sa tasse de thé préférée avant qu’elle ne subisse le même sort.

Sans lever un sourcil, ni quitter sa position, ses cheveux se mirent doucement en mouvement. Les longues mèches sombres s'étirèrent comme des serpents paresseux, s’enroulant autour des objets dispersés. Une mèche saisit la table renversée, une autre récupéra les papiers froissés, tandis qu’une troisième ramassait calmement l’encre et les crayons éparpillés. Davinia resta immobile sur sa chaise, buvant le liquide chaud coloré en récupérant méticuleusement chaque élément sans même sembler y prêter attention.

Elle secoua légèrement la tête, ses lèvres dessinant un léger sourire fatigué. La patience dont elle faisait preuve contrastait avec les tempêtes d’émotion qui traversaient Camillius. Tout en observant les mèches de ses cheveux remettre en ordre le capharnaüm. Davinia, d'une voix douce mais ferme, souffla pour calmer les esprits.

"La lecture n'est pas quelque chose de facile, Camillius. Prenons une pause. Je crois qu'il reste de la viande caramélisée que j'ai fait préparer pour toi. Va donc voire si tu ne peux pas en avoir un morceau."

Elle essayait d'apaiser son compagnon, sachant que la nourriture avait souvent un effet magique sur son humeur. Alors que Camillius grognait mais se dirigeait vers les entrailles du navire, attiré par la perspective du repas, Davinia laissa échapper un soupir, ses yeux glissant sur le bateau en piteux état. Le navire, autrefois fier, montrait désormais les cicatrices de leurs batailles récentes. Les Silencieux et Thorvald avaient fait ce qu'ils pouvaient pour réparer les dégâts, mais le bâtiment était fatigué. La vue du mât fragilisé et des réparations de fortune serra le cœur de Davinia, qui s'était profondément attachée à ce vaisseau. Ses pensées dérivèrent naturellement vers le charpentier, Thorvald, qui s'approcha en jetant un regard de travers à Camillius, inquiet.

"La petite dame n'a pas tort... On a eu de la chance avec le beau temps. Pas de tempête, rien de trop grave. Mais le bateau ne tiendra pas longtemps si ça change. Il faut vraiment qu’on fasse une escale et qu’on trouve des matériaux pour réparer."

Thorvald, le rouquin qui s’était porté volontaire pour rejoindre l’équipage afin de fuir Tanuki, croisa les bras sur sa poitrine, observant le mât qui se tenait debout par miracle. Davinia hocha la tête, songeuse, alors que Camillius disparaissait à la recherche de son encas.

"Je sais," répondit-elle, la voix empreinte de lassitude. "Nous allons nous arrêter à Inu Town et espérer que nous y trouverons ce qu’il faut pour les réparations. Il faut aussi refaire le plein de nourriture et de matériaux divers. La dernière bataille nous a coûté très cher."

Thorvald acquiesça.

"Je crois qu'il y a la Guilde des Usuriers sur place. Ils pourraient nous fournir des matériaux sans trop de problèmes."

Davinia réfléchit un instant avant de reprendre :

"Dès que nous arriverons au port, tu iras les voir. Arondel, tu pourras t'occuper de la liste de courses avec les Silencieux ? Et peut-être te renseigner sur ce qu'il se passe d'intéressant sur l'île. Bristass, si tu veux l’accompagner pour faire le plein de produits médicaux, ce sera le bon moment."
"Bien sûr, patronne," déclara Arondel avec enthousiasme.

Elle adorait ces sorties, Davinia lui laissant toujours quelques berrys supplémentaires pour qu’elle puisse s'offrir une petite récompense personnelle.

"Bjorn," ajouta Davinia, tournant son regard vers lui, "quand nous arriverons sur l'île, il faudra être subtil. Si je ne me trompe pas, il y a une garnison de la marine sur place. Alors, évitons de faire des vagues pendant les réparations. Et il va falloir occuper Camillius..."

Elle laissa sa phrase en suspens, sachant que gérer la frustration du dragon serait l'un de leurs plus grands défis une fois à terre.

Si l'équipage avait bien morflé dans leur dernières aventures, c'était désormais au pauvre bateau des Trois-Grâces de naviguer sur les mers avec un bras dans le plâtre. L'embarcation nous avait bien servi et il m'était compliqué d'imaginer continuer notre aventure sans sa fidèle compagnie.

"- C'est compris Davinia, je vais faire au mieux pour canaliser le dragon, mais tu sais comme il peut se montrer impulsif... Il faudrait inventer un dispositif pour empêcher ces bêtes là de mordre les gens." finis-je en rigolant avec ma capitaine tandis que le concerné finissait de brûler son parchemin en crachant des gerbes enflammées dans les airs. "Je le ferai bien courir après un de mes gants mais je ne suis pas sûr que ça soit l'occupation la plus discrète..."

Après avoir vogué sous la bonne étoile de North Blue, nous finîmes par arriver à Inu Town sans rencontrer d'obstacles pouvant mettre en danger notre navire, si nous ne comptions pas Camillius comme l'un de ces obstacles évidemment. Après un bras de fer remporté, non sans l'assistance de Bob qui était venu bavé sur les pieds du trois-yeux draconique, ce dernier avait fini par accepter de porter la cape que je lui tendais et il enfila sa capuche.

"- Si mes souvenirs sont bons, la guilde des usuriers devrait se trouver sur cette côte de l'île, pas loin du port." annonça Thorvald.

"- Arondel ! Cap vers la côte !" criai-je à Arondel en lui montrant du doigt l'endroit voulu.

La navigatrice acquiesça et la caravelle s'orienta vers les embarcations en bois qui s'avançaient dans la mer et auxquelles étaient déjà accostés un bon nombre de bateaux. Les bruits de craquement qui résonnaient alors que notre navire manœuvrait était un indicateur inquiétant de l'urgence de la situation.

Le bateau finit par accoster en bonne et due forme grâce à l'expérience d'Arondel et des Silencieux et je sentais que Camillius était déjà sur les nerfs de devoir cacher son visage.

"- Tu veux qu'on aille se balader ? Je suis sûr qu'on peut trouver des boutiques sympas." tentai-je de lui remonter le moral. "On vous laisse gérer les réparations Davinia et Thorvald, on va faire un tour !" indiquai-je à notre capitaine alors que je m'éloignais en poussant gentiment le dragon par les épaules pour ne pas lui laisser le choix de m'accompagner.

- “Non mais tu m’as pris pour un chien ? Ou une femelle ? T’as cru que je faisais du shopping de type vestimentaire ?!”
- “Hein ?”
- “Je sais pas, je dis n’importe quoi. Je suis énervé !”

Et Camillius finissait par avancer tout de même, non sans ronger la fin d’un morceau de viande nervuré et caoutchouteux comme un os à mâcher. Il savait bien que son discours était dissonant, mais Davinia et Bjorn l'avaient toujours traité comme un animal instable. Et si au début, il s’était persuadé qu’il s’en moquait, cela lui serrait le cœur à chaque fois qu’on le traitait comme un simple toutou colérique. Alors il ronchonnait dans son coin en marchant dans les rues, secondé par le gris. Et au bout de plusieurs minutes, quelque chose attira son attention.

- “Regarde ça ! C’est elle. La saleté qui m’a volé mes Allods !”

Camillius avait arraché d’un geste vif une affiche d’un mur de prime posté à quelques rues de la garnison marine. Il avait tracé à l’endroit, sans regarder autour de lui lorsqu’il avait aperçu ce visage familier au loin. Il ne savait pas lire, mais il avait une bonne vue et se souvenait aisément des visages. Surtout des gens qu’il n’aimait pas. Et celui de la fameuse Izya, on lui avait déjà montré sur une affiche de prime il y a de cela quelques années.

- “Tiens regarde, y’a Davinia.” ajoutait Bjorn en tendant le bras pour attraper une affiche plus basse et à moitié recouverte par d’autres aux montants plus importants.

Le regard de Camillius se tournait alors vers le mur de prime, et si ses yeux ne s’arrêtaient pas sur les autres montants astronomiques des plus grands pirates de ces mers, c'était parce qu’il se cherchait lui, avant tout. Mais il ne trouva que :

- “Toi t’es là.”

Le draconique arracha alors l’affiche pour la tendre à Bjorn et le laisser lire le montant :

- “24 500 000 Berries. C’est beaucoup non ?”

Camillius haussait les épaules. Pour les deux garçons de l’équipage, un sauvage et une bête, l’argent avait une valeur bien relative. Pour le dragon, cela s’estimait plus à la taille du tas que les pièces faisaient qu’à un chiffre particulièrement flou.

- “Davinia est à 28 000 000.”
- “Et moi ?”

Les deux membres des Erynies dressaient la tête pour chercher l’affiche de prime de Camillius. Les deux étaient sûrement impatients de se mesurer l’un l’autre dans une guerre d’égo.

- “Ah t’es là. 12 000 000.”
- “C’est plus ou moins que vous ?”
- “C’est bien moins.”
- “Comment ça se fait ?!”

Camillius attrapait avec rage l’affiche que tenait Bjorn, lui arrachant des mains sans prévenir. Il regardait l’objet sans le comprendre mais la rage et la colère montaient en lui. Dressant la tête, il vit au-dessus de l’épaule de Bjorn une patrouille marine au fond de la rue voisine. Un sourire satisfait se dessinait sur son visage.

- “Je vais corriger ça tout de suite.”

Alors que la clameur de la ville grandissait autour d'eux, Davinia et Thorvald marchaient en silence, leur route les menant à travers les ruelles pavées d'Inu Town. L'air marin se mélangeait aux parfums des échoppes locales, créant une atmosphère à la fois animée et pesante. Le groupe s’était dispersé, laissant Davinia et Thorvald à leurs propres réflexions, tandis que les autres s'occupaient de leurs missions respectives. Davinia rompit le silence après un moment, ses yeux scrutant les bâtiments, mais son esprit restant concentré sur leur situation. Le visage cacher derrière un large chapeau sombre, elle s’exprima.

"Thorvald," commença-t-elle d'une voix calme. "Dis-moi, à quoi devons-nous nous attendre en termes de temps pour les réparations du bateau ?"

Le charpentier aux cheveux roux ne perdit pas de temps pour réfléchir. Il regarda droit devant lui, ses pensées déjà tournées vers les matériaux et les outils dont ils auraient besoin.

"Honnêtement, patronne, vu l’état du navire, on en a pour plusieurs jours, peut-être une semaine si on s’y met sérieusement. Les dégâts des canons ne sont pas beaux à voir. Faudrait changer pas mal de pièces de la coque, et renforcer le mât principal. Les cordages aussi... bref, du travail."

Davinia hocha lentement la tête, mesurant l’ampleur de la tâche. Puis, elle aborda la question la plus critique.

"Et côté finances ?"

Thorvald expira longuement, passant une main dans sa barbe naissante, le geste lui fit réaliser qu’il devait se raser prochainement.

"Ça va pas être bon marché, c’est sûr. Les Usuriers ne sont pas connus pour leur générosité. Ils pourraient nous facturer jusqu’à deux mille berrys, peut-être plus si on prend tout ce qu’il faut pour remettre le bateau d'aplomb. Le bois de qualité, les outils... tout a un prix ici."

Un soupir traversa les lèvres de Davinia, mais elle ne se laissa pas démonter. Ce n'était pas une surprise, mais entendre un montant plus précis n’était jamais agréable. Elle observa les allées et venues des gens autour d'eux, son esprit calculant déjà les alternatives.

"Nous avons de quoi couvrir ça pour le moment, mais il va falloir renflouer nos caisses rapidement."

Thorvald acquiesça gravement, sachant que la situation financière de l’équipage n’était pas des plus florissantes après leurs récents affrontements et qu’il le serait encore moins après tous les frais.

"Si on est chanceux, peut-être qu’on peut marchander un peu avec eux. Ça nous permettrait d’alléger la facture, mais je te garantis rien."

Davinia réfléchit un instant, avant de soupirer.

"Marchander… Je pense qu’on pourrait leur offrir quelque chose en échange… Voyons comment les choses se déroulent une fois sur place."

Thorvald sourit, appréciant le pragmatisme de sa capitaine.

"Je suis pas inquiet, j’ai beaucoup entendu parler de vous avec Arondel."

Ils débouchèrent finalement sur une rue plus large, et devant eux s’élevait un bâtiment massif, presque camouflé parmi une série d’épaves réaménagées en ateliers et entrepôts. Des morceaux de navires brisés servaient de murs, de toits, et même de décorations, donnant à l'endroit un air à la fois authentique et désordonné. Une pancarte en bois vieilli, gravée de grosses lettres, trônait au-dessus de la porte le nom du lieu. Thorvald, un large sourire aux lèvres, se tourna vers Davinia.

"Bienvenue chez les Usuriers."

Il s'inclina légèrement, tenant la porte pour elle avec un geste courtois. Davinia, qui appréciait ces petites attentions venant de Thorvald, hocha la tête et entra à l'intérieur.
L'intérieur était à la fois chaotique et fascinant. Des outils suspendus aux murs, des morceaux de navires éparpillés, des cartes maritimes aux coins brûlés accrochées çà et là. Le parfum de bois ancien et d’huile mécanique flottait dans l’air, créant une ambiance laborieuse et chargée de souvenirs marins.

"Ça a du caractère, je te l'accorde," murmura Davinia en observant l’espace.

- Trés content que ça vous plaise, je suis assez fier de ma décoration. Je suis Ernest, le patron de ce comptoir. Mais vous pouvez m'appeler Ernest.    

Dans le métier on a plus souvent affaire à la lie des loups de mers, couverts de cicatrices et exhibant avec joie les bouts qui leurs manquent et les moignons et prothèses qui les remplacent, qu'a des jolis petits lots comme ça. Même si, pour mignonne qu'elle soit, la demoiselle dégage un je ne sais quoi de perturbant et d'inquiétant qui la distingue de mes clients habituels...

Ses habits ne dénotent pas la pauvreté ou la misére, mais un certain gout pour l'efficacité et la discrétion, et ses armes semblent parfaitement a leur place et faire tout  fait corps avec elle, ce qui induit une certaine habitude, et probablement une certaine pratique.

Et pourtant, je suis sur qu'elle n'est pas d'ici et que je n'ai jamais entendu parler d'elle.

Intéressant. Cette visite sent les problèmes a plein nez, et qui dit problèmes dit opportunités.

Et la guilde adore saisir les opportunités.

- Qu'est ce qu'on peut faire pour votre service ? Besoin d'argent ? D'un navire ? De n'importe quoi ? Demandez, tout est à vendre ici.

Ernest se tenait devant eux, un sourire malicieux aux lèvres, ses yeux perçant glissant de Davinia à Thorvald, puis de nouveau sur elle. Sa voix était chaude, avec une pointe de vantardise bien dosée. Ses manières joviales étaient presque trop parfaites, mais Davinia ne put s’empêcher de remarquer l’ombre d’une curiosité inquiétante dans son regard. Il les détaillait avec soin, ses pensées presque palpables dans l’air. Davinia soutint son regard sans ciller, impassible. Elle savait ce qu’elle dégageait, et Ernest ne faisait que confirmer ce qu'elle savait déjà : ici, elle était une étrangère. Mais cela la plaçait en position de force. Thorvald, à ses côtés, se redressa légèrement, les bras croisés sur son torse, ses yeux naviguant sur chaque détail qui l’intéressait principalement.

Davinia le regarda fixement, jaugeant ses intentions. Le ton d’Ernest pouvait sembler amical, mais elle sentait qu’il s’amusait à prendre le contrôle de la conversation, essayant de sonder la profondeur de leurs intentions avant même qu’ils ne parlent. Davinia, impassible, laissa un court silence s’installer avant de répondre, mesurant ses mots avec soin.

"Notre navire a subi des dommages lors de notre dernier voyage. Nous avons besoin de réparations complètes et de matériaux. Du solide. Et rapidement." Elle croisa les bras et ajouta avec un sourire subtil. "Je suis certaine que la guilde saura nous offrir un arrangement avantageux. Nous avons berries et bras pour créer des opportunités intéressantes pour les deux parties."

Thorvald, chercha à se montrer un peu plus imposant à côté d'elle en se redressant et en croisaant les bras sur son torse, le regard fixé sur Ernest. L’expression ferme, il prit la parole d'une voix grave et assurée, comme s’il énonçait un simple fait, non une demande :

"On a aussi besoin d'un moyen d'avancement pour le passage du Calm Belt jusqu'à la Grande Ligne. Une créature ? Ou encore un système de propulsion suffisamment puissant pour notre caravelle. "

Il lança un bref regard à Davinia avant de poursuivre :

"Rien d’excessif, juste ce qu’il faut pour éviter de se faire rattraper et il nous faut une couche de peinture en granit marin pour la coque. "

La précision et la maîtrise avec lesquelles il formulait la requête trahissaient son expérience, un homme qui savait exactement de quoi il parlait.

- Je vois que j'ai affaire à un spécialiste. Bien, parlons de votre bateau...

Et comme a chaque fois qu'il s'agit de parler affaires, j'offre à boire. Comme dirait l'autre, montre moi comment tu tiens l'alcool et je saurais ce qu'il faut te faire boire pour te duper dans les grandes largeur ? Quelque chose comme ça en tout cas.

Fait rare, le dénommé Thorvald a même des plans du navire, et, il faut avouer que c'est un joli bateau, pas un modèle courant sur North ou l'on préfère les navires plus grossiers, plus pratiques, et plus aptes à encaisser des grosses tempêtes et des erreurs de navigation sans trop s'abimer. Mais pour un navire de course, et pour un équipage compétent, les voiles lattées sont bien meilleures sous la plupart des allures. Entre leur choix de s'adresser à la guilde et la demoiselle mystérieuse, il est clair que j'ai affaire à des gens habitués à naviguer en marge de la loi, contrebandiers , chasseurs de pirates, ou pirates...

Thorvald étant visiblement un charpentier tout à fait compétent, lister et évaluer le matériel nécessaire aux réparations de leur navire est un travail on ne peut plus facile. Quand au reste des demandes...

- Je peux commencer à vous faire livrer les pièces nécessaires à vos réparations dés demain. Tout ce qui est jeux de voiles, cordes, et réparations de pont ne pose aucun problème, j'ai tout le stock nécessaire en entrepôt. Pour le mat de remplacement par contre, il faudra quatre jours de plus. Je vous fais tout ça pour 5 millions de Berrys, la moitié payable d'avance, et pour ce prix la je vous offre le ravitaillement...

Quand au revêtement. Je ne vous cacherais pas qu'il s'agit de quelque chose de plus complexe. Le granit marin et son utilisation est un monopole de la marine. Obtenir une autorisation pour un navire civil est presque impossible, et le détourner est toujours risqué, et difficile...

Evidemment, nous sommes la guilde des Usuriers. Alors pour 70Millions de berrys, je vous offre la même sécurité sur Calm Belt que celle dont bénéficient les cuirassés de la marine...

Un prix tout a fait excessif, et qui, selon mes estimations, est assez proche de celui d'un navire neuf comme le leur. Une façon de s'assurer qu'ils ne commanderont pas quelque chose que je suis tout à fait incapable de leur fournir. Du revêtement en granit marin, pff... Alors qu'ils ont un navire à voiles, absurde.

- Quand à un nouveau système de propulsion. Ce sont des travaux important qui nécessitent un passage en cale sèche, et très souvent, une reconstruction d'une grande partie de la carène. Je peux vous conseiller d'excellent chantiers capable d'installer des roues à aubes ou des hélices. Mais Inu Town ne dispose pas de ce genre d'installations...

Et maintenant, on va voir ce qu'ils sont prêts à lâcher. Si j'ai bien mené mon affaire, ils vont payer l'avance sur les 5 millions, et grâce au mensonge sur la disponibilité du mat, seront à quai a portée de la main pour presque une semaine...

Alors que Thorvald s'était engagé dans des négociations plus techniques avec Ernest, Davinia profita de l'occasion pour observer discrètement le patron des Usuriers. Elle laissa son compagnon mener la discussion, sachant que son expertise en matière de réparations et de matériaux était bien plus approfondie que la sienne. Cela lui permettait de se concentrer sur l'analyse de leur interlocuteur.

Davinia s'attarda sur la gestuelle d'Ernest, notant la manière dont il se tenait derrière son comptoir, les bras croisés, un sourire confiant sur le visage. Ses vêtements étaient usés, mais il portait des pièces soigneusement choisies, révélant un goût pour le style qui contrastait avec la dureté de son environnement. *Un homme de la rue qui sait comment se présenter,* pensa-t-elle.

La voix d'Ernest, profonde et engageante, avait une certaine chaleur, mais Davinia décelait aussi une pointe de calcul. Il semblait s'amuser à jauger Thorvald, à évaluer jusqu'où il pouvait les pousser dans ses demandes. *Il essaie de tirer le maximum de bénéfices,* réalisa-t-elle. Ce genre de personnage était courant à Carcinomia, où elle avait grandi entourée de manipulateurs et de marchands rusés.

Davinia écoutait attentivement, enregistrant chaque mot prononcé par Thorvald et chaque réaction d'Ernest. Elle remarqua la façon dont les yeux d'Ernest brillaient lorsqu'il parlait de prix exorbitants, révélant son enthousiasme à l'idée de maximiser ses gains. *Il aime jouer avec le risque,* pensa-t-elle. Cela lui rappelait une ancienne alliée qui savait habilement manœuvrer dans les négociations, utilisant son charme pour obtenir ce qu'elle voulait.

"Écoutez, Ernest, je comprends que vous souhaitiez tirer le meilleur parti de cette transaction. Cependant, nous avons des limites, et je ne suis pas sûr que 70 millions de berrys pour un revêtement en granit marin soit raisonnable, même pour la sécurité que vous proposez." intervint Thorvald, ne laissant transparaître aucune hésitation.

Davinia profita de l’opportunité pour interjeter, son regard perçant fixé sur Ernest.

"Nous sommes conscients de la valeur de votre expertise, mais un bon marché repose sur la confiance et pour le moment vous ne me vendez pas ceci. Vous savez aussi bien que nous que les bons matériaux ne devraient pas coûter une fortune juste pour une promesse de sécurité. Oui nous sommes prêts à payer, mais pas à se faire dépouiller. Offrez-moi de la rapidité et de la qualité vous aurez vos berrys, essayer de me berner et j’irais voir ailleurs, c’est aussi simple que ceci."

Ernest esquissa un sourire, semblant apprécier le retournement de la conversation. Davinia se redressa légèrement, son regard fixant celui du négociant avec une intensité calculée. Elle savait qu'il tentait de faire une concession pour s'assurer qu'il n'y avait pas de résistance, mais la femme était habituée à ce genre de jeu et même si elle répugnait à imiter celle qui lui avait tout apprit, elle n’hésiterait pas à le faire.

- Je ne peux qu'être d'accord avec vous. Ce n'est pas un prix raisonnable. Mais ce n'est pas non plus une demande raisonnable. Ceci explique cela.

Il me sera difficile de baisser ce prix, mais je peux vous proposer une alternative. Car il existe deux façons pour un navire de traverser Calm Belt. Et si la plus courante est une hélice et le merveilleux revêtement de la marine, certains marins particulièrement fous ou extraordinairement malins, ont pu constater qu'en se faisant accompagner par certains monstres marins, on pouvait éviter de se faire dévorer. Et que certains monstres marins, pouvaient aussi sans aucune difficultés tracter un navire...

Thorvald est le spécialiste, mais la jeune fille est la lame qu'il tient dans sa main. Une cliente lucide, intelligente, roublarde... Décidément très intéressante, et a conserver à tout prix.

- Je vous propose de nous accorder pour l'instant sur vos réparations. Cela vous permettra de pouvoir reprendre la mer dans quelques jours, et cela nous donnera aussi un peu de temps. De votre coté utiliserez ce temps pour réfléchir au prix que je vous propose pour le revêtement. Et du mien, j'activerais mes contacts pour savoir si je peux mettre la main sur une autre alternative qui serait moins couteuse...

Je ne peux pas être plus transparent que ça...

- "Davinia avait dit de ne pas faire de vagues !"

Et c'était bien loin de ce qu'avait tout de même fait Camillius en provocant un groupe marine d'un jeté de pierre dans leur gueule. Si Bjorn ne l'avait pas arrêté avant de le tirer dans l'autre sens, devant les représentant furieux les ordonnant de rester sur place, surement que le dragon aurait un carnage avant de finir par se faire submerger par le nombre. A la place ils courraient tout les deux dans les rues d'Inu Town, poursuivit par un contingent marine, dans l'espoir de trouver un moyen de se sortir de cette mauvaise passe.

- "Non mais sinon, on se retourne et on les défonce !"
- "Qu'est-ce que t'as pas compris dans "ne pas faire de vagues" ?"
- "Je ne vois aucune vague moi ..."

Il fallait dire que les échanges avec Camillius ou les mises en garde de ses camarades tombaient bien souvent dans l'oreille d'un sourd, ou d'un idiot. Il ne comprenait ni cette histoire de vague, ni la raison pour laquelle il ne pouvait pas se battre. Surtout que lui, il avait une prime à faire augmenter et le simple fait d'être battu par une femme sur une échelle de dangerosité le mettait hors de lui. Et c'était au détour d'une rue que enfin, les deux pirates voyaient le bout de la course poursuite. Une porte entrouverte, un occasion à ne pas rater. Bjorn s'y engouffra le premier avant de tirer Camillius et de refermer derrière eux. Ils entendirent les pas des marines s'éloigner dans des complaintes alors qu'ils s'étaient tous les deux assis au sol, essoufflé de l'effort.

- "On fait quoi maintenant ?" demandait Camillius en rompant le silence.
- "On trouve Davinia je suppose."
- "Et tu sais où elle est ? Parce que moi j'ai pas écouté."

Alors que je réfléchissais pour me souvenir de ce que nous avions convenu avec notre capitaine, une voix au loin interrompit mes pensées.

"- Tout est bon pour la vente ?"
"- Tu parles, j'ai encore du museler les trucs avec les tentacules, comment ça se fait qu'un truc aussi visqueux ait des dents, ça devrait pas être autorisé ! Heureusement que la plupart sont encore dans leurs œufs. Et puis la marine traîne autour de l'auberge donc on a du déplacer ça à la taverne du Mort qui flotte, j'espère que tous les clients ont eu le mot... Encore trois jours à supporter ces trucs avant de s'en débarrasser..."

"- Hmm ça me revient, elle se rendait à la guilde des usuriers. En tout cas désormais, on sait vers où nous diriger dans quelques jours..." chuchotai-je à mon compagnon tout en repoussant légèrement la porte par laquelle nous étions rentrés.

"- Ah bon ? Parce que j'ai toujours pas écouté ce qu'ils ont dit hein !" me répondit-il suffisamment fort pour que la patrouille de marine qui continuait de fouiller la zone ne retrouve notre piste.

"- Par là !!" hurla un premier tandis que trois autres marines surgirent de ruelles perpendiculaires à la nôtre.

"- Suis moi, et pas de transformation !" criai-je à Camillius qui commençait déjà à faire s'échapper des flammes de ses babines.

J'entendais ce dernier râler alors que notre course et celle de nos opposants s'accéléraient. Pour gagner du temps, j'enfilai mes gants en conservant ma vitesse, et plusieurs paires gantées apparurent au niveau des chevilles de nos poursuivants. Les premiers marines s'écroulèrent, bloquant le chemin de ceux à l'arrière du cortège qui tentèrent tout de même d'enjamber leurs collègues. Une multitude de coups de poing flottants suffit à calmer ceux qui nous avaient repérés, nous permettant de rejoindre à notre rythme là où notre bateau avait accosté.

La main sur la coque du bateau, notre capitaine était pensive, accompagnée de Thorvald.

"- Tout va bien ? Dans tous les cas, on a de quoi te remonter le moral !" lui annonçai-je en lui faisant part de la vente aux enchères clandestines ayant lieu dans trois jours.

Davinia posa sa main sur la coque du navire, ses pensées semblant vagabonder alors que Thorvald, à ses côtés, tentait de trouver une solution. Son expression trahissait la frustration face à leur situation actuelle, trop complexe pour être résolue facilement. C’est alors que Bjorn s’approcha, son regard scrutant les environs. En l'entendant rapporter les informations qu'il avait glanées, le visage de Davinia s'éclaira d'un sourire satisfait. D'un geste presque taquin, elle tapota le torse imposant de l'homme à la peau grise, un signe de reconnaissance.

« Oh, que c'est une merveilleuse nouvelle… Justement, nous revenons de la guilde. Ils vont s'occuper des réparations. Toutefois, nous avions besoin d'un monstre marin pour le passage, mais si ce que tu dis est vrai… Retournons aux Usuriers annoncer l’information à Ernest. Avec de la chance, il sera intéressé à participer pour son propre gain. »

L'idée lui semblait tout à fait opportune. Si le patron des Usuriers pouvait tirer profit de cette opportunité, il serait sûrement plus enclin à faire des concessions ou à offrir une aide supplémentaire. Davinia aimait jouer avec les intérêts des autres, surtout lorsque cela pouvait lui être bénéfique.

Elle se tourna vers le duo qui l'accompagnait, Bjorn et Camilius, l’un à côté de l’autres. Pendant un court instant, son regard se durcit, une hésitation inattendue s’insinuant en elle. Pourquoi avait-elle ce doute soudain ? Elle chassa rapidement cette pensée, mais l'idée restait là, en arrière-plan.

« Sinon, vous deux, tout va bien ? » demanda-t-elle, ses yeux les observant un à un. « Pas de horde d'ennemis à vos trousses ? » Elle sourit, un brin moqueuse. « Je suis plutôt fière de vous. »

Son ton était léger, presque affectueux, mais il y avait toujours cette lueur de méfiance, un instinct qu'elle ne pouvait ignorer, la tranquillité était un luxe qui tait rare avec eux, surtout Camillius. Davinia tapota légèrement son doigt contre la coque du navire, son esprit déjà tourné vers l'opportunité qui se présentait. Elle se redressa avec détermination, son regard glissant brièvement sur Thorvald et Bjorn avant de fixer l'horizon.

« Allons, ne perdons pas plus de temps et allons annoncer la nouvelle à notre ami l'usurier. »

D'un geste vif, elle se mit en marche, le pas rapide et assuré, invitant ses compagnons à la suivre. Les rues d’Inu Town s’étendaient devant eux, grouillantes d’activité, mais son esprit était déjà focalisé sur la prochaine étape. Si Ernest voyait l’avantage dans cette nouvelle information, cela pourrait leur permettre de faire avancer leurs projets bien plus rapidement, et avec moins de frais. Et cette nouvelle découverte sur le monstre marin pourrait être exactement ce dont ils avaient besoin pour boucler cette affaire.

Je suis en train de parcourir la liste de ce qui sera vendu le lendemain à la taverne du mort qui flotte, réfléchissant aux meilleures façon d'en tirer quelque chose, et si possible en utilisant mes derniers clients, ceux qui sont les plus pressés de repartir et donc les moins susceptibles de réfléchir aux conséquences de leurs actes dans le coin, quand les voila justement qui reviennent, et en nombre.

« Tiens, vous tombez a pic, j'ai justement quelque chose pour vous.»
« Nous avons entendu parler d'une vente aux enchères avec un œuf de monstre marin. Dans la taverne du mort qui flotte. »

Bigre. Il y a des langues qui sont décidément trop vives à Inu Town. Et des rumeurs qui se répandent beaucoup trop vite pour ma tranquillité d'esprit.

« C'est terrible, vous me coupez tous mes effets. J'allais justement vous signaler cette opportunité. Enfin, je peux quand même vous être utile sur deux points. Je peux vous obtenir un accès à cette vente. Et je peux aussi vous obtenir un produit tout simplement miraculeux qui transformera un monstre tout juste sorti de l'œuf en une créature adulte et fonctionnelle. Pour peu évidemment que vous arriviez à l'acheter lors de la vente, et que vous ayez de quoi régler le problème délicat du dressage. Merveilleux non ? »

Deux choses extrêmement facile a se procurer en vérité. Les contacts Armadien de la guilde offre des accès on ne peut plus privilégiés aux pouvoirs en bouteille de Reyson ou de Damien, et, comme la plupart des gens capable de verser de grosses sommes d'argent sans regarder ou il va, j'ai reçu une invitation à participer à la vente aux enchères. Invitation dont je pense maintenant n'avoir plus aucun besoin.

J'ai en effet une bien meilleure idée en tête pour en rafler le contenu sans bourse délier.

Et pour que ça fonctionne, je n'ai qua être aussi agréable que possible avec ma nouvelle amie et ses étranges compagnons.

- “Et donc maintenant on fait quoi ?” Demandait Camillius.

Les usuriers de l’empereur rouge s’affairaient autour du bâtiment pour réparer les dommages de la structure des Trois Grâces. Les Erynies s’étaient regroupés sur leur bateau le temps d’une discussion sur la suite de leur projet. Le gars chelou de la boutique bizarre avait filé un bout de papier à Davinia en lui assurant que cela serait suffisant pour entrer à la vente aux enchères. Et en plus de ça, il avait assuré à la capitaine une bouteille miracle faisant grandir l’animal en moins de temps qu’il en faut pour dire : “Izya n’est pas un vrai dragon”. Si Camillius avait compris l’ensemble des enjeux qui prennaient place entre ses échanges, peut-être aurait-il arrêté de penser sans arrêt à cette histoire de prime bien trop basse à son goût. Mais il pouvait difficilement ruminer devant la capitaine tant elle semblait croire que le duo masculin des Erynies avaient été sages. Camillius ne connaissait même pas ce mot.

- “On va se rendre à la vente aux enchères avec le passe de l’usurier et acheter cette créature pour tirer notre bateau. Tu suis rien à la discussion enfaite.” répétait Arondel pour la sixième fois depuis le début.
- “C’est parce que tu couines à une fréquence que les dragons n’entendent pas.”

La tension entre la navigatrice et le dragon ne cessait de grandir. Lui lançant un regard mauvais, Arondel se retenait d’en venir aux mains. Surement qu’elle savait qu’elle n’avait aucune chance, surtout contre un adversaire qui ne connaissait ni le mot honneur, ni le mot respect. Alors elle se tournait simplement vers la Davinia qui mit fin à la dispute en invitant tout le monde à la suivre. Le temps était compté. Ils avaient pris un instant pour récapituler le plan mais ils devaient maintenant se rendre à la vente aux enchères. Alors, remontant les rue d’Inu Town qu’ils commençaient à drôlement bien connaître, Bjorn et Camillius se cachaient derrière leur capitaine lorsqu’ils passaient non loin de la marine. Jusqu’à finalement arriver au point indiqué par l’usurier. Toquant à la porte, glissant l’invitation dans une fente devant le regard interrogateur d’un vigile, ils finirent par rentrer sans encombre bien que scrutait de la tête aux pieds. A l’intérieur, une exaltation palpable au bout d’un long couloir. Une estrade, un pupitre, et surtout, une multitude de têtes aux airs peu fréquentables qui se tenait assis à attendre le début des enchères. Au loin, on pouvait discerner des bocaux d’animaux aquatiques, des cages renfermant des bêtes exotiques et dangereuses et surtout, une multitude d'œufs colorés de différentes tailles. Un spectacle qui ne plaisait guère à Camillius qui fronça le ne devant la forte odeur bestiale de l’endroit.

- “Heureusement que c’est pas moi qui paye.”
- “Ne t’inquiète pas pour ça, je me suis servie dans tes réserves aussi.” glissait Arondel en remettant un sac de berries sur ses épaules.
- “Comment ça ?”
- “Votre attention tout le monde, la vente va commencer !”

Tout en observant le travail des Usuriers, Davinia sirotait son délicieux café. Cela faisait quelques jours qu’ils travaillaient, et l’équipage attendait avec impatience la fameuse soirée. Tout le monde s’était tenu assez sage, car la Capitaine avait décidé de gâter son équipage avec quelques jours dans un hôtel luxueux. Elle-même et Arondel s’étaient occupées du ravitaillement, profitant d'être en ville, loin des problèmes, pour choisir le meilleur et stocker au maximum. Tout serait ensuite livré dans quelques jours, une fois le bateau remis en état.

Ce temps de "pause" avait même permis à l’Énigmatique de renouer avec un petit plaisir personnel... la lecture. Elle avait repéré une petite librairie usée par le temps, mais dont les trésors littéraires abondaient. En plus de refaire le plein de livres, elle s’était entretenue avec le propriétaire des lieux. Mais maintenant, l’heure n’était plus à la rêverie, mais plutôt aux négociations…

Davinia avait enfilé son masque, celui des Énigmatiques, une pièce saisissante de style sobre et argenté, dissimulant son visage sous une surface lisse et sans expression. Le masque, avec ses yeux entièrement noirs et sans pupilles, conférait un aspect spectral. Une fine gravure délimitait la partie supérieure du masque, accentuant ses traits d'une manière presque surnaturelle. Pour chacun de ses compagnons, elle avait choisi des masques à leur image, afin qu’ils soient aussi protégés et anonymes au milieu de la foule de l'enchère. Tout comme tout le monde de présent.

La salle s’emplit rapidement d’un silence quasi-religieux à l'annonce du début de la vente, chaque participant suspendu à l’estrade où un homme en costume soigné se tenait, prêt à lancer les enchères. Davinia, en tête du groupe, jaugeait avec une sérénité la disposition des cages et les bocaux renfermant des créatures étranges. L’un des œufs particulièrement imposants et d’une teinte azur lumineuse attira son regard. Un murmure contrarié attira son attention, et elle tourna légèrement la tête, juste assez pour voir Camillius, visiblement perturbé par l’idée d’avoir à contribuer à cette dépense.

« Calme-toi, Camillius. Ce n’est pas ton argent qui compte ici, mais plutôt notre capacité à miser juste et à acheter en toute discrétion. »

Arondel leva les yeux vers elle, hochant la tête avec un sourire discret. La navigatrice, bien que souvent agacée par le comportement de Camillius, semblait partager la prudence de leur capitaine. Alors que les premiers lots défilèrent, essentiellement des créatures aquatiques de plus en plus exotiques, les Erynies attendirent avec patience. Chacun de leurs rivaux potentiels apparaissait par moments distrait ou désintéressé, surtout face aux prix exorbitants proposés par les autres participants. Enfin, l’animateur annonça, avec un sourire entendu, l’arrivée du prochain lot :

« Mesdames et messieurs, nous présentons maintenant une créature des profondeurs qui pourrait révolutionner vos traversées des eaux les plus dangereuses… Un serpent des mers rare, avec des caractéristiques de puissance et de vitesse optimales pour le remorquage de petits à moyens navires ! »

L’attention de Davinia s’aiguilla et elle adressa un coup d'œil bref à Thorvald. Elle savait que si cette créature leur échappait, ils devraient improviser. Les enchères débutèrent sur un prix élevé, et quelques mains se levèrent immédiatement. Davinia leva la sienne, sa voix calme et assurée perçant le silence.

« Trente millions de berries ! » lança-t-elle, doublant déjà le prix de base pour essayer de tromper et décourager certains des participants.

Le chiffre fit vibrer l’assemblée, et plusieurs têtes se retournèrent pour identifier celle qui avait parlé.

Ces derniers jours sortaient quelque peu de l'ordinaire. J'avais encore un peu de mal à cerner la valeur des berries et leur importance, ayant vécu dans une grotte aménagée pendant toute ma vie, je me contentais d'acheter de quoi remplir ma flasque. Idéalement en étant accompagné par Arondel qui ne connaissait que trop bien la crédulité dont je pouvais parfois faire preuve. Ainsi ces derniers jours, les dépenses semblaient s'enchaîner, entre les réparations du navire, l'hôtel d'un standing bien trop haut pour notre éducation et maintenant la vente aux enchères, j'avais beau savoir compter et connaître les gains que nous avions réalisés, cela me paraît quelque peu extravagant. Peut-être était-ce mon esprit d'homme des cavernes qui prônait le minimalisme et la frugalité, cependant Davinia m'avait bien expliqué que chaque personne puissante de ce monde se devait d'avoir des moyens à la hauteur de ses ambitions. Si je n'avais pas pour objectif de devenir quelqu'un d'important, j'avais cependant juré ma loyauté à notre capitaine et c'était tout ce qui m'importait.

La vente aux enchères était vraiment bondée et j'étais bien heureux de porter mon habituelle cape à capuche qui dissimulait mon allure de balafré. Au final, en dehors des gants que Davinia m'avait confiés et que je portais presque tout le temps, j'étais resté plutôt fidèle à moi-même. Pas d'extravagance ou d'excès particulier. Alors que tous ces gens, aussi riches, rassemblés dans un seul et unique endroit, démontraient bien que l'argent pouvait vite nous faire tremper dans de sombres affaires.  

"Cela serait vraiment dommage que leur argent ne disparaisse..."
"Je n'en ai pas l'utilité, laisse ça de côté."
"Pense à nous dans ce cas. Tu pourrais nous prendre des jolis gants sertis de bijoux, en voilà une entrée qui claquerait !"

Avant même que je n'ai eu le temps de rétorquer à cette voix arrogante dans mon esprit, une bourse d'argent me parvint en main. La voix imaginaire avec qui j'échangeais s'était incarnée dans un gant flottant bien réel, et s'assurait de choisir le pigeon le plus dodu.

"Arrête ça, tu veux bien ! Restons concentrés..."
"Oh mais on fait difficilement plus concentré que moi, n'aie crainte."

Un second sac de tissus tomba sur mes cuisses alors que je dissimulais les larcins à l'aide de mon vêtement ample avant d'ôter rapidement mes gants.

"Rabat-joie..."
"- Tiens, tu as aussi ramené de l'argent Bjorn ?" me questionna Arondel à qui il était impossible de dissimuler l'odeur de l'argent, ce qui me sortit rapidement de mes querelles internes.
"- Euh c'est une manière de voir les choses oui..." répondis-je, ne sachant toujours pas quoi faire dans cette situation.

"- 50 Millions !" répondit une voix à notre offre.

"Y a combien là..?" demandai-je à la voix cupide.
"Pas assez, à peine 40 Millions."
"Bon, prends en une dernière, mais une seule !" lui ordonnai-je en enfilant un seul gant pour permettre à la main éphémère de sa matérialiser une dernière fois à hauteur de porte-monnaie.

A peine quelques secondes plus tard, une troisième sacoche me fut transmise et je transmis l'argent à Davinia sans attendre d'avantage, ôtant le gant aussitôt.

"- 100 Millions." indiquai-je alors de ma voix grave et posée, coupant le souffle à tous les prétendants qui montaient progressivement la mise sans même s'être rendu compte qu'ils avaient été dépouillés.

- Oui Boris ?
- Chef, je comprends pas trop le plan. Si on était invité à la vente aux enchères, pourquoi on a donné notre invitation aux touristes, et pourquoi on a balancé l'info et l'adresse à la marine ?
- Tu sais Boris. Dans ton métier, avoir des réflexes c'est bien, mais si tu essayes aussi d'avoir des idées, c'est trop.
- Hein ?
- C'est pas grave. Je vais t'expliquer.


Ah, les soucis de petit personnel du monde de la pègre. Quand vous trouvez un homme de main efficace il ne comprend rien aux petites complexités de son boulot, mais quand vous trouvez un homme de main efficace et intelligent, vous étes sans cesse obligés de le surveiller pour le planter avant qu'il ne décide de prendre votre place. L'un dans l'autre, j'ai choisi de privilégier régulièrement de laborieuses explications tout en étant assuré de dormir tranquille sans craindre une nuit des long couteaux au sein de mon comptoir.

- Si nous étions simplement allé à la vente aux enchères, nous aurions dépensé beaucoup d'argent pour des marchandises que nous voulons. Jusque la ça va ? Bien. Maintenant, en balançant la vente à la marine, que va t'il se passer ?
- Ben, la marine va venir.
- Excellent. La marine va venir et va tenter de coffrer tout le monde, ce qui va mettre un terme à la vente aux enchéries, et va lancer dans le quartier une grande soirée de chasse a l'homme pendant que tout les participants et les organisateurs vont courir partout comme des poulets décapités pour échapper a la marine. Et pendant ce temps la, ou seront les objets de la vente ?
- Euh...
- Un peu trop compliqué hein ? Pendant que tout le monde sera occupé à fuir la marine, le gros des objets mis en vente seront toujours à leur place, dans un entrepôt pas loin, avec des gardiens bien trop occupés par la descente de la marine pour être efficace. Et au lieu de devoir payer trés cher pour une poignée d'objets, nous pourrons tenter de faire main basse directement sur tout les lots de la vente !
- Oh !
- Exactement, dis que je suis un génie.
- Vous êtes trés fort boss.
- Oui je sais.
- Et les touristes boss ?
- Ils vont nous servir d'appâts, et de... Disons de pieds de biches. Et nous allons d'ailleurs les appeler tout de suite pour que notre avertissement leur arrive juste avant la marine. Ce qui nous rendra trés crédible et sympathique quand nous proposerons de les aider à vider l'entrepôt en partageant les gains.
- Voila le den den Boss.

Davinia sentit une vibration familière sous son manteau, le Den Den Mushi émettant un faible souffle comme pour la prévenir discrètement. Elle sortit la petite créature escargot avec un sourire calculateur, curieuse de voir ce que l'usurier avait encore à leur proposer. La voix rocailleuse et assurée de l'homme s’éleva doucement là où les Erynies avaient pris place.

« Allô, allô, mes chers amis… » La voix semblait dégager un sourire narquois, même au travers du grésillement de la communication. « Je ne voudrais pas vous alarmer, mais j’ai des informations de dernière minute : il semblerait que la marine ait été alertée de cette charmante petite vente aux enchères à laquelle vous participez. Vous voyez, ils ne vont pas tarder à débarquer en force. »

Davinia haussa un sourcil, échangeant un regard rapide avec ses compagnons. Elle avait déjà anticipé que cet homme n’était pas aussi innocent qu'il paraissait, mais elle se garda bien de montrer son irritation. Au lieu de cela, elle répondit d’une voix calme, teintée de curiosité.

« Eh bien, c’est une nouvelle… surprenante, je dirais. Pourquoi partager cette information avec nous ? »

« Parce que, ma chère, il est de notre intérêt commun de sortir de cette situation avec un petit profit. La marine arrivera bientôt, et l'endroit va se transformer en un chaos que je suis sûr que vous préféreriez éviter. Mais, voyez-vous, les marchandises de la vente sont entreposées juste à côté, dans un dépôt faiblement gardé. Avec un peu de coopération, nous pourrions... partager les biens de manière plus avantageuse. »

Davinia comprit aussitôt le plan. Ils étaient utilisés, oui, mais elle savait comment tirer parti de ce genre de situations. Elle se tourna vers ses compagnons, leur indiquant en un simple signe de tête qu’ils devaient se préparer. L’idée d'accéder à l’entrepôt sans avoir à débourser une somme astronomique sembla compenser légèrement son agacement.

« Je vois, » répondit-elle finalement d'un ton poli. « Nous pourrions donc vous "aider" à sécuriser ces biens, n'est-ce pas ? Et, bien sûr, à nous assurer que rien ne soit laissé pour la marine. »

L'homme ria doucement, un rire un peu trop satisfait.

« Parfaitement. Nous sommes donc d’accord. Je vous enverrai les coordonnées exactes de l'entrepôt, et une fois là-bas… faites ce que vous faites de mieux. »

Elle acquiesça, puis coupa la communication sans plus de cérémonie, rangeant le Den Den Mushi dans son manteau.

« On dirait que nous avons un changement de plan, » dit-elle à voix basse, son regard perçant se posant sur chaque membre de son équipage. « Nous allons quitter cette salle avant que la marine n’arrive et se diriger vers l'entrepôt. Si tout se passe bien, nous sortirons d'ici avec bien plus que ce pour quoi nous sommes venus. »

Davinia n’avait pas prévu que Bjorn attirerait autant l’attention en lançant une mise aussi élevée. Elle observa la foule autour d’eux, notant les regards méfiants et intéressés qui se tournaient maintenant vers lui. Bien que le geste de Bjorn soit audacieux, elle ne pouvait s’empêcher de se demander où il avait bien pu trouver une telle somme. Elle n’avait pas souvenir de l’avoir vu puiser dans leurs réserves, ce qui éveillait sa curiosité – mais ce n’était pas le moment pour des questions. D'un léger mouvement de tête, elle fit signe à Arondel. La navigatrice comprit immédiatement l'ordre silencieux et se tourna vers Camillius, attrapant son bras avec un air de fausse bienveillance.

« Allez, viens, Camillius, on va les attendre dehors. »

Le dragon protesta légèrement, mais il savait maintenant reconnaître le regard de Davinia quand elle voulait éviter une discussion ou une scène. Il se laissa entraîner par Arondel, jetant un dernier regard sur Davinia et Bjorn avant de disparaître avec sa compagne dans la foule.

Davinia les regarda s’éloigner et inspira profondément, reportant son attention sur Bjorn. Elle savait qu’avec son expérience, elle et lui pouvaient sortir d’ici sans trop de difficulté, même une fois le chaos déclenché. Et au fond, elle préférait garder le dragon à l'écart, loin des regards de la marine et de la mêlée qui ne manquerait pas de se produire.

Elle s’approcha discrètement de Bjorn, le dos bien droit et l'attitude confiante.

« Ne t’avise pas de refaire un coup pareil. Nous devons passer inaperçus, pas attirer tous les regards. Tu as une idée de ce que tu fais ? » Sa voix, bien que basse, était ferme.

Bjorn haussa simplement les épaules avant de marmonner :

« T’inquiète pas, capitaine. Ça fait partie du plan. »

Davinia fronça les sourcils, son regard le sondant un instant, mais elle décida de ne pas pousser plus loin pour le moment. Ils avaient des priorités. Elle jeta un coup d’œil autour d’eux, remarquant que l’ambiance dans la salle devenait plus fébrile à mesure que les enchères montaient. La tension palpable, exacerbée par la marine qui approchait, semblait prête à éclater d’un instant à l’autre. Elle murmura à Bjorn, avec un sourire presque imperceptible sous son masque :

« Prépare-toi. Dès que ça dégénère, on sort. »

Son argent volé, il était mis de côté, Camillius commençait à grogner devant ce manque de respect flagrant. Pourtant, il avait suivi la navigatrice dehors sans vraiment savoir pourquoi. Qu’attendait Davinia d’eux ?

- “Super, et maintenant on fait quoi ?” Ralait le dragon.

Attendant les bras croisés dans une rue parallèle à celle de l’entrée des enchères, Arondel l’avait guidé plus loin avec insistance. Comme si elle l’isolait volontairement. Hésitante, la trois-yeux cherchait ses mots. Le dragon l’avait rarement vu aussi peu à l’aise et il sentait qu’elle réfléchissait elle-même à une réponse. Elle avait sûrement suivi les ordres de Davinia sans discuter mais l’impulsivité du dragon faisait que sa réponse pourrait le renvoyer tout droit dans la vente aux enchères si elle venait à donner de mauvaises raisons. Voir, peut-être n’avait-il même pas besoin de raison.

- “Tout ça c’est débile, ils vont avoir besoin de moi si ça dégénère.”

Alors que Camillius perdait patience et s’apprêtait à retourner dans la ruelle adjacente, Arondel lui retenait le bras. Des bruits de pas pressés se faisaient entendre au coin de la rue et rapidement se distinguait une division marine. Les hommes couraient pour encercler la zone et venir se tenir près de la porte que les pirates avaient empruntée pour entrer la première fois.

*Toc toc*
* BAAAM*

Le gardien de l’endroit avait à peine eu le temps d’ouvrir la fente pour demander l’invitation que les marines avaient défoncé la porte d’un coup de pied puissant avant d’entrer rapidement et de s’éparpiller, arme en main. Les premières injonctions lancées à l’intérieur étaient audibles pour Camillius et un sourire se dessinait sur son visage devant la situation commençant à dégénérer. Hors de question de laisser la fête se dérouler sans lui, surtout qu’il avait une prime à faire monter.

Il se dégagea de la prise d’Arondel avec violence avant de courir dans le batiment. A peine avait-il passé la porte qu’il se transformait en dragon, faisant flamber ses écailles pour venir abattre les premiers marines sur sa route.

A l’intérieur, la déroute était de mise, l’attaque du dragon avait dispersé la marine et nombreux acheteurs cherchaient à fuir alors que d’autre souhaitait partir avec un petit quelque chose.