La promotion

Je venais à peine d’émerger du sommeil que la nouvelle était tombée. Une cérémonie, encore une. Mais celle-ci avait un goût particulier : c’était pour moi. J’allais être promu lieutenant d’élite. Super. Je soupirai longuement, toujours affalé sur mon lit, le regard perdu dans le plafond. Ce genre de formalités n’avait jamais été mon truc. Le protocole, les salutations rigides, les discours interminables… rien de tout ça ne m’emballait.

Je me redressai lentement, le corps encore engourdi, puis je fis un tour rapide de la pièce du regard. Mon "uniforme", bien à moi, n’était pas celui des autres marines. Non, je n’avais jamais adopté leur style rigide et austère. Je m’habillais à ma manière, avec ces habits extravagants qui faisaient tourner bien des têtes. Des tenues serrées, colorées, ornées de motifs peu communs, rappelant plus un spectacle de cirque qu’un soldat. C’était ça, ma marque. Un clin d'œil discret à la folie du monde, et à ma propre façon de m'y frayer un chemin. Aujourd'hui, ce serait la même chose. Un pantalon moulant noir avec des motifs rouges et dorés, une chemise ajustée à manches bouffantes, et bien sûr, ces gants fins que je ne quittais jamais.

Je savais que ma tenue en agacerait plus d’un à la cérémonie, mais à vrai dire, c’était exactement ce que je recherchais. Je ne supportais pas de me fondre dans la masse, d’être juste un autre soldat de la marine. Non, je devais laisser une empreinte, aussi légère soit-elle.

Je me levai finalement, traînant un peu des pieds en passant devant le miroir. Mon reflet me renvoya un visage calme, détaché, mais au fond de mes yeux brillait cette lueur d’agacement. J’avais envie de tout sauf de me rendre à cette foutue cérémonie. Mais bon, je n'avais pas vraiment le choix. C'était le prix à payer pour mes compétences, mes réussites. On me décorait, on me flattait, et après ça, on me demanderait encore plus. Plus de combats, plus de missions, plus de responsabilités.

Je mis mes gants avec une lenteur calculée, ajustai ma chemise et jetai un dernier coup d’œil à la pièce. Tout était en ordre, comme toujours. Je n’aimais pas le chaos, sauf quand c’était moi qui le créais. Je sortis de ma cabine, l’air légèrement frais du matin m’accueillant à bras ouverts. La journée était belle, trop belle. Rien qui n’indiquait que je passerais plusieurs heures enfermé dans un QG à écouter des officiers me chanter les louanges de la marine.

Mes pas me guidèrent naturellement vers le quartier général. Une partie de moi traînait, retardait l'inévitable, mais l’autre savait que c'était inutile. Il fallait que j’y aille, peu importe à quel point je détestais l’idée. Tandis que je marchais, j’imaginais déjà les regards des autres marines, leur air sévère face à mes vêtements, leurs jugements silencieux. Mais ça, c’était un bonus. Rien ne me plaisait plus que de les bousculer un peu, de les sortir de leur zone de confort.

Ainsi, je me dirigeais vers le QG de la marine, sans enthousiasme, mais avec cette légère anticipation, cette flamme qui vacillait à l’idée de troubler encore un peu leur bel ordre établi.
         

La salle de cérémonie était déjà en train de se remplir lorsque j'arrivai. Les visages des marines, rigides et impassibles, formaient un contraste frappant avec ma tenue éclatante et décalée. J'avais toujours détesté ces rassemblements formels, mais aujourd'hui, c'était pire. Je n'avais aucune envie d'être là. Pourtant, chaque pas me rapprochait inévitablement de la scène où on m’attendait.

Je franchis la porte sans précipitation, le sol impeccablement poli renvoyant le reflet de mes chaussures. J’avais l’impression de marcher dans un temple dédié à l’ordre et à la discipline, des valeurs qui ne m’avaient jamais vraiment parlé. Je balayai la pièce du regard. Les officiers supérieurs, déjà installés, discutaient à voix basse. Moi, je cherchais juste un coin discret où me poser, loin des regards inquisiteurs.

La propreté du lieu, son organisation millimétrée, tout était à l'opposé de ce que j'aimais. Le QG de la marine respirait la rigidité, l’autorité... et le contrôle. Chaque élément, chaque soldat, chaque meuble semblait à sa place, dans un ordre presque maniaque. Une partie de moi était impressionnée, mais l'autre étouffait. J'avais beau être perfectionniste à ma manière, cet environnement me donnait la chair de poule.

En prenant place, je sentais déjà les regards sur moi. Rien de nouveau. Mon style vestimentaire détonnait toujours ici, et aujourd'hui ne faisait pas exception. Pourtant, cela m'importait peu. Le protocole se mettait en place lentement, comme une mécanique bien huilée. J'attendais.
         

L’annonce de mon nom résonna dans la salle, et tous les regards convergèrent vers moi. Je soupirai doucement, me redressant avec une nonchalance calculée avant de m’avancer. Les chuchotements fusèrent, quelques sourcils se froncèrent, mais je n’y prêtai pas attention. Je marchai tranquillement jusqu’à l’estrade, les mains dans les poches, un léger sourire narquois aux lèvres.

Le discours de l’officier en charge était exactement ce à quoi je m’attendais : prévisible, terne, et bourré de banalités. Il louait mon "dévouement", ma "bravoure" et ma "discipline". Un véritable florilège de mots vides. En vérité, tout ce qui l’intéressait, c’était mes résultats sur le terrain. Peu importe le nombre de règles que je contournai ou d’ordres que j’ignorais. Tant que je faisais le travail, ils fermaient les yeux sur le reste.

Quand il annonça mon nouveau grade, lieutenant d’élite, une salve d’applaudissements éclata dans la salle. Je restai de marbre, feignant un sourire poli. Je le remerciai d’un signe de tête, jouant le jeu. Les applaudissements se calmèrent peu à peu, et je sus que c’était le moment de me retirer.

Sans un mot de plus, je fis un demi-tour parfait, les pans de ma chemise colorée flottant légèrement derrière moi, et quittai l’estrade. Les visages autour de moi étaient un mélange de respect, d’envie et, pour certains, de mépris. Ça m’arracha un petit sourire. Ils pouvaient penser ce qu’ils voulaient, cela m’importait peu.

Je ne traînai pas. Dès que la cérémonie fut officiellement close, je m’éclipsai vers la sortie, esquivant les tentatives d’interpellation des autres officiers. Je n’avais pas la moindre envie de rester pour échanger des politesses.

En franchissant les grandes portes du QG, l’air frais me frappa au visage. Enfin, libre. Lieutenant d’élite, hein ? Ça sonnait bien, mais au fond, ça ne changeait rien. Je restai le même.

Le monde extérieur, avec son chaos et son imprévisibilité, me manquait déjà. Les véritables défis n’étaient pas dans ces salles aseptisées, mais là-bas, sur le terrain. Là où les règles n’étaient plus que des suggestions et où je pouvais être vraiment moi-même.

Sans un dernier regard en arrière, je pris le chemin de la rue, le pas plus léger. La promotion ? Un fardeau de plus. Mais si cela me permettait d’avoir plus de liberté, de décider de mes propres actions, alors pourquoi pas ?

J’avais maintenant un nouveau grade… mais les mêmes envies. Tuer.