Le Cadeau de la Gouverneure

Logue Town, quartier des Vieux Canaux, Comptoir de la Guilde des Usuriers.

- Pourquoi vous me regardez avec ces yeux de crétins hein ?
- C'est quand même une idée bizarre non ?
- C'est une idée du Capitaine Red.
- Donc elle peut pas être bizarre ?
- Donc même si elle est bizarre on l’exécute tas de veaux ! Alors allez me coller ses affiches et commencez à organiser ça !  
- Bon, vous avez entendu la dame ? Au boulot les gars.


Les gars vident les lieux avec le tombereau d'affiches qui, dans une heure, seront placardés sur tous les quais de la ville et des Vieux Canaux. Une affiche dont je suis plutôt fière. Une paire de sabres croisés surmontant un enclume et un marteau de forgerons. Une phrase accrocheuse en entête "Grand concours de forge, gloire, célébrité et grosse récompense au vainqueur" , et en dessous, en nettement plus petit, tous les détails techniques de l'affaire. Lieu du concours, prix d'inscription, et date limite pour le faire.

Avec le nombre de traine misères réparateurs d'armes qui trainent dans les rues du port, c'est sur que la perspective de gratter quelques berrys et de se faire un nom devrait attirer du monde. Et qui sait, peut être même quelqu'un de véritablement compétent. En tout cas il vaudrait mieux pour mettre en œuvre l'idée de Red.

Bon. Les affiches et la diffusion vont se faire tout seul, et maintenant il s'agit de gérer le reste, et ce ne sera pas si facile que ça. Si le lieu de l'affrontement a été trouvé a prix d'or, il s'agit maintenant de l'aménager un minima, et aussi de trouver une poignée de connaisseurs pour pouvoir jouer les juges arbitres.

La journée de boulot commence, et elle n'est pas prêt de se finir.

- Chez participants, je suis Lizzie. Gérante de la guilde des Usuriers et organisatrice de ce tournoi.

Dans le grand hangar habituellement dédié à la fonderie de métaux et que nous avons loué pour la journée, se presse une cinquantaine de curieux et dix fois plus de curieux venus assister à l'événement. Après tout, il y aura des paris, et il n'y a rien de plus attractif que la possibilité de se divertir en jouant de l'argent.


- Les quatre personnes avec moi sont d'honorables membres de la guilde des marchands et des artisans, des maitres qui nous serviront de juge pour votre travail au cours des trois épreuves qui vous attendent. Sur ces épreuves ils sélectionneront d'abord les dix, puis les cinq, puis enfin le meilleur d'entre vous.

Celui ci remportera le prix du tournoi. Une commande d'une valeur de vingt millions, la fabrication d'un cadeau pour le nouveau gouverneur de Logue Town. Cadeau qu'il aura le droit de signer de son nom, ce qui, en plus d'un gain en berrys, lui vaudra renommée et gloire a chaque fois que le gouverneur s'affichera avec sa création.

Et pour un forgeron qui ne s'est pas encore fait un nom, il s'agit la d'une opportunité on ne peut plus alléchante. Une réalité qui n'a échappé a personne dans la salle ou l'ambiance s'est soudain tendue à l'énoncé du gain. Parmi la cinquantaine de forgerons, on s'observe, on se jauge, on cherche les rivaux et les dangers.

- La première épreuve est une épreuve de vitesse. En une heure, vous devrez forger une dague fonctionnelle. Elle devra comporter une lame à double tranchants d'au moins un pied, une garde et un pommeau. A la fin de l'épreuve les dagues seront ramassés et classés de la plus médiocre à la plus exceptionnelle, et ceux qui auront forgés les dix meilleurs participeront à l'épreuve suivante. Chacun d'entre vous dispose du même établi des mèmes outils et des mêmes barres de métal que ses concurrents, il est évidemment interdit d'utiliser autre chose. L'épreuve commencera et finira au son de la cloche.

Ce qui nous laisse encore dix minutes pour que circulent les noms des participants, et que dans le public on se fasse déjà des favoris, parce qu'on les connait déjà, parce qu'ils se vantent, parce qu'ils ont une carrure impressionnante. De quoi rentrer dans mes frais...

- A vos marteaux !

La cloche retentit, la première épreuve est lancée. Dans une heure, il n'y aura plus que dix forgerons en lice.

Sans surprises, la récompense a attiré un paquet de tocards et d'escroc. Au delà des juges, les arbitres dispersés parmi les participants interceptent trois dagues venues du public et destinés à des forgerons pas assez efficaces pour les fabriquer eux mêmes dans les temps. Inévitable mais pas bien grave. La première épreuve ne sert finalement qu'a dégrossir la masse des participants avant que le vrai concours ne commence enfin. Et dés qu'il n'y aura plus que dix forgerons à surveiller, toute triche aussi grossière sera tuée dans l'œuf.

La cloche retentit à nouveau et on s'empresse de collecter les dagues des participants. Dagues qui ne sont identifiés que par un numéro, ce qui est censé assurer que les quatre juges restent aussi impartiaux que possible. Les dagues sont ensuite disposées les unes a cotés des autres sur une longue table. Les juges faisant d'abord un tri préliminaire en éliminant celles qui ne correspondent pas aux critères demandées, puis entreprennent de les déplacer les unes par rapport aux autres, de manière à obtenir une échelle de valeur, de la meilleure à gauche à la plus mauvaise à droite.

Le tout sous les cris du public qui essaye de transmettre au juge la bonne manière de faire quand ils pensent reconnaitre la dague de leur concurrent favori en train de chuter ou de monter dans le classement.

Le premier classement ne prend qu'une dizaine de minutes, après lesquelles les juges se penchent de concert sur les pièces ou les avis sont partagés. Les quatre juges prennent des airs doctes et sérieux, se réunissent autour d'une pièce, la tripotent, la soupèsent, la font tourner, coupent des bouts de cuir avec, avant de les reposer à la même place ou de la décaler d'un cran ou deux. Comme je le craignais, j'intercepte quelques regards en coin qui me signalent que les juges aussi ont leurs favoris, et qu'a tous les coups dans le public, quelqu'un les renseigne sur l'identité du forgeron dont ils examinent la dague.

Je suis même à peu prés sure que le vieux con de la guilde des serruriers décale volontairement vers la droite la dague de la seule forgeronne du lot, juste pour ne pas laisser en tête une femme...

Puis c'est la fin du classement. Les quatre juges signalent que le rangement leur convient. Et je prends les choses en main. Annonçant l'un après l'autre les numéros des dix meilleurs dagues, puis les noms des forgerons qui leur sont associés.


- Quatrième, la numéro 37, Elisabeth Porter.

Ceux qui pestent sont rapidement encadrés par des gros bras de la guilde et poussé dehors, on réorganise rapidement la salle pour les dix forgerons restant et le public, et on peut passer à l'épreuve suivante.

- La seconde épreuve est une épreuve d'habileté. La guilde des serruriers de Logue nous a fait don pour ce concours d'un casse tête conçu par un de leurs artisans et qui est utilisé pour la formation de leurs compagnons. Il s'agit d'un cube métallique composé de plusieurs pièces qui s'imbriquent les unes dans les autres de manière très précise. Le but du casse tête étant évidemment de démonter et de remonter le cube. L'épreuve consiste a fabriquer un exemplaire de ce casse tête. Vous avez deux heures. Les cinq meilleures pièces accéderont à l'épreuve finale.

Une épreuve complexe. Pour reproduire le cube il faut d'abord le comprendre, ce qui est évidemment facilité par le fait que chaque forgeron dispose d'un exemplaire construit et d'un exemplaire démonté de l'objet. Mais au delà d'appréhender l'objet, les forgerons vont devoir faire preuve d'une précision extrême pour obtenir un assemblage final cohérent. La est toute la difficulté de l'affaire.

Et pour éviter les tricheurs qui tenterait de subtiliser les pièces a copier. Les pièces des cubes d'exposition ont êtres peintes et marquées d'un poinçon.

- A vos marteaux !

Je dois admettre que j'éprouve une certaine satisfaction quand, malgré les efforts d'un des juges, Elisabeth Porter est sélectionné dans les 5 finalistes. Après deux heures d'épreuve il est maintenant temps de faire une pause, aussi bien pour donner aux candidats le temps d'aller manger quelque chose, que pour laisser aux parieurs le temps de se repositionner sur les derniers en lice.

J'en profite pour aller organiser la vente aux enchères des produits forgés et sélectionnés, continuant à rembourser mes frais sur la gestion du concours en ramassant tout ce qui peut rapporter quelques berrys. Une activité qui m'occupe un peu trop, et me fait louper complétement la fourberie qui se passe en coulisse. Ou une Elizabeth qui est allé prendre un peu l'air à l'extérieur du hangar surchauffé se fait soudain alpaguer par trois types à l'air louche et hargneux.

- Alors demoiselle ? On veut jouer à la forge ?
- Nous on est d'avis que le travail du métal c'est un boulot d'homme.
- Et que la place que tu viens de voler, elle irait vachement mieux à un ami a nous qui a été évincé par ta triche.
- Alors ce qu'on va faire, c'est que tu vas rester bien gentiment ici avec nous. Et que quand ils lanceront l'épreuve suivante, comme tu seras pas la, tu seras éliminé et notre ami pourra prendre la place qui lui revient.
- Facile non ?
- De toute façon c'est pas comme si tu avais le choix.
- Sauf si tu veux qu'on t'abime...
- Pas qu'on aime frapper les femmes évidemment. Mais s'il faut qu'on se force on fera un effort...


A l'intérieur. On en est déjà à l'annonce de l'épreuve suivante.

- Nous sommes à Logue Town, la ville ou tout commence et tout finit. La ville ou l'on a décapité Gold Roger. Nous cherchons le meilleur forgeron, et nous savons tous que ce qui distingue les plus grands maitres, ce sont les lames de prix, les meitou. Alors la dernière épreuve sera une lame. Juste une lame, dont nous comparerons le tranchant et la résistance au moyen d'un test de coupe. Pour cette épreuve, vous êtes libres d'utiliser vos outils ou vos ingrédients...

Pour une raison mystérieuse, les spectateurs adorent voir des objets de faire découper au sabre. Il suffit de voir combien la 102eme draine de public à chaque fois qu'elle décapite un pirate sur l'échafaud de Logue et on comprend tout de suite pourquoi nous finissions sur un test de coupe.

Le clou du concours arrive enfin, les cinq lames sont placés au milieu de la salle en vue de tout le monde, coincés tranchant vers le haut, et on prépare le test, pratique qui consiste essentiellement à lâcher sur les lames toute une série de produits qui seront découpés a l'impact. L'idée est simple, on découpe des trucs, d'abord on jette les lames qui ont le moins bien coupé, ensuite on inspecte l'état des lames, et on recommence avec un objet plus dur jusqu’à ce qu'une des lames se mette a couper moins bien que les autres.

Et évidemment, on parie sur chaque lame et le nombre d'objets qu'elle découpera.

On commence simple, en jetant d'abord des fruits, et légume, découpe impressionnante, cout réduit. Le sol de la salle ne tarde pas a se retrouver jonchée de bouts d'orange, melons, pastèque, pendant, que sous les cris admiratifs de la foule, la première lame n'est éliminé qu'en arrivant a des trucs plus dense comme le chou.

Puis on passe à la chair humaine, enfin, a ce qu'on peut désigner comme un substitut valable pour simuler l'utilisation des lames dans une exécution, le lard. Plus gras, plus lourd, deux nouvelles lames sont éliminés quand les bouts de lard qu'on leur jette dessus sont encore revétu de couenne épaisse.

Et pour finir de déterminer la lame la plus tranchante, on passe au gigot.

Et cette fois les lames sont maniés par un sous officier de la 102eme, dans son bel uniforme rouge, attiré ici parce que les officiers aussi ont des dettes de jeu qu'ils aimeraient bien solder. L'officier brandit une lame après l'autre et tente de trancher d'un seul coup le gigot suspendu devant lui. Une lame bute sur l'os, l'autre tranche nettement le bout de viande en deux, nous avons notre gagnant !

- Et la victoire revient à la maitresse forgeronne Élisabeth Porter qui a su triompher de toutes les épreuves et de tous les concurrents ! Félicitation à elle  !

Acclamation, remise du prix en berrys sonnant et trébuchant, dispersion de la foule. Une journée bien menée en somme, mais qui, au moins pour la gagnante, n'est pas encore finie.

- Et maintenant nous pouvons passer à la suite du contrat. Le cadeau que nous voulons offrir à la Gouverneur est une copie d'un meitou célèbre. La lame nommée Infinie. Nous n'avons évidemment pas la lame, mais nous avons rassemblé sur elle toute la documentation que nous avons pu trouver, descriptions, schémas, dessins, largement assez d'infos pour que vous puissiez en préparer une copie valable. Vous pouvez innover ou proposer des modifications tant qu'on peut reconnaitre le meitou d'origine, et que la pièce conserve son fonctionnement et sa lame glissante.


- Si vous avez besoin d'outillage ou de matériaux supplémentaire il suffit de demander. Et dans l'idéal il faudrait que la lame soit terminée pour la cérémonie de la semaine prochaine. C'est possible ?

Sans surprise, le sabre est tout a fait magnifique. Et sera un cadeau bien assez couteux et précieux pour contrebalancer le message qui l'accompagnera. Je suis même tout a fait incapable de voir en quoi ce sabre peut se différencier en qualité du meitou original. Je suppose que c'est un truc de sabreur...

- C'est de l'excellent travail Maitresse Porter. Merci pour votre expertise.  

Mes hommes avaient pariés qu'elle s'enfuirait avec l'argent sans faire le boulot, l'habitude de traiter avec des truands sans scrupules je suppose, mais c'est presque agréable de bosser avec des gens honnêtes, au moins on sait a quoi s'attendre d'eux.

- Et sachez que les Usuriers n'oublient pas ceux qui les ont aidés. Si a l'avenir vous avez besoin d'aide ou de renseignements n'hésitez pas à vous tourner vers nos comptoirs, vous en trouverez partout.

Et il ne me reste plus maintenant qu'a m’occuper de la livraison du cadeau.



Palais de logue Town, appartements de la nouvelle Gouverneure.

Dans un beau coffret d'acajou, repose une lame qui ressemble a s'y méprendre au meitou Infinité. Une lame signée par une forgeronne nommée Elisabeth Porter et accompagnée d'un mot.
"Don des guildes et syndicats marchands et artisans des vieux canaux a notre nouvelle Gouverneure. Nous espérons que l'avenir de Logue sera aussi radieux que son avenir, et que les Vieux Canaux y auront leur part comme les quartiers les plus riches. A l'image de cette lame, nous sommes tout a fait disposés a servir vos intérêts au mieux, pour peu qu'on nous solicite à bon escient.