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La république d'une nuit

« - A voté ! » clame la grosse adjointe chargée du contrôle de l’urne, gonflée de l’orgueil que lui confère son rôle. « Suivant ! »

Le suivant dans la file d’attente se présente devant l’adjointe, et lui tend timidement un papier blanc.

« - Eh bien monsieur, il n’y a rien d’écrit sur votre bulletin !
- C’est-à-dire que… je ne sais pas écrire, madame.
- Comment ? Vous ne savez pas écrire ?! » La file des votants derrière le pauvre homme bruisse de commentaires désobligeants, et ce dernier leur jette à tous un regard courroucé avant de reprendre son expression intimidée et respectueuse face à l’officielle :
« - Non madame.
- Bon. »

Avec une série de gestes presque solennels, l’adjointe enfile une paire de lunettes métalliques, se saisit d’une plume, l’humidifie du bout de ses lèvres, et la trempe dans son encrier :

« - Alors, qu’est-ce que j’écris ? »

♦♦♦♦

Cher journal,

Comme dans tout pays novice en matière d’élections, celles de Goa se trouvent être particulièrement brouillonnes. Plutôt que de s’inspirer des modèles les plus élaborés, inspirés des pays rodés à ce genre de pratique, on a choisi le mode de scrutin le plus simple : premièrement, on ne laisse voter que les adultes, et seulement ceux qui paient des impôts. Personne ne s’intéresse à l’avis des enfants, et encore moins à celui des pauvres ! Ensuite, on se réunit par quartier, et on vote chacun son tour, devant tout le monde. Je te laisse imaginer les conséquences en matière d’influence et de pression sociale !

L’objet de l’élection est pourtant loin d’être anodin : l’actuel gouverneur en titre, Roland de Grammon, concourt pour le titre de président de la république de Goa. Ainsi adoubé par ses concitoyens, il espère tenir fermement et légitimement les rênes du pouvoir, prendre ses distances avec l’autorité du Gouvernement Mondial, et mener le pays vers un véritable modèle républicain réformé selon les inspirations de ses relations aux idées un peu trop… révolutionnaires, au goût de certains.

Tu te doutes, journal, qu’il n’était pas question pour nous au Cipher Pol de laisser passer ça ! Contrairement aux autres habitants de Goa, nous sommes rodés en techniques de manipulation des procédures officielles. Par exemple, nous avons redoublé d’efforts pour faire exploser toutes sortes de dossiers compromettants à la figure de Grammon, pratiquement un par jour, alternant la dénonciation de pratiques graves (comme ses liens avec la révolution) avec celles plus douteuses (tous les meurtres non élucidés qui semblent joncher son parcours et qui sont quand même drôôôlement suspects !). Également, en l’absence de meilleure alternative et devant l’urgence de la situation, nous avons bon espoir de favoriser la candidature de sa principale concurrente, la représentante du camp monarchiste, ma grande sœur Réglisophie. Le fait qu’elle me soit apparentée n’a pas vraiment joué, même si c’était bien pratique pour m’envoyer jouer les agents doubles à ses côtés. Ce qui compte c’est son profil : légitime aux yeux de la population mais de bonne composition, malléable, peu entreprenante et facile à diriger en sous-main, autant de qualités qui plaisent autant à ses alliés politiques qu’à ses soutiens de circonstance du CP. Évidemment, personne ne m’a écoutée lorsque je leur ai dit qu’ils oubliaient un élément important, que je ne connais que trop bien en tant que sa petite sœur : Réglisophie est une peste !

♦♦♦♦

L’hôtel particulier du grand boulevard, demeure de la noble famille d’Isigny, s’est improvisé quartier général des partisans du camp monarchiste, comme on appelle ceux qui défendent une ligne plus traditionnelle et le retour à des valeurs qui ont fait leurs preuves (comme le droit de s’affirmer supérieur à son prochain de par sa naissance !). Cela nous a demandé un certain exercice d’équilibriste pour en faire un lieu accueillant, valorisant, et à la hauteur de l’opulence que l’on attend d’une personne du statut de Réglisophie. La tâche était d’autant plus difficile que notre demeure a été intégralement pillée lors de la révolution de 1625, et que notre fortune avait déjà fondu depuis bien avant que je naisse !
De fait, si le rez-de-chaussée avec les principaux salons où se réunissent les nombreux invités, personnalités de passages et soutiens enthousiastes, arbore tout ce qu'il faut en jolis meubles, tableaux de belle allure, tapisseries seyantes et lustres extravagants (récupérés d’occasion, mais chut !), de très nombreuses pièces ont tout bonnement été barricadées pour laisser ignorer au monde le fait qu’elles sont totalement vides et abandonnées !

En cet instant cependant, le léger manque de mobilier et de décor dans les endroits accessibles à chacun se remarque à peine tant la foule se presse nombreuses dans la grande maison, témoignage du succès plutôt encourageant de la candidature de ma sœur. A ce que j’en comprends, notre campagne de calomnies contre son adversaire a fait son œuvre mais pas seulement : beaucoup de nos concitoyens ont conservé l’habitude de se soumettre aux décisions de l’aristocratie, et ce ne sont pas quelques petites années de gouvernorat qui ont suffi à défaire l’ancrage de toute une vie. Beaucoup ont également peur du changement, peur qu’il y ait plus à perdre qu’à gagner, comme beaucoup ont d’ailleurs perdu la dernière fois qu’on leur a promis la liberté. Et pour les autres, la phobie du mot « révolution » a fait le reste…

La sonnerie d’un escargophone se fait entendre dans le grand salon, et mon cousin Augustin qui s’est autoproclamé responsable des transmissions, décroche. Chacun se tait dans la pièce tandis qu’il échange quelques mots avec son interlocuteur en hochant plusieurs fois la tête ; lorsqu’il raccroche, sa fine moustache se dresse avec un sourire satisfait :

« - Nous avons reçu les résultats des votes de Fushia, de Dahlia et de Magenta : comme prévu, ils ont largement voté pour nous ! »

Une salve d’applaudissements répond à cette déclaration ! Comme nous l’avions espéré et anticipé, les habitants de l’autre côté des montagnes sont largement sceptiques à tous ces changements effectués à la capitale, dont ils ne subissent que des effets négatifs.
Après un bref conciliabule avec la cousine Dragémilie, le duc d’Augustin lève la main pour demander le silence. Il reprend d’une voix solennelle :

« - Avec ces derniers résultats, nous disposons de la quasi-totalité des votes. Il nous manque encore ceux des quartiers nord-est et de celui du port, mais ils ne changeront plus le résultat final : avec une majorité d’environ soixante-dix pour cent des voix, Réglisophie d’Isigny est donc élue présidente de la république de Goa ! »

La clameur, poussée par les voix d’une centaine d’hommes et de femmes, envahit en un instant notre demeure familiale. Elle se fait l’écho des acclamations qui se répandent dans la rue, et qui nous parviennent, comme le grondement d’un orage, par les fenêtres ouvertes, et se diffusent comme une cascade dans tout le quartier. Des hourras de victoire, des cris, et un nom qui revenait partout : Réglisophie D’Isigny, présidente de Goa !
Notre cousin Augustin frise sa moustache de satisfaction, la cousine Dragémilie danse de joie, dame Eustass et l’amirale de Cha-Cha-Cha trinquent de concert, de même que tous ceux qui ont participé, de près ou de loin, à l’effort ! Et tous se précipitent autour de Réglisophe, s’étreignent, lèvent un verre à la victoire ! Moi-même, je ne peux pas me retenir de participer aux effusions générales !

Après avoir assez trinqué, clamé, applaudi, notre groupe sort dans la rue sous les cris et les hourras des passants ! Tous ne sont pas satisfaits évidemment, loin de là, mais les mécontents semblent avoir quitté les lieux ou s’être joints à la foule, parce qu’après tout on passe un meilleur moment dans le camp des fêtards que dans celui des vaincus !
Il n’y a cependant pas de temps à perdre. Le camp en déroute étant celui au pouvoir, il semble opportun de ne pas lui laisser plus de temps qu’il n’en faut pour réagir, et de profiter de la liesse générale pour faire acter la victoire. Après avoir harangué la foule comme elle sait si bien le faire, Réglisophie prend place dans un fiacre et, escortée par un flot de curieux enthousiastes, prend la direction du siège de l’assemblée de Goa en vue d’être intronisée.
La place à côté de ma sœur étant occupée par notre cousin Augustin son chef de parti, je dois me contenter d’un des fiacres de la suite ; je suis néanmoins aux premières loges pour profiter du spectacle, et j’éprouve un certain plaisir à répondre aux acclamations des citoyens sur notre passage. Pour une fois, même, je dois confesser que je suis plutôt fière que nous nous ressemblions ma sœur et moi, et de pouvoir être associée à sa réussite. Mais je te défends de répéter ça à qui que ce soit, journal, et surtout pas à elle !
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Après sa récente création il y a quelques mois, l’assemblée des députés a élu domicile dans l’ancien théâtre royal de la ville haute, un des rares bâtiments assez vaste pour y réunir assez de monde car les sessions sont ouvertes au public. C’est devenu, tout naturellement, le cœur de la vie politique de Goa.
Le théâtre est davantage gardé qu’à l’ordinaire, ce qui peut s’expliquer autant par la nature extraordinaire des évènements que la jeune république est en train de survenir que par la présence, plus massive que partout ailleurs, d’une foule dense de curieux en pleine effervescence. Outre les soldats de la marine, de nombreux soldats de la nouvelle garde personnelle du gouverneur, vêtus de leurs tuniques rouges, sont également présents.

A l’arrivée de Réglisophie, des cris et des acclamations s’élèvent de toutes parts ! Abandonnant les fiacres et dépassant le cordon, tous les élus de notre groupe, accompagnés de nombreux simples citoyens et soutiens dont je fais partie, pénètrent à l’intérieur du théâtre et prennent place dans l’immense salle aux luxueux fauteuils de velours rouge, et aux abondantes dorures qui ont fait la réputation du style aristocratique de Goa. Les députés prennent place aux rangs de devant, les autres là où il reste des sièges.  Nombreux sont ceux qui doivent se contenter de se tenir debout, et davantage doivent rester dehors, contenus avec peine par les gardes.

Alors qu’une atmosphère de ruche règne dans le bâtiment, le silence se fait au son de la canne de la présidente de l’assemblée qui s’abat sur le sol. Elle est accompagnée d’un homme qui monte sur l’estrade avec elle et s’avance au-devant de l’assemblée ; il ne s’agit pas du gouverneur dont chacun attendait la prise de parole, mais de Servo Vendetta. Il est à Grammon ce que le cousin Augustin est à Réglisophie : le numéro deux du camp républicain, l’homme de l’ombre derrière la figure de proue, pratiquement son égal. Si ce n’est son supérieur, car on le dit bien plus intelligent ! Je n’ai pu apercevoir qu’à quelques rares reprises avant aujourd’hui, lors de cérémonies officielles où lorsque je venais squatter les bancs de l’assemblée des députés pour provoquer certains de ces derniers en duel. Très bien habillé, les manières d’une élégance raffinée (c’est un ancien haut aristocrate converti au républicanisme), il a un profil d’oiseau de proie, des cheveux attachés en catogan, et pour l’heure il affiche un visage fermé.

Dépliant la lettre qu’il tient à la main, il lit d’une voix forte :

« - Par proclamation de Roland de Grammon, gouverneur de la république de Goa.
A propos de l’élection qui s’est tenue ce jour dans la cité de Goa, dont l’objet était la nomination d’un président de la république.
Compte tenu des nombreuses irrégularités qui ont été constatées au cours des votes,
Compte tenu des nombreuses irrégularités et fraudes constatées lors du décompte de ces mêmes votes,
Et compte tenu des nombreuses tentatives de manipulation et campagnes de calomnies qui ont eu lieu avant, pendant et après le jour des votes,
Les élections sont annulées, leur résultat étant considéré comme frauduleux, nul et non avenu. Le conseil du gouverneur fera connaître à une date ultérieure les modalités d’une éventuelle nouvelle élection. »


Vendetta parcourt la foule de son regard froid. Il s’attarde un moment sur le visage de Réglisophie, comme s’il envisageait quelque chose, puis se détourne soudainement et se contente de contempler avec indifférence la foule qui se déchaîne :

« - Menteurs, escrocs !
- Voleurs d’élection !
- Tyrans, vous ne valez pas mieux que les autres ! »

Tous les spectateurs massés là, encouragés par les fervents soutiens de Réglisophie qui sont éparpillés au milieu d’eux, protestent avec force ! Pourtant, Vendetta fait front avec calme et annonce, de sa voix claire et dure qui s’impose au milieu des vociférations :

« - Mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les spectateurs, veuillez faire silence ou nous serons obligés d’ajourner cette session.
- Et puis quoi encore, escroc ? » crie un député monarchiste.
- Vous vouliez des élections, vous en avez eu ! Maintenant, laissez parler le peuple ! »

Je trouve ça assez ironique venant de la bouche d’un aristocrate qui méprisait copieusement le peuple jusqu’à il y a peu encore, mais la situation est trop inquiétante pour s’en amuser pour le moment : alors que la colère de l’assistance devient incontrôlable, je vois les soldats de la garde du gouverneur se regrouper, et ils sont vraiment plus nombreux que d’habitude ! Je me méfie doublement d’eux car ils ont été constitués tout récemment, dès l’avènement de Grammon à son poste, et un certain nombre de leurs membres sont de ses fidèles soutiens, ou bien ont été identifiés par nos indics, au Cipher Pol, comme étant des étrangers arrivés en nombre sur l’île au cours de ces dernières semaines.

Alors que la marine semble désemparée par la situation, ne sachant plus trop si elle doit prendre ses ordres du gouverneur par intérim dont la politique ressemble de plus en plus à une sécession, de la candidate élue qui n’est pas encore reconnue par l’autorité compétente, ou de quiconque d’autre, ils se bornent à rester groupés et à inciter vainement au calme.
Un officier de la garde gouvernementale, dans sa tunique rouge, un sabre et un pistolet au côté, monte sur l’estrade et ordonne :

« - Veuillez évacuer immédiatement la salle !
- Ta g…. » lui crie quelqu’un !

Le soldat sort son arme, mais il est atteint à la tête par un projectile. C’est le signal que l’on semblait attendre de part et d’autre : les gardes pointent leurs armes, et une foule de députés et de citoyens en colère le lève, s’avance, et comme un raz de marée, les disperse pour prendre possession des lieux ! En quelques instants, marines comme gardes sont obligés de se replier à l’extérieur, moins un ou deux retardataires qui sont happés par la foule et engloutie par cette dernière. Les députés républicains ont, pour la plupart, également quitté les lieux.
A leur tour, Réglisophie et mon cousin Augustin d’Augustin montent sur l’estrade. Souriant de toute sa moustache, Augustin saisit le poignet de ma sœur, le brandit, et s’exclame :

« - Le vote du peuple a parlé. Goa, voici ta présidente ! »

Les hourras répondent en cœur, avec la même sauvagerie qu’ils vociféraient un instant avant contre Vendetta.

En témoigne l’écho qui résonne depuis l’extérieur tel un orage, le chaos semble bien loin de s’apaiser. Soucieuse de la sécurité de mes proches (et accessoirement outils de nos manipulations Cipher Polesques), je me joins au groupe de ceux qui envisagent déjà la suite On discute entre partisans de Réglisophie, et les inquiétudes sont présentes : Grammon va-t-il tenter un coup de force ? Faut-il en tenter un avant lui ? La réponse à cette question leur échappe, tout comme celui de la foule qui, une fois lancée, est plus dangereuse qu’une bête sauvage. L’on scande :

« - Au palais ! Allons faire sortir Grammon !
- Oui, au palais ! »

Et les gens de s’élancer dans les rues, de rameuter tous ceux qu’ils croisent, et de faire route à travers la ville haute ! La rumeur des évènements a dû se propager à grande vitesse, car toutes les avenues sont noires de monde.
Les soldats de la marine ont disparu. Les tuniques rouges de Grammon ayant été désignées comme symboles de la tyrannie, les voilà molestées, lapidées, poursuivies ! Elles tentent bien d’établir des cordons pour bloquer les principaux passages mais, n’osant pas tirer sur la foule bien plus nombreuse, elles sont repoussées par la pression de la cohue. Leur nombre tout comme leurs armes se retrouvent bien vite dérisoires face à la colère de milliers de citoyens avides de violence, et les gardes refluent bien vite vers le palais du gouverneur.
C’est un spectacle étonnant que cette marée d’humains qui avance dans un désordre qui a quelque chose d’artistique, d’ordonné par le chaos. L’on chante les chants populaires du moment, on scande des slogans, et pourtant cette apparente festivité cache une détermination sauvage. D’ailleurs personne ne s’y trompe, et nombreux sont ceux qui ont récupéré tantôt des armes improvisées, tantôt des couteaux ou des fusils !
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La république d'une nuit Palais-2-bis

Le palais-forteresse, qui domine la ville de toute sa hauteur et sa splendeur, est certainement l’élément le plus emblématique de Goa. Donjon, château impénétrable, il était autrefois la demeure des rois et reines de Goa avant de devenir celle du gouverneur. Ses grilles ont été fermées, des soldats de sont massés à l’intérieur et se sont alignés en plusieurs pelotons, épaulés par des canons, face à la foule. Les bouches de canons et de fusils qui dépassent des créneaux et des meurtrières donnent un autre aperçu de l’accueil qui attend toute tentative d’incursion.

La troupe est commandée par un homme dont j’ignore le nom, mais que l’on désigne comme le commandant de la garde du gouverneur. Il s’avance jusqu’aux grilles, rutilant dans son uniforme rouge aux galons d’or, et annonce :

« - Avis à la population, le palais est défendu et toute tentative de coup de force sera repoussée sans pitié. Mais écoutez-moi : toute violence est inutile car nous sommes de votre côté, et nous nous battons pour vos droits et pour votre liberté. »

Un flot de vociférations lui répond, mais il poursuit :

« - A présent, le gouverneur invite vos représentants à venir le rencontrer. Il saura écouter vos doléances, et dissiper vos craintes.
- Qu’il vienne !
- Oui, on veut voir Grammon !
- Où est-il, ce voleur ?! »

Au grondement de la foule s'ajoutent à présent des bruits d’éclats et de chocs. Certains citoyens un peu plus déterminés que les autres ont entrepris de desceller des pavés dans la rue, et de les projeter à travers les grilles et contre la façade de l’imposant palais-forteresse ! Puis certains commencent à venir s’attaquer aux grilles, l’on utilise même des masses, mais la réaction des soldats est immédiate et sans équivoque. Sur un ordre de leur commandant, ils braquent tous leurs fusils et, d’un même mouvement, tirent une unique salve juste au-dessus de la foule !

A la colère s’ajoute la panique. L’on s’éloigne en désordre, se bouscule, et se masse finalement à une distance respectable des gilles. Je suis moi-même obligée de grimper sur un petit muret pour ne pas me faire écraser !

« - Je reconnais les prémices caractéristiques d’une révolution », murmure une voix amusée à la hauteur de mon oreille. Je me retourne, et reconnais la très haute stature de dame Candice Clarcin de Batiolles, officiellement aristocrate et femme du monde mais surtout, dans l’ombre, cheffe d’équipe du Cipher Pol et commandante des opérations à Goa.
« - C’est à peu près tout ce qu’on avait cherché à éviter.
- Peut-être, » continue-t-elle, assez grande pour me parler près de l’oreille alors que je suis toujours perchée « mais il est advenu exactement ce que j’avais prédit à mes supérieurs, et qu’ils n’ont pas voulu écouter.
- Et qu’allons-nous faire maintenant ? J’ai peur que ça ne tourne au massacre…
- Depuis quand les massacres de citoyens remplaçables vous effraient-ils, agent d’Isigny ? Vous n’en êtes pas à votre premier coup d'État ! Oubliez un instant que ce sont vos concitoyens : il s’agit d’une masse, d’une énergie, d’une force que nous avons besoin de canaliser. »

Elle me désigne du regard la haute forteresse :

« - Il y a une bande de révolutionnaires là-haut que je veux aller cueillir, et j’ai besoin de notre horde d’enragés pour les mettre aux abois. »

Mon regard va et vient entre l’imposante forteresse et la foule de gens de plus en plus compacte et en colère, et plus je le fais, plus j’adhère à sa vision d’une masse d’énergie brute.

« - La marine a sa caserne à l’intérieur de la forteresse. Elle ne va pas nous aider ?
- La marine ne sait plus comment se positionner, en réalité. Je leur ai transmis il y a des semaines déjà le très bon rapport que vous m’avez rédigé à propos des associations entre Grammon et la Révolution, et leur ai confirmé la véracité de ce qui est paru dans les journaux. Mais depuis que leur contre-amiral, l’ancien gouverneur Fenyang, a été mis hors-jeu, ils se retrouvent tiraillés entre leurs ordres et le bon sens. J’ai eu beau leur expliquer que leur présence était indispensable pour maintenir l’autorité du gouvernement mondial, et pour s’assurer que tout changement aura lieu avec lui et pour lui, cet imbécile de colonel Coryn est paralysé par la peur de manquer à son devoir. Il se contente de prétendre essayer d’accomplir ses ordres en protégeant les biens et les personnes. Il ne faut pas s’attendre à le voir prendre des initiatives. »

Dame Candice hoche la tête :

« - Nous allons devoir gagner sans eux. Vous allez reprendre votre place aux côtés de votre sœur pour la conseiller : assurez-vous qu’elle puisse retenir sa bande d’enragés jusqu’à ce que nous soyons prêts.
Assurez-vous également que le siège soit mené en bonne et due forme. Il faudra notamment bloquer les tunnels qui permettent de quitter la forteresse -je crois que vous en connaissez déjà la localisation-, et installer des batteries dignes de ce nom. »


Elle me tapote l’épaule, ce qui me fait l’effet d’être un épouvantail secoué par le vent.

« - Tenez bon jusqu’à ce soir, et attendez de mes nouvelles ! »

♦♦♦♦
Cher journal,

Étonnamment, il ne me fut pas difficile de faire passer mes idées auprès de Réglisophie, du cousin Augustin, et de leurs conseillers. Chacun d’eux ignore que j’appartiens au Cipher Pol et que j’ai beaucoup plus de science des révolutions et du combat que je ne le laisse croire, mais mes quelques exploits des derniers mois ainsi que les services que j’ai pu leur rendre m’ont apporté une réputation de baroudeuse, d’aventurière, et de personne qui sait ce qu’elle fait dans le feu de l’action.

Le refus de la marine de se positionner a été perçu par l’esprit général comme une nouvelle décevante, mais pas surprenante : elle est finalement dans la continuité de leur manque d’efficacité depuis cinq ans. A l’inverse, ce qu’il reste de l’ancienne marine de Goa s’est très naturellement joint au mouvement ! Alors qu’ils conservaient jusque-là quelques reliquats de prérogatives par la complaisance du gouverneur et pour ménager cette faction encore très implémentée dans le paysage de Goa, leur animosité franche envers Grammon et ses idées républicaines ont fait d’eux nos alliés naturels. Et avec eux leurs canons, leurs fusils, leurs soldats, et leur expérience du combat !

A présent, les alentours du palais ont pris une allure de zone de guerre dans laquelle on a érigé des barricades, mais surtout vers laquelle on a commencé à installer des canons récupérés sur tous les navires du port qui en étaient équipés.
C’est alors que je dirige à l’installation d’un de ces canons derrière une barricade faite de tonneaux et de paniers remplis de terre, que l’on revient me chercher. Ce n’est pas dame Candice cette fois mais un autre collègue, l’agent Alain-Sahim. En quelques mots, il m’indique de le suivre.

La ville entière est toujours en pleine effervescence. La masse des révoltés de cet après-midi s’est dispersée, partagée entre ceux, nombreux, qui se sont organisés en bataillons de quartiers et les autres qui se sont mis à l’abri. Il est cependant rare de traverser une rue sans croiser un groupe d’habitants armés, ou en train d’apporter du matériel vers le palais. Pour la première fois depuis cinq ans, les habitants de la ville ont le sentiment de pouvoir prendre leur destin en main, et cet état de fait multiplie les énergies et les vocations !
Alain-Sahim me conduit à travers les rues, à quelques pâtés de maisons à peine du palais, et s’engouffre sous une porte cochère. De l’autre côté, dans une cour, je retrouve tout un petit groupe d’individus que je connais bien, tous des collègues agents du Cipher Pol, affairés à déplacer des caisses et des paniers, et à entretenir un grand feu. Parmi eux, la grande dame Candice s’agite, commande de sa voix tonitruante, et lorsqu’elle me voit, s’exclame :

« - Ah, la voilà ! Venez d’Isigny, approchez ! »

Arrivée à sa hauteur, elle m’explique :

« - Vous vous souvenez qu’il y a quelque temps, deux hurluberlus ont entrepris de se battre en duel dans les cieux de Goa, à bord de montgolfières. Je me suis arrangée pour récupérer leurs appareils et les faire réparer. »

Effectivement, maintenant qu’elle le dit, je reconnais dans le matériel que nos collègues sont en train de préparer deux nacelles en osier, des sacs de lest, mais surtout deux immenses structures en toile colorée qu’ils s’évertuent à remplir d’air chaud à l’aide de grands brûleurs.

« - Avec ou sans l’aide de la marine, il y a un traître dans ce palais que je compte bien déloger. Nous n’avons pas besoin d’être nombreux, nous aurons pour nous l’effet de surprise et la diversion que fournira la foule. Un petit commando pourra s’infiltrer sans problème par la voie des airs, sous couvert de la nuit. Et alors, tout ce que nous aurons à faire c’est de mettre la main sur notre ‘’gouverneur par intérim’’. »

Elle conclut, presque badine :

« - Le processus de remplissage est beaucoup plus long que prévu, alors je me suis dit que vous pourriez nous arranger ça avec votre gaz. »
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Palais de Goa

Depuis l’abri d’une des fenêtres à l’étage, l’homme observe la foule qui se masse sur le parvis en contrebas, à la lumière de nombreux feux. Seuls dépassent de sa capuche et de son col relevé deux yeux gris, mais c’est assez pour deviner la tristesse qui s’en dégage.
Il ne retourne pas la tête lorsqu’un second homme pénètre dans la pièce. Il demande simplement :

« - Alors Servo, tu as parlé à Grammon ?
- J’ai tiré cet imbécile de son bureau. Les hommes ont besoin de le voir, de croire qu’il va tenir bon dans la tempête, et que notre cause va triompher.
- Mais pour ta part tu n’y crois pas, n’est-ce pas ?
- En notre cause, si. C’est en Grammon que je ne crois pas. On aurait dû s’en débarrasser bien plus tôt, dès qu’on a su qu’il jouait double jeu.
- Ce qui est fait est fait » murmure doctement l’autre.

Les deux hommes restent un instant silencieux, puis celui à la capuche reprend :

« - Entre nous, l’assassino, je pense que l’affaire est vraiment mal engagée. Si tu veux, j’ai un navire au port prêt à nous évacuer. Il est très rapide, personne ne nous arrêtera. Si on tente une sortie en masse par un des tunnels, avec l’effet de surprise, on peut même espérer sauver la plupart des nôtres.
- La forteresse tiendra, je n’ai aucune inquiétude à ce sujet. Même avec des canons, ils ne passeront pas les murailles. Si nous avons eu la moindre chance il y a quatre ans avec Auditore, c’est parce que nous avions réussi à faire sortir la reine, à capturer les princes, et à les exécuter avant qu’ils ne comprennent notre détermination. Le palais n’est pas tombé par la force.
- Peut-être, mais après ? Tu vois bien comment sont ces gens… » il désigne la fenêtre d’un geste vif « Goa est pourri ! S’ils aiment être tenus en laisse, on ne peut pas les sauver contre leur gré !
- Tu n’es pas d’ici, tu ne les connais pas aussi bien que moi. C’est justement parce que la pourriture s’est accumulée sur eux qu’ils ont besoin d’être sauvés. Il y a des gens bien ici, ou qui ne demandent qu’à le devenir si on prend la peine de gratter la saleté qui les recouvre. Ils méritent mieux que d’être abandonnés comme ça. »

L’autre le fixe un moment et dit :

« - C’est toi qu’ils auraient dû choisir comme chef, pas Grammon.
- C’est bien moi qui commande, Grammon n’est qu’un épouvantail. Il a su plaire aux foules bien plus que je ne l’aurais jamais pu. Enfin…
Fais-moi confiance, tout peut encore être sauvé. Tout ce qu’on a à faire, c’est tenir jusqu’à demain. D’ici là, j’aurai déterminé lequel de mes plans est le plus propice à être exécuté.

- Je te reconnais bien là, assassino » commente l’autre avec une pointe de respect dans la voix. « C’est bien pour ça que nos supérieurs ont foi en toi, et en tes mérites. »

Il se redresse soudainement :

« - C’est aussi pour ça qu’ils m’ont confié ceci pour toi. »

L’homme à la capuche plonge la main dans les replis de son manteau, et en sort un fruit de la taille et de la forme d’une grosse pomme. A la lueur des feux que les émeutiers ont commencé à allumer quelques étages plus bas, elle semble teintée de rouge et d’orange, et les motifs en forme d’arabesques, presque hypnotiques qui recouvrent sa peau, ne laissent aucun doute quant à sa nature…

« - Un atout supplémentaire à inclure dans tes plans. »

♦♦♦♦

Cher journal

Nos deux montgolfières s’élancent en silence dans le soir tombant. Dépassant les cimes des arbres et les sommets des toits des plus hauts palais de la ville haute, elles entreprennent de longer en silence le haut donjon que forme l’imposant palais royal.
J’ignore si quiconque peut nous voir, ou nous a déjà vu. Si c’était le cas j’imagine qu’ils se seraient empressés de se jeter aux fenêtres et de nous asperger de tirs de fusils ?

Notre ascension se poursuit dans un calme et un silence qui contrastent avec l’agitation qui règne en bas. Les émeutiers ont allumé de grands feux devant les grilles du palais, et les rues ont été copieusement dépavées afin d’édifier des barricades, ce qui donnent à la haute ville l’aspect d’une zone de guerre. Je n’ai pas pu reparler une dernière fois à Réglisophie depuis le début de la mise en marche de notre plan, et j’espère que tout va bien pour elle. J’imagine qu’elle est au milieu de toute cette foule. J’espère qu’ils l’ont mise à l’abri.

Soudain, le brouhaha s’intensifie en bas, et j’entends Alain-Sahim murmurer à côté de moi dans la nacelle :

« - Ça y est, ils ont commencé à attaquer. »

Effectivement, dans l’instant qui suit, la canonnade résonne comme une rafale de coups de tonnerre ! Les boulets se fracassent aussi bien sur les murs et les grilles du palais, que sur les barricades et les maisons lorsque les défenseurs ripostent, obligeant assiégeants comme assiégés à se réfugier dans leurs abris respectifs.
A nous de jouer également ! Arrivés au sommet de la forteresse, nous amarrons en silence nos montgolfières aux créneaux, et nous élançons sur le toit. Ce dernier est désert, ce qui est à notre avantage mais qui n’est pas surprenant : personne n’est censé pouvoir y accéder à une telle hauteur !
Nous nous séparons en deux groupes : l’un est commandé par dame Candice en personne, l’autre par l’agent Alain-Sahim et moi-même, qui sommes les deux seuls agents de catégorie un. Nous avons avec nous l’agent Joseph Guillaume, de catégorie deux, et une agent de catégorie trois dont je ne prends pas la peine de retenir le nom puisque c’est une trouffionne.

♦♦♦♦

C’est la première fois que je pénètre dans le palais royal, et j’avoue que ça me fait un petit quelque chose ! C’est un symbole de mon enfance, de l’époque d’avant, un élément du décor de ma ville que je connais depuis toujours ! J’avais entendu dire qu’il avait subi de graves dégâts durant la révolution de 1625, mais la partie où je me trouve est restée visiblement intacte, affichant un luxe que je qu’évalue sans mal à neuf sur dix sur l’échelle « dragon céleste » !

Vu de l'extérieur, le palais ressemble à une grande tour, mais il ne faut pas s’y fier. Ce n’est que le revêtement d’un palais élégant, un édifice à l’architecture complexe et au luxe agressif. Divisé en de nombreuses ailes, autrefois dévolues aussi bien aux courtisans qu’au très nombreux personnel qui y officiait, il s’agit d’une véritable ville dans la ville, divisée en quartiers entrecoupés de parcs et de jardins intérieurs, reliés par des galeries aux allures de boulevards et occupant un tel espace qu’il nous faut un plan pour nous y repérer. Depuis son investissement par le précédent gouverneur cependant, une bonne partie de cet édifice trop grand a été laissée à l’abandon, et seule une partie des étages inférieurs est véritablement occupée.
Les salles que nous traversons ne sont que colonnades aux boiseries sculptées et dorées qui côtoient les splendides baies vitrées (un grand luxe !), d’épais tapis qui amortissent le bruit de nos pas, et qui ne laissent la place qu’à des sols en marbre rare disposés avec soin en un camaïeux de couleurs. Seule tache dans le décor : plus aucun tableau n’est présent sur les murs, plus aucun meuble ne garnit les vastes salles, ni de statues ou de bibelots de valeur : trace probable du pillage effectué par la révolution, à moins qu’il ne s’agisse d’un déstockage effectué par le gouverneur qui leur a succédé pour amortir le déficit du budget.
Les jardins, laissés à l’abandon, sont envahis par les mauvaises herbes et les plantes desséchées, tandis que certains salons sont à présent occupés par des nids d’oiseaux ou des repères de rongeurs.

Notre plan nous permet de nous repérer rapidement et facilement dans les lieux, et d’essayer de cibler l’essentiel. Notre principal objectif est l’ancienne aile des courtisans, où le gouverneur a établi ses quartiers et son administration : c’est vraisemblablement là que Grammon se terre, avec toute sa clique de révolutionnaires qu’il convient d’arrêter. Leurs chefs capturés, les autres seront vraisemblablement obligés de se rendre !
Nous avons identifié deux lieux précis où sont susceptibles de se trouver notre cible : la salle de réunion ministérielle où il doit selon toute vraisemblance coordonner la défense avec ses alliés, et son bureau privé. Pour augmenter nos chances de réussite, nous nous sommes séparés en deux groupes qui, tout en restant en contact par escargophone, tentent chacun une approche par un chemin différent : l’équipe de dame Candice s’occupe de la salle de réunion, celle d’Alain-Sahim et moi-même du bureau.

Si nous ne croisons âme qui vive durant notre descente vers les étages inférieurs, le contraste est flagrant une fois arrivés en bas : il y règne une atmosphère fébrile, et une agitation similaire à celle d’un navire en pleine bataille navale ! Des tuniques rouges s’affairent dans tous les sens, sous les ordres d’officiers qui maintiennent avec rigueur le calme et la discipline ! Les gardes se relaient aux fenêtres pour tirer, d’autres les approvisionnent en munitions, eau, armes neuves, et s’occupent d’évacuer les blessés lorsque, par malheur, l’un d’eux est atteint par un tir ou le fracas d’une explosion.

Heureusement, nous pouvons compter sur notre discrétion et sur nos déguisements : afin de passer inaperçus, nous avons enfilé tous les quatre des tuniques rouges arrachées à des miliciens capturés durant les affrontements de l’après-midi. Ainsi, notre infiltration se poursuit le plus naturellement et le plus simplement du monde, jusqu’au grand escalier qui mène à l’atrium du rez-de-chaussée. Il s’agit du plus immense que j’aie jamais vu, et il m’aurait semblé majestueux s’il n’avait été rempli de soldats et de barricades ! Nous affichons une mine fermée et affairée qui détourne tous les regards, les nombreux soldats et autres occupants du palais se contentant de nous croiser sans nous considérer, et évitons l’atrium pour nous engager dans un escalier de traverse.

Là, les choses se corsent pour nous, car nos adversaires sont partout. Une batterie de canons occupe le couloir que nous devions traverser, et ces derniers tirent de concert, dans un brouhaha de fumée, de cris et de détonations, sur les fortifications improvisées de la foule en bas.

« - On fait le tour ? » demande l’agent Guillaume.
« - On traverse, évidemment ! » répond Alain-Sahim. « Continuons d’avancer tant que nos déguisements font effet, et si on nous arrête… » il tapote la garde de son sabre dont la lame, à travers le fourreau, laisse échapper quelques reflets couleur turquoise. Il s’agit d’un de ces fameux meitous, paraît-il, une lame exceptionnelle qui fait sa fierté.
« - Attendez, je peux peut-être nous faciliter le passage. »

De mes mains s’échappent des volutes de gaz gris, sans effet particulier sinon qu’il pique un peu les yeux mais surtout qu’il ressemble parfaitement, de par sa teinte et sa texture, à celui que crachent les canons en même temps que leurs boulets. En une petite minute, le couloir en est complètement envahi.

« - Allons-y ! »

Nous avançons d’un pas rapide au milieu des soldats qui s’affairent, visiblement désorientés par toute cette accumulation de fumée.

De l’autre côté du couloir, nous traversons un bureau de secrétaire entièrement vide et pénétrons, enfin, dans le saint des saints du gouvernement Grammon !
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Tous les bureaux sont parfaitement vides, pas un seul soldat n’est resté en faction. Il est possible qu’ils soient tous partis se battre, mais enfin ça reste mauvais signe : notre cible n’y est probablement pas. Néanmoins, par acquis de conscience, nous devons aller jusqu’au bout de notre objectif, ce que nous confirme dame Candice par escargophone. Pour sa part, elle a été bloquée par un éboulement provoqué par les combats qui a rendu son passage impraticable, et son équipe est en train de chercher un nouveau chemin vers la salle de réunion. Si jamais le bureau s’avère être vide comme je l’anticipe, nous pourrons toujours nous y rendre avant elle depuis l’endroit où nous nous trouvons.

Contrairement aux étages supérieurs laissés à l’abandon depuis longtemps, cette partie du palais est restée très élégamment meublée. L’autorité d’une île, même celle d’un simple gouverneur, se doit d’en imposer si elle veut se faire respecter par une population habituée à se prosterner devant ceux qui vivent dans des palais, et le plaisir de vivre dans le luxe et le confort ne gâche rien à ça !
Passée une antichambre déserte, nous pénétrons dans le bureau du gouverneur. Aussi bien agencé que le reste, j’ignore qui de Grammon ou de son prédécesseur Fenyang a été responsable de sa décoration, mais je dois reconnaître que j’apprécie. Les bibliothèques qui recouvrent les murs, les tableaux bucoliques, les tapisseries aux couleurs chaudes, la grande baie vitrée aux couleurs apaisantes, confèrent à l’ensemble une atmosphère très agréable.
Par ailleurs, un homme occupe le fauteuil derrière le large bureau en bois massif. Étonnamment, il nous sourit.

« - Tiens donc. »

Le criquetis de fusils que l’on arme se fait entendre tout autour de nous. Une dizaine de soldats sortent de l’ombre, pointant leurs armes sur nous.

« - Eh bien, vous voyez ? Ce n’était pas si difficile de coincer les intrus ! »

Ce n’est pas Grammon derrière le bureau, mais un officier de sa garde à l’uniforme rouge garni de galons dorés. Il actionne négligemment du bout du doigt un escargophone posé devant lui, et annonce :

« - Vous aviez raison Servo, il y a des rats dans notre château. »

A ce moment, mon escargophone sonne lui aussi. Mais je serais bien en peine de le décrocher avec mes bras levés.

« - Ne perdons pas de temps, tuez-les.
- Pas si vite ! » lance Alain-Sahim à côté de moi, un sourire résolu sur les lèvres. D’un geste théâtral, il dégaine son sabre dont la lame projette des reflets turquoise et brillants dans toute la pièce. Avec un mouvement adroit, il effectue un bref moulinet avec sa lame et *BANG !* le tir d’un des soldats le touche à la tempe, et il s’effondre dans un gerbe de sang !
Le sabre de notre collègue n’a pas touché le sol qu’une salve de détonations de fait entendre : bangbangbang ! Mais cette fois, mes deux autres compagnons et moi nous y sommes préparés ! Trois soru exécutés d’un même mouvement nous permettent de ne laisser que le vide pour recevoir les tirs des soldats ! Nous nous dispersons alors, et nous ruons sur les tuniques rouges en jouant sur la confusion, dans un nuage de copeaux de bois, de livres qui volent, de sang, de fumée, et du gaz soporifique que je libère derrière moi en une traînée : peu importe qui le respire : je ferai le compte des amis et des ennemis quand il ne restera plus personne !

Je fais mine de me jeter sur le premier garde à ma portée, mais dévie ma course au dernier moment, m’élance dans les airs, et lui assène à distance une lame d’air projetée avec les pieds ! Mais le garde la pare simplement avec la crosse de son fusil et, s’en servant comme d’une raquette, me la renvoie ! Malgré moi, un haussement de sourcils trahit ma surprise et mon admiration : pas mal, je ne m’attendais pas à rencontrer des gens aussi dangereux !

J’évite une partie de la lame d’air (l’autre partie me découpe l’épaule, qui se reconstitue en laissant échapper un petit filet de fumée), et revois mon approche : cette fois je lui assène un jet de gaz sous pression, garni d’une bonne dose de soporifique !
Mais cette fois encore, empoignant son fusil par le canon et s’en servant comme d’une raquette, le garde me renvoie mon attaque à la figure. Cette dernière me laisse heureusement parfaitement indifférente, mais elle permet à deux soldats de me saisir chacun par un bras.

« - Méfiez-vous, elle a des pouvoirs. » Annonce le raquettiste tout en s’avançant, son arme fermement tenue entre les mains.

« - Tenez-la bien ! »

Et, prenant son élan, il m’assène un violent revers de la crosse en plein dans la tête ! Cependant, j’ai vu le coup venir : me dispersant sous forme gazeuse, j’échappe de manière éhontée aux soldats et me répand dans la salle sous la forme d’un gros nuage. Je me reconstitue juste derrière le « raquettiste », et avant qu’il n’ait le temps de réagir, c’est à mon tour de le ceinturer :

« - Tiens, respire ça ! »

Et je l’asperge de copieuses doses de mon caradort ! Les effets se font rapidement sentir : le soldat titube, tente de me repousser, mais ses jambes lui font défaut, ses bras aussi ; sa mâchoire s’ouvre en un terrible bâillement, et il s’effondre finalement sous le regard de ses collègues désemparés. Pas pour longtemps cependant puisqu’ils se reprennent et me pointent avec leurs fusils :

« - Ne bouge plus ! Lève les mains, tout de suite ! »

Tchac ! Au même moment, un rankyaku projeté depuis l’autre bout du bureau heurte violemment le premier soldat, qui s’effondre dans une gerbe de sang. L’autre subit le même sort un instant plus tard. Depuis l’autre bout de la salle, je vois l’agent de catégorie trois qui me fait signe, et je la remercie d’un sourire et d’un signe de tête. Pas tant une trouffionne que ça finalement !
Nous nous lançons de nouveau dans la bataille, et après une brève mais intense mêlée, finissons par éliminer le dernier soldat.

Nous nous en sommes sortis : Joseph Guillaume est blessé au bras, mais « Catégorie trois » et moi sommes indemnes. Quant au pauvre Alain-Sahim, malheureusement…

« - Quelqu’un veut son meitou ? » demande ''Catégorie trois''.
- Je suis plus à l’aise avec les lames d’air.
- Et moi avec le gaz.
- Bon, je le prends alors ! Je l’ai toujours trouvé trop cool en plus ! »

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Avant de partir, je tente de communiquer nos nouvelles informations à l’autre groupe, mais personne ne me répond. J’imagine que la situation s’est compliquée pour eux aussi, et je ne peux qu’espérer qu’ils vont bien.
Pressentant que l’alerte a été donnée, nous choisissons de ne pas ressortir par la porte par où nous sommes entrés, mais par la baie vitrée dont certains panneaux peuvent s’ouvrir au moyen de crochets. La salle de réunion, notre prochaine cible, se trouvant au rez-de-chaussée, nous nous laissons tomber dans le petit jardin en contrebas. Ce dernier étant bien entretenu, nous pouvons facilement nous dissimuler entre les petits arbustes et les parterres de fleurs, traverser ce qui ressemble à un patio, et finalement pénétrer dans une nouvelle aile du bâtiment.

De nombreuses tuniques rouges s’affairent dans le large couloir en damier de marbre dans lequel nous pénétrons mais, soit grâce à nos déguisements, soit à cause de l’agitation critique, personne ne fait attention à nous.

« - Ils ont fait une brèche à la poterne sud, il nous faut plus de sacs de sable !
- Il y a une intrusion dans nos murs. Vendetta veut que des renforts aillent au premier étage. »


Prise d’un élan d’inspiration, je pose la main sur l’épaule du soldat qui vient de parler, et lui demande :

« - J’ai un rapport urgent pour monsieur Vendetta. Tu sais où je peux le trouver ? »

Le soldat, surpris, me dévisage de bas en haut et lâche :

« - Il est dans le QG, avec les autres. »

J’ai dû avoir l’air circonspecte parce qu’il ajoute en pointant du doigt :

« - Dans le bureau des ministres, là-bas.
- Evidemment, je le savais. Merci. »

Je sens son regard dans mon dos, et je m’empresse de tourner au bout du couloir avec mes compagnons. J’entends crier, mais j’ignore si cela s’adresse à nous ou s’il s’agit du chaos de la bataille qui devient soudainement plus fort. Plusieurs puissantes déflagrations se font sentir, signe que nous devons être proches des murailles extérieures.  Je pousse rapidement la double porte en face de moi, et débouche en plein sur une vaste pièce dont l’espace principal est occupé par une grande table, une collection de magnifiques chaises renversées et brisées, et un décor soigné qui vient visiblement d’être le cadre d’un affrontement.

Plusieurs personnes sont présentes dans la pièce : deux officiers en uniforme rouge, mais également plusieurs civils. Je reconnais plusieurs ministres de Grammon, mais également Grammon lui-même, livide, ainsi que Servo Vendetta avec son profil d’oiseau de proie ; il est penché contre une silhouette massive, ensanglantée, étendue sur le sol, et qu’il maintient à la gorge.
C’est dame Candice ! Elle a visiblement attaqué et a été vaincue, tout comme ses trois compagnons dont les corps ont été projetés à différents endroits de la pièce. Voilà qui ne va pas pour me rassurer ! Je l’ai toujours considérée comme bien meilleure combattante que moi, et maintenant…

« - Qu’y a-t-il ? » Demande sèchement un des officiers.
Prise de court, je réponds en bafouillant :

« - C’est… la cavalerie qui arrive en retard ! On a entendu des bruits ici alors on a accouru !
- Qu’est-ce que vous racontez ? » grogne Vendetta en se redressant. « Je viens de congédier vos collègues, et… » il fronce les sourcils « Faites attention ! Elle est en train d’utiliser un fruit du démon ! »

J’ignore comment il a fait pour remarquer que j’étais bel et bien en train de répandre subtilement du gaz dans la pièce, mais l’instant d’après il se jette sur moi ! J’évite de justesse la lame teintée de reflets noirs qui glisse de sous sa manche, et qui décrit un arc de cercle dans les airs à quelques millimètres de ma gorge !
Tant pis pour mon plan de faire diversion tout en répandant peu à peu du gaz soporifique dans la pièce, et place au plan B : on se bagarre !
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Les deux officiers se ruent sur « Catégorie trois », sabre à la main. L’un des civils, coiffé d’une capuche et visiblement doué des mêmes talents d’assassin que Vendetta, s’attaque à Joseph Guillaume, tandis que l’homme au catogan multiplie les assauts sur moi.

C’est dans ces moments que je regrette mon dédain pour les armes physiques : la lame de mon adversaire est visiblement imprégnée de haki, et je n’ai rien pour la parer correctement. Je commence donc par lui lancer une chaise qu’il découpe sans le moindre effort, et bondis en arrière afin de maintenir assez de distance entre lui et moi pour prendre l’avantage. Mais il me suit où que j’aille : il voltige avec moi, saute partout où je vais, élimine mes projectiles comme s’ils étaient faits de mousse, tente sans cesse de m’acculer dans un angle de la pièce, et enchaîne coup sur coup avec une vitesse qui ne laisse pas le droit à l’erreur !
Mais qu’il n’aille pas croire qu’il me met en danger : je réplique avec énergie, envoyant shigans volants et lames d’air à la moindre ouverture ! Il pare et évite avec autant de vitesse et de talent que j’esquive et contre attaque, dans une tornade d’objets brisés, d’éclats de plâtre et de feuilles déchirées. Une partie du mobilier est ainsi saccagée dans notre duel : une nouvelle chaise, une liasse de documents, une pile de livres…

« - Johnson », lance Vendetta à l’un de ses officiers. « Mettez tout le monde à l’abri pendant que je m’occupe d’eux. Et dites aux hommes d’éviter la zone : j’ai besoin de tout le monde au front, et d’espace ici.
- Guillaume, empêchez-le !
« - Ça va être compliqué ! » geint l’agent en parant de justesse une attaque de son adversaire encapuchonné.

Sans doute Vendetta a-t-il remarqué que, durant notre échange, je n’ai pas cessé de répandre du gaz autour de moi ? Et que, à chaque seconde, je me rends un petit peu plus maîtresse de la pièce, jusqu’au moment fatidique où elle sera saturée en gaz soporifiques ? Les plus fragiles d’entre eux devraient déjà commencer à en ressentir les effets…
Peut-être, ou peut être attendait-il que ses alliés soient partis pour déployer toute sa puissance, car dès l’instant où Grammon et ses ministres ont quitté la pièce, le mode d’action de mon adversaire change radicalement : sur ses bras qu’il étend devant lui, viennent éclore des bouquets de cristaux rouges et scintillants, semblables à des pointes de givre ou à des rubis ensanglantés. La gerbe grandit à une vitesse déconcertante : en une seconde elle a formé une barrière devant lui, une de plus et elle a formé un mur, une autre et elle me force à reculer avec précipitation jusqu’à me retrouver dos au mur !
Je réplique aussitôt avec une bonne décharge de caragaz explosif : carabaoum !!! Le cristal vole en éclats dans un fracas digne des plus beaux accidents de vaisselle ! Hélas, le temps que la fumée se dissipe, le mur de cristal a déjà recommencé à fleurir, et il en émerge de longues pointes effilées comme des épées qui jaillissent vers moi. Je riposte avec la même énergie : caraboum ! Caraboum, caraboum, caraboum !!! La règle avec les explosions c’est : si une seule ne suffit pas, c’est qu’il en faut plus !

Et mes alliés ? Et les siens ? Oh tu sais journal, dans ces moments-là je me dis que soit ils sont assez forts pour résister à mon gaz, ou assez malins pour comprendre qu’ils doivent se tenir à l’écart, soit ils ne sont plus très utiles et ils peuvent bien attendre la fin du combat dans un bienheureux coma.

« - Alors monsieur Vendetta, on a des pouvoirs secrets ?
- Voilà qui allonge la liste de nos points communs, mademoiselle d’Isigny ! »

La pièce est entièrement saturée d’une fumée âcre, de débris calcinés, et d’amas de cristaux brisés semblables à des éclats de verre rouge. Un nouveau souffle d’explosion me permet de chasser cette fumée qui me gêne la vue, et me permet de constater que non seulement le mur de cristal a été pulvérisé, mais qu’il a cessé de croître… et que Vendetta a disparu.
Je l’ai désintégré ? Déjà ? Oh chouette alors, j’ai gagné !

« - Attention ! » me crie soudain ''Catégorie trois".

Et cette dernière, au mépris du danger, enjambe la distance qui nous sépare et me bouscule, m’empêchant de justesse de me faire empaler par une colonne de cristal qui jaillit du mur, tranchante, effilée, luisant d’une teinte noire et brillante de mauvais augure !
Nous roulons toutes les deux au sol, nous empressant de prendre de la distance avec ces pics qui continuent de jaillir autour de nous. L’un éventre ce qui restait de la table des ministres, d’autres renversent sans ménagement les étagères et leurs contenus, et d’autres encore perforent des tableaux d’une valeur inestimable !
Je réplique avec violence et explosions ! Je tire des boules de gaz sans même viser, au jugé, et ‘’Trois’’ m’imite avec des lames d’air tirées avec son sabre et ses jambes. Finalement nous nous relevons toutes les deux, côte à côte, haletantes, de l’autre côté de la pièce.

« - Merci pour l’avertissement ! » lui dis-je avec un sourire chaleureux en soufflant profondément. « D’ailleurs je ne vous ai même pas demandé, quel est votre nom, agent… ?
- Agent Transform'e.
- Enchantée ! Maintenant, voilà ce que nous allons faire : » je chuchote « je vais l’occuper avec… houla il n’est pas passé loin ! » dis-je en m’exclamant alors que j’évite de peu un cristal en forme de lame de jet, en me contorsionnant avec un mélange de kamie et de logia. Un bruit de chute à côté de moi, suivi du son d’une lame qui tinte contre le sol, m’apprend que la pauvre agent Transform'e n’a pas eu le même réflexe heureux.

Je me prépare à contrer une nouvelle attaque, mais au lieu de fondre sur moi Vendetta s’est dirigé vers la fenêtre. Cette dernière donne sur une cour intérieure, et il la fait voler en éclat en projetant un éventail de cristaux.

« - Notre combat se poursuivra dehors, mademoiselle d’Isigny. Je ne tiens pas à respirer davantage vos émanations. »

Grrr, comment il sait pour mon gaz soporifique ? Il a un sixième sens ou quoi ?!
… il a un sixième sens. Bon, je n’ai pas une infinité de choix qui s’offrent à moi de toute façon. Servo Vendetta est visiblement un adversaire très dangereux, bien trop pour que je le laisse s’enfuir. A l’inverse de Grammon qui semble inoffensif, et qui est coincé dans le palais. Je l’aurai bien à un moment, une fois qu’on m’aura laissé le champ libre. Va pour le duel, alors !

J’ai un rapide coup d’œil pour la pièce dévastée et les corps inanimés, peut-être morts, des agents Guillaume et Transform’e, de leurs adversaires, ainsi que pour ceux de dame Candice et son équipe. Je m’efforce de chasser le sentiment d’isolement et de vulnérabilité qui tente de s’introduire dans ma tête, et enjambe à mon tour la fenêtre brisée.

♦♦♦♦

J’atterris dans un large patio semblable à un jardin soigneusement entretenu, avec de l’herbe, des parterres de fleurs, une fontaine centrale et des allées dallées de pierre colorée.
De part et d’autre, la cour est bordée d’élégants murs garnis de hautes fenêtres et, une dizaine d’étages plus haut, un dôme de verre laisse entrevoir le ciel étoilé, aussi beau et paisible qu’inaccessible et indifférent à ce qui se joue sous son manteau.
Vendetta se tient à côté de la fontaine, une courte épée dans une main, me faisant face avec hauteur. Lorsque je m’avance face à lui il me jette un coup d’œil appréciateur et déclare :

« - Nous nous sommes visiblement méjugés, l’un et l’autre. Je pensais vous éliminer rapidement, mais je vois que vous êtes pleine de ressources que vous nous aviez cachées lors de vos nombreuses joutes contre mes alliés. Soit. Il convient que nous nous opposons à un véritable duel, entre nobles de Goa.
Pour vous, je me présente comme il se doit. »
Enchaîne-t-il d’une voix forte et claire, en esquissant une élégante révérence : « Je suis Servo Vendetta, marquis de Magenta, assassino d’Umbra et valet de l’Armée Révolutionnaire. Évidemment, » conclut-il avec un sourire de compassion froide, « vous en savez désormais trop pour rester en vie.
- Je suis Dame Caramélie d’Isigny, fille du comte d’Isigny » dis-je avec la même détermination, et un sourire qui me fait paraître beaucoup plus assurée que je ne le suis réellement. « Quant à ma véritable allégeance, comme je garde la possibilité de vous capturer vivant, vous n’avez pas à la connaître.
- Ces jeunes... » soupire simplement Vendetta.

Faute d’arme à brandir (pourquoi n’ai-je pas ramassé le meitou d’Alain Ashim avant de venir ? Qu’est-ce que je suis bêêêête !!!) je fais naître dans ma main une boule de gaz prête à exploser. En réponse, un éventail de cristal éclot dans celle de vendetta.

« - En garde !
- En garde. »

Et nous nous élançons de concert, lui en avant, moi en arrière. Nos attaques s’entrechoquent et explosent, roussissant l’herbe et répandant partout des éclats de cristal. Notre dynamique est claire, et mon adversaire a bien compris qu’il avait l’avantage sur moi de près puisqu’il continue de chercher le contact, tandis que je m’efforce de garder mes distances. Mais cette fois il m’a donné un avantage, puisqu’en décidant de combattre dans un espace libre pour limiter ma capacité à l’intoxiquer, il m’a également donné les moyens de prendre de la hauteur…

En quelques bonds, je m’éloigne du sol. Je me stabilise sous forme semi gazeuse deux étages plus haut, et projette sur le patio une série de boules de gaz explosif ! Vendetta évite la première d’un sprint en avant, esquisse le geste de me lancer un projectile mais doit se raviser pour se protéger d’une seconde, et évite une troisième en s’élançant dans les airs, perché sur un pilier de cristal !
Avec un sourire narquois, je vise cette cible toute désignée et qui ne semble plus pouvoir m’éviter, mais il me détrompe en bondissant de son perchoir et, après une courte course dans les airs, en se stabilisant sur un second pilier de cristal qui apparait presque instantanément sous ses pieds, planté de part et d’autre des murs qui bordent le patio. Tout autour de nous, d’épaisses colonnes translucides et scintillantes de mettent à fleurir, comme autant de dents dans la gueule d’une plante carnivore !
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Ville Haute

Malgré la nuit bien établie, les échanges de coups de canon n’ont pas cessé. A intervalles réguliers, la façade de l’immense palais forteresse s’illumine de gerbes de flammes, semblables à des feux d’artifice. En retour, autant d’étincelles s’allument en ville, creusant la pierre et les pavés, soufflant les vitres et les toitures

Dans le relatif abri de l’hôtel particulier barricadé qui leur sert de quartier général, les trois meneurs de l’émeute font le point sur leur situation. En sa dignité d’amirale de la flotte de Goa, la marquise de Cha-Cha-Cha se charge de la chose militaire. Cela fait longtemps qu’elle et sa troupe ont été relégués à un simple rôle de garnison par la marine du Gouvernement Mondial, mais il en faut plus pour lui faire perdre la main. Un scénario de ce genre, elle l’a imaginé maintes et maintes fois ces cinq dernières années.
A côté d’elle, le duc Augustin d’Augustin, huitième du nom, coordonne les civils, les émeutiers, les miliciens comme ils aiment à s’appeler. La tâche est rude car ils sont nombreux, déterminés, un brin sanguinaires même, mais il faut plus qu’une bonne colère et une émeute pour prendre une forteresse bien défendue.
Sa cousine Réglisophie, Madame la présidente d’Isigny tel qu’il convient de l’appeler à présent, fait plutôt office d’étendard, de point de ralliement. Elle acquiesce sans trop discuter les décisions de ses compères, et rallie à elle toutes les bonnes volontés. Elle va de barricade en barricade, encourage par sa simple présence. En retour on lui crie vive la présidente, et même parfois vive la reine, ce qu’elle fait mine d’accepter avec réticence et modestie.

Des heures de bombardements intenses ont permis de faire sauter les grilles d’entrée, ainsi que le mur sud qui avait déjà été éventré durant la reprise de la ville des mains des révolutionnaires il y a cinq ans, et qui n’avait été que sommairement réparé. Pour autant les défenseurs tiennent bon, et l’on commence à comprendre, côtés attaquants, qu’il faudra encore de l’énergie et de la patience pour espérer faire tomber la forteresse et ses occupants.

« - Avez-vous finalement retrouvé ma sœur ? » demande Réglisophie à son cousin d’une voix douce.

Ce dernier frise machinalement sa fine moustache et pose sur elle ses yeux bleus extrêmement clairs et perçants :

« - Toujours pas, hélas. Aux dernières nouvelles elle était à la barricade de la rue Neuve, mais depuis plus personne ne l'a vue. C’est comme si elle s’était envolée.
- Vous l’avez faite chercher parmi les blessés et les morts ?
- Tous n’ont pas encore pu être évacués des décombres. Mais… » Il pose la main sur le poignet de sa cousine avec bienveillance. « Ça ne veut rien dire. Il fait nuit, nous sommes des milliers, elle pourrait être n’importe où en ville.
- Elle a toujours eu cette vilaine manie de disparaître aux pires moments. Parfois, je me demande si elle n’en fait pas exprès pour m’exaspérer ! Bon, et si… Oh ! Regardez ! »

Rugissant avec force, une explosion fracassante illumine la façade du palais ! Un instant le ciel redevient bleu, les maisons blanches, et tout Goa semble éclairé comme en plein jour !!
Lorsque la nuit reprend sa place, impossible d’ignorer le grondement terrible de pans entiers de murs qui se déversent dans le vide. Malgré l’épaisse fumée noire, on devine sans peine que toute une partie de la muraille vient de voler en éclats.

« - C’est nous qui avons fait ça ?!
- Nos canons ont dû toucher un point sensible. Peut-être un dépôt de poudre ou une réserve de munitions.
- Une chose est sûre, » s’exclame la marquise : « il est temps de monter à l’assaut ! »
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