Combien de temps Kant avait-il poireauté dans la plus grande solitude au sein de ce grand manoir, seule et unique demeure de ce maudit caillou ? Il ne s’en souvenait plus lui-même. Tout ce qu’il gardait en mémoire, c’était le sourire narquois de l’homme perfide qui l’avait amené là, après lui avoir promis une «
fête grandiose ». Galvanisé par la nouvelle, le révolutionnaire s’était méticuleusement préparé pour les célébrations : il débarqua chargé de vin d’îles d’été, de bièrraubeurre de Boréa, et de diverses liqueurs finement dérobées ici et là par les plus adroits contrebandiers de Grand Line. L’individu malhonnête qui l’avait débarqué sur l’île lui avait même confié une petite pilule, naïvement appelée
bonbon, et lui avait conseillé de le consommer «
au pinacle des festivités, au cœur battant de la fête », lui promettant de pouvoir sentir les couleurs, voir la musique, et tout un tas d’autres expériences tant illégales qu’exquises. Mais il n’en fut rien : sur l’île, personne ! Les seuls compagnons de Kant durant ces longues journées furent des goulots de bouteille, encore et toujours de goulots. Si bien qu’il se saoulât jusqu’à perdre connaissance, et ce jour après jour.
Et soudain, une présence ! Émergeant de son coma éthylique journalier, Kant perçut la présence d’un autre être vivant à l’intérieur du manoir. Était-ce réel ? N’était-ce qu’un rêve, ou était-ce bel et bien le Haki de l’Observation du contrebandier qui lui permettait de sentir la proximité d’autrui ? D’un bond, il se releva. Des gouttes d’eau croupie suintaient du plafond et tombaient en une mélodie grossière et lugubre sur les cadavres de bouteilles vides dispersés autour de lui. En jetant un œil tout autour, il s’aperçut qu’il ne lui restait pour seul et unique breuvage que le tonnelet de bièrraubeurre. Cela semblait tout de même suffisant pour s’enivrer un jour de plus, quand bien même il faudrait le partager. D’un élan jovial, il s’engouffra dans les couloirs en direction de la mystérieuse présence à l’étage du dessous.
«
Qui va-là ? » s’enquit une voix. Kant accéléra le pas et pénétra dans ce qui semblait être l’ancienne grande salle. D’ordinaire, il aurait été captivé par le mobilier ouvragé en bois sculpté, mais la profonde solitude qui l’accablait était telle qu’il dirigea d’emblée toute son attention sur la silhouette famélique assise contre une colonne effondrée. D’un bond, il s’élança vers elle.
«
Eh ben ! Vous en avez mis un foutu temps ! s’exclama-t-il, tout en joie et excitation.
Où c'est qui sont les autres les autres invités ? C’est maintenant le cœur battant de la fête ou quoi ? Non ? Bon, disons que c’est maintenant ! » Puis, il avala son bonbon.
Débouchant son tonnelet de bièrraubeurre, Kant laissa s’échapper des effluves douces et maltés qui contrastèrent avec les odeurs âcres émanant du repas du naufragé squelettique. Après une généreuse goulée, le révolutionnaire lui tendit son breuvage, heureux à l’idée de partager. Ce n'est qu'à cet instant qu'il observa plus attentivement l'homme en face de lui. Blafard et émacié, celui-ci dégageait une aura morbide, comme si la mort siégeait à ses côtés. Kant ne reconnut pas immédiatement le capitaine des Faucheurs… qu’il connaissait pourtant de nom et de réputation.
«
Oh bah vieux, la sale mine ! dit-il d’un ton compatissant.
C’est l’trajet jusqu’ici hein ? Pô simple, pô simple… Tiens ! Goutte ! Ça va te requinquer ! »
Puis, à ces mots, Kant sentit une nouvelle présence, au loin, dans les couloirs. Un autre invité venait certainement de débarquer.
«
Oh ! Génial, tu sens ce’que j’sens Squelettos ? P’tet une autre invitée ? Viens, qu’on va voir ! »
D’une pirouette, l’ivrogne cabriola derechef, traversant la salle en direction des couloirs d’où semblait émaner la présence. D’un geste, il invita son nouvel et unique ami cadavérique à le suivre. De légers picotements parcoururent sa nuque, signe qu’on s’approchait du pinacle des festivités…
- Technique utilisée:
# Haki de l’Observation I : La maîtrise du Haki de l’Observation de niveau I permet à Kant de ressentir la présence de tous les êtres vivants dans un périmètre restreint, tel un village ou le quartier d'une grande ville.