On est toujours pas sérieux quand on a vingt-deux ans. Malgré les trois années de dévouements qui avaient suivies l’initiation du jeune marine, Soren ne se sentait pas encore près à se faire canoniser moine. Afin de soulager la peine que lui procurait les pêchés de pauvres hères, il se distrayait en parcourant les mers bleues au gré de ses envies. Moyennant quelques deniers, les deux sociétés de location de bateaux "Colonel Igloo" et "Très petit navire" avaient accepté de signer un contrat en partenariat pour assurer le transport de leur futur ambassadeur. Certes on ne lui fournissait étrangement que du thon en boîte pour ses voyages, mais l’essentiel demeurait.
Un petit matin de mai, ses pérégrinations le menèrent vers la petite ville d’Orange, sur la pas-si-calme East Blue. Le lieu avait quasiment tout pour plaire. Il faisait bon, une légère brise flottait dans l’air et les quelques nuages présents dans le ciel azur formaient des symboles chimériques, comme par exemple l’aspect d’un lion majestueux semblant s’adresser à quelqu’un un peu plus loin.
On avait prévenu Soren que les marines, tout comme les pirates, n’étaient pas bien vus sur place. Il décida donc, dans les limites du possible, de passer incognito. Après tout, qui allait remarquer trois croix pas si énormes sur le front d’un individu mat, habillé comme Brav Tipp (un acteur reconnu) ?
C’est ainsi qu’il entama sa ballade dans la ville, souhaitant à la fois ne croiser que de braves âmes, et se surprenant toutefois à traquer la présence de malfaiteurs.
L’avenue centrale grouillait de monde et même si les soldes ne débutaient que dans plus d’une lune, on se pressait devant les étals et les boutiques.
Soren s’amusa à observer toutes ces fourmis au travail. Une aura de pureté envahissait l’air et un puissant « boum boum » résonnait près de la cage thoracique de notre héros.
Après avoir dépassé la brasserie « Chez Bonbeur » (hé Jean, c’est ma tournée, une Kaku pour tout le monde, s’était même exclamé un habitué), il jeta un œil à l’armurerie. Non pas qu’il recherchait de nouvelles armes, ça non, mais ses cinq petites chéries méritaient bien un petit
La pièce baignait dans une couleur rouge vif qui donnait une impression puissante et macabre à l’ensemble. Cela rappelait même à Soren l’ambiance qui s’installait quand il pratiquait le rituel purificateur sur ses petits amis. De nombreux katanas étaient exposés et des dagues de toutes sortes recouvraient tout un pan de mur. Dans un coin, Soren put même distinguer une sorte de poignée de sabre. Elle était circulaire, un curieux bouton était d’ailleurs présent , mais ne possédait pas de lame, comme si l’arme était faite d’une substance inconnue :
« Bien le bonjour mon cher monsieur. Dites moi comment se nomme cette arme fort singulière ? Je n’en ai jamais vu de tel. »
Le patron, un homme assez bourru à l’allure patibulaire, cigare au bec, lui répondit d’une voix caverneuse :
« On l’appelle le sabre de Jide. Il a jadis appartenu à un vieux sage qui avait l’habitude de s’exprimer à l’envers.
- A l’envers ? s’étonna le marine incognito
- En effet, comme cela il parlait, si un exemple vous désirez. Adoy était son nom. »
Ladite arme était de toute manière bien trop onéreuse, mais il était vrai que la lumière verte qui avait émergé de la poignée lorsque l’armurier (qui s’appelait d’ailleurs Pat Hibulaire ) avait pressé le bouton paraissait puissante. Une fois l’affutage terminé, il se remit en chemin.
Un passant lui avait parlé d’un orphelinat non loin de la côte. Apparemment la croissance actuelle de la ville était due à un homme de foi qui y séjournait parfois. Il ne fallait jamais laisser passer une occasion de croiser des hommes de bien. Bien que la doctrine et sans doute les manières soient différentes, la soif de paix et de bonheur de tous les religieux forçait le respect.
A la grande différence de la plupart des cultes, celui du fils Lawblood ne vénérait pas une seule divinité. Certes la vie après la mort existait, mais on ne pouvait se résoudre à croire à une seule entité qui finalement aurait incarné un totalitarisme dérangeant. C’était la Nature, la terre elle-même qui nous berçait, même dans un monde spirituel. Quoi de plus normal pour ceux qui abimaient les fruits de ces arbres que de retourner à la Nature qui les accepterait et leur ferait entendre raison.
« La Nature est infiniment plus forte que nous. Acceptons le au lieu de nous lancer dans une croisade aussi vide de sens qu’autodestructrice. » Chapitre trois verset un.
Mais Soren pouvait comprendre les bizarreries des autres dogmes. Quoi de plus beau que le métissage des religions !
Après plusieurs minutes de marche sur des sentiers de plus en plus étroits, le jeune gradé arriva près du lieu d’accueil pour jeunes âmes abandonnées. De récentes rénovations avaient l’air d’avoir été pratiquées, car la façade brillait de mille feux et un échafaudage était encore présent près de l’aile ouest. Une jeune femme le renseigna :
« Bien le bonjour, chère demoiselle, je vois que s’occuper d’enfants embellit magnifiquement le teint et que vos boucles d’or ne font que rayonner davantage sous ce ciel.
- Pardon ?
- Puis-je vous demander votre nom, ô astre du jour ? insista l’hardi gaillard
- Barbara. Barbara Streisable.
- Ouhououhou wouhouhou ouhouhou ouhou.
- Que désirez-vous ? J’ai autre chose à faire qu’écouter vos élucubrations fantasques sans queue ni tête ! Si vous n’êtes venu ici que pour faire le beau parleur, vous allez vite repartir la tête basse.
- Et bien...»
La conversation ne dura pas beaucoup plus longtemps mais au moins Soren fut informé du nom et de la situation de l’homme recherché. Cette petite Barbara ne résisterait pas longtemps, il le savait. Il avait ainsi trouvé une bonne raison de plus de s’attarder sur cette Belle-Ile-en-mer. Et si Marie (son deuxième prénom) n’avait pas été très Galante cette fois-ci, il ne tenait qu’à lui de lui faire changer d’avis.
Près de l’échafaudage, debout sous les orangers il l’aperçut perdu dans ses pensées. Un colonel apparemment. Un bon soldat qui comme lui prêchait la paix. Dépassant de plus d’une tête notre protagoniste, il avait l’air grave qu’ont ceux qui sont possédés par leur idéologie. Son visage fier et sordide à la fois le laissa quelques secondes sans voix.
Soudain, se sortant de sa torpeur et s’éveillant de ses songes insensés, Soren se reprit et s’exprima sous les somptueux orangers :
« Bien le bonjour colonel Aegirson. Soren Lawblood, sous-lieutenant pour vous servir. Sans vouloir trop fanfaronner, je sens que nous allons bien nous entendre. »
Un large sourire sur le visage, notre joyeux purificateur engagea une conversation qui serait peut être le prélude d’une belle histoire.