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La Bonne, la Brute et la Truande, part 2

Brumes marines, figure de proue qui émerge sans un bruit. Point de vue qui se rapproche au-dessus des flots encore endormis. La Psyché avance au ralenti comme un vaisseau fantôme. Personne à bord à première vue, mais quand on s’est assez rapproché on distingue enfin les silhouettes grises des pirates qui courent sur le pont dans le brouillard. Silence total entre les hommes. Contrairement aux trois équipages morts à Kamabaka, ils savent ce qu’ils font, n’ont pas besoin de mots pour assurer la manœuvre. Et tant mieux. Ce sont les fidèles, ceux dont Crimson Betty s’est assurée les services dès les premières heures, depuis avant Grand Line pour la plupart. Ils savent qu’elle dort encore et qu’on ne réveille pas la capitaine avant qu’elle se soit levée d’elle-même sans une bonne raison. Et pour l’instant, purée de pois exceptée, il n’y a pas de bonne raison. Alors autant ne pas crier. Le cap est défini, le logpose rechargé indique la route à Maykeul Queul le barreur et à la mascotte de l’équipage, le mouton Degrèphe, assoupi à ses pieds.

Second Peace Island, tous l’ont attendu avec patience.

Et soudain la voilà. Un coup de sabre et le rideau de vapeur d’eau est coupé. Depuis la poupe on commence à apercevoir l’avant du navire. Depuis le pont on commence à apercevoir la hune. Et tout là-haut, l’homme qui veillait dans le froid humide peut crier : Terre ! Terre ! Et devant tout l’équipage sorti pour l’occasion, à l’horizon s’expose le spectacle qu’ils espéraient tous. Leur imagination n’est pas déçue, la vue est vraiment magnifique. L’île céleste tout là-haut, là-haut, géante, gigantesque, infinie. Et en bas le port artificiel créé pour l’endroit, d’où partent les navires de ravitaillement. L’un d’eux est justement en train de s’envoler. Des voix s’élèvent, des cris joyeux. De pirates sanguinaires, ils sont redevenus enfants de deux ans devant la perspective d’une friandise. En guise de sucreries, aujourd’hui : la promesse des trésors anciens de l’île des archéologues.

Fini de baver, messieurs ! Parés à la manœuvre !

Betty semble d’excellente humeur aujourd’hui. Et pourquoi ne le serait-elle pas. Comme ses hommes, elle aime beaucoup les trésors. Plus qu’eux, peut-être. Alors en être si proche et ne pas être en joie… non, ça ne collerait pas. Avec à la main un pot de miel dans lequel elle se sert régulièrement, elle surveille depuis le bastingage du château arrière son équipe s’agiter devant elle. Et son prisonnier attaché à ses côtés. Elle lui propose du sucre liquide mais depuis une semaine qu’il subit la chose il commence à s’en lasser. Il y a une certaine familiarité dans le propos du lieutenant-colonel Tahgel quand il la supplie de varier le menu, qui laisse interrogateur sur les rapports entretenus entre les deux personnages depuis le départ de l’île Okama.

Roh, allez m’dame Crimson, fais péter les cahouètes !

Mais elle ne répond même pas. Le vaisseau est prêt, place au spectacle. Chèfe d’orchestre improvisée, elle dégaine et frappe du plat du sabre sur la muraille de bois. Tac, tac, tac, un, deux, trois, commençons ! Oh, hisse, oh, hisse, dix hommes en bas s’acharnent sur deux rouets que le prisonnier n’avait pas encore remarqués. Il faut dire qu’il n’est pas beaucoup sorti depuis qu’on la jeté en cale puis remonté dans une cabine fermée à clef. Et, muet lui aussi, il observe. Chaque tour entraîne un peu plus un mécanisme invisible, et deux ailes se déploient soudain de chaque bord du galion. Un bruit derrière suggère que des rectrices sont aussi apparues. Et puis un énorme claquement suivi d’un silence lourd comme l’air. Tous se regardent, tous attendent que la magie s’opère. Au-dessus d’eux leur capitaine agite encore un peu son arme.

Et le miracle se produit. Psyché prend son envol tandis que les ailes déployées de Crimson Betty s’agitent sous les effets de l’extase qu’elle ressent. Et devenue papillon à nouveau, elle volette entre les mâts de son navire métamorphosé pendant que, sur le pont principal, ses hommes entonnent une chanson pour saluer la clairvoyance de celle qui les a guidée jusqu’ici. Une de ces chansons de marins qui vous retournent la sensiblerie jusqu’au dedans de vous-même, un chœur puissant comme seuls eux savent en mener. Des mouvements graves dont les paroles ne sont pas importantes. D’abord chuchotements, marmonné, le chant devient puissantes phrases qui semblent concourir à l’élévation du bateau.

Resté seul aux côtés du navigateur dont il se méfie, Tahar reste admiratif. Il n’est plus la poule au milieu des renards, mais le spectateur attentif d’un rare opéra. Un opéra sévèrement burné. Il pourrait fuir, mais avec ses mains et jambes entravées, mieux vaut au contraire qu’il ne s’approche pas trop du bord du plateau. Une chute lui serait fatale, non parce qu’il ne survivrait pas au choc, mais parce qu’il ne pourrait pas nager et coulerait à pic. Une fin qui n’entre pas dans ses projets.

Impressionnant, hein ? Hihi. Content qu’on t’ait gardé en vie pour voir ça ?

Et voilà, le moment de grâce est terminé. Betty la volage, la papillonneuse, la frivole est revenue à sa personnalité coutumière, a repris forme humaine, et le toise des dessous de son éternel chapeau rouge. Elle est mignonne, la capitaine des Sphinx Tête de Mort. Mignonne et attirante, et encore plus sous sa forme hybride, curieusement. Mignonne et dangereuse car imprévisible, presque autant que lui. C’est pour ça qu’elle l’a gardé en vie d’après ce qu’elle lui a dit, d’ailleurs. Parce qu’il a volé contre toute logique, contre toute sagesse militaire, pour atterrir sur un pont de navire pirate où il n’avait aucune chance de vaincre. Et probablement aussi parce qu’il lui a raconté un bobard comme lui seul sait en faire à propos du trésor de Sad Hill, enterré sous une pierre dont il connaîtrait la localisation exacte sur Second Peace Island. Une histoire de taverne racontée par le commandant Bill Carson, croisé sur West Blue des années auparavant. Une histoire mâtinée de savante improvisation. Une histoire qui incite à garder en vie le captif qui vous la raconte, au cas où, par hasard, elle serait éventuellement peut-être en partie vraie. Et si au final elle ne l’est pas, vraie, tant pis pour le menteur.

Capitaine, où est-ce qu’on accoste ?

Probablement là où il n’y a personne, monsieur le maître d’équipage. Crimson ordonne de faire le grand tour avant de se rapprocher de la terre pour ne pas être repéré. Il s’agit d’éviter les filets de la Rua Anrior, dont toutes les histoires rapportent la puissance, jusqu’à avoir mis la main sur un trésor digne qu’on se batte pour lui.


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Ven 29 Aoû 2014 - 18:58, édité 2 fois
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Et presque pendant ce temps-là, sur le Vagabond :

Euh, Ma’am, je peux dire une connerie ?
Faites, Fabien, faites… Hmm…
Eh beh, euh… Comment qu’on va faire pour grimper là-haut ? La frégate elle est pas équipée pour ça…
Graoumf.
Héhéhé, je l’avais dit que c’était une connerie, hein… Me tapez Ma’am. Siouplaît ! Non ! Aïeuh.

Fabien, c’est le lieutenant Bart-Aysse, nouveau Second depuis la disparition de Tahar. Céléno l’aime moins parce qu’il a moins de répondant. Pas une lumière, quoi. Mais bon, parfois, la nécessité fait que. Alors elle fait. A contrecœur. Ca se sent un peu, d’ailleurs. Et ça inquiète un peu les hommes, d’ailleurs. C’est bizarre, une Harpie qui ne vous fait plus obligatoirement peur à chaque apparition. Mais ils se taisent encore, parce qu’elle a encore ses moments. Comme la fois où elle a jeté le première classe Pyle par-dessus bord quand il a protesté contre le rythme de travail qu’elle leur a imposé pour réparer la coque du navire, au port de Kamabaka. Ah il a dû y rester, là bas, oui. Deux jambes cassées, deux bras cassés… c’était un poids mort dont on ne pouvait pas s’embarrasser, comprenez. Pauvre gars, pas sûr qu’il s’en remette. Personne n’a plus protesté contre aucune consigne depuis, pas un seul murmure de mécontentement pendant la marche forcée jusqu’ici. Quatre jours ça leur a pris, pour la traversée. Un record, probablement, oui…

Et puis le temps n’est pas encore à la mutinerie. Imaginez qu’on le retrouve, le lieutenant-colonel Tahgel. Imaginez.

En approche de l’île céleste, le vaisseau de guerre ralentit sur les ordres de sa capitaine. S’approche de la plate-forme flottante. S’y amarre. Deux bateaux civils sont déjà à quai, et une flopée de civils discute avec le capitaine du navire volant qu’on aperçoit là-bas au bout de la rampe d’embarquement. Des archéologues qui veulent grimper là-haut et négocient le remorquage d’une de leurs embarcations. La rouquine fend leurs rangs comme un rien, apostrophe directement le chef du navire de ravitaillement.

Salut bonhomme.

Non elle n’attendra pas son tour comme tout le monde. Non elle ne patientera pas pour le bateau du lendemain. C’est celui-ci qu’elle veut et non elle ne négociera pas. Y a de la place à son bord si ces messieurs de l’académie mondiale d’histoire officielle protestent, par contre. Dans les cales, fers aux pieds. Ca tente quelqu’un ? Non ? Bon. Combien de temps pour les préparatifs, capitaine ? Pressons alors.


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Retour à nos pirates, voulez-vous. Eh bien figurez-vous que, ici… à Second Peace Island… il pleut.

Oui, la matinée avait bien commencé pourtant, mais là c’est la galère. Pluie torrentielle, depuis la mi-journée. Impossible de bouger, obligés de rester à bord, cloîtrés dans les cabines pour les gens importants et dans l’entrepont pour les hommes. A part les deux malchanceux que le sort a désigné comme veilleurs pour le quart présent. La météo est comme ça sur Grand Line. Joueuse.

Mais ç-ça m’énerveuh, ça, bordel !
Du calme, Brett, du calme… Nous finirons bien par pouvoir sortir. Et menés que nous serons par notre cher invité, à nous les…

Betty ne finit pas sa phrase. Elle s’est perdue dans ses pensées au milieu. La faute à la chandelle qui éclaire la cabine, et en particulier à la petite flamme qui s’agite au sommet. Une fois, deux fois, trois fois elle approche la main, avant de se brûler comme une enfant qui n’a jamais fait l’expérience du feu. Brett, aussi appelé « Couille Molle » par ses compagnons parce qu’il est le seul à bord à ne pas suivre sa capitaine pour des motifs en partie pas catholiques, c’est le second homme le plus puissant à bord de la Psyché. Et malgré tout on le respecte beaucoup même si, sans trop qu’on sache pourquoi, il est pourtant rare qu’on l’appelle le Second. Peut-être parce qu’on se méfie un peu de ses manières… Bref. Brett, donc, observe sa patronne avec un mélange d’amusement et d’inquiétude. Inquiétude parce qu’il est aussi l’un des rares à la connaître sous ce jour particulier, fait de gamine innocence et contrastant avec les accès de cruauté qui l’ont menée à voir sa jolie frimousse primée à 100 millions de Berries par les autorités, et parce qu’il sait qu’un jour ce sera sa perte. Sa perte à elle. Ces pensées peu joyeuses que lui amène la pluie, l’homme les évacue du revers de la main tout en refoulant également, d’un grattage de sa barbe de quadragénaire, les souvenirs de l’année où elle et lui ont formé les Sphinx. La nostalgie ne sert en effet à rien, sauf à faire baisser sa garde.

Et il vaut mieux ne pas la baisser en ce moment. L’endroit ne s’y prête pas.

… à nous les Berries.
Hm ? Ah, oui… les Berries… A nous…
Betty ?
Mh ?
… Non, rien.
Mh.

Brett sort plutôt que de faire la remarque qui lui brûle les lèvres depuis une semaine. Pourquoi ne pas être restés sur place pour couler complètement la frégate, là-bas ? Pourquoi s’être gardé cette meute aux trousses ? Parce qu’il le sent bien, le second. Il le sent depuis lors, ce mauvais pressentiment. Mh. Mais depuis toujours il a réussi à pallier le manque de consistance de sa capitaine, à assurer leur sécurité malgré tout. Ce n’est pas maintenant qu’il va montrer des faiblesses dans cette tâche qui lui incombe… Tiens, il n’est pas mouillé. Il ne pleut plus en fait ? Pourquoi les veilleurs n’ont encore rien dit ? Les voilà qui sortent de leur abri. L’homme les regarde d’un œil suffisamment noir pour qu’ils s’empressent de se justifier : ça vient de s’arrêter m’sieur Brett ! … bref. Il rentre dans la cabine pour prévenir la reine rouge, mais déjà la voilà qui sort, impeccable dans sa tenue de sang. Ainsi sortie à l’air libre, l’insouciante d’il y a quelques instants a disparu pour ne plus laisser voir que la meneuse d’hommes sûre d’elle et menaçante.

Amenez-moi notre invité et qu’une cinquantaine d’hommes se préparent. Nous y allons.

Branle-bas, agitation, préparatifs, et hop une troupe d’explorateurs s’est préparée.

Mh, m’dame Crimson, si on doit marcher dans la brousse y a moyen qu’on m’enlève les fers ?

Regard prolongé, les chaînes sont enlevées. Des chevilles uniquement.

Et avec discipline on descend du navire ailé, échoué et amarré solidement sur les côtes aériennes de Second Peace Island. Côtes désertes de tous côtés. Rien en vue. L’approche n’a pas dû attirer les foules, finalement.

En route très cher, et j’espère que tu sais où tu vas.

Oui oui, le gros massif qu’on voit tout là-bas au loin avec le sommet en trident c’est la butte de San Tanza, et logiquement la nécropole est pas loin du pied. Logiquement. C’est là que s’arrête la vérité dans la reprise par Tahar de l’histoire de Carson. Et après ? Après on improvisera. Nécropole, ça veut dire pierres partout et archéologues, donc gens et outils, donc armes, donc issue de secours. En espérant que Carson n’ait pas menti, et que celui qui a raconté l’histoire à Carson n’avait pas menti, et que celui qui a raconté l’histoire à celui qui a raconté l’histoire à Carson n’avait pas menti… Et marche et marche, petite troupe, dans la boue, sous les arbres, dans la plaine, marche et marche encore. Des heures et des heures, marche et marche.


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Ven 9 Déc 2011 - 14:38, édité 1 fois
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Perdus ?! Comment ça, perdus ?! Vous vous foutez d’moi ou quoi ?!
Ah ben on a c’qu’on mérite ma bonne dame. Moi j’ai commencé comme on commence d’habitude. Dans l’premier virage, j'étais bien. Et puis après, dans l’deuxième, vous m’avez dit d’aller à fond à fond à fond alors que je savais que c’était une mauvaise idée eeet...ben vous avez vu, quoi : graviers. Graviers, muret, pelouse. Et maintenant on est dans un creux et je sais pas où on est. Jsuis nouveau ici moi, savez. Jviens de commencer mon stage d’fin d’études et j’ai pas encore bien intégré la carte du coin. Et pas moyen d’avoir un point de repère potable dans une dépression géologique. Et avec les bêtes et le char dans l’état où qu’ils sont, aucune chance de se sortir rapidement d’ce merdier. Vot’ faute ouais !
Graoumf.

Putain, t’as vu ça ? Elle l’a laissé dire toutes ces conneries et il est encore vivant…
Ouais mec, c’est la merde, putain c’est la merde !
Allez, viens, on s’casse !
Hein ? Euh, t’es sûr ?
Ouais, allez, viens bordel ! Elle nous verra même pas de toute façon.
Bon okay… Mais si on s’fait décapiter t’auras ma mort sur la conscience.
Si jme fais décapiter j’en aurais rien à foutre de ta mort.
Hum, ouais pas faux…
Hep vous deux !
Eh mer…
Z’allez où ? Partez en éclaireurs c’est ça ?

… Euh oui, cap- euh. Oui Ma’am, c’ça Ma’am !
Bonne initiative. R’venez quand vous avez quelque chose !
Aye aye.

Bon, et vous là, y en avait pour longtemps à rejoindre la Rua-truc ?
La Rua Anrior ? Ben z’ont un avant-poste à trois lieues, près d’San Tanza… Donc non c’tait pas très loin. Mais maintenant…
San Tanza ?
Connaissez pas ? Barf, pourtant c’célèbre comme coin. Une vieille grotte qui paie pas d’mine mais où y a des peintures murales bien sympas. On sait pas trop qui les a faites mais ça vaut l’coup d’œil.
Des dessins ? Mouais.
Ah ben c’est sûr que ça vaut pas les trésors d’espèces sonnantes et trébuchantes qu’on trouve régulièrement au nord de l’île mais bon, peut pas y avoir de l’or partout, hein… Pis c’est bien les dessins, enfin moi j’aim-euh, bon, jme tais oui oui.

Ma’am ! On a trouvé Ma’am !
Mh ? Ah, c'vous… Trouvé quoi ?
Une grosse colline pointue avec, euh, des comme des pointes en haut… Trois pointes ? C’ça Bob hein ?
Ouais, Ma’am, c’ça, trois pointes.
Mh. Ca vous dit quelque chose à vous ?
Trois pointes ? Ben, c’est San Tanza justement.
Okay, et de là-bas on peut rejoindre le QG de vos guerriers légendaires, là ? Et ils sauront me dire si un bateau pirate a accosté y a pas longtemps ?
Oui oui oui.
Bon. Quelle distance, caporal ?
Oh… Deux lieues, je dirais, même pas ? T’en dis quoi, Bob ?
Ouais, Ma’am, deux lieues à tout casser.
Deux lieues d’jungle, hein ? Bon, on f’rait mieux d’y aller alors. En route !


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The board is set. The pieces are moving.


Des pièces humaines, très humaines sous la pluie qui s’est remise à tomber. Dans une autre réalité il y aurait une musique un brin triste un brin lancinante en fond sonore pour aller avec les tons gris de l’image et la difficulté constante de la marche depuis les points de départs de chaque cohorte. Et on verrait les uns et les autres, les méchants et les gentils, se rapprocher de la zone de San Tanza. Ils auraient les cheveux et les vêtements trempés, leurs bottes s’enfonceraient dans la boue à chaque pas, et puis un ou deux glisseraient de temps en temps. Armée, pirates, même combat contre les éléments. Au bout d’un moment certains pesteraient, insulteraient la fortune pour les avoir fait venir ici. Et puis d’un côté comme de l’autre la chèfe ordonnerait le silence puisqu’ils auraient fini par se rapprocher de la nécropole pas tellement nécropolienne. Et la musique s’arrêterait. Il n’y aurait plus que le bruit de la pluie sur les larges feuilles des plantes grasses et les grognements des hommes. Le contraste avec le passage d’avant tendrait à faire penser au spectateur que quelque chose pourrait ne pas tarder à se passer.

Dans la réalité qui nous intéresse, cela dit, il n’y a pas eu de musique. Les esprits des protagonistes sont fatigués par la marche et les conditions climatiques. Chez les pirates on observe la zone de derrière les arbres sous lesquels on se trouve encore, et on déchante. On déchante et on s’énerve et puis on se dit que peut-être que quand même. Là-bas, dans la grotte ? Peut-être qu’il y a une nécropole. On note les deux ou trois sentinelles qui veillent aux alentours du chantier. On envoie deux ou trois groupes de trois ou quatre pour neutraliser chacune d’entre elle et puis on attend. On attend et puis on appelle à ses côtés le prisonnier. Et puis on l’interroge d’une voix mielleuse mais un peu tremblante parce qu’il ne fait pas si chaud que ça pour la partie papillon qui est en nous. Et à côté Brett s’énerve, essaie de menacer d’un sabre qui ne lui appartient pas et qui ne veut pas sortir de son fourreau. La rouille ? L’eau ambiante qui déforme le fourreau ? Il est en métal, mais admettons…

Relaax, mec, c’est à l’intérieur ’videmment… 'vous l’avais pas précisé ? Héhé, quel con je fais parfois, hein.

Tahar aussi est atteint par l’humidité. Atteint différemment. Les temps de chien, ça lui parle, à lui, et il y a comme une odeur de mort et de sang derrière celle de la pluie sur le sol. Et tout ça, ça le rend guilleret. Malsainement guilleret. S’il doit mourir ici, eh bien il y mourra. Son plan s’arrête bientôt. Mais il ne mourra pas. Il le sait. Eux ne le savent pas par contre. S’ils vont mourir.



Chez les marins on attend, on observe et on attend. On fait des reconnaissances discrètes aux alentours. On maudit la jungle encore un peu et les moustiques qui osent sortir malgré les gouttes grosses comme un ongle qui s’abattent un peu partout et puis on attend. Le silence ne laisse rien présager qui vaille. Pourquoi ne voit-on personne ? Le guide Gereuh n’avait-il pas dit qu’il y avait un avant-poste de l’armée locale par ici ? On l’appelle. Le futur ex apprenti historien tremble de fièvre. Chez les Aèf-Kah on est bâti pour travailler dans un musée, pas dehors par gros temps. On demande où sont les hommes de garde du chantier, les ouvriers, tout ça.

Les ouvriers ? A l’intérieur. C’t’une grande grotte, v’savez, ma ptite dame. Et puis les gardes, ben, euh…
Ma’am, on a trouvé quelque chose, Ma’am !
Nous aussi, Ma’am, par ici !

Coordination. Qu’a-t-on trouvé ? Un corps. Un des guerriers de la caste vu son uniforme d’après Gereuh. Et de l’autre côté ? On a trouvé les traces d’une troupe nombreuse. A moitié mais pas encore complètement effacées par la pluie. Fraîches donc. Cinquante à soixante personnes. Qui venaient de par là. Qui vont dans le trou là-bas. Les instincts parlent, on est dans une histoire peuplée de gens intelligents.

Ma’am !

Encore quelque chose ? Qu’est-ce donc cette fois ? Une poulie dans les herbes du sol ? Qui a… ? Tiens, ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu la Harpie sourire. Sourire comme ça. Faire peur comme ça.

Bart-Aysse ! ’coutez bien c’que je vais vous dire…


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Oh putain j’ai niqué Couille Molle ! Hahaaa !

Depuis deux chandelles les hommes de Betty fouillent les trois salles gigantesques de la caverne. Dans chacune auraient tenu dix Vagabonds ou vingt Psychés, pour préciser la sorte de gigantesque dont il est question ici. Deux chandelles que Céléno les regarde faire, de derrière le stalagbite derrière lequel elle s’est cachée en attendant de pouvoir signaler sa présence à son subordonné. Des colonnes de roche comme ça, il y en a un paquet dans cette grotte. Avec les centaines de torches qui servent à éclairer un peu partout, l’atmosphère est étrange. Les ombres d’un peu tout –humain ou morceaux de pierre– dansent sur les parois en compagnie des fresques peintes il y a des siècles et des siècles, donnant l’impression qu’un peuple ancien vit encore ici… Ajouté à l’odeur du sang des chercheurs et ouvriers disséminés un peu partout alentour, on obtient du glauque particulièrement épais. Mais qu’a donc dit Tahar pour qu’ils fouillent ainsi sans se préoccuper de cette ambiance macabre qui en inquièterait plus d’un ? Qu’il leur faut trouver un truc ressemblant à une tombe très ancienne. Probablement plus très visible depuis le temps. Une tombe sans nom, oui. On se demande comment vous saviez. Une tombe dans laquelle sommeille le plus grand des trésors. Et yeux qui brillent et bave aux lèvres et encore un peu de confiance dans le menteur malgré tout.

…Et donc, ce cri soudain depuis le coin reculé où le lieutenant-colonel, sous les yeux de ses hôtes pirates, fait semblant depuis autant de temps de chercher lui aussi un endroit du sol particulier. Visiblement il l’a repérée sans qu’elle ait à manifester sa présence, sa supérieure venue le sauver. Excellentes capacités d’observation, c’est dans son dossier personnel. Et dans la fraction d’instant où Betty a regardé à gauche alors que Brett se penchait comme il n’aurait pas dû… Paf, hostilités lancées, signal lancé. Deux mains même entravées font toujours du dégât quand elles s’écrasent sur une nuque un peu trop exposée.

Elles en font moins par contre quand l’effet de surprise est passé. La reine rouge regarde son compagnon de toujours effondré au sol et mort à jamais, sans sembler comprendre tout de suite, puis se met à fixer Tahar.

Héhé, du calme m’dame Crimson, tu veux bien ? Du calme… Euh… Ma’am, y a urgence là ! Ma’am ?!

Quand t’as les paluches enferrées et quand les yeux de ton adversaire vachement plus puissant que toi se mettent à perdre leur blanc et à devenir complètement noirs, méfie-toi petit. Vieux proverbe marin.

Tahar !

Trop tard. La Harpie est arrivée un claquement de doigts trop tard. Ou juste au bon moment, c’est selon. A peine son visage à la pâleur soulignée de pourpre est-il apparu derrière celui de la brune pirate que les larges ailes de celle-ci se déploient et, dans le processus, vont la frapper de plein fouet. Les ailes d’un papillon même géant sont légères et les dégâts causés le sont en proportion, mais la gifle surprise a atteint son objectif : laisser le temps à la cinquantaine de pirates de rappliquer d’un peu tous les recoins de la caverne pour encercler la colonelle. Et de son côté, voilà Tahar agrippé au col par la poigne décidée d’une flibustière à l’humeur vengeresse et s’élevant dans les airs à des hauteurs indécentes après quelques loopings et passages en rase-mottes auprès des torches accrochées à la paroi. Le plafond rocheux est situé à une bonne cinquantaine de pieds du sol et jusqu’où monte-t-elle, donc, pour finir ? Je vous le demande Emile : jusqu’au plafond, oui, évidemment.

Waaaah

Chute libre. Cinquante pieds. Crac. Première cheville cassée nette. Pas plus ? Non, pas plus, on s’appelle lieutenant-colonel Tahgel ou pas. Lui si. Il est grand, il est beau, il sent bon la pluie mouillée, la poussière archéologique et la douleur franche. Lui il est de retour auprès du cadavre du méchant second défuncté et donc de son sabre. Betty a mal visé, tant pis pour elle. Narnak sort tout seul de son fourreau quand son maître en agrippe la poignée. Reste à aller porter un coup de main-s à Céléno qui semble seule. Et boite et boite d’une jambe, et taille et taille des deux mains, le Tahar. Et cause tranquille à sa capitaine rejointe.

Z’êtes la seule à avoir fait l’déplac’ment pour mes beaux yeux Ma’am ? Ca m’touche beaucoup, v’savez.
Gnagnagna. Z’attendent un signal mais on doit être trop au fond pour qu’ils nous entendent… Une idée ?

Pas besoin d’idée, les voilà enfin. La rage de l’affrontement a fini par franchir l’obstacle du long couloir d’accès aux profondeurs. Petite troupe, vingt au plus. Mais suffisante. La partie se rééquilibre en un instant.

Pour un instant. Au-dessus Crimson contemple en esquivant deux ou trois balles ses hommes se faire attenter à l’existence un par un. Et soudain tout se déséquilibre à nouveau. Du dos des ailes de la méchante des paillettes de lumière s’envolent et créent un ciel étoilé là où il n’y avait que de la roche, et le combat se calme. Beauté du spectacle ? Non : phéromones. Un fameux cocktail. D’abord le sommeil pour fatiguer les bras, puis la sympathie pour faire disparaître l’envie de combattre, puis la sensualité pour changer l’état d’esprit, puis la peur pour finir. Primale, animale, brutale. L’ombre géante des ailes de la démone effraient plus d’un marin, et même des pirates. Problème de l’effroi : il est contagieux. De l’un à l’autre, puis à l’autre, puis à l’autre, les hommes de Céléno veulent prendre leurs jambes à leur cou. Le font sans qu’elle parvienne à leur intimer de rester malgré ses… arguments. Deux tombent sous ses coups à elle, un sous ceux de Tahar. Mais non. Faibles d’esprit.

Les pirates les poursuivent, finissent mal. L’autre moitié de la troupe, menée par le lieutenant Bart-Aysse les attend. Les cueille.

Et donc duel au sommet entre les trois noms restants. Enfin, "au sommet"…


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Final de spectacle grand public. En arrière-plan, en couleurs ternes, la Psyché est abordée et par des hommes de Céléno et par les guerriers de la Rua Anrior qu’ils ont été chercher sur l’ordre de leur capitaine avant qu’elle n’entre dans la grotte de San Tanza. C’est rondement mené vu la puissance engagée. On ne rigole pas avec les pirates méchants ici : le bateau volant est repoussé au large après qu’on lui a saboté les ailes. Au large donc au-dessus du vide. Et le vide sans ailes pour y flotter, c’est haut. Chute libre sur une hauteur infinie. Le bâtiment s’émiette avant d’avoir rejoint les flots marins de Grand Line. Les guetteurs de la plate-forme d’embarquement n’ont même rien vu tellement c’était des miettes. Fin pour ce navire.

Ne reste plus qu’à tuer la grande méchante au premier plan et dans un combat épique pour donner une vraie fin à l’histoire. Et ça mes aïeux c’est tout sauf de la tarte. Un boiteux même superfort et une colonel même superforte face à une papillonne ça donne pas un résultat aussi évident qu’on pourrait le penser. Ou du moins : en l’occurrence, évident, ça ne l’est pas. Il faut dire qu’elle a les moyens de sa réputation, la papillonne. Non seulement elle est plus puissante que chacun de ses deux adversaires, donc ses ailes tiennent assez bien face aux coups d’épée qu’elle peut recevoir malgré la qualité des lames qui les porte, non seulement elle sait assez bien se servir d’un sabre pour leur faire à tous les deux quelques belles entailles un peu partout à mesure que les festivités se prolongent, mais en plus elle se bat comme l’insecte dont elle emprunte les pouvoirs butine : sans tactique, tout à l’instinct variable, tout en imprévisibilité.

Vous avez déjà essayé d’attraper un papillon sans filet ? Parfois on y arrive, parfois on y arrive pas. Là ils n’y arrivent pas. Et en plus en plus, les premières passes d’armes passées, sa colère évacuée, la voilà qui a récupéré ses manières fantasques et les moque à chaque pause. Moque leur présence, moque leur faiblesse, moque leur manque d’efficacité. On pourrait penser que la Harpie et Tahar sont habitués à ce genre de procédés, qu’en bons professionnels ils savent faire avec. Et ils le sont… Mais présentement, peut-être à cause de l’atmosphère particulière qui règne sur le lieu, ça les perturbe.

Première phase où les héros ont du mal face à la méchante : check.

Soudain la méchante en question remet ça. Sur Céléno cette fois. Un coup un peu moins assuré que les autres, une parade en face plus réussie que les autres, et là voilà immobilisée et enfermée entre les ailes sucrées de la grande méchante repliée en chrysalide. Et ce qui doit se passer se passe : dans une si forte promiscuité avec le duvet urticant qui recouvre la transformiste, la peau de la capitaine du Vagabond se met à gratter, gratter, gratter si fort qu’elle en lâche son arme sous l’effet des démangeaisons. Insoutenable. Et dans un éclat mutin de Betty ses ailes se rouvre et encore une fois elle grimpe et grimpe dans les airs jusqu’à ce que…

Seconde phase où un des héros en prend plein la gueule : bientôt check, vous dites ?

Eh bien non. Au diable les schémas classiques, on est dans la vraie vie (ou on le croit en tout cas), il arrive des choses qui ne sont pas prévues. La chose pas prévues présentement, c’est Tahar qui a tu sa cheville morte le temps de courir sur un monticule qui traînait par là entre deux stalagmites impraticables, de prendre son élan, et de sauter assez haut pour se raccrocher d’une main hasardeuse à un morceau d’aile qui pendait un peu trop. A moins que c’était une jambe de Harpie ? On ne le saura probablement jamais. Ce qu’on sait par contre, c’est que là le poids de l’équipage est trop lourd pour les ailes d’un papillon tout géant soit-il et que tout ce beau monde retombe au sol avant d’avoir pu atteindre le plafond malgré deux ou trois tentatives de la Crimson pour redresser la barre. Quand on a pas les muscles, on ne les a pas.

A la réflexion ça devait être une aile, pas une jambe, parce que Betty semble soudain plus faible, plus fragile qu’avant. Et quand elle tente de s’envoler à nouveau, seule cette fois, c’est sans rire et plutôt avec un cri de douleur qu’elle rencontre l’insuccès. Et un papillon qui a une aile en vrac, c’est une proie accessible pour un chien et une furie qui ne voit pas très bien parce que sa peau la pique encore un brin. Accessible mais encore dangereux quand elle tient encore un sabre en main. Tahar en fait les frais et mord la poussière une fois avec, en sus de sa cheville et des susmentionnées entailles un peu partout, un trou en travers du flanc droit qui le handicape sérieusement. Mais le malheur des Huns faisant le bonheur des Ostrogoths, Céléno en profite pour faire une passe décisive à la méchante, qui se prend le sabre, où ça ?

Nulle part. Betty a usé de son arme secrète : le passage en taille vrai papillon. Plop, esquive. Et là, tout s’enchaîne. Re-plop, le mode mini-moi est déjà fini, et Céléno se prend sans avoir le temps de ciller une rouste qu’elle n’a pas vue venir, et la voilà embrochée sur le sabre de la vilaine, qui elle survit péniblement aux assauts du retour à une taille normale. Yeux qui pleurent du sang et tout le tintouin. Ca a l’air classe comme ça et dans les livres en général, mais vu en vrai c’est assez dégueu.

Défaite, match nul ? Non, non. Tahar, ce héros, se relève en crachant du sang pour faire stylé et remet la main sur Narnak qui n’a pas l’air d’avoir eu sa dose de carmin et l’encourage : relèèève-toaa, relèèève-toaaa. Flippant. Mais efficace aussi. Et c’est en hurlant un formidable FOR PULLY !!! que l’homme plante la femme. La méchante. Avec un sabre. Et ça gicle. Le sang.

Phase finale où les gentils gagnent : check.

Et deux jours plus tard, en pleine mer vers la plus proche des bases marines, dans l’infirmerie d’un navire qu’on s’en doute que c’est le Vagabond, avec un verre dans chaque main droite présente :

Colonel Tahgel, mes félicitations, nous fûmes héroïques.
Non au contraire, je dirais que tant sur le plan taquetique que sur le plan téquenique, on a plutôt fait un bon combat. Ma’am.
…Tahar ?
… ?
Je n’veux plus que vous mettiez un pied à bord de la frégate que vous m’avez abîmée. Vous prenez tout le bénéfice de ce qui s’est passé là-bas, vous obtenez la médaille que vous pouvez, et vous gagnez du galon ailleurs que sur mon pont. Compris ?
… Aye-aye Captain.


La Bonne, la Brute et la Truande, part 2  661875SignTahar
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