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J'parle pas aux cons, ça les instruit.

C'pas le beau temps ici. T'aurais presque envie de t'rentrer, mais entre une pêche et une causette avec les autres gars du rafiot, t'as toujours préféré rester seul, à tenter d’attraper de quoi becqu'ter. Pis t'as de quoi réfléchir en c'moment, à tenter d'comprendre ce qui se trame sur cette coque. Vous êtes au bas mot plus de trois cents gars, et c'est loin d'être des enfants d'coeur, ceux qui sont là. Réunis depuis bien deux mois, vous naviguez à pleine vitesse. La direction, tu l'as su en r'gardant les étoiles, parc'que ces saligots d'gradés n'ont rien dit. Pas un mot sur la destination ou l'but de la mission, et quand certains posent des questions, c'est à coup d'pieds au cul qu'on leur répond. Alors toi tu t'tais, posé dans un coin du rafiot, avec comme seule occupation d'mirer les gouttes d'eau s'écrasant contre l'vaste océan. Pendant les deux mois, vous vous êtes fait les muscles, et avez appris à naviguer le vaisseau. Parce que diriger plus de 10 tonnes de bois et d'ferrailles s’étalant sur pas loin d'cent mètres de long, c'pas du facile.

A c't époque, ça fait deux ans qu'tu t'es engagé dans le mouvement. T'es encore jeune, tes longs ch'veux blonds n'ont pas encore attrapé de teinte poivre et sel, tes joues d'enfant ne se font pas manger par les rides. Seules quelques cicatrices parsemant ton visage et parfois cachées par une longue barbe de plusieurs mois te vieillissent d'une demi décennie.

Occupé par tes rêvasseries, tu te fais surprendre lorsque le vigie crie à la terre en vue. Tous les matelots qui sont comme toi à profiter de leurs temps de pause sautent sur le pont et tentent d'voir où vous arrivez. Pis c'est surtout les esclaffes, ils vont enfin pouvoir toucher l'pied à terre, arrêter d'tater du mouvant toute la journée, stopper le tang'ment. Vous apercevez une immense ombre au loin, cachée par les gouttes de pluie et un brouillard de plus en plus persistant, c'est qu'l'île doit ne plus être qu'à quelques kilomètres. Les minutes passent et tu t'rends vite compte que tu t'es bien mis l'doigt dans l’œil en imaginant pouvoir poser l'pied à terre dans une grande ville où femmes et alcools pourraient te faire flamber ta paie. Tu n'vois aucune maison d'où tu es et la terre n's'étale pas sur plus de trois kilomètres. Quelques minutes avant que le vaisseau n’atteigne la plage, les ordres se mettent à virer dans tous les sens, se faisant répéter en échos par les différents gradés du navire. Tout le monde s'active, chacun connaît sa tâche et la fait parfaitement. Ça court et crie de toute part. De loin, on croirait à un capharnaüm inhumain, mais l’œil expert reconnaîtra la patte d'un savoir faire et d'une entente plus que correcte entre les membres.

_Levez la grande voile ! Et plus vite que ça !
_Arrêtez d'vous curer l'nez et levez moi cette grande voile !
_C'est moi ou j'vois encore un bout de la grande voile ?


_Attachez les écoutes, et qu'ce soit fait rapidement !
_Vous avez entendu ? Attachez les écoutes !
_Sortez vous les doigts et grouillez vous d'attacher les écoutes !

_Non mais je rêve ! Quel est l’imbécile chargé d'jeter l'encre et qui ne l'a pas encore fait !
_Jetez l'encre !
_Jetez moi l'encre bon Dieu !

Au bout de quelques efforts, les esprits se calment et les mouvements se font moins précipités, moins nombreux. C'est même le silence qui se fait, on pourrait entendre les mouches voler qu'tu te dis. Les hommes attendent les prochains mots du capitaine. Ils attendent une simple phrase, voire un simple mot pour pouvoir plonger dans l'eau en direction de la plage sans s'prendre une balle dans l'dos pour motif d'désertion.

_Repos tout l'monde. Z'avez mérité d'poser pied sur cette île. Mais j'vous préviens, pas de grabuge ! Si j'apprends qu'un seul d'entre vous a tenté quoi que ce soit de compromettant, qu'il se prépare à connaître ma colère. Et quand je suis furieux, je ne fais pas dans le détail ! Alors vous restez bien calmes, vous touchez pas au femmes. Et si vous prenez quelque chose, vous payez! Ai-je été assez clairs?!

C'est d'un « Oui capitaine » tonitrué à l'unisson par deux cent gueules déployés que vous lui répondez. Même toi, tu t'en es mis de ta belle voix. Sur ces parôle, les deux cent paires de guibolles foncent vers le pont histoire de n'plus avoir à tanguer. C'est la première fois que vous foulez le sol depuis bon moment . Les plus superstitieux vont jusqu'à embrasser le sol une fois les quelques brasses nagées.

Sentir tes pieds ne plus se balancer te fait un bien fou. A croire qu'on oublie souvent les bonheurs les plus simples. Les vêtements trempés, tu tentes de les essorer rapid'ment sans y prendre des heures. Ce n'est pas comme si, de toute façon, il pleuvait. L'envie de faire le tour de l'île te pousse à quitter la plage. Derrière toi, le capitaine et ses deux lieutenants font descendre des embarcations aidés par plusieurs matelots afin de les remplir de provisions. Vous allez bientôt pouvoir manger autre chose que du pain rassi et de la poiscaille immonde.

Tes pas t'emmènent sur un chemin de terre entouré d'une forêt de pins. Continuant ta route, tu arrives bientôt à une clairière où de nombreuses petites habitations sont installées ci et là, sans réelle uniformisation. Beaucoup des révolutionnaires font le tour des commerces, sous le regard inquiet des habitants. Ils ne semblent pas avoir l'habitude des visites et seuls quelques gardes tentent de montrer leur autorité, en vain. Du peu qu'ils sont, ils ne peuvent que montrer les dents, incapables de rivaliser contre le nombre de soldats que vous êtes. Heureusement pour eux, les révolutionnaires avec qui tues n'ont que très peu envie de faire parler les poings et veulent surtout profiter de ce moment de détente pour reposer les nerfs fatigués par le voyage. Sans trop savoir pourquoi, tu entres dans un bâtiment servant de taverne où plus d'une cinquantaine de révolutionnaires se sont installés afin de boire un verre. Tu y aperçois un serveur totalement perdu par la soudaine montée de fréquentation. A côté, un homme crie haut et fort des propos que tu as du mal à discerner. Âgé d'une trentaine d'années, l'homme porte un revolver qu'il laisse fièrement apparaître à sa ceinture. Tu l'sens mal ce gars, alors forcément tu t'approches de lui.

_Qu'est ce que tu me veux gamin ? Tu ne m’intéresse pas, de toute façon toi aussi tu n'es qu'un de ces déchets sans intellects, incapable de comprendre toute la beauté d'une partie d’échec.

Regardant à sa droite, t'aperçois une table où un jeu d'echec est posé. C'est donc ça, c'pauvre monsieur cherchait un adversaire. Deux ans, c'est le temps pendant lequel tu n'as pas joué à ça. A l'époque où t'étais encore assis à récurer les bancs d'l'école, t'aimais bien ce p'tit jeu. Alors tu t'assoies sur l'une des chaises, du côté des pions blancs. C'toi qui mènera la danse. Le gars te regarde, interloqué, c'est vrai que tu n'as pas la trogne du gars très cultivé. Tu joues ton premier coup, prudemment, histoire d'voir si le gars en face, il sait tâter ou juste déblatérer.

Le grand roque est en place. Ce monsieur ne t'bouffera pas. Tu vois bien à sa manière de jouer qu'il n'a jamais combattu que des débutants. Sa manière d'avancer les pions est à la limite de l'organisé, il laisse de grands trous béants, comme s'il voulait que t'en finisses rapidement. En l'observant, tu vois bien qu'il a compris. Ses lèvres sont crispées et il n'arrive pas à contenir une grimace d’énervement. Tu sens bien qu'il ne gardera pas son sang froid longtemps, et ça te fait bien rire, parce que la partie n'a pas encore vraiment commencé pour toi.

Tu cloues maintenant son cavalier avec ton fou tandis que ta deuxième tour fourchette son roi et sa reine. Tu joues simple, mais efficace, n'ayant pas de raison de te compliquer la vie face à un adversaire comme lui. Le pauvre, il rumine, comme s'il avait un clou d'enfoncé dans le derrière, il sautille sur sa chaise en rechignant à chaque geste. Plus ses pions disparaissent, plus il s’énerve, et plus tu manques de t'esclaffer. En mirant autour de toi, tu remarques que le peu de résidents te regarde d'un air inquiet. A croire qu'ils n'ont jamais vu quelqu'un se débrouillant aux échecs...


Dernière édition par Sergueï Suyakilo le Ven 9 Mar 2012 - 12:51, édité 2 fois
    Ca y’est. Echec et mat. Le guss est si énervé qu’il se lève de sa chaise d’un coup.

    Toi, tu as encore l’orgueil de la jeunesse, la stupidité du manque d’expérience. Quand le garçon sort son flingue et le braque en l’air en hurlant à la triche, tu lui offres ton regard le plus orgueilleux que tu aies en réserve.


    _Saleté de tricheur !! Tu crois que l’on peut m’humilier en publique comme ça ? Sans qu’il n’y ait de conséquences ? Moi le maire de cette ville ! Tu te prends pour qui ? Enfoiré de bandit! Tu es qui pour me prendre de haut comme ça !

    -J’parle pas aux cons, ça les instruit.

    Là, tu as joué au trop dur pour lui. Ce n’est plus de la colère que le civil éprouve, c’est de la rage, de la haine. Tu apprendras plus tard qu’un homme comme lui, soit on l’évite soit on le met hors course. Mais on ne joue pas au con. Surtout pas.
    Alors que tu te prépares à quitter les lieux sans demander ton reste, tu mires son revolver se pointer vers ta trogne. Le moment du déni est donc passé. Tu te crispes quand même un peu de devoir désobéir au patron mais tu n’as pas trop le choix. Au diable les ordres. Au diable le calme. Tu ne laisses pas le temps au guss d’appuyer sur la gâchette. Ta belle tête de jeunot tu y tiens et tu envoies valser ton pied dans la table qui se met à voler en direction du pauvre civil. Il n’a pas choisis la bonne cible celui là. La table, si. Elle vole bien celle là, tellement que ça fout un beau vacarme quand elle rencontre la trogne du civil. Pour rajouter un petit coup de bordel à l’atmosphère déjà réchauffé, le garçon se décide à crisper ses doigts sur la gâchette et une balle vient traverser le plafond du bar.


    -Kyahahahahaha


    _C’tait quoi ce cris d’dinde ?

    La question vient voler dans la pièce comme une mouche dans une salle d’école. Les civils encore présents affichent un regard digne du plus triste des enterrements, puis décampent à toute jambe. Parce que les civils c’est lâche. Y’a bien ce maire qui voulait faire de la résistance, mais la table lui a offert un petit somme. Alors dans ce petit bar miteux, il ne reste maintenant plus qu’une poignée de révolutionnaire et toi. Faut pas non plus oublier le pauvre barman qui se cache d’un air apeuré derrière son bar, mais lui, il n’a pas d’importance dans l’histoire alors on passera sur sa belle gueule.
    Des bruits de pas se font maintenant entendre dans l’escalier sur ta gauche. C’est le genre d’escalier en colimaçon tellement casse gueule que personne ne comprend pourquoi ça existe.

    Le gars qui descend, il sera d’accord avec moi vu comment il tombe littéralement de l’escalier, écrasant ses kilos de muscles sur le carrelage. Le torse saillant de poils, la taille dépassant les 2 mètres, ce gars en impose pour le jeunot que tu es. Encore plus lorsqu'il se lve pour imposer tout son corps dans la pièce.


    -Kyahahaha. Quel est l’infâme qui a osé me réveiller de mon doux moment romantique ? Quel est ce jaloux que je lui lance un mot d’amour ?

    Tu as beau jouer au guss innocent, tu n’es pas crédible pour un sous. Vrai que t’aurais peut être dû changer de place. Le seul gars armé de l’endroit se trouve à deux petits mètres de toi, séparé par une table renversée. Sans sourciller, tu réponds quand même à sa question par une autre interrogation.

    _T’es qui toi ?

    _Moi ? Tu veux vraiment le savoir ? Mot pour mot, je suis le contre Amiral Kétanos. Et toi, qui m’a dérangé alors que je profitais de mes vacances pour susurrer de doux mots d’amour à la fille du tavernier, qui es-tu ?

    _Euh…

    -Mon prisonnier ! C’était rhétorique Paga ! Attrape ces mots d’passe pour futur prisonnier!

    Un objet non identifié se met à voler de tes mains vers ta trogne. Il est tellement rapide que tu n’as le temps de rien faire et tu le reçois pile entre les deux globes, te faisant valdinguer plusieurs mètres en arrière. Mirant le projectile, tu t’aperçois ahuris qu’il ne s’agit de rien d’autre que d’un bout de papier où sont inscrits les cinq lettres P, A, S, S et E.

    _Qu'est ce que c'est qu'ce bordel?!! Un papier qui fait aussi mal qu'une brique?!!

    Là, tu ne t’en remets pas, mais de toute façon tu n’as pas le temps de répondre que le marine fonce déjà sur toi. Il est rapide ce garçon et il te faut un incroyable réflexe pour éviter son poing venant alors se fracasser contre le mur et emporter une partie du bois avec lui. Les quelques révolutionnaires courageux tentent bien de te donner un coup de main mais ils se vont abattre aussi facilement que le vent emporte un jeu de carte. Il torgnole avec une telle facilité, t’en resterai la bouche ouverte si ce n’était pas toi la cible principale de ce fou. Alors qu’il a déjà arraché une bonne partie du restaurant, il continue à faire voler ses poings dans tous les sens. Toi tu n’as d’autre choix que d’éviter. De toute façon tu n’as pas le temps pour autre chose.

    Soudain, la mouette s’arrêtte, trop essouflée par cette course infernale. Tu as joué l’esquiveur, mais tu as enfin une occasion de porter un coup. Forcément, tu en profites et tu décides même d’y aller sans fioriture, à grand coup de crâne. Gueulant de toute ta gorge un bon « Skull’s râge » tu enfonces ta trogne dans celle du guss.

    Puis tu tombes, parce qu’une piqure de mouche, même rageuse, ne fera jamais mal à un homme.

    Quand tu te réveilleras, la gueule encore ensanglantée, ce sera dans une cale de bateau marine. Tu te diras que tu as vraiment trop joué au con et les autres révolutionnaires seront d’accord. Un vice amiral quand on le cherche ça ne fait pas de détail, s’il a l’occasion d’arrêter tout un régiment de révolutionnaire, il en profite.