Bordel.
Combien de temps passé sur ce foutu navire ? J’ai la tête qui tourne, les poignets qui brulent, une envie de gerber. Une gueule de bois, aussi, peut-être. Je ne me souviens pas avoir bu ; c’est l’enfer. Ouvre les yeux, Micha. Ouvre, juste pour voir ce qui t’attend : du bois rongés par le temps, un endroit mal isolé dans lequel l’eau s’infiltre, une cage, peut être bien. Et des menottes autour de tes mains, qui t’empêche de bouger. Ah ouais, tu te souviens, l’bordel dans lequel tu t’es mis, malgré toi.
Pauvre fille, tu pensais pouvoir te défendre au milieu de ces enfoirés ; tu t’es gourée. Tu mérites presque ce qui t’arrive, ma grande. Qu’est-ce que tu peux être bête, parfois. De toute façon, t’es habituée à pire, on t’en a fait des crasses, pas vrai ?
Ah… et ce putain de mal de crâne. Combien de temps sans avoir vu la lumière du soleil ? Quelques jours, peut être une semaine. Je n’en sais rien. C’que je sais, c’est que ça remue pas mal dans cette cale, et que je ne suis visiblement pas seule. Y’a d’autres personnes. D’autres gens qui en sont réduit au même titre que moi. Esclave, qu’on m’appelle maintenant. Ou « connasse », selon l’humeur de mes geôliers - un joli sobriquet qu’on m’a donné : C’est juste parce que je ne suis pas du genre à plier si facilement et qu’on n’aime pas trop ça, dans le coin -. J’échappe au pire : je suis arrivée y'a pas longtemps, on devrait accoster dans peu de temps. Possible que je m’en tire avec une jolie pirouette. Ça devrait le faire. Ils ont pris soin d’attacher mes mains dans le dos.
Mais ça tourne pas rond. Ou du moins, ça ne file pas droit… En bref, t’as compris ou je voulais en venir. Pour le coup, j’ai toujours cette fichue migraine à la con, toujours envie de rendre mes tripes et de cracher mes poumons. Un mal de mer couplé à un vilain coup sur la tête. Une poisse monumentale aussi. Faut dire que les types que je suis allée voir, c’est ceux qu’une personne normale n’irait pas fréquenter… Mais que voulez-vous, la bouche en cœur et les yeux pétillants, me voilà à demander un voyage moyennant mes services…
Ah, c’est peut être ça qui merde : Dans l’esprit d’un type, « service » venant d’une donzelle, ça ne doit pas vouloir dire « faire la cuisine ». Tu m’étonnes qu’ils m’aient accepté. Y’avait un petit mal entendu.
Et c’est sûrement pour ça que l’autre tordu est venu vers 3h du mat’ me tirer de mon sommeil pour quémander mes « services ». L’pauvre type s’est retrouvé avec quelques dents en moins et un nez refait, sans comprendre pourquoi. Juste de quoi attirer ses autres compères qu’ont pas compris non plus pourquoi j’étais aussi farouche. Bref, face à un type, j’ai tendance à pouvoir m’en sortir à l’aise. Face à trois mecs montés comme des armoires à glaces, beaucoup moins. Ça avait beau distribuer en coups de poêle, j’ai toujours pas saisi à quel moment ils m’avaient assommé.
Et ça fait mal. Ces connards cognent dur, ils sont vraiment pas marrants et m’avaient eu en traitre. Fils de chien, que je peste pour moi-même. Ces crevards m’avaient pris mes lunettes, ça, ça allait se payer très cher. Je relève la tête, posant ma nuque sur les barreaux froids pour la soulager. Y’a des petits bruits d’animaux apeurés, à côté, des petits couinements qui me font penser que le commerce d’esclaves prospère toujours aussi bien. Et puis d’un coup, le bruit d’une porte qu’on ouvre et qui grince, des gros pas sur un escalier miteux (du genre qu’on s’demande comment ils supportent le poids de ce mec) et la silhouette du dit « mec » avec une matraque.
Il tape contre mes barreaux. Son visage m’apparait plus clairement. Je le détaille, il me sourit. Son nez est tuméfié et sa risette me permet de voir ses deux dents manquantes. Ahah, au moins, je t’ai bien refait le portrait, connard. Devant mon petit air triomphant, il se gosse et frappe violemment contre la cage.
Si tu crois me faire peur, tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude.
« Saint Urea, tout le monde descend, qu’il beugle en tournant la clef dans ma serrure avant d’attraper la chaine de mes menottes. »
Petit fils de con. Je le hais.
Il me tient, me pousse devant et m’assène un violent coup dans le derrière pour me forcer à avancer. Il m’intime de rester tranquille. Encore une fois, va te faire foutre. T’as très bien compris que je n’avais pas l’intention de regarder sans rien faire.
A ma grande surprise, j’arrive sur le pont suivit par une vingtaine de personnes. La majorité est affamée, maigrichonne, faible. Ces types me font pitiés. Quelle bande de trou du cul.
Ils baissent la planche pour accéder au quai. Il fait nuit, y’a pas un chat. On passe en toute discrétion dans un coin reculé de l’île. Ce bordel est bien organisé et ces cons sont armés. Ah, que je les hais. Ils nous ordonnent de nous foutre en rang, de ne pas bouger. Je m’exécute, mais j’ai la dalle. Et je veux récupérer mes lunettes. L’un des six gaillards s’approchent et nous compte, il fait le tour et vérifie la marchandise.
Je suis au milieu du troupeau et j’observe. Je sens un regard pesant sur moi. Pas besoin de tourner les yeux pour savoir que c’est l’autre amoché qui a bien envie de me faire ma fête, histoire de rattraper la soirée perdue. Qu’il vienne, je l’attends.
D’ailleurs, il s’approche, pousse les quelques gus autour et me fixe intensément. Qu’il est laid. Il m’attrape par le bras en serrant fort, il me fait mal, il jubile. Je sais qu’il a une idée sordide derrière la tête, qu’il a bien envie de me foutre une balle entre les deux yeux pour se venger. Ils sont du genre « sans cœur » mais il en faut plus pour me faire vraiment flipper. Des mauvais bougres, on avait l’habitude de très bien le recevoir, au cirque. Il allait gouter à l’accueil sauce Micha. Les cinq autres le regardent avec l’air dur, ils savent le sort qui m’attend. Je leurs fais un petit sourire, ils s’en foutent.
Ils se pensent fort, mais j’ai pas de temps à perdre avec ces conneries. Il me suffit maintenant d’attendre le bon moment.
Et le bon moment, c’est maintenant.
Quand il me lâche brusquement. Je me tourne vers lui et lui colle un coup de genoux entre les jambes. Le gars se plie. Je bondis par-dessus la chaine pour faire passer mes mains devant et passe les menottes de chaque côté de son cou pour l’étouffer avec les maillons. Les autres entendent le glapissement qui lui échappent et se tourne vers nous. Je m’en sers comme défense.
« Lâche le, connasse ! »
Tu rêves, mon mignon. Ils pointent leurs armes sur moi. L’un d’eux demande à ce qu’on ne tire pas car le rustre que je tiens, c’est son frangin. Ahah, bonne pioche. Je sers un peu plus, jusqu’à ce qu’il devienne tout rouge et que ses lèvres virent au bleu.
Il se casse la gueule, inconscient, je le libère, je tourne les talons, prends la poudre d’escampette.
Hop, je fonce dans une rue déserte, puis dans une autre, j’en profite pour escalader un mur et passer de l’autre côté. Une avenue déserte. Je n’ai pas le temps de réfléchir. J’ai pas la tenue pour me fondre dans un bar non plus. L’idée, c’est d’en trouver une, et vite.
Tiens, la bonne femme qui a étendu son linge me sauve la vie. Dieu le lui rendra. Moi, j’lui pique ses fringues.
Une chemise, une jupe, un bandana pour les cheveux. Ça fera l’affaire. Je fourre ça sous mon bras et prends la première rue à gauche, faut que j’enfil…
PAF.
C’est quoi ce bordel encore ?
« Putain ! »
Un type, là, qui traversait d’une rue à l’autre et que j’ai percuté. Un con, voilà ce que j’en pense. Il me fait presque perdre pied, mais je m’en tamponne, je l’engueulerai plus tard. Pas le temps de tergiverser, je retire mon T-shirt crade pour enfiler la chemise et ensuite la jupe. Je retire le reste, je sers le bandana et…
« Elle doit être par-là !! »
Et je me plaque contre le mur en m’arrêtant de respirer, embarquant l’autre type avec moi, une main sur sa bouche pour pas qu’il l’ouvre.
S’il me fait avoir, je l’égorge.
Dernière édition par Michaela Hope le Lun 2 Avr 2012 - 16:55, édité 1 fois