Le barman me zieute, pas tendre. Je fouille mes poches une deuxième fois. Sans succès.
Merde.
Y'a du bruit dans cette taverne. Pas une ambiance sympathique, juste un brouhaha confus, agressif, irritant. Ça me prend aux tympans et me fout en rogne. Mais s'il y a autant de raffut, c'est que les gens parlent. Ils parlent de tout un tas de choses. Et dans le lot, y'en a certaines qui méritent mon attention. Dix jours désormais que je me suis tiré de l'enfer du bon docteur Hochman. J'ai encore la sensation qu'il me manque une case ou deux, mais je recouvre mes facultés petit à petit. Je le sens. Reprendre mes habitudes de pisteur aide à accélérer le processus. Je fouine, en quête d'une piste, d'un os à ronger depuis mon passage à Hamelin. Une semaine depuis l'affaire avec le flûtiste. Mon flûtiste. Pas eu grand chose à me mettre sous la dent. Du musicos, on le dit discret, méticuleux. Personne l'a repéré dernièrement. Pas banal pourtant un mec avec une flûte. De ragot en commérage, on m'a trainé sur Hinu Town. La métropole de West Blue. La fourmilière. Lieu regorgeant de rumeurs et de gibets de potence. Intéressant. Mais cette chasse est spéciale; c'est la première d'une nouvelle série, et je suis pas à la poursuite de n'importe quel gibier. Celui-là a embarqué dans sa musette la vingtaine de mômes du patelin. En se permettant en prime une crasse que j'ai pas vu venir. Pas une raison pour changer mon mode de fonctionnement. Il fallait plonger dans le fumier pour tirer de tous ces sacs à vin l'information qui changera la donne, ravivera ma piste. C'est ce que j'ai fait.
Quand j'suis entré dans la boutique tout à l'heure, une sale môme m'a bousculé en sortant de l'endroit en coup de vent, accompagnée de la flopée d'insultes que lui balançaient deux poivrots. J'ai manqué de trébucher, puis de me ramasser le verre vide qu'ils lui destinaient. Ça a annoncé la couleur. J'suis bien arrivé au fond de la fosse. Je me suis retenu d'aligner une beigne à la morveuse et de faire voir leur table en gros plan aux deux loques humaines. Pas le moment de jouer au con. Je suis et en cavale, et en chasse. L'un comme l'autre requièrent un minimum de discrétion. Je me suis posé au comptoir et j'ai attendu. Et encore attendu. Ça parle de tout, de rien. Surtout de rien d'intéressant. À ma deuxième bière, j'ai bien cru tenir le bon bout quand j'ai entendu parler musique dans un coin. J'ai ramené ma gueule à la table en question; ça a coupé le sifflet aux jeunots. S'avérait qu'ils causaient simplement d'un concert miteux dans une poignée de jours de ça. À la fin de ma troisième bière, le barman est venu lorgner ma trombine de plus près et a demandé à voir la couleur de mon argent. Coup de bol, j'ai emprunté quelques liasses à Hochman en quittant sa pension. Un beau portefeuille en cuir de quelque chose, et pas loin de cinq mille Berrys dedans. Ma pogne a plongé dans ma veste et là... pas moyen de retrouver le flouze. Maintenant, j'ai un patron grincheux à gérer.
Quoi merde ? Tu comptes boire à l'œil encore longtemps enfoiré ?
'chier. Jl'avais cette oseille. Et là jl'ai plus. C'est gênant. Surtout quand on veut pas se faire remarquer.
Alors ça vient ? ...
Et là j'percute. La gosse. Elle m'a fait les poches. Saloperie. Je savais que j'aurais dû l'avoiner. Ils méritent que ça, les jeunes délinquants.
... où j'dois appeler mes "serveurs" ?
Le mot redouté fait baisser le vacarme d'un ton. C'est toujours ça de pris, même si ça suppose pas mal d'emmerdes à venir. Les serveurs de ce type sont d'un genre un peu particulier. Je les ai lorgnés à l'entrée : deux mètres, cent vingt kilos. Va les faire rentrer dans un costard, eux. Des gueules à faire peur à n'importe quelles honnêtes gens et une batte de baseball pour caresser les côtes des clients qui croient que le " Mets ça sur mon ardoise" ça marche dans ce boui-boui. Tant pis, pas moyen de mettre la main sur du pognon. Va falloir régler ça dehors avec les cerbères. Et là, pile quand je me fais une raison, pile quand je dis merde à la discrétion et commence à me retrousser les manches pour montrer ma façon de voir au tenancier, un bras s'interpose entre lui et moi. Un bras dans un kimono d'un vert trop propre pour se retrouver dans pareil bordel. Un bras qui tend sous mon nez un billet.
Monsieur, vous avez laissé tomber ceci.
Le billet et le bras appartiennent à un vieil homme. Tout en lui le définit comme un samouraï. Jusqu'à cette voix empreinte de respect. Sur son visage, derrière les stigmates du temps flotte un air noble qui ne sied pas au cadre. Qu'est ce qu'il fout dans ce trou à rats serait alors la bonne question. Mais au lieu de ça, j'lui balance :
À moi ? Vous en êtes sûr ?
Parfaitement, j'en suis persuadé. Tenez.
Bon samaritain. C'est pas mon pognon mais qu'importe; j'vais pas cracher sur la proposition. Le billet glisse d'entre ses doigts pour atterrir sur le comptoir, devant le barman qui suivait ça d'un œil scrupuleux.
Votre fric.
Et j'pars. La pêche était pas bonne ici de toute façon. Dans mon dos, j'entends vaguement deux-trois clients s'adresser avec égards au viel homme. Des " z'êtes trop bon, monsieur Ossoï " ou des " z'auriez pas dû, vous savez, monsieur Ossoï ". Monsieur Ossoï ? Ce mec est sacrément brillant s'il a réussi à inculquer à cette racaille une bribe de politesse. Mériterait une médaille. Mais le monde marche pas comme ça. Un soupir, je sors de l'endroit.
Dehors, il pleut. Où que j'aille depuis mon évasion, un ciel gris me suit. C'est pas pour me déplaire. Ça aide à garder la tête froide. La lumière est mordante à cette heure, en tant normal. Elle brouille mon bon sens, c'est la dernière chose dont j'ai besoin en ce moment. Ce qu'il me faut, c'est un indice. J'alpague un passant, demande la taverne la plus proche. "Au Vaurien" qu'il me répond. J'en viens. Il s'en fout, passe son chemin en enfonçant sa caboche vide dans le col de son pardessus pour éviter l'averse. Du con.
J'avance sur une centaine de mètres à peine que j'entends un cri s'élever. Perçant, aigüe. Aussi vite dissipé qu'il était monté. Ça venait d'une ruelle sur ma gauche. J'hésite deux secondes. Cela vaut-il vraiment la peine ? Je viens d'éviter les embrouilles, c'est pas pour plonger tête baissée dans les suivantes. Surtout que j'ai autre chose sur le feu. Et ça peut n'être rien du tout... Qu'est ce que jraconte bordel ? Depuis quand je transige. Foutre les pieds dans le plat, c'est ma spécialité. Si un truc tourne pas rond, jle cogne jusqu'à ce qu'il le redevienne. Allez, jetons un œil.
Avec la flotte qui s'abat, on y voit pas à trois mètres. Les voix sont étouffées par le crépitement des gouttes sur les allées boueuses. Je marche jusqu'à tomber presque nez à nez avec trois mendiants ou guère mieux, au bout d'une ruelle. Armés de bâtons. Ils étaient de dos, ils se retournent. Gueulent en ouvrant bien grand leur bec vide de dents. M'insultent. Derrière eux, piégée dos au mur, une gamine. Les guenilles qu'elle porte me rappellent un truc. C'est ma pickpocket. Je rigole.
Qu'est ce qu'y n' veut çui-là ? L'a pas compris squ'on dit ? Dégage.
Ouais, mêlez toi d'vos affaires !
Insectes. La gamine me toise, fière malgré le pétrin dans lequel elle s'est fourrée. Elle va passer un sale quart d'heure. Une main disparait à l'intérieur de ma veste. Les trois pouilleux prennent peur, m'imaginent déjà leur braquant un flingue sous le nez. Non. Je montre ma main, enfouie dans une poche intérieure, là où reposait l'argent. Puis en affiche le contenu. Vide.
Démerde toi.
Merde.
Y'a du bruit dans cette taverne. Pas une ambiance sympathique, juste un brouhaha confus, agressif, irritant. Ça me prend aux tympans et me fout en rogne. Mais s'il y a autant de raffut, c'est que les gens parlent. Ils parlent de tout un tas de choses. Et dans le lot, y'en a certaines qui méritent mon attention. Dix jours désormais que je me suis tiré de l'enfer du bon docteur Hochman. J'ai encore la sensation qu'il me manque une case ou deux, mais je recouvre mes facultés petit à petit. Je le sens. Reprendre mes habitudes de pisteur aide à accélérer le processus. Je fouine, en quête d'une piste, d'un os à ronger depuis mon passage à Hamelin. Une semaine depuis l'affaire avec le flûtiste. Mon flûtiste. Pas eu grand chose à me mettre sous la dent. Du musicos, on le dit discret, méticuleux. Personne l'a repéré dernièrement. Pas banal pourtant un mec avec une flûte. De ragot en commérage, on m'a trainé sur Hinu Town. La métropole de West Blue. La fourmilière. Lieu regorgeant de rumeurs et de gibets de potence. Intéressant. Mais cette chasse est spéciale; c'est la première d'une nouvelle série, et je suis pas à la poursuite de n'importe quel gibier. Celui-là a embarqué dans sa musette la vingtaine de mômes du patelin. En se permettant en prime une crasse que j'ai pas vu venir. Pas une raison pour changer mon mode de fonctionnement. Il fallait plonger dans le fumier pour tirer de tous ces sacs à vin l'information qui changera la donne, ravivera ma piste. C'est ce que j'ai fait.
Quand j'suis entré dans la boutique tout à l'heure, une sale môme m'a bousculé en sortant de l'endroit en coup de vent, accompagnée de la flopée d'insultes que lui balançaient deux poivrots. J'ai manqué de trébucher, puis de me ramasser le verre vide qu'ils lui destinaient. Ça a annoncé la couleur. J'suis bien arrivé au fond de la fosse. Je me suis retenu d'aligner une beigne à la morveuse et de faire voir leur table en gros plan aux deux loques humaines. Pas le moment de jouer au con. Je suis et en cavale, et en chasse. L'un comme l'autre requièrent un minimum de discrétion. Je me suis posé au comptoir et j'ai attendu. Et encore attendu. Ça parle de tout, de rien. Surtout de rien d'intéressant. À ma deuxième bière, j'ai bien cru tenir le bon bout quand j'ai entendu parler musique dans un coin. J'ai ramené ma gueule à la table en question; ça a coupé le sifflet aux jeunots. S'avérait qu'ils causaient simplement d'un concert miteux dans une poignée de jours de ça. À la fin de ma troisième bière, le barman est venu lorgner ma trombine de plus près et a demandé à voir la couleur de mon argent. Coup de bol, j'ai emprunté quelques liasses à Hochman en quittant sa pension. Un beau portefeuille en cuir de quelque chose, et pas loin de cinq mille Berrys dedans. Ma pogne a plongé dans ma veste et là... pas moyen de retrouver le flouze. Maintenant, j'ai un patron grincheux à gérer.
Quoi merde ? Tu comptes boire à l'œil encore longtemps enfoiré ?
'chier. Jl'avais cette oseille. Et là jl'ai plus. C'est gênant. Surtout quand on veut pas se faire remarquer.
Alors ça vient ? ...
Et là j'percute. La gosse. Elle m'a fait les poches. Saloperie. Je savais que j'aurais dû l'avoiner. Ils méritent que ça, les jeunes délinquants.
... où j'dois appeler mes "serveurs" ?
Le mot redouté fait baisser le vacarme d'un ton. C'est toujours ça de pris, même si ça suppose pas mal d'emmerdes à venir. Les serveurs de ce type sont d'un genre un peu particulier. Je les ai lorgnés à l'entrée : deux mètres, cent vingt kilos. Va les faire rentrer dans un costard, eux. Des gueules à faire peur à n'importe quelles honnêtes gens et une batte de baseball pour caresser les côtes des clients qui croient que le " Mets ça sur mon ardoise" ça marche dans ce boui-boui. Tant pis, pas moyen de mettre la main sur du pognon. Va falloir régler ça dehors avec les cerbères. Et là, pile quand je me fais une raison, pile quand je dis merde à la discrétion et commence à me retrousser les manches pour montrer ma façon de voir au tenancier, un bras s'interpose entre lui et moi. Un bras dans un kimono d'un vert trop propre pour se retrouver dans pareil bordel. Un bras qui tend sous mon nez un billet.
Monsieur, vous avez laissé tomber ceci.
Le billet et le bras appartiennent à un vieil homme. Tout en lui le définit comme un samouraï. Jusqu'à cette voix empreinte de respect. Sur son visage, derrière les stigmates du temps flotte un air noble qui ne sied pas au cadre. Qu'est ce qu'il fout dans ce trou à rats serait alors la bonne question. Mais au lieu de ça, j'lui balance :
À moi ? Vous en êtes sûr ?
Parfaitement, j'en suis persuadé. Tenez.
Bon samaritain. C'est pas mon pognon mais qu'importe; j'vais pas cracher sur la proposition. Le billet glisse d'entre ses doigts pour atterrir sur le comptoir, devant le barman qui suivait ça d'un œil scrupuleux.
Votre fric.
Et j'pars. La pêche était pas bonne ici de toute façon. Dans mon dos, j'entends vaguement deux-trois clients s'adresser avec égards au viel homme. Des " z'êtes trop bon, monsieur Ossoï " ou des " z'auriez pas dû, vous savez, monsieur Ossoï ". Monsieur Ossoï ? Ce mec est sacrément brillant s'il a réussi à inculquer à cette racaille une bribe de politesse. Mériterait une médaille. Mais le monde marche pas comme ça. Un soupir, je sors de l'endroit.
Dehors, il pleut. Où que j'aille depuis mon évasion, un ciel gris me suit. C'est pas pour me déplaire. Ça aide à garder la tête froide. La lumière est mordante à cette heure, en tant normal. Elle brouille mon bon sens, c'est la dernière chose dont j'ai besoin en ce moment. Ce qu'il me faut, c'est un indice. J'alpague un passant, demande la taverne la plus proche. "Au Vaurien" qu'il me répond. J'en viens. Il s'en fout, passe son chemin en enfonçant sa caboche vide dans le col de son pardessus pour éviter l'averse. Du con.
J'avance sur une centaine de mètres à peine que j'entends un cri s'élever. Perçant, aigüe. Aussi vite dissipé qu'il était monté. Ça venait d'une ruelle sur ma gauche. J'hésite deux secondes. Cela vaut-il vraiment la peine ? Je viens d'éviter les embrouilles, c'est pas pour plonger tête baissée dans les suivantes. Surtout que j'ai autre chose sur le feu. Et ça peut n'être rien du tout... Qu'est ce que jraconte bordel ? Depuis quand je transige. Foutre les pieds dans le plat, c'est ma spécialité. Si un truc tourne pas rond, jle cogne jusqu'à ce qu'il le redevienne. Allez, jetons un œil.
Avec la flotte qui s'abat, on y voit pas à trois mètres. Les voix sont étouffées par le crépitement des gouttes sur les allées boueuses. Je marche jusqu'à tomber presque nez à nez avec trois mendiants ou guère mieux, au bout d'une ruelle. Armés de bâtons. Ils étaient de dos, ils se retournent. Gueulent en ouvrant bien grand leur bec vide de dents. M'insultent. Derrière eux, piégée dos au mur, une gamine. Les guenilles qu'elle porte me rappellent un truc. C'est ma pickpocket. Je rigole.
Qu'est ce qu'y n' veut çui-là ? L'a pas compris squ'on dit ? Dégage.
Ouais, mêlez toi d'vos affaires !
Insectes. La gamine me toise, fière malgré le pétrin dans lequel elle s'est fourrée. Elle va passer un sale quart d'heure. Une main disparait à l'intérieur de ma veste. Les trois pouilleux prennent peur, m'imaginent déjà leur braquant un flingue sous le nez. Non. Je montre ma main, enfouie dans une poche intérieure, là où reposait l'argent. Puis en affiche le contenu. Vide.
Démerde toi.
Dernière édition par Trinita le Mer 29 Fév 2012 - 5:57, édité 1 fois