Pour Ange comme pour un grand nombre de ses camarades parmi les moins anciens, la journée qui venait de commencer était un jour de pleine mer comme les autres. Réveillé par les bruits de ses camarades les plus matinaux qui ne se gênaient pas pour parler à voix haute, faire un grand bruit en descendant les escaliers, et trainer leurs chaises dans le réfectoire. Sentant qu’il ne parviendrait pas à se rendormir, et que de toute façon il ne serait pas très crédible en tant que second s’il attendait onze heures du matin pour se lever, le sauvage s’assit, s’enroula dans sa couverture, et sans prendre la peine de s’habiller se traina jusque dans la salle à manger.
Le pas trainant, le regard fixe, Ange se laissa aller jusqu'à un tabouret vide et, tout en mangeant quelques aliments dont il serait incapable de se souvenir de quoi il s’agissait une fois qu’il aurait pris le contrôle de son esprit, assista passivement aux discussions déjà enjouées de ses camarades mieux réveillés, et à l’altercation entre un ancien de l’équipage -euh… Bob je crois, à moins qu’il ne s’appelle Mortimer…-, et le nouveau avec une large balafre sur la joue gauche dont l’albinos n’avait pas la moindre idée du nom. Bien qu’étant naturellement du côté du vétéran, parce que c’est bien connu, les anciens ont toujours raison, il le laissa se faire ridiculiser devant ses camarades qui s’esclaffèrent en le voyant voler à travers la table.
Eh bien, il y en a qui ont le sang chaud dès le matin.
Heinnn ? Et alors ?
Et alors, tu es sensé avoir un rôle à tenir, comme t’assurer que chacun fasse son boulot quand c’est son tour, et évite de se taper dessus, au risque de détruire le mobilier.
Ah, tu veux dire que je dois aller le sermonner ? Bon, je finis de manger d’abord.
De toute façon, il ne te prendra pas au sérieux si tu ne t’habilles pas avant, parce que ta couverture est très classe, mais…***
De retour dans sa loge, le second prît le temps de faire ses ablutions –ce qui en soi est complètement inutile à préciser, car appartenant à la fois au naturel et à l’inintéressant, il ne convient d'en parler que si justement on ne les fait pas (seul un type complètement perché est capable de conter les aventures qu’il a eu avec sa brosse à dents), mais il est intéressant de constater qu’Ange n’utilise justement pas de brosse à dents, mais une spatule de bois avec laquelle il frotte ses dents pour les astiquer millimètre par millimètre, comme on le fait dans les pays ou, bien que les ustensiles de toilettes ne soient pas très développés, on accorde beaucoup d’importance à l’hygiène dentaire ; cela garantit une propreté inégalable, mais aussi un temps passé dans la salle de bain que seules les filles peuvent atteindre-. Cela fait, il alla sur le pont s’assurer du renouvellement des quarts, et c’est la qu’un groupe de matelots l’aborda, et le mit au courant à grand renfort de chuchotements et d'airs conspirateurs du secret qui animait le navire depuis le début de la journée.
Un anniversaire, cela lui rappelait de bons souvenirs : dans sa tribu, les jeunes dont on fêtait la naissance étaient saisis par surprise par leurs aînés, et trainés avec un bandeau sur les yeux, pieds et poings liés, jusqu’au beau milieu de la jungle. La, on les abandonnait avec une arme et de maigres provisions, et ils devaient se délivrer par eux même puis retrouver le chemin du village ; cela prenait généralement plusieurs jours. Il s’agissait de bons moment de plaisir qui étaient généralement attendus avec impatience. Surtout par les ainés.
Ici, le sauvage fut déçu d’apprendre que les anniversaires tels que l’entendaient la majorité des habitants du monde connu n’avait rien à voir avec une épreuve de survie.
- Hein ?! Tu voudrais qu’on abandonne le capitaine en pleine mer, avec seulement un pistolet, une cane à pêche, et une gourde ?! Tu plaisantes j’espère ! S’exclama un des pirates.
- Bah, c’est ça un anniversaire, non ? Vous voudriez faire quoi d’autre ?- Hum, fit un second matelot,
t’vois, un anniversaire c’t’un peu comme, hum,… une fête, okay ?- Ah ? Bon. Alors expliquez-moi tout ça.***
Quelques minutes plus tard, bien que n’ayant aucune expérience en la matière, Ange se retrouva en charge d’une partie de l’organisation. Déjà, il fallait un gâteau : un gros gros gros gâteau avec plein de crème. Le cuisinier, Ja…Jeu…, enfin nez-rouge, devrait pouvoir s’en charger, mais des fois qu’il aurait besoin d’un coup de main, l’albinos lui enverrait le premier venu. Ensuite ? Euh… un navire propre, déjà, c’est la moindre des choses, et des décorations de bon goût, c'est-à-dire choisies par quelqu’un d’autre que lui-même (d’autres membres de l’équipage s’étaient offerts de s’en occuper). Il faudrait aussi un banquet, parce que le gâteau c’est bien, mais ça ne remplit pas suffisamment l’estomac, un peu d’alcool parce qu’une fête de pirates sans alcool, c’est comme un soldat de la marine sans uniforme : ce n’est pas une vraie fête ! Sur les conseils d’un de ses camarades qui avait une tête à s’appeler, euh… Bill, il allait aussi falloir trouver une animation, comme des musiciens ou autre chose. Peut-être que si les filles de l’équipage se mettaient à danser en petite tenue, le capitaine serait content car il avait l’air d’aimer les femmes, mais Ange n’était pas convaincu.
Pour commencer, il me faut des candidats pour laver le pont. C’est à peu près la seule tâche qui ne sera pas suspecte si le capitaine sort de sa cabine.
Voyons voir… oh, là-bas, il y a quatre gusses qui semblent ne demander qu’à travailler pour Satoshi !- Ahem… HEY ! Fe…Fénix, et toi, là, et toi aussi, avec le foulard sur la tête ; et puis le nouveau. Venez par ici.Ah zut, c’est le type qui attaque les gens qui veulent le faire bosser.
Vas-y avec diplomatie alors, je ne tiens pas à commencer la journée par un vol plané.- Dis-moi, -hum, c’est quoi ton nom déjà ?-, tu ne vas pas me jeter par-dessus bord si je te demande de faire une corvée ?
Bon, c’est l’anniversaire de Satoshi aujourd’hui –ah, vous le saviez déjà ?-, alors ce qu’il faudrait, c’est que le bateau soit impeccable. Les quatre hommes commençaient probablement déjà à comprendre ce qu’on attendait d’eux, et Ange ajouta avec un grand sourire mi-amusé, mi-compatissant :
Donc, il me faudrait quatre gars motivés pour astiquer le pont : je compte sur vous !Il aurait pu argumenter, faire semblant de les plaindre, ou au contraire prendre une grosse voix autoritaire, et ajouter que l’héroïsme commence par de petites tâches ingrates, que les autres travailleraient aussi et que lorsqu’on est nouveau dans un groupe il est normal d’en baver un peu pour se faire accepter, mais comme il lui paraissait naturel d’accepter un ordre, aussi peu gratifiant soit-il, le voleur ne voyait pas pourquoi les autres ne penseraient pas comme lui.