Le 25 septembre 1610.
Le soleil n'avait pas passé la ligne d'horizon, mais pour les vendangeurs, la journée était déjà commencée. A peine le temps d'avaler un café noir ou un bol de lait, et tous s'étaient mis en route vers les rangs. Personne n'était réellement réveillé, mais déjà, chacun s'efforçait d'afficher courage et bonne humeur. Non seulement par orgueil, mais parce que la journée serait longue et brûlante, même pour la région. Alors, mieux valait bien présenter dès la tombée du lit, sans quoi...
Ils n'étaient qu'une trentaine, mais tous échangeaient rires et plaisanteries, le seau passé autour de l'épaule à la manière d'un sac à dos. Plus en arrière, les porteurs ajustaient les hottes sur leurs hanches massives, en respirant profondément. Huit heures de travail dans sur les coteaux du domaine de Hurlevent, c'était ce qui les attendait tous. Bien pire qu'une bataille à livrer, bien plus périlleux qu'une décision cruciale à prendre. Une journée de dur labeur sous un soleil ardent, le dos brisé en deux pour les coupeurs, et les épaules écrasées pour les porteurs. On en venait à envier les vieux, qui triaient les grappes sur les chariots permettant le transport jusqu'aux cuves.
Chez le père Hurlevent, Jörgen, tout le monde était tenu de travailler. Ses fils et ses filles en premier lieu, pour donner l'exemple, et ce, quelque fut leur âge, du moment qu'ils se trouvaient capables de manier la serpette. Les plus jeunes, Niels et Elen, des jumeaux âgés de sept ans, apportaient le casse croûte et donnaient un coup de main en cuisine. Mais, du haut de ses neuf ans, Sören n'échappait pas aux vendanges.
Il fallait dire que, dans l'art de la cueillette, mieux valait être court sur pattes. Il n'y avait alors pas à se baisser, et le raisin se coupait sans peine excessive, ni douleur.
Sören était donc le plus jeune fils de la fratrie Hurlevent à vendanger, cette année là. Pas pour la première fois, d'ailleurs. Malgré sa taille réduite par-rapport aux enfants de son âge, il montrait un courage et un sérieux au travail qui lui valaient une certaine tendresse de la part des plus âgés.
Le seau sur l'épaule, la serpette dans le creux de la main, le garçon marchait en suivant le groupe de près. Dans les fourrés, il sentait que des yeux l'épiaient. C'étaient les chats de l'île, « ses » chats, qui venaient régulièrement à sa rencontre, comme aimantés par sa seule présence. Il était vrai qu'ils y gagnaient parfois un morceau de lard, ou un talon de jambon. Surtout par temps de vendanges, où la nourriture abondait toujours... Question d'honneur, plus que de moyens. Un propriétaire qui nourrissait mal ses vendangeurs avait tôt fait de récolter une réputation d'esclavagiste invétéré, en guise de piquette.
-Hop, les gars ! On commence par là, vous arrêtez au chemin ! La carriole tard'ra pas à arriver. Aller ! … Aller !
D'un pas lourd, qui se voulait économiser l'énergie au maximum, les vendangeurs s'approprièrent chacun une rangée. Sören, comme beaucoup, jeta un dernier regard en bas du coteau avant de plonger dans son premier cep. Ledit chemin était invisible, caché dans la masse des vignes qui s'agglutinaient sur la pente. Une nappe de brume, baignée par la lueur de l'aube, se dessinait en contre-bas.
-Aller, les gars ! On termine tout c'côté avant le casse-croûte !
Un grognement accueillit l'ordre du contre-maître. Tous baissèrent la tête, et se mirent à fouiller les ceps et à remplir les seaux, qu'ils empêchaient de dévaler en les bloquant du pied droit.
Bientôt, les porteurs charriaient des hottes remplies à ras-la-gueule, et remontaient péniblement, en s'accrochant aux ceps de vigne tant la pente était raide.
Le travail se faisait à belle vitesse, aidé par la fraîcheur relative du petit matin. Les premiers chants s'élevèrent, de plus en plus présents et réguliers. Une heure passa, puis deux. On cueillit les dernières grappes du secteur, puis, ce fut l'heure de la grande pause du matin.
Tous abandonnaient donc seaux et outils, et se couchaient dans l'herbe avec bonheur, afin de soulager leurs lombaires.
Les jumeaux étaient en retard, le casse-croûte aussi. Cela agaça les contre-maîtres, qui s'inquiétaient déjà de ne pas pouvoir achever le programme du jour. En-dehors d'eux, nul ne s'en souciait... Jusqu'à ce que le premier quart d'heure ne se soit écoulé. Et la pause ne dépassait pas la demie-heure !
On attendit encore un peu, mais les estomacs grognaient, et certains commençaient à s'irriter, en prétendant que les Hurlevents pouvaient bien avoir décidé d'économiser sur le casse-croûte.
Alors, l'un des contre-maîtres se décida à envoyer Sören voir ce qu'il se passait. De toute la fratrie, c'était lui qui se fatiguait le moins en cueillant, et qui avait les meilleures jambes. Il se chargea d'ailleurs de la mission avec plaisir. Ce serait toujours un peu de promenade de gagnée sur le temps de travail... Et puis, il en profiterait pour s'amuser un peu avec les chats qu'il croiserait sur le chemin. Si jamais sa mère en venait à le charger du panier, il pourrait même garder facilement quelques morceaux de lard pour ses amis félins !
Mais, plus il marchait, plus il pressentait que quelque chose d'inhabituel venait de se produire, du côté des cuves... ou peut-être même de la ferme. Et il avait beau tenter de chasser ses mauvaises pensées, elles revenaient au galop, rapportant avec elles les spéculations les plus insensées.
Pris d'angoisse, le garçon se prit à courir comme un forcené, prenant la direction de la cour. Il lui semblait déjà distinguer, au loin, des éclats de voix...
[Hrp : Toji, tu me dis si quelque chose ne te convient pas. J'ai planté le décor, mais vu que je ne sais pas ce que tu vas faire... En tous les cas, fais toi plaisir ]
Le soleil n'avait pas passé la ligne d'horizon, mais pour les vendangeurs, la journée était déjà commencée. A peine le temps d'avaler un café noir ou un bol de lait, et tous s'étaient mis en route vers les rangs. Personne n'était réellement réveillé, mais déjà, chacun s'efforçait d'afficher courage et bonne humeur. Non seulement par orgueil, mais parce que la journée serait longue et brûlante, même pour la région. Alors, mieux valait bien présenter dès la tombée du lit, sans quoi...
Ils n'étaient qu'une trentaine, mais tous échangeaient rires et plaisanteries, le seau passé autour de l'épaule à la manière d'un sac à dos. Plus en arrière, les porteurs ajustaient les hottes sur leurs hanches massives, en respirant profondément. Huit heures de travail dans sur les coteaux du domaine de Hurlevent, c'était ce qui les attendait tous. Bien pire qu'une bataille à livrer, bien plus périlleux qu'une décision cruciale à prendre. Une journée de dur labeur sous un soleil ardent, le dos brisé en deux pour les coupeurs, et les épaules écrasées pour les porteurs. On en venait à envier les vieux, qui triaient les grappes sur les chariots permettant le transport jusqu'aux cuves.
Chez le père Hurlevent, Jörgen, tout le monde était tenu de travailler. Ses fils et ses filles en premier lieu, pour donner l'exemple, et ce, quelque fut leur âge, du moment qu'ils se trouvaient capables de manier la serpette. Les plus jeunes, Niels et Elen, des jumeaux âgés de sept ans, apportaient le casse croûte et donnaient un coup de main en cuisine. Mais, du haut de ses neuf ans, Sören n'échappait pas aux vendanges.
Il fallait dire que, dans l'art de la cueillette, mieux valait être court sur pattes. Il n'y avait alors pas à se baisser, et le raisin se coupait sans peine excessive, ni douleur.
Sören était donc le plus jeune fils de la fratrie Hurlevent à vendanger, cette année là. Pas pour la première fois, d'ailleurs. Malgré sa taille réduite par-rapport aux enfants de son âge, il montrait un courage et un sérieux au travail qui lui valaient une certaine tendresse de la part des plus âgés.
Le seau sur l'épaule, la serpette dans le creux de la main, le garçon marchait en suivant le groupe de près. Dans les fourrés, il sentait que des yeux l'épiaient. C'étaient les chats de l'île, « ses » chats, qui venaient régulièrement à sa rencontre, comme aimantés par sa seule présence. Il était vrai qu'ils y gagnaient parfois un morceau de lard, ou un talon de jambon. Surtout par temps de vendanges, où la nourriture abondait toujours... Question d'honneur, plus que de moyens. Un propriétaire qui nourrissait mal ses vendangeurs avait tôt fait de récolter une réputation d'esclavagiste invétéré, en guise de piquette.
-Hop, les gars ! On commence par là, vous arrêtez au chemin ! La carriole tard'ra pas à arriver. Aller ! … Aller !
D'un pas lourd, qui se voulait économiser l'énergie au maximum, les vendangeurs s'approprièrent chacun une rangée. Sören, comme beaucoup, jeta un dernier regard en bas du coteau avant de plonger dans son premier cep. Ledit chemin était invisible, caché dans la masse des vignes qui s'agglutinaient sur la pente. Une nappe de brume, baignée par la lueur de l'aube, se dessinait en contre-bas.
-Aller, les gars ! On termine tout c'côté avant le casse-croûte !
Un grognement accueillit l'ordre du contre-maître. Tous baissèrent la tête, et se mirent à fouiller les ceps et à remplir les seaux, qu'ils empêchaient de dévaler en les bloquant du pied droit.
Bientôt, les porteurs charriaient des hottes remplies à ras-la-gueule, et remontaient péniblement, en s'accrochant aux ceps de vigne tant la pente était raide.
Le travail se faisait à belle vitesse, aidé par la fraîcheur relative du petit matin. Les premiers chants s'élevèrent, de plus en plus présents et réguliers. Une heure passa, puis deux. On cueillit les dernières grappes du secteur, puis, ce fut l'heure de la grande pause du matin.
Tous abandonnaient donc seaux et outils, et se couchaient dans l'herbe avec bonheur, afin de soulager leurs lombaires.
Les jumeaux étaient en retard, le casse-croûte aussi. Cela agaça les contre-maîtres, qui s'inquiétaient déjà de ne pas pouvoir achever le programme du jour. En-dehors d'eux, nul ne s'en souciait... Jusqu'à ce que le premier quart d'heure ne se soit écoulé. Et la pause ne dépassait pas la demie-heure !
On attendit encore un peu, mais les estomacs grognaient, et certains commençaient à s'irriter, en prétendant que les Hurlevents pouvaient bien avoir décidé d'économiser sur le casse-croûte.
Alors, l'un des contre-maîtres se décida à envoyer Sören voir ce qu'il se passait. De toute la fratrie, c'était lui qui se fatiguait le moins en cueillant, et qui avait les meilleures jambes. Il se chargea d'ailleurs de la mission avec plaisir. Ce serait toujours un peu de promenade de gagnée sur le temps de travail... Et puis, il en profiterait pour s'amuser un peu avec les chats qu'il croiserait sur le chemin. Si jamais sa mère en venait à le charger du panier, il pourrait même garder facilement quelques morceaux de lard pour ses amis félins !
Mais, plus il marchait, plus il pressentait que quelque chose d'inhabituel venait de se produire, du côté des cuves... ou peut-être même de la ferme. Et il avait beau tenter de chasser ses mauvaises pensées, elles revenaient au galop, rapportant avec elles les spéculations les plus insensées.
Pris d'angoisse, le garçon se prit à courir comme un forcené, prenant la direction de la cour. Il lui semblait déjà distinguer, au loin, des éclats de voix...
[Hrp : Toji, tu me dis si quelque chose ne te convient pas. J'ai planté le décor, mais vu que je ne sais pas ce que tu vas faire... En tous les cas, fais toi plaisir ]