« Lilou, je peux te poser une question ?
- Oui ?
- Tu étais ou, avant ? »
Silence.
Il parlait d’avant. Elle fronça un sourcil en jetant un coup d’œil au brun à ses côtés. Un grand garçon, bien fait et bien portant, une charmante tête brune aux yeux verts. Jerronimo la fixait, allongé sur le rocher chauffé de ce début d’été, les bras croisés derrière la tête et l’air attentif. Il avait attendu sept ans pour le lui demander, sept ans ou la curiosité avait fait son œuvre, jusqu’ici. Elle haussa les épaules, ne sachant pas comment se dérober :
« Pourquoi ?
- Je… J’ai envie de savoir. Tu sais tout de moi, de ma vie. Nous sommes amis depuis sept ans maintenant, j’ai le droit de connaitre ton passé. C’est comme ça qu’on fait, entre amis. On partage tout. Même le pire. »
Lilou sourit. Elle le trouvait tellement attendrissant lorsqu’il parlait comme ça. Lorsqu’il s’échinait à vouloir en savoir plus sur elle, lorsqu’il lui témoignait de l’affection. Elle avait mis sept ans à essayer de s’y habituer. Elle n’y arrivait toujours pas, malgré tous ses efforts pour rester dans la course. C’était dur de se laisser aller à la parole, simplement d’essayer, de parler. Ne serait-ce que d’en avoir envie. Après tout ce temps, elle avait cette boule dans la gorge qui la rendait muette. Et des idées noires parfois, qui la transformait, pour la rendre comme elle était : Froide, sèche, un peu comme ce métal, cette armure, qui la protégeait au sens propre comme au figuré.
« C’est pas intéressant. »
Jerronimo se releva, ramenant sa jambe à son buste en la regardant toujours, l’air fâché. Il n’était pas satisfait de cette réponse, encore moins qu’elle tente d’éviter le sujet. Il ne savait pas si ce qu’il faisait été bien, mais il voulait savoir.
« Tu n’y échapperas pas ! T’vas pas m’dire que jusqu’à ce que t’arrives sur l’île, tu n’étais personne ? C’est juste… Impossible. Il t’est forcément arrivé des trucs pendant c’temps ! Tiens, qui sont tes parents ? T’avais des amis ? Pourquoi tu n’avais que Bee ?
- Mh…»
Elle poussa un long soupir.
« Je ne sais pas. Je n’avais pas d’amis, pas que je sache. Et… C’est toujours confus. Bee m’a juste sauvé en m’amenant ici.
- Et tes parents ?
- Je n’ai pas de parents.
- On a tous des parents.
- Eh bah, pas moi. »
Elle prit une moue boudeuse, fronçant les sourcils tandis que les larmes lui montaient aux yeux. Jerronimo le remarqua et passa un bras sur ses épaules pour la blottir contre lui. Il ne voulait pas la vexer, ou lui faire du mal. Il ne pourrait pas. Il s’excusa à mi-voix, mais compris énormément de chose. Pendant toutes ces années ou Lilou était frustrée, à l’école lorsqu’ils étaient ensemble et qu’elle était simplement incapable de se lier d’amitié avec quelqu’un, ce temps à être détester, autant qu’à détester. Puis elle avait grandi, et était devenue affreusement belle.
Elle avait toujours été le vilain petit canard. Cela le fit sourire, lorsqu’il vit Bee à côté qui s’étendait sous sa forme animale au soleil, somnolant à moitié.
« C’pas que t’en as pas. C’est qu’tu les connais pas, c’tout.
- Ils n’ont pas voulu de moi. Ce n’est pas si compliqué à comprendre.
- De toute façon, t’y gagne au change, nan ? »
Il lui fit son plus beau sourire. Elle releva les yeux vers lui, un peu désespéré. Est-ce qu’elle y gagnait au change ? Elle ne pourrait pas y répondre, vu qu’elle ne pouvait pas comparer.
« Oui, oui. »
Il éclata de rire :
« Tu pourrais au moins faire semblant d’y croire ! »
Elle se mit à rougir, ramenant ses jambes à sa poitrine pour s’y blottir. Elle s’excusa à son tour, tandis que Jerronimo rigolait toujours à côté d’elle. Il l’avait embarrassé. Il le faisait toujours pour la taquiner. Il s’amusait de sa maladresse parce qu’il trouvait ça mignon. Elle le frappa pour qu’il arrête de rire. Il se calma et reprit :
« Et à part ça ? Tu étais ou avant d’être ici ?
- Je ne sais pas.
- Genre ? Pas du tout ? Y’avait des gens au moins ?
- Beh oui.
- C’était qui ces gens ?
- Des gens méchants. »
Jerronimo fronça un sourcil.
« Ils t’ont fait du mal ?
- Ils n’en ont pas fait qu’à moi.
- Oui, mais les autres, je m’en fiche.
- Et moi, je ne m’en fiche pas. »
Un silence. Le temps de comprendre.
« L’essentiel, c’est que tu t’en sois sortie, dit-il doucement.
- Mh. Et les autres ? Eux, ils ne s’en sont pas sortis. Ils n’ont pas eu ma chance. Tu ne trouves pas ça injuste ?
- Euh… Si.
- Alors, ne te fiche pas des autres.
- Tu ne peux pas non plus te pourrir la vie pour eux, Lilou. Tu n’avais que 8ans, tu ne pouvais pas savoir, ni les sauver tous.
- J’aurais dû essayer.
- Et quoi ? T’aurais débarqué là-bas pour leurs péter la tronche ? Alors qu’t’es même pas capable de me coller une droite digne de ce nom ? Ils t’auraient tué, de toute façon ! On ne peut pas sauver tout le monde… C’est pas humain. C’est pas possible.
- J’aurais quand même dû essayer.
- Que tu es têtue. »
Elle haussa les épaules. Oui et alors ?
Rongée par le regret. Par l’absence. Par le doute. Bon dieu, songea Jerronimo en se passant la main dans les cheveux, cette fille n’était pas croyable. Elle ne disait rien, ou trop peu, elle ne donnait aucun indice qu’aurait pu permettre de la comprendre, ne serait-ce qu’à peine. Elle était ce genre qui se fermer, comme une huitre, hermétique. Recroquevillée sur elle-même et incapable de parler. Tout ce qu’il avait appris aujourd’hui, il ne l’avait appris que parce qu’il l’avait forcé à parler.
Il se rendit compte que ça ne le menait à rien. Que ce n’était pas contre lui, de toute façon. Qu’elle n’en avait qu’après elle. Ça s’expliquait. Finalement, il ne pouvait pas dire la comprendre parfaitement. Il voulait pourtant essayer. Faire comme le vieux Harry, qui lui avait simplement ouvert sa porte, sans lui poser de question et qui avait compris qu’elle n’avait pas envie d’en parler. D’avant.
Ce qu’elle était, ce qu’elle avait pu être avant, ça n’avait aucune importance. Ça n’en aurait pas, tant qu’elle n’en donnerait pas. Et pour l’instant, elle n’était pas prête à partager. Lilou gardait ses secrets jalousement, farouchement, mordant la main qui voulait l’aider, cachant ses blessures pour ne pas qu’on ne la pense faible.
Il ne la trouvait pas faible. Parce qu’il en était amoureux. Mais c’était une toute autre histoire.
« Rentrons. »
Dernière édition par Lilou B. Jacob le Lun 9 Avr 2012 - 16:53, édité 2 fois