« Non, je vous assure, je ne cherche pas à imposer mes écrits.
- Veuillez sortir de ce lieu sacré mon fils, nous ne permettons pas qu’un infidèle vienne prêcher une caricature de religion dans l’enceinte de notre église.
- Mais attendez, je voulais juste m’informer sur les points communs avec mon...»
La lourde porte en bois se referma au nez du brave commandant. Lui qui, ouvert à tous les idéaux, avait voulu se renseigner sur les pratiques de cette religion, il venait de se faire jeter dehors comme un pestiféré. Ah il le savait déjà, mais que le monde était cruel envers les visionnaires !
« Pardonne à ceux qui ne peuvent te comprendre. Leur ignorance ne fait pas d’eux des criminels, mais de simples âmes égarées depuis bien trop longtemps. » Chapitre deux, verset un.
Les larmes du ciel ruisselaient sur son visage. En ce mois de Novembre, les nuages chargés d’humidité se déchargeaient un peu sur le monde. Ou plutôt sur la ville.
Manshon. Une métropole raisonnablement grande, très animée en temps normal et sans doute plutôt accueillante. Mais aujourd’hui la chape de plomb qui la surplombait ne laissait pas aux yeux le plaisir d’observer toutes les richesses qu’elle pouvait avoir à donner.
Ce n’était pas par pure envie bucolique que notre homme s’était retrouvé sur place. Il voulait voir après toutes ces années l’endroit où son père avait été jugé, puis destitué. Le lieu qui avait amorcé la chute de son modèle, le tribunal de Manshon. La ville n’était pas située bien loin de la petite île natale de Soren. Elle était la juridiction la plus proche et la plus haute de cette partie de North Blue. Tout un symbole.
Alors que le petit matin pointait à peine le bout de sa truffe, Soren pénétra dans la cour suprême de justice. Si un garde tenta d’abord de l’arrêter, il ne put s’y employer après que notre commandant ait décliné officiellement son identité. Non pas qu’il soit extrêmement connu sur place, mais le faible nombre de si hauts gradés sur place laissait penser que cette visite n‘était pas vraiment de courtoisie.
A cette heure, le tribunal était désert, aucune affaire n’avait encore été traitée. Délicatement il se balada dans la pièce, caressant de ses doigts fins le banc des accusés ou son défunt père avait été injustement déshonoré. Le cadre était apaisant, avec ses longues tables cirées, ses chaises géométriquement réparties, ce plafond haut majestueux couvert de motifs grandiloquents. Il sentit son enfance lui remonter à la gorge. Sur le coup toutes ses envies habituelles de sourire et de plaisanter s’évaporèrent. Il était le dernier, le dernier d’une lignée détruite physiquement et socialement. Ce poids écrasant qu’il avait du porter une grande partie de sa vie lui parut encore plus harassant qu’à l’ordinaire. La foi était tout ce qui lui restait.
Alors que ses yeux s’embuaient, un homme d’âge mûr s’approcha de lui. Il ne parut pas hostile dans sa robe de magistrat. En apercevant l’officier, il lui sourit, d’un air étrangement paternel, avant de poser une main sur son épaule.
« Je n’oublie jamais un nom ni un visage, même des dizaines d’années plus tard. Ce qui a été fait dans le passé doit y rester mon garçon. Ne maudis pas notre institution, car elle permet aux habitants de chaque cité de dormir en paix le soir venu. »
Cet homme avait été là. Il avait été là le jour où le père Lawblood avait été rétrogradé. Il reconnaissait les traits du père à travers ceux du fils. Les deux hommes se fixèrent longtemps sans dire un seul mot. Puis, lentement, Soren baissa la tête et glissa vers la sortie, comme un fantôme migrant vers une nouvelle destination. Adieu monsieur. Adieu cette bâtisse. Adieu papa.
Sitôt sorti un marine vint à sa rencontre. Il l’avait déjà rencontré lors de son bref passage vers le Quartier général de la ville à son arrivée. Une sorte de Speedy Gonzalez, l’accent chantant en moins. Toujours à courir partout et à se faufiler dans les coins les plus insolites.
« Commandant Lawblood, commandant Lawblood, commença-t-il, j’ai ici un ordre de mission pour vous, pour sûr ! »
Ce n’était vraiment pas le moment. Le Soren habituel, généreux et souriant, faisait une petite pause bien méritée.
« Personne d’autre n’est disponible ? Je ne fais pas partie de la milice à ce que je sache.
- Personne de votre rang n’est libre pour sûr ! Vous êtes le seul à pouvoir nous aider. Enfin si vous ne nous abandonnez pas et que vous restez fidèle à votre réputation pour sûr ! »
Il était fatigué. Fatigué d’aider tout le monde sans recevoir quoi que ce soit en retour. Il savait que cette mauvaise passe ne durerait pas et que d’ici quelques heures, voire quelques jours il reprendrait du poil de la bête. Mais en ce moment même il était vraiment difficile de feindre l’enthousiasme. Il inspira une grande bouffée d’air humide avant de se lancer.
« De quoi s’agit-il soldat ? Vu l’importance que ça a l’air d’avoir, je sens que quelqu’un va passer un sale quart d’heure. »
- Veuillez sortir de ce lieu sacré mon fils, nous ne permettons pas qu’un infidèle vienne prêcher une caricature de religion dans l’enceinte de notre église.
- Mais attendez, je voulais juste m’informer sur les points communs avec mon...»
La lourde porte en bois se referma au nez du brave commandant. Lui qui, ouvert à tous les idéaux, avait voulu se renseigner sur les pratiques de cette religion, il venait de se faire jeter dehors comme un pestiféré. Ah il le savait déjà, mais que le monde était cruel envers les visionnaires !
« Pardonne à ceux qui ne peuvent te comprendre. Leur ignorance ne fait pas d’eux des criminels, mais de simples âmes égarées depuis bien trop longtemps. » Chapitre deux, verset un.
Les larmes du ciel ruisselaient sur son visage. En ce mois de Novembre, les nuages chargés d’humidité se déchargeaient un peu sur le monde. Ou plutôt sur la ville.
Manshon. Une métropole raisonnablement grande, très animée en temps normal et sans doute plutôt accueillante. Mais aujourd’hui la chape de plomb qui la surplombait ne laissait pas aux yeux le plaisir d’observer toutes les richesses qu’elle pouvait avoir à donner.
Ce n’était pas par pure envie bucolique que notre homme s’était retrouvé sur place. Il voulait voir après toutes ces années l’endroit où son père avait été jugé, puis destitué. Le lieu qui avait amorcé la chute de son modèle, le tribunal de Manshon. La ville n’était pas située bien loin de la petite île natale de Soren. Elle était la juridiction la plus proche et la plus haute de cette partie de North Blue. Tout un symbole.
Alors que le petit matin pointait à peine le bout de sa truffe, Soren pénétra dans la cour suprême de justice. Si un garde tenta d’abord de l’arrêter, il ne put s’y employer après que notre commandant ait décliné officiellement son identité. Non pas qu’il soit extrêmement connu sur place, mais le faible nombre de si hauts gradés sur place laissait penser que cette visite n‘était pas vraiment de courtoisie.
A cette heure, le tribunal était désert, aucune affaire n’avait encore été traitée. Délicatement il se balada dans la pièce, caressant de ses doigts fins le banc des accusés ou son défunt père avait été injustement déshonoré. Le cadre était apaisant, avec ses longues tables cirées, ses chaises géométriquement réparties, ce plafond haut majestueux couvert de motifs grandiloquents. Il sentit son enfance lui remonter à la gorge. Sur le coup toutes ses envies habituelles de sourire et de plaisanter s’évaporèrent. Il était le dernier, le dernier d’une lignée détruite physiquement et socialement. Ce poids écrasant qu’il avait du porter une grande partie de sa vie lui parut encore plus harassant qu’à l’ordinaire. La foi était tout ce qui lui restait.
Alors que ses yeux s’embuaient, un homme d’âge mûr s’approcha de lui. Il ne parut pas hostile dans sa robe de magistrat. En apercevant l’officier, il lui sourit, d’un air étrangement paternel, avant de poser une main sur son épaule.
« Je n’oublie jamais un nom ni un visage, même des dizaines d’années plus tard. Ce qui a été fait dans le passé doit y rester mon garçon. Ne maudis pas notre institution, car elle permet aux habitants de chaque cité de dormir en paix le soir venu. »
Cet homme avait été là. Il avait été là le jour où le père Lawblood avait été rétrogradé. Il reconnaissait les traits du père à travers ceux du fils. Les deux hommes se fixèrent longtemps sans dire un seul mot. Puis, lentement, Soren baissa la tête et glissa vers la sortie, comme un fantôme migrant vers une nouvelle destination. Adieu monsieur. Adieu cette bâtisse. Adieu papa.
Sitôt sorti un marine vint à sa rencontre. Il l’avait déjà rencontré lors de son bref passage vers le Quartier général de la ville à son arrivée. Une sorte de Speedy Gonzalez, l’accent chantant en moins. Toujours à courir partout et à se faufiler dans les coins les plus insolites.
« Commandant Lawblood, commandant Lawblood, commença-t-il, j’ai ici un ordre de mission pour vous, pour sûr ! »
Ce n’était vraiment pas le moment. Le Soren habituel, généreux et souriant, faisait une petite pause bien méritée.
« Personne d’autre n’est disponible ? Je ne fais pas partie de la milice à ce que je sache.
- Personne de votre rang n’est libre pour sûr ! Vous êtes le seul à pouvoir nous aider. Enfin si vous ne nous abandonnez pas et que vous restez fidèle à votre réputation pour sûr ! »
Il était fatigué. Fatigué d’aider tout le monde sans recevoir quoi que ce soit en retour. Il savait que cette mauvaise passe ne durerait pas et que d’ici quelques heures, voire quelques jours il reprendrait du poil de la bête. Mais en ce moment même il était vraiment difficile de feindre l’enthousiasme. Il inspira une grande bouffée d’air humide avant de se lancer.
« De quoi s’agit-il soldat ? Vu l’importance que ça a l’air d’avoir, je sens que quelqu’un va passer un sale quart d’heure. »