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Five Weeks in a Balloon [OneShot 1622/3]

Ou un peu moins.

L’ballon prend d’la hauteur en même temps qu’le soleil à l’ouest. Ou ptet bien qu’c’est l’est. Ou l’nord, jamais rien bitté aux phénomènes physiques dans cette réalité. Suivant du côté qu’on r’garde, c’est toujours différent. Enfin, en tout cas, en d’ssous, et ça, « en d’ssous », c’est une valeur qu’elle est sûre, en d’ssous Bliss prend son pied d’chaleur après une nuit d’chiens comme y en a peu. Moi aussi, jprends mon bain d’rayons, mais un peu. Jfais gaffe. Naufragé en mer, jsais qu’le clinquant est pas ton ami. Jprésume que naufragé d’l’air c’est un peu pareil. Ptet jcommence à avoir l’habitude des départs à l’arrach’ et des dérives qui durent des s’maines. M’enfin, du coup, donc, jprends mes précautions.

Et jme démène avec le manteau et les trois ficelles restées au fond d’la nacelle pour construire un abri où c’que jserai à l’ombre. L’ombre, c’est bien. J’aime l’ombre. Toi aussi tu vas l’aimer. Quand j’aurai la bouche sèche, la peau sèche, l’zeg sec, et l’reste aussi. L’sec, c’est aussi la raison pour laquelle jme dépoile pas trop en plus du cuirassé. Manière pas m’exposer aux courants d’air qui m’balaient et servent au mouvement. C’t’un peu l’principe du ballon jsais pas s’tu sais. T’servir des courants aériens pour te bouger. Et c’est là-d’ssus que j’compte d’ailleurs. C’pas avec les trois bouteilles d’gaz qu’j’irais loin sinon. Erf. J’me prends à espérer qu’y ait assez. Pas bon. Jviens d’partir et l’espoir c’est pour quand c’est la merde. M’dis pas qu’c’est déjà la merde ? Merf.

Encore et encore, j’monte. C’est pas un problème, les souvenirs que j’ai d’être au pied d’RedLine, c’est pas une colline. Mais ça m’titille la curiosité quand même. Comment on fait pour stabiliser la montée avec ce machin ? Jtriture, jteste, j’joue avec les bout-ouais, bon, y a pas d’bouton. J’joue avec la valve, stu veux. La vanne. La soupape. Les machins qui s’tournent et qui s’ferment, les trucs qui s’montent et qui s’descendent, bref, les trucs qui s’bougent, cordages compris. Même ceux qu’ont pas l’air fait pour ça. Et c’ui-là, y fait quoi ? Et c’ui-là ? Et ? Ah merde, c’ui-là fallait pas. Chieeer.

S’cousse, res’cousse, et chute de cent pieds. Libres. Deux cents, trois cents. C’est là qu’jregrette pas d’êt’ monté en flèche d’puis Bliss. A défaut d’bien profiter d’la vue et d’prendre le temps d’me faire remarquer par la populace, ça m’a au moins permis d’prendre de la marge pour pas m’planter à deux lieues d’distance de l’île. C’aurait pas été top pour la légende du Tahar volant. Sans compter qu’changer d’mer à la nage c’est quand même vach’ment compliqué. Plus d’aut’ choix qu’d’aller à Reverse, et d’sauter d’un canal à l’autre une fois en haut, l’programme fait bander. Les muscles.

Bander. Les muscles. J’prends pas l’risque. La chute s’est arrêtée toute seule, l’câble d’vait pas être bien important au final. On r’monte même à m’sure que la toile r’trouve sa forme. Et pis moi jsuis bien sous mon paravent pare-soleil. Un peu trop. J’m’endors. On flâne. Je flâne. Jpense à tout c’que j’ai fait sur South, au ptit nom qui doit commencer à r’tentir dans leurs sale caboches de sudistes à tous : Tahar, Tahar, Tahar ! Pis jme réveille en sursaut, plein d’sueur et d’flotte, et jme dis merde encore une fois. La sueur, c’est bien, mais une fois g’lée par le vent, c’est froid. Et quand jparle de froid, jparle de froid. A trois mille pieds quand t’es porté à douze nœuds par un vent gentil qui t’a pris en stop, y caille. Sec. Et froid. Jme r’trouve avec le costard rigidifié par le givre quand on sort d’la couche de nuages où qu’on était.

Jdis on, c’pack’ je compte le ballon.

Glagla, c’est l’mot qui m’vient. C’est pas un mot ? Tu veux un bleu ? C’est une question rhétorique pour la transition, réponds pas. Du bleu, y en partout. Du blanc aussi, sous mes pieds. Y a du soleil en plus, généreux. Mais ça réchauffe keud’. Au contraire, m’vient l’impression qu’y frisque encore plus. L’même genre de frisquet qu’quand les pierres éclatent la nuit sous les assauts d’la lune, t’sais. Tout juste si j’ai la présence d’esprit d’me bricoler une gourde avec le fourreau du Narnak et un système qui par capillarité fait goutte-à-goutter d’l’eau pure dedans. Ouais, on dirait pas quand on est pas au courant mais c’est ’achement pratique les fourreaux en plus d’aider à pas s’planter avec son surin. Encore une technique pas mal que j’ai apprise au cours d’une de mes conneries.

Et puis on descend. Et puis on r’monte. Et puis. Encore. Et encore. Et y fait nuit. Pis jour. Jbois. Pis y fait nuit. Pis jour. Jbois. D’temps en temps j’remplis la gourdasse. L’Narnak. L’fourreau du Narnak. Voilà, y m’fait la gueule maint’nant. Même plus jpeux lui parler. Mais bref. Ca fait pas bézéf d’rien liquide. Jour nuit, jour nuit. J’m’emmerde, jmanque de m’casser la gueule en f’sant ma gym du matin. Jcommence à sentir la faim. La vraie. Celle d’quand t’as soif avec. Pas bu. Du ’cool j’entends. D’puis longtemps. D’puis perpèt. Tain, d’puis l’Cimetière d’Epaves, quel déchard. Ha. Parfois j’ai d’la terre en vue. Parfois pas. Mais toujours c’est des îles dont j’ai rien à foutre. Jveux m’barrer d’c’t’océan moi. C’du mont qu’je veux moi. Du gros mont qui t’tend l’énergie. T’m’entends Tyché ? T’m’entends !?

Elle m’entend.


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L’orage aussi. M’entend.

Ca fait crac, ça fait boum, ça fait huuu. Dans les vergues. Sauf qu’y a pas d’vergue. Juste des cordes. Et une toile pleine d’air d’moins en moins chaud vu les circonstances. Fin d’bouteille. D’première bouteille. Tranquille ? Pas tant qu’ça. Y a aussi vingt mille chances contre une que j’y reste. L’vent force bleu écume s’lève et m’décolle l’auricule gauche. J’entends plus rien, c’est l’drame. Enfin c’est ptet mieux, ça m’évite de m’apitoyer sur les coutures qui font gnihhh comme des portes qui vont s’ouvrir ou sur le fracas qu’fait l’rotin trop sec pour supporter autant d’flotte d’un coup du ptit nid douillet où j’m’abrite. Toujours sous l’manteau. L’fameux, l’indestructible. Le manteau. Putain, je sais pas de quoi c’est l’cuir, ni avec quoi il le tanne, mais c’est impressionnant comment ça résiste, cette ptite bête-là, quand même.

Tu trouves j’m’attardes sur des détails qu’on sans fout ? J’aimerais t’y voir. Seul au monde d’puis bien une huitaine. En l’air. Rien graillé. A peine slurpé. Crade. Sec. Ouais, j’t’ai pas dit mais à force d’pas bibiner j’ai la peau qui commence à craqu’ler malgré mes attentions. Et vivant. Encore. Pas mort jveux dire. En attente. Du coup j’attends. Et pour tromper l’attente, rien d’mieux qu’les ptits détails. Comme ça elle s’plante de cible. L’attente. Elle croit qu’t’es pas dispo. Alors elle t’épargne. Et c’est moins pire. T’as vu ?

Là. C’est pas moins pire. Mais c’est pas pire non plus. C’est pareil. Mais j’m’en rends moins compte. Tu m’trouves confus ? R’dondant. J’le suis. Sûr’ment. Stu l’baves. Mais j’ai l’neurone tout sec jviens d’te dire. Ou pas. Jsais plus. M’souviens plus. J’arrive pas à fixer mon esprit. Même sur les ptits détails genre jsais plus quoi. L’manteau. Voilà. L’manteau qui résiste. L’Narnak qui résiste. La poulie. La nacelle. L’ballon. Qui résistent. Moi. Qui résiste. J’ai faim putain. Jpourrais bouffer mes bottes. Si j’avais d’quoi les cuire.

Eh mais. J’ai d’quoi. J’ai du gaz. Du feu. D’l’eau tombée du ciel. D’quoi.

Jvais pour l’faire. Mais l’ciel s’déchire. Encore. Probablement y a du tonnerre, mais ça m’arrive pas au bulbe et jmire qu’la foudre. Qu’s’abat. Juste à ma gauche. A vingt toises. Ptet trente. Sur un navire ptet bien. Un qu’aurait pas eu d’chance. Jvois pas bien l’sol. Jvois rien en fait. Enfin. Jvoyais rien.

Là.

Là. Jvois.

Jvois. Un mont.

Jvois. Une muraille.

J’jappe comme un putois, mais j’m’en fous, personne peut m’intercepter l’gueulage. A part la Dame. Mais la Dame m’connaît. Et moi aussi. On est intimes. On s’dit tout. Elle m’souffle qu’j’ai deux claqu’ments d’doigts pour réagir. C’est zéro d’trop. Pendant l’premier, j’envoie valser la première bouteille, qu’es en fin d’vie si tu t’souviens. Comme moi, mais en plus inéluctable. Ouais, jprends l’temps d’dire des gros mots, c’est pour faire genre jsuis tranquille. Pendant l’second. Claqu’ment d’doigt crochu mortel. Pendant l’second, j’allume la deuxième. A fond. A fond à fond. Stoire d’éviter les graviers. Les rochers. Stoire d’monter haut comme jsuis jamais monté encore d’puis qu’jsuis parti. Ca marche. Mais pas assez vite.

On s’cogne. L’ballon, moi, et l’mur. ’fin. La nacelle. L’ballon aurait pas t’nu l’choc. Mon pied l’tient moyen déjà. Ouais, la ch’ville fait la gueule. La jambe aussi. Pis l’genou. La cuisse ça va. La hanche pas top. Alors la toile. Bof. Mais j’ai amorti l’truc. On r’bondit. Un peu. Pas loin. Deux toises. Pis on grimpe. L’air nous r’colle contre la paroi une ou deux fois. Genre pas douc’ment. Mais j’ai une jambe sacrifiable et un sabre qu’encaisse tout et qu’ces fois j’ai la présence d’esprit d’utiliser pour les travaux d’force. Alors on s’en sort. Pis on grimpe. On grimpe encore. La bouteille crache sa chaleur. Sa vapeur brûlante qui gonfle. La voile. Qui maintient gonflée. La voile. Qui rend léger. Mon crâne. Jdis ça. Il en restait un peu dans la première. Du gaz. Et manifestement ça rend chose. Ca m’rend chose. Ou alors c’est la montée. Sans décompression.

Héhéhé.

M’entendre m’fait peur. C’est en tout cas signe qu’mes tympans s’sont débouchés. Et ça c’est cool. Jprofite du concert. La pluie. Sur la toile. Sur mon cuir. Sur la roche. L’air, qui file, à gauche, à droite, en haut, en bas. Partout. L’tonnerre. Qui crache. Dans tous les sens, dans toutes les faces. Sauf la mienne. Et j’m’en contente. Et l’gaz qui file. L’gaz. L’sacré gaz sauveur.

J’regrett’rais presque d’être venu ici tellement j’ai les entrailles vidées qui m’retournent la tête en plus d’tout l’reste. Vraiment, jcumule. Mais j’ai pas l’temps d’regretter. Deux claquements d’doigts. C’est encore c’que j’ai pour m’sortir de la prochaine. D’la prochaine crasse. Putain d’Fortune. Mal baisée. Joueuse.


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Un. Deux. J’m’en sors. D’justesse. Faut dire qu’c’est pas évident de base. D’monter à la main une muraille verticale avec un ballon suspendu à la seule cheville par chance pas pétée qu’y t’reste. R’prends ton souffle.

J’ai réussi.

Jsuis comme ça. Dur. Fort. Puissant. Couillu. Enfin. Couillu, c’tait pas vraiment la question, là. J’ai pas eu l’choix. Pas eu l’temps d’me dire, j’y vais ou j’y vais pas ? Main gauche ou main droite ? Juste eu l’temps de. Sauter d'la nacelle. L’reste c’est d’la chance. La bonne main sur la bonne prise. L’bon pied dans l’bon cordage. L’Narnak qu’a pas glissé d’la nacelle. La dernière bouteille non plus. Pully qu’est restée dans ma poche.

D’la chance.

Mais une fois qu’j’y étais. Une fois qu’j’ai senti qu’si j’y allais pas j’y restais, entraîné par la montgolfière qu’allait finir par vraiment s’dégonfler maint’nant qu’la bouteille s’tait vidée. Là c’était aux tripes. Au cran. Au poignet. Poignet gauche, poignet droit. Juste les bras. Pas les jambes. Réfléchis. J’en ai une baisée par la manœuvre d’approche. Et l’autre dans les cordages, en mode s’tu contractes pas la cuisse j’t’écartèle.

Juste les bras.

Mais ’reus’ment, ça a pas duré. Juste un coup d’malchance dans ma chance, la bouteille s’est finie à deux toises du sommet. L’sommet d’RedLine, mec, parfait’ment. Tu m’crois pas ? M’crois pas. Moi j’me crois. Pour cause qu’j’étais là. Et la cicatrice sur l’mollet droit, là, c’est pas inventé non plus. Alors voilà. Crois-moi, crois-moi pas, j’ai réussi. Jsuis monté sur RedLine. Et j’ai monté mon baluchon avec moi. Mon gros baluchon plein d’toile à voile renforcée, d’corde et d’gaz. Toujours l’gaz. Toujours l’sacré gaz.

J’ai grimpé jusqu’en haut d’RedLine, et j’me suis effondré. Comme une loque. J’ai glissé jusqu’à m’trouver allongé à moitié plié sur moi-même, et j’ai pioncé. Sous l’orage. A côté d’l’orage. Sous la flotte. La bruine. Pis sous l’soleil. Pis sous l’vent. Pis sous l’froid à nouveau. Pis. J’me suis réveillé. Dans l’froid. Dans la fatigue. Dans la douleur. Un boulet au pied. Un gros boulet qui s’était pas échappé. Sans avoir où j’étais. Du tout.

Pis ça m’est r’venu. RedLine. L’sommet. L’ascension. J’ai dégueulé mon rien. Et jme suis r’levé. Et j’ai r’gardé autour. Y avait rien. Qu’de la caillasse rouge. A gauche. A droite. Devant. Derrière. Non, derrière y avait rien. Du vide. L’vide de South Blue. Alors j’me suis souv’nu. D’ma géo. J’me suis souv’nu. Et j’ai décidé que. C’était par là.

West Blue. D’l’autre côté. Pis j’ai marché. Mal. Boité. Longtemps. En tirant un fardeau pas cool à tirer. Longtemps. Un peu. Longtemps. Pas mal. Longtemps. Beaucoup. Du plateau rouge tout lisse. Tout haut. Jsais pas combien mais tout haut. Jsais pas combien mais longtemps. Et encore plus. Toujours plus. Pour voir si la Dame y était.

J’ai pas eu d’pluie, j’ai pas dû tirer plus d’trois jours. On tient pas plus sans boire. Mais j’ai dormi. Sur l’trajet.

Et puis jsuis arrivé au bout. Elle y était pas. La Dame. Mais moi j’y suis. Là. Maint’nant. Toujours maint’nant. Jpense plus à rien. J’lâche. C’que tiennent mes bras. Jsouffle. L’peu d’air qu’reste à mes poumons. Pis jdors, encore. Jour, nuit, rien à battre. Dormir. Dormir putain. Jdors.

La pluie m’réveille. D’la bonne pluie qui mouille. Qui r’quinque. Mal, mais qui r’quinque. J’en profite pour m’doucher. A poil, sur RedLine. Ouaip mon gars. T’es pas mon gars ? J’t’ai pas dit qu’j’m’en tapais, mec ? Tahar sur l’toit du monde. L’eau, l’repos, m’remettent assez d’santé pour savourer. Alors jsavoure. Profite. Pis la pluie s’arrête. Et l’vent r’prend. L’vent qui m’dit : faut qu’t’y aille, gars. Et les tiraill’ments m’reprennent. Les tiraill’ments qui m’disent : bouffe-toi un pied, mon pote ! Alors j’y vais. D’vant moi, le vide. Derrière moi, l’ballon. Qui fait la gueule. Et une bouteille de gaz. Toujours. Toujours le gaz. Une bouteille.

Clac, clac. Cette fois jpouvais prendre plus de temps. Mais l’habitude. Hop, ça gonfle. Hop, ça s’tend. Et hop, j’jette la nacelle avec moi d’dans dans l’néant des mondes. Yahaaa. D’abord on s’casse la gueule.

Jdis on, c’pack’ je compte le ballon.

Ensuite, on s’casse la gueule. Encore. Toujours. L’gaz s’est liquéfié. A moitié. Ptet. Détail technique. Tout cas y a pas masses de courants chauds. Alors on chute. Libre. Longtemps. Jcommence à flipper. Derrière moi, dans la brume, jvois la roche d’la muraille, qui défile. Rien à faire, jvais crever sur West Blue. Sur. En tombant d’ssus.

Home, sweet home.

C’taient les mots magiques. La bouteille rote. Crache. Flambe. S’vide en pas deux, mais flambe. Flamboie.

On r’monte.


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