- Autant une journée de merde, on s'en étonne pas et on souffle et on la laisse passer en attendant avec impatience la suivante. Autant une semaine de merde, ça commence à vous pousser à bout. Enfin, une semaine de merde qu'elle avait choisie. Et par « de merde », comprendre « où on se fait chier ». Pour rester dans champ lexical. Bon, ce langage charretier n'était qu'utilisé intérieurement. Au dehors, les seules paroles -ou du moins les dernières- qui glissaient entre ses lèvres pincées par la frustration d'une semaine de vacances furent :
« -Je ne respecte que ce qui à le mérite d'être respecté. Dis encore un mot, bouge d'un millimètre ou regarde-moi encore avec tes yeux de démon, et c'est moi qui t'envoie en enfer. Je suis désolé pour toi, mais à partir du moment où tu t'attaques à un officier de la marine, les conséquences de tes actes sont bien trop élevées pour tes frais, qui plus est quand son arme est celle de la mort elle-même... Malheureusement pour toi, celle de la Faucheuse est beaucoup moins sophistiquée car elle n'est pas remplie de sel, d'eau et de poudre de charbon. Désolé d'enfoncer encore un peu plus le clou, mais... Tu n'avais pas ...la moindre...petite...chance... »
- Je vous fait un résumé ? Une semaine de vacances plutôt méritées, une île aussi plate qu'ennuyeuse, une ville de bouffeurs d'avoine et dans tout ça, un barman un peu nerveux qui bute les marins qui n'aiment pas sa boisson. En accord avec le nom de l'île, sa boisson d'ailleurs. De la pisse de Tanuki en bouteille orange bonbon. Alors oui, le langage charretier qu'elle ne faisait que penser d'ordinaire, et encore, avait tendance à se frayer un chemin et sortir de lui-même. Mais bon, la semaine se terminait, elle repartait le lendemain faire la chasse aux pirates où elle irait sur Inari. Et puis le barman au regard de tueur avait été écroué grâce à elle. Pas bien résistant, mais assez terrifiant pour le commun des mortels.
Rachel ne faisait pas partie du commun des mortels.
Silencieuse, elle entra dans la base de la 412e compagnie. Enfin, 412e, ça aurait très bien pu être la 524e ou la 42e, elle avait un peu de mal avec ces numéros. Elle entra donc, regard bas, blasée de n'avoir même pas pu manger son assiette de fruits chez le barman. Même si elle avait eu le temps, les fruits étaient pourris et assaisonnés avec du sirop d’Érable et de l'huile de tournesol. Il aurait été un cousin de Saru pour la cuisine que ça ne l'aurait pas étonné. Zut, un anachronisme. Tant pis, personne ne l'a vu. Elle parcourut donc le hall, sombre, ses pas claquant sur le sol de pierres, sombres, la faux sur l'épaule, sombre. Tous s'écartaient, faisaient de grands détours sur son passage ou la dévisageaient avec appréhension. Sur cette île, elle n'avait à craindre que le Lieutenant d’Élite. Et tous les autres le savaient. Elle était une pointure pour tous. Respectée mais crainte. Surtout à cause de sa tenue noire, ses dentelles blanches et son nœud papillon sur le côté, sa faux gigantesque et son regard de jade liquide et flamboyant.
La faucheuse fit un passage par un couloir, un détour par les cuisines et saisit deux pommes avant de monter directement dans sa chambre d'emprunt. Rien ne lui faisait envie et, lasse, elle choisit d'aller se coucher tôt. Plus tôt elle serait couchée, plus tôt elle partirait le lendemain. Plus vite elle reprendrait la chasse au pirates et plus vite elle quitterait cette terre ennuyeuse. Cette île maussade.
La porte s'ouvrit. Numéro 20.35. Aucune importance, mais ce numéro, elle l'avait retenu. La porte se referma dans un discret claquement. La faucheuse laissa lentement place au Lieutenant Blacrow qui se laissa aller à la porte de sa chambre. Une chambre vide de toutes affaires. Un lit en 110, une table de chevets à 3 tiroirs, un penderie avec 2 cintres, une fenêtres à double battants et une valise unique ouverte sur le lit défait. Avec un soupir de soulagement, Rachel accrocha sa faux au porte manteau qui, comme depuis une semaine gémit sous le poids de l'arme. Mais il ne céda pas. Au loin, à l'Ouest, par la fenêtre de sa chambre, Elle regarda l'astre incandescent embrasser l'horizon passionnément. La lueur rouge-orangée teinta la peau d'albâtre de la poupée de porcelaine qu'elle était. Avec un petit sourire, elle s'en détourna et ôta sa veste noire ainsi que son nœud papillon.
Lentement, comme si elle se préparait pour sortir, elle plia soigneusement sa veste noire, et traita les dentelles noires avec délicatesse. Puis, elle attacha ses cheveux en une tresse longue pour ne pas abimer ses anglaises noires et soyeuses. Regardant la boule rouge à l'horizon, elle choisit d'ouvrir la fenêtre pour profiter des derniers instants de chaleur. Son visage se détendit perceptiblement. Bientôt les embruns de la mer qu'elle chevaucherait de nouveau. Elle sourit à cette pensée et se détourna du panorama pour ôter la jupe noire. Dentelles blanches suivirent. Ses gants, pliés aussi soigneusement que le reste, furent posés sur le haut de la pile alors qu'elle se retrouvait à demie nue devant le miroir qui ornait la penderie. Elle s'y observa. Se sourit. Se tourna. Non pas qu'elle aimait faire ça, mais ce soir, son reflet au regard vert avait attiré son œil. Plus sombre que d'ordinaire, selon elle. Mais n'y apportant qu'un attention relativement courte, ses yeux avaient glissé sur ses épaules osseuses, ses bras fins, sa poitrine menue à la peau délicate -elle s'autorisa une moue dubitative d'ailleurs- puis sur ses hanches cintrées d'un simple dessous noir à dentelles pour finir sur ses longues jambes fines et terminer sur ces chevilles délicatement ciselées. Enfin, elle soupira et se pencha pour enfiler une chemise de nuit blanc crème. A dentelle, évidemment. Trop grand au niveau des épaules, elle glissait et en dévoilait une. Elle s'observa une nouvelle fois dans cette tenue. Notre poupée de porcelaine se gratifia d'un rictus méprisant à cette attitude et alla verrouiller la porte de sa chambre. Elle tira ensuite les rideaux blancs mais laissa la fenêtre ouverte. D'un geste las elle envoya à bas de son lit la valise qu'elle remplirait demain et se glissa entre les couvertures, sous les draps noirs. Elle soupira, et dans la lumière du crépuscule, se souhaita une bonne nuit ainsi qu'à Black Crow.
Dernière édition par Blacrow L. Rachel le Jeu 19 Avr 2012 - 3:35, édité 1 fois