J’attrape la poignée de la porte, je la baisse. Je passe l’entrée avec un sac à la main, l’air heureuse, me sentant bien. J’ai l’impression que rien au monde ne peut m’enlever cette risette que j’ai aux lèvres, ce petit air épanoui que les mères ont malgré la fatigue.
Alors, je suis là et je souris toujours, sans vraiment remarquer que quelque chose ne tourne pas rond.
Je suis partie le matin même avec le cœur léger en pensant que rien n’aurait bougé. Je suis partie dans l’optique de revenir pour retrouver une partie de mon existence, de la chérir et de l’aimer encore. En quittant la maison, j’avais dans l’idée d’être une femme exemplaire, prête à tout pour protéger son enfant des maux du monde, pour l’aimer quoiqu’il puisse nous arriver. En oubliant les bêtises du passé, bêtises qui, pourtant, m’avaient amenée le plus beau cadeau du monde, ce que je considérai comme un véritable trésor. J’étais prête à me poser et à assumer complètement mon rôle de mère, malgré mon jeune âge, malgré ce que les autres pouvaient en penser, malgré les on-dit.
Et j’ouvre les yeux pour constater.
Constater sans comprendre ce qui se passe.
Il y a quelque chose de changer, sans que je ne puisse immédiatement mettre le doigt dessus. Devant moi s’étend une pièce immensément vide, silencieuse. Un lieu mué ou la vie s’est éteinte en quelques secondes. Je regarde, je réfléchis. J’essaye, parce que je ne saisis pas l’ensemble du problème. J’avance doucement en lâchant le paquet que j’ai dans la main. Le salon est vidé de tous ses meubles, il n’y reste plus rien, si ce n’est le lustre que l’on a pas eu le temps de décrocher.
J’appelle. Lia ? J’appelle. James ! Encore une fois. Lia ?! Lia !
Je recommence encore une fois, pour être sûre. Parce que j’ai du mal à réaliser ce qui se passe. Et j’ai pas de réponse, pour sûr. Alors je parcours la distance qui me sépare de notre chambre. De notre ancienne chambre. Qui est dépouillée de tout le luxe qu’elle avait quelques heures avant. Même mes affaires se sont faites la malle. Je sors d’ici en trombe, je vais vers la chambre de ma fille. J’ouvre la porte à la volée, je regarde à l’intérieur en appelant toujours, parce qu’il ne me reste plus que ça à faire.
Mes boyaux se tordent, mon cœur éclate. Il n’y reste rien, ni meubles, ni traces de sa présence. De son existence. De quoi me rendre complètement dingue, en y songeant. De quoi faire me demander si elle avait vraiment vécu ici, si je n’avais pas tout imaginé. C’est irréel. C’est surréaliste, surtout. Je pige rien, j’aime vraiment pas ce qui m’arrive actuellement. Je crie toujours son nom, avec l’espoir d’une mauvaise blague, d’une farce. Il n’y a ni blague, ni farce. Ce n’est pas de l’humour comme je le souhaite, c’est une sorte de réalité qui n’a ni queue ni tête. Ils ont disparu. Juste disparu. Enlevés ? Partis ? Pourquoi ? Comment ? Qui donc ? Et bordel de merde, pas de réponses à mes questions !
Je ne sais pas quand est-ce que mon monde s’est arrêté de tourner. Ni pourquoi est-ce qu’on a décidé de l’en empêcher. J’ai du mal à voir le puzzle dans son ensemble, il me manque des pièces importantes pour en saisir le sens. Je crois que je commence à pleurer, je crois que je suis sincèrement en colère et blessée. J’ai l’idée d’aller voir mes voisins pour savoir s’ils ont vu quelque chose, s’ils peuvent me dire ce qui se trame dans cette putain de maison. Je deviens grossière, je craque. Alors je sors en trombe de la chambre de ma fille et vais pour filer chez les autres pour avoir des explications. Je m’approche de la porte à grands pas, et j’entends frapper derrière. On frappe encore plusieurs fois, et on m’appelle. Les coups sont secs et violents, plein de sérieux. Ça pue le coup de pute, mais j’ai l’espoir que ça soit pour m’aider. Je m’attends au pire en restant planter là, essayant de déterminer ce qui va me tomber encore sur le coin de la figure. J’essuie une larme en tentant de rester fière.
Puisqu’il ne me reste que ça…
« Michaela Hope ? Ouvrez, c’est la Marine ! »
La marine ? Oui, la marine ! Ils ont été avertis de mon malheur, ils sont au courant de la disparition de mon époux et de ma fille ! Ils sont venus me filer un coup de main, probablement. Ils ont des questions probablement, pour réduire les pistes, tout ça… Un espoir me tient. Un officier comme James ne disparait pas comme cela, c’est sûr. Ils le cherchent. Comme moi. C’est la seule explication logique à leur présence. Alors, plus ou moins rassuré de savoir que des hommes de la loi sont venus pour mener l’enquête, j’attrape à nouveau la poignée, je m’apprête à leur ouvrir. Et ils tapent encore, cette fois-ci, plus furieux :
« Ouvrez, ou nous défonçons la porte ! »
Pourquoi sont-ils aussi pressés ? J’ouvre. Je m’exécute. Il n’y a que ça à faire. Ils s’empressent de forcer leurs entrées, me bondissant à moitié dessus, les armes à la main, prêts à s’en servir pour je ne sais quelle raison. Je les regarde avec des yeux surpris, réellement désarçonnée. J’évite leurs assauts de justesse, je manque de me casser la gueule salement sur le parquet de ma maison. Je les fixe intensément en attendant des réponses. Ils tiennent leurs épées, les tendent vers moi en me menaçant de celle-ci :
« Nous sommes venus vous arrêter ! Ne résistez pas, pirate ! »
Pirate ? Je m’étouffe à moitié en entendant cela, cette histoire n’a pas de sens. Je n’ai jamais été pirate, je n’ai jamais été contre la loi. Et pour ma fille ? Que vont-ils faire ? Je tente de parler, l’un d’eux tire dans ma direction pour me faire taire et m’intimider. J’évite en me ruant sur le côté.
Je me relève, j’époussète mes vêtements.
S’ils tiennent tant que ça à mordre avant de comprendre, pas de soucis.
Dernière édition par Michaela Hope le Dim 31 Mar 2013 - 18:20, édité 1 fois