Wigbold D. Jack

Jack ne correspond pas à l'idée que l'on pourrait se faire d'un pirate de prime abord. Avec son mètre soixante-seize et ses soixante-dix kilos, on pourrait en effet se demander ce qu'un freluquet comme lui vient faire dans un monde majoritairement peuplé de colosses en tous genres. En apparence assez frêle, sa musculature est taillée néanmoins de telle manière qu'il peut combiner force, vitesse et précision.

Sa peau basanée est parcourue de fines cicatrices dont certaines par endroits auraient dû lui être fatales. Son sourire simiesque qui étire sa bouche de long en large a tendance à faire passer Jack pour plus idiot qu'il ne l'est en réalité, donnant l'impression qu'il manque d'expérience. Son regard impressionne toutefois et sait faire taire les mauvaises langues. On peut y lire une incroyable volonté, celle des grands de ce monde. Son abondante chevelure noire ne semble recevoir aucun soin particulier, révélant chez Jack une absence totale de coquetterie.

Jack change cependant fréquemment d'habits, ne négligeant pas pour autant les règles d'hygiène élémentaires. Ceux-ci ont en commun le fait d'être pratiques à porter. Ses chemises sont généralement grandes ouvertes, dévoilant une sangle abdominale parfaitement dessinée. Il porte des pantalons amples ainsi que des chaussures noires usées mais confortables. Un turban vient ceinturer sa taille.

Jack passe le plus clair de son temps à répandre sa bonne humeur et fait preuve d'optimisme même dans les situations les plus critiques. De ce fait, il est souvent perçu comme une personne peu vive d'esprit. Cependant peu susceptible, Jack ne prête pas attention à ce genre de remarques. Encore moins rancunier, il sait pardonner avec une facilité parfois déconcertante. Doté d'une foi inébranlable en l'humanité, il est capable d'accorder sa confiance à des personnes parfois suspectes aux yeux du commun des mortels. On peut ainsi souvent le voir côtoyer des êtres marginalisés de par leur apparence ou leur statut social.

Rares sont ceux à être parvenus à lui faire perdre son sang-froid ... Néanmoins ceux qui s'y sont risqués s'en sont tous mordu les doigts par la suite. Comme toute personne portant l'initiale D dans son nom, Jack ne semble pas craindre la mort. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il accueille celle-ci à bras ouverts : il est simplement conscient des risques qu'il prend en visant le titre de Seigneur des Pirates, et il les accepte. Il a la prétention d'être maître de son destin et se permet de décider si oui ou non l'heure est venue pour lui de mourir. C'est cette incroyable assurance qui lui a permis à de nombreuses reprises de gagner alors que toutes les chances étaient contre lui.

Une fois qu'il s'est fixé un objectif, Jack fera tout pour y parvenir. Ce caractère jusqu'au boutiste ne semble pas être le fruit de la rationalité mais bien de l'instinct. Certains parleront même d'instinct animal. Il ne prend pas le temps de peser le pour et le contre, et ne se demande pas si telle chose est réalisable. Jack va à l'essentiel et ne recule jamais.

Bien qu'il soit étiqueté comme étant un criminel sans foi ni loi par le corps de la Marine, Jack accorde une grande importance à l'amitié ainsi qu'à la parole donnée. Il ne portera jamais la main sur une personne innocente et défendra la veuve et l'orphelin au péril de sa vie, même si cela devait mettre en branle ses ambitions personnelles. Il ne fuira jamais un combat pour ne pas laisser l'opportunité à son adversaire de s'en prendre à ses amis.

Jack n'a jamais rien su de ses origines. De son géniteur, il n'a hérité que d'un nom glissé à la gérante d'un orphelinat situé sur une île quelconque d'East Blue, orphelinat dont il ne tarda pas à s'enfuir. Il s'est toujours contenté de vivre au jour le jour, subvenant à ses besoins immédiats par de menus larcins. Belladonna est celle qui se rapproche le plus d'une figure maternelle aux yeux de notre héros, étant celle chez qui il a trouvé refuge de temps à autres durant de nombreuses années.

Alors âgée d'une soixantaine d'années, Belladonna ressemblait malheureusement plus à un vieux crapaud qu'à une mère douce et attentionnée. Elle n'hésitait pas à molester Jack lorsque ce dernier lui tapait un peu trop sur les nerfs. Il n'était pas rare non plus d'entendre la vieille femme maudire le jour où le garnement lui avait été "confié".

Belladonna était en effet ce que l'on pourrait appeler une "voyante". Pas une de ces comédiennes aux yeux révulsés qui soutirent de l'argent à des personnes trop crédules, non … Enfin, elle ne crachait pas sur un peu d'argent facile c'est vrai … Elle avait des intuitions … Bon d'accord la plupart du temps rien de concret … Mais elle eut un jour une authentique vision. Il lui fut donné de voir ce que Jack allait accomplir, comment il allait changer la face du monde à tout jamais.

Elle apporta donc son aide à cet "enfant du destin" qu'elle ne tarda pas à trouver errant dans les rues, comme si elle œuvrait selon une volonté supérieure. Depuis, elle n'a eu de cesse de scruter à nouveau sa boule de cristal en vain, s'attirant ainsi les moqueries de son jeune protégé. Pour cette raison il la surnommait régulièrement Kuso Baba (vielle peau, vieille sorcière).

Le reste du temps, Belladonna était la tenancière d'un bar miteux qui avait tout d'un repère de bandits. De nombreux avis de recherche tapissaient les murs comme autant de photos de famille. L'une de ces affiches, seule relique d'un glorieux passé, montrait Belladonna dans sa jeunesse, resplendissante de beauté. À l'époque, nombreux étaient ceux à la voir succéder à Roger et Luffy. La première femme à devenir Seigneur des Pirates ... Mais cette maudite vision avait tout remis en question. De vieux croulants lui demandaient continuellement pourquoi elle avait finalement renoncé, arrivée si près du but. Elle leur répondait simplement qu'elle avait décidé de "miser sur l'avenir".

En l’occurrence, cet "avenir" était trop occupé à courir les rues et à laver le sol poisseux de la taverne pour se soucier de quoi que ce soit d'autre. Jack écoutait néanmoins avec intérêt les anecdotes que sa bienfaitrice racontait aux clients. Belladonna n'était pas sans le savoir et arborait un sourire en coin lorsqu'elle s'apercevait que le jeune garçon avait interrompu son geste en attendant la suite de son récit.

Les années passèrent, années durant lesquelles Jack gagna en force par le biais des nombreuses corvées dont l'accablait Belladonna. Baigné dans l'univers de la piraterie, il se mit à nourrir l'ambition de devenir à son tour quelqu'un dont on raconterait un jour les exploits. Inévitablement, Jack finit par en avoir assez de jouer les hommes à tout faire. Déboulant dans le bar encore affublé d'un tablier à dentelles, il interpella la vieille femme qui se trouvait à l'autre bout de la salle :

"- Kuso Baba ! J'en ai fini avec cet endroit !! Je me casse !!
- Oh ... ? dit Belladonna d'un air amusé. Et où comptes-tu aller, baaaka ? Comment est-ce que tu espères gagner ta vie au juste ? Ne t'attends pas à ce que j'accours pour te ramasser sous un pont cette fois-ci !
- J'ai déjà pensé à tout ça ! Je vais devenir pirate !!
- Pirate ? Parce que tu crois que ça paye bien ?! Pourquoi penses-tu que je me suis reconvertie ?! Kisama  !!
- Tu verras ! J'amasserai tous les trésors imaginables !!
- Tous les trésors ?! Tu insinues que tu deviendras le Seigneur des Pirates lui même ? Que tu trouveras le One Piece ?!
- Pourquoi pas ?!
- Pft ! Fais donc ! Je ne te retiens pas !!
- Parfait !!
- Parfait !!"

Le jeune homme claqua la porte, partagé entre colère et détermination. Les habitués, abasourdis, regardèrent la porte encore quelques instants avant de se retourner vers Belladonna. Cramoisie des pieds à la tête, cette dernière était prise de tremblements. Tous redoutaient la fureur de la tenancière qui allait se déchaîner telle un ouragan d'une seconde à l'autre. Cependant, à la surprise générale, d'abondantes larmes s'écoulaient le long des joues de la vieille femme qui affichait un sourire radieux. Elle savait que ce jour arriverait, elle l'avait si longtemps attendu … Elle ne se doutait pas néanmoins que le voir partir serait si douloureux. Entre des séries de jurons, la voyante parvint avec peine à articuler : "Reviens en entier … Bakayaro !! ..."

Les yeux encore embués de larmes et pris d'une horrible quinte de toux à cause de la bombe au poivre, Jack se redressa tant bien que mal. Bien qu'ayant été malmené, il tenait toujours fermement dans sa main la carte au trésor que le vieil homme venait de lui confier. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il s'aperçut qu'il ne lui en restait que la moitié, réduite à quelques lambeaux s'échappant de ses phalanges. Bien entendu, il fallait que ce soit la moitié la moins intéressante.

"Hayaku hayaku !! Il est parti par là, dépêche toi !"

Le septuagénaire, lui aussi encore secoué, pointait fébrilement du doigt la direction qu'avait pris le voleur. Après s'être assuré que l'ancêtre n'avait rien de cassé, Jack s'élança à la poursuite du pickpocket. La lune était haute dans le ciel et les rues, construites comme un véritable dédale, étaient fort heureusement désertes. Sitôt qu'il s'arrêtait de courir, notre héros pouvait repérer les bruits de pas de son assaillant et ainsi mieux s'orienter. Sa persévérance finit par payer. Au niveau d'un croisement, Jack percuta l'apprenti pirate de plein fouet. Notre ami réussit à se réceptionner sans trop de mal sur ses deux jambes. L'homme qui lui faisait face s'écroula lourdement sur le sol, visiblement à bout de forces.

"- Oï, tu as essayé de t'en prendre au mauvais pirate … Rends moi la carte sans faire d'histoires.
- Impossible !! … Je ne peux pas …"

Le visage crispé, le pirate débutant, qui n'était plus de prime jeunesse par ailleurs, posa une main sur l'une de ses poches, vraisemblablement là où se trouvait le morceau de papier tant convoité. De son autre main, il se saisit d'une nouvelle bombe au poivre, la lançant piteusement en direction de Jack. Ce dernier s'en saisit et la retourna à l'envoyeur. L'homme se maudit d'avoir été aussi généreux sur les doses. Il se mit à éternuer de façon incontrôlable, submergé par le nuage de fumée. Jack y plongea, saisissant son adversaire par le col, pour le plaquer contre un mur un peu plus loin. Les joues ruisselantes de larmes et le nez ampli de morve, le pirate, dans un élan de désespoir, tira une dague de sa ceinture. Son geste manquait néanmoins de conviction et c'est sans mal que Jack la repoussa d'un geste de la main.

"- Fini de jouer … La carte. Maintenant.
- Je vous en supplie laissez moi vous expliquer … J'ai une femme ... Des enfants ..."

Le voleur n'eut pas la force de terminer sa phrase, subjugué par le regard du jeune homme qui le soulevait encore à une dizaine de centimètres du sol. Jack poussa un profond soupir avant de relâcher son étreinte, laissant son interlocuteur s'affaler sur le sol.

"Je vois. Alors explique moi ce que tu fais là dans ce cas."

L'homme resta quelques instants décontenancé par l'attitude de notre jeune ami. Il finit par déglutir bruyamment avant d'entreprendre son récit.

"- Je tenais un commerce sur une île voisine. Je travaillais honnêtement, je ne demandais rien à personne … Jusqu'au jour où des pirates vinrent piller notre village et incendier ma boutique. Je … Je devais malgré tout continuer à subvenir aux besoins de ma famille … Alors je me suis dit … Qu'il n'y aurait pas de mal à voler quelques pirates …
- Et devenir pirate à ton tour ?
- Eh bien …"

Un violent uppercut vint cueillir le père de famille avant qu'il ne put terminer sa phrase.

"BA-KA !! Qu'est ce qu'ils deviendraient si tu venais à perdre la vie ?! Ce dont ils ont besoin c'est avant tout d'un père, d'un mari … !"

Un autre coup de poing vint se loger dans la joue droite de l'homme, le propulsant à quelques mètres dans un nuage de poussière. Il se releva lentement, pris de spasmes. Ces derniers n'étaient toutefois pas dus à la douleur, mais aux sanglots qui étreignaient maintenant sa gorge.

"- Je ne pouvais plus supporter de les voir vivre dans des ruines … Que ma femme me dise que ce n'est pas grave … Que nous sommes toujours en vie …
- Aaaah … J'en ai assez entendu.
- Qu-Quoi ... ?
- Garde la, ta carte. Trouve un bon acheteur, et va retrouver ta famille. Quant à moi, j'ai bien peur de ne pas avoir les moyens de me l'offrir. Dommage …"

Sans rien ajouter, Jack tourna les talons, prenant la direction du port. Les larmes qui perlaient encore aux coins des yeux de l'homme se remirent à couler abondamment. Promptement il se prosterna, visage contre le sol.

"- Arigato ! Honto ni arigato !! Je ne sais pas comment vous remercier …
- Ouais ouais … "

L'homme se redressa, regardant partir son bienfaiteur, visiblement en proie à une intense réflexion.

"P-Prenez mon bateau !! Celui tout au bout de la jetée !!"

Pour toute réponse, Jack leva une main en signe d'adieux sans se retourner.