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Une vie de poiscaille [PART 1]

Logue Town, fin 1607.

L'une de mes grosses mains vient plonger dans la poche de mon costard abîmé. Un cigare humide et à moitié consumé en ressort avant de se perdre entre mes deux lèvres. Une allumette se craque et une bouffée de fumée ressort de mes immenses narines. La vie est dure, plus les mois passent et plus je me demande si j'ai fait le bon choix. Mes deux yeux plissés viennent se perdre à contempler par de là la fenêtre. Il pleut salement. La rue est bruyante, immonde. Les gens courent, bourlinguent, vendent, crient. Une journée banale à Logue Town. Des gouttes de pluies viennent perler du plafond avant de tomber dans les quelques seaux posés ci et là. Le mélange du cigare qui se consume peu à peu, des bruits d'au dehors qui viennent murmurer jusque dans la pièce, des perles d'eau venant s'écraser contre le plastic des seaux. Des bruits si familiers. Des bruits d'une vie sommaire, fragile et pauvre. Une vie que mon esprit crie de quitter.

Ma main se renfonce dans ma poche. Un billet. Le dernier.

Trouver du travail et vite : voilà l'objectif, le même depuis des mois.

Mourir de faim, ne pas manger durant des jours, ne pas savoir si je réussirai à payer mon loyer de misère. C'est donc cela que d'avoir quitté la campagne pour vivre dans un milieu civilisé. C'est le prix à payer pour tenter de réaliser son objectif, de se faire une place parmi les hommes.

Mon lourd corps se lève et mes grosses jambes m'emmènent utiliser mon dernier billet. La porte claque, la froideur me réveille. Sale temps pour une sortie, mais je n'ai pas le choix. Le brouhaha de la rue vient claquer dans mes oreilles. Je me dépêche, pas de temps à perdre. Une ruelle traversée, puis une autre, puis encore une. Me voilà arrivé. Une petite porte en bois au milieu d'une minuscule rue se trouve en face de moi et il me faut me baisser pour réussir à passer. Lorsque la porte se referme, elle emmène dans son mouvement un petit panneau de bois se balancer de gauche à droite, rendant pour un temps difficile la lecture du mot « BAR ».

Une vingtaine de personnes présente. Autant de crapules. Ils se taisent, me mirent, puis reprennent leur discussion, rassurés de reconnaître le visage de l'entrant. Arrivé au bar, je me vois offrir un magnifique sourire par le tavernier. Le feu de cheminé à l'autre bout de la pièce se fait couvrir par le vacarme des conversations tout en continuant de réchauffer la pièce de pierre.

_Salut Ishii, c'pas la grande forme, je me trompe ?

_Bonsoir Barry. Non en effet, t'as quelque chose pour moi ?

_Peut être bien. Tu prends comme d'habitude ?

Sans attendre de réponse, le vieillard à la peau mangée par les années et à la taille déjà petite pour un homme se met à chauffer de l'eau. Comme rodé par cet exercice, on croirait le voir fermer les yeux et agir sans même réfléchir à ce qu'il fait.

_Quelqu'un t'a demandé ici.

_Qui ?

_Pas de l'habituel. C'est du gros poisson que[...]

Il sent mon regard se noircir dans son dos.

_Désolé... Pas fait exprès... C'est du gros niveau cette fois. T'aurais attiré leurs regards avec tes 2 mètres quatre vingt.

_De confiance ?

_Pourrait pas dire. J'ai entendu du bien et du mal. Tout dépend de quel côté on est. C'est pas très légal ; mais ça tu t'en doutes.

Je ne peux m'empêcher de sourire. Bien sûr que je m'en doute. Ais-je vraiment le visage de l'homme jouant dans la légalité ?

_Ils repassent ce soir. Je n'ai pas voulu leur donner ton adresse.

D'un signe de tête, j'approuve la décision avant de prendre la tasse de thé que le barman vient de me servir. Il ne me reste plus qu'à attendre. Et c'est ce que je fais. Jusqu'à ce que la porte d'entrée se ré-ouvre.
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J’aime bien la pluie. Elle file le bourdon à certains, inspire le spleen des autres, nourrit les malheurs des ingénues qui rêvent de ce qu’elle transmettra jusqu’à leur prince charmeur leurs pensées pas forcément candides. Mais moi j’aime bien. Le bruit des gouttes sur le crâne. Sur les trottoirs quand y en a. Sur la boue quand y en a pas. Les anonymes de la foule qui se transforment en silhouettes et que, enfin honnêtes, les autres anonymes d’en face regardent même pas quand ils les cognent au coin d’une rue. Ouais, j’aime. Elle me lisse les poils. M’adoucit l’âme. Me fait atteindre un peu en avance la résignation des vieux face au non-sens de la vie. On doit mieux accepter l’idée de la mort prochaine quand il pleut. Ca annonce les choses. Ca annonce les longues soirées six pieds sous terre avec la rosée du matin pour seule compagne au réveil. Charmant, hein ?

Ouais.

Blèz, Piotr, Roje, Os, Jief, bougez pas les gars, je vous rejoindrai bientôt. C’est ça qu’elle me dit la pluie aujourd’hui. Vous tous qui m’avez précédé chez la grande calanche, vous tous qu’avez subi le courroux de la grande Mer pour avoir subi la Plaie des Mers à votre bord pendant toute une mission, vous tous, je suis peut-être commandant maintenant grâce à vous mais vous inquiétez pas, je vous rejoindrai bientôt. On vous rejoindra tous bientôt. Ouais, même toi, Gav et tes seize ans de petit gars bien sous tous rapports, je te rejoindrai aussi. Et on ira se faire pendre ailleurs pour changer. Et on boira jusqu’à plus soif au lieu d’aller chercher à se ressourcer en villégiature sur East Blue avant de prendre en plein dans la gueule mes responsabilités de capitaine de navire que vous m’avez offertes.

Ouais.

Boire jusqu’à plus soif, là, je me rends compte que ça me tente. Et qui ne se laisse pas tenter n’a rien.

Alors je tente. La porte en soupirail. Le bistrot. Le bar avec le vieux tenancier derrière. Les habitués autour. Le grand gars un peu trop grand et un peu trop lisse de peau pour être d’origine naturelle en train de boire un truc qui fume. La grosse monnaie qui s’écrase sur le zinc, la chopine qu’est tendue. C’est une affaire entendue, alors je dis pas bonjour et pas merci. J’ai payé et c’est marre. Je salue pas les gens. Je fais mon cave, mais c’est parce que j’aime bien la pluie. J’ai pas dit que ça me rendait aimable. Je dirais même que ça m’envoie ailleurs. Un ailleurs libre de crasse et de gens et de misère humaine. Un ailleurs où y a dégun pour te pourrir les papilles avec son haleine de chacal en mal de commisération à se mettre sous la dent. Un ailleurs qu’est ailleurs, nulle part, qu’existe pas.

Ouais.

J’ai soif. Alors je bois. J’ai bougé à un coin sans trop en foutre à côté. Toujours sentir les verres avant de les porter aux lèvres, c’est une copine putain de luxe dans un cabaret qui m’a filé le tuyau. Ca permet de repérer les offrandes empoisonnées des plus tarés des clients qui veulent te sauter morte. J’ai repris l’idée, ma paranoïa aidant. Seulement parfois j’observe le rite, parfois pas.

Putain.

Pas fort, je l’ai dit. C’est pas contre le gars derrière le rade. C’est pas contre le machin devant. C’est contre personne, car autre pays autres mœurs. Et sur East fais comme les gars d’East. Mais bordel de pute borgne, l’alcool au riz c’est une sacrée ignominie dont l’inventeur devait avoir des idées bien louches. Peux m’en prendre qu’à moi-même, j’aurais dû commander la cervoise avec des mots peut-être. Pas avec le geste. Mais ces orientaux comprennent rien à rien aussi. Avec leurs yeux bizarres de gens pas nets. Voient pas bien, sûrement. Tant pis, vais la finir quand même. Après tout, pour oublier, suffit d’un truc un peu fermenté, pas besoin que ce soit bon. Tant pis. Ne me reste plus qu'à attendre. Que l’élixir miraculeux fasse son effet miraculeux dans mon cortex. Et c'est ce que je fais. En me disant que j’aime bien la pluie. Jusqu'à ce que la porte d'entrée se réouvre.


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Ven 22 Juin 2012 - 13:50, édité 1 fois
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La porte claque, un homme entre.

C'est lui ?

Peut être, peut être pas. Mes sens observent. Toujours dos à lui tandis qu'il marche et que le thé réchauffe mon organisme, je sens. J'écoute. Un cliquetis de fer à chaque pas m'indique qu'il porte une lame. L'odeur de sang, de sueur que je sens m'informe que ce n'est pas n'importe qui. De toute façon, n'importe qui ne vient pas ici. On ne vient pas siroter une mousse ici. Seuls les fous et les gens cherchant un travail osent s'asseoir dans ce bar.

Les inconnus, les gens respectables, humbles et aux idéaux bien placés, les gens d'ici les fuient. La peur de l'inconnu sûrement.

Alors lorsqu'un chien sauvage rentre, même sauvage, les habitués le regardent noir. Les discussion se ferment et même lorsqu'elles reprennent, chaque paire d'yeux garde l'un des deux sur l'étranger. Mais ça, l'homme semble en avoir cure. Il arrive au bar, comme s'il était chez lui. Pas poli, non ça c'est sur. Mais honnête, enfin un minimum assez pour payer sans poser de questions. Puis il part s'asseoir dans un coin. Moi, je me retourne vers Barry, l'air de lui demander si c'est mon homme. Je tousse, je tente de l'amadouer discrètement. Mais rien à faire. Le Barry est partis à nettoyer ses verres. Et lorsqu'il commence une tache, autant détruire le bâtiment si l'on veut avoir son attention. Il est un peu fou, le Barry. On croirait que son bar est la continuité logique de son corps et de son esprit tellement il y est à l'aise. Alors je réfléchis, seul.

*C'est lui, oui, non ou merde ?*

L'homme s'est assis, seul. Je sens l'odeur de saké venir de ma gauche, là où une table et quatre chaises sont placées pour les discussions discrètes. On ne s'assoit pas là bas par hasard. Non. Alors je me tente à aller lui parler. Fou que je suis. La fougue de la jeunesse, de l’inexpérience.

Mes deux gros pieds se lèvent et je m'avance vers l'homme, ma tasse de thé dans l'une de mes énormes mains. Je m'assois, sans dire mot. Puis j'observe la réaction de l'homme.

_Vous me cherchiez ?

Si la réponse est non. Je serai fixé. Et je pourrai alors lui demander pourquoi il est là. S'il ne cherche rien ni personne, d'autres bars existent dans cette ville. On ne tombe pas par hasard devant la petite porte de bois au milieu de la minuscule ruelle. Ou alors on s'est sacrément perdu.

Tandis que j'attends la réponse, la dite porte se ré-ouvre. Sèchement. Le vent entre et claque chaque visage présent. Deux hommes à l'odeur. Inconnus eux aussi. Barry m'avait bien dit qu'ils étaient plusieurs. Une odeur de cuir trempé, de poudre et de tabac. Ils sont armés. Un ou deux revolvers chacun au bruit. Ça me donne envie de fumer. Un cigare se sort. Une allumette se craque. Doux son du bois qui se consume. Douce odeur. Mes sens se réveillent. Les deux hommes approchent. Les cheveux longs, une chemise trempée comme seul haut. La démarche de l'homme sachant où il va.


Ils s’arrêtent, me regardent, regardent leur coéquipier. Les regardent se croisent mais les langues restent coites. Jusqu'à ce que forcément, l'un des deux arrivants l'ouvre.

_On m'a dit du bien d'toi, Ishii Môsh. On m'a même dit qu'chacun des gars ici présent, ou presque, avait bossé avec toi et avait été épaté. Vrai qu'en voyant ta gueule, on s'doute bien qu'il ne faut pas rigoler 'vec un gars comme toi. L'problème c'est que jusqu'à maintenant, tu n'as fait que des p'tits trucs de branquignoles que même un môme de 5 ans en fauteuil roulant saurait faire. La question est d'savoir si tu serais capable d'faire quelque chose de plus grand.

L'homme qui a parlé est directement entré dans le vif du sujet. Pas de préambule. Pas de mise en bouche. Sans le regarder, en restant captivé par la vapeur du thé, j'analyse. Puis je réponds.

_Hmmm... Tout homme respectable se présente avant toute chose. Vous dénigrez ce que j'ai fait en insinuant que ce n'était rien, vous insultez au passage tous les hommes présents ici. Mais vous, qui êtes vous pour parler ainsi ?

_Héhé, tu as de la gueule, faut l'avouer. Mais ce qu'on vient te proposer, c'est un travail serieux. Le genre de travail où tu risques bien plus que quelques coups de bâton si tu te fais avoir. Mais un travail qui fait gagner plus. Beaucoup plus. Une proposition alléchante, hein ? Qui ne se refuse pas, si tu veux quitter ta piaule pourrie et ton quartier miséreux. T'en penses quoi, toi ? Il mérite pas mieux, le grand Ishii ?

L'homme se tourne vers celui assis en face de moi, comme s'il me connaissait aussi bien que les autres bandits de la taverne. Qui est-ce?
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Est-ce que je le cherche ? Est-ce que je cherche un homme-poisson ascendant cachalot qui fait une fois et demie ma taille pour, mettons, deux fois mon poids ? Non, je ne crois pas. Remarquez, ça fait une distraction. Ca pourrait être l’alcool aussi, mais ça voudrait dire qu’on m’a drogué. Parce qu’une seule chopine pour avoir la tête à l’envers, même quand il pleut, c’est maigre. Et puis dans tous les cas ça fait une distraction. Je l’observe en me demandant comme lui dire que non sans l’éloigner. J’ai toujours eu du mal avec l’exercice. Et on éloigne pas les distractions quand elles viennent à soi. C’est cracher sur la fortune, c’est mal. Alors je reprends une gorgée sans ciller malgré le goût infect.

Mais quand je repose la chope pour enfin dire ce que j’ai trouvé de plus civilisé, la porte se réouvre et deux gens assurément bien sous tous rapports nous approchent comme s’ils nous connaissaient. A leur contact rapproché, j’apprends deux choses. La première, c’est que le monstre qui sent la mer en face de moi s’appelle Ishii Môsh, un nom assez révélateur de la bizarrerie des goûts locaux en matière de sonorités. La seconde, c’est que ces nouveaux venus sont très sympathiques, mêlant une générosité naturelle à la compassion pour un être visiblement sans le sou. Et même à mon endroit ils sont très urbains, puisqu’ils m’invitent à prendre part à la conversation en me demandant ce que je pense de celui que je cherchais pas deux instants encore auparavant.

Là encore, je prends le temps de la réflexion. Hum, mérite-t-il mieux ? Ne mérite-t-il pas mieux ? Qui suis-je pour ainsi le juger ? Où vais-je ? Et pourquoi nous ? Pourquoi moi ? Inspiré par le cigare allumé en face de moi, je sors une sèche que j’allume en toute familiarité au tison du bonhomme qui n’en est pas tout à fait un. Une manière de bien montrer que moi aussi je cherche à briser la glace. Après tout, perdu dans Logue Town sans y avoir vu encore un jour de beau temps, en quête d’occupation pour passer une huitaine de congés correctement meublés, pourquoi me priverais-je ?

J’en pense que, aussi vrai que je m’appelle Tahar Tahgel, et Ishii ici présent sera d’accord n’en doutons pas, vous êtes une sacrée paire de branques tous les deux à ne pas mettre de manteau par un temps pareil.

Les sourcils se crispent, le silence se fait dans les parties de cartes alentour, la tension monte en flèche et le tavernier derrière son comptoir nettoie deux fois le même verre en nous observant avec plus d’attention. Mon instinct m’a bien servi, ici les gens savent ce qui se dit et ce qui ne se dit pas. Tandis que de mon côté je caressais Pully dans ma poche sous la table, un des deux recruteurs a même porté la main à sa hanche droite, vers laquelle sa chemise fait une bosse révélatrice. Gardant ma cigarette entre les lèvres, je lève ma main libre non pour signifier ma reddition mais pour calmer le jeu, un sourire point sur mes lèvres et je m’imagine déclarer solennellement à Gav et à tous les autres qu’il n’est pas impossible que je les rejoigne plus tôt que prévu.

Bien sûr, l’idée accroît ma jovialité et en face on me demande si je suis con ou fou. Je réponds les deux, ce qui est vrai, et j’enchaîne parce que les blancs sont malvenus dans les conversations. C’est signe du peu d’intérêt des différents interlocuteurs les uns pour les autres. Et c’est malpoli.

Cela étant précisé, mon énorme camarade et moi-même ne sommes plus qu’ouïe. N’est-ce pas Ishii, que nous ne sommes plus qu’ouïe ? Ces messieurs nous mèneront bien assez vite à quelqu’un qui nous dira son nom, alors autant faire comme si nous étions face à des hommes respectables… Et donc, qu’avez-vous à proposer, messieurs ?

Amateur de choses faites dans l’ordre et gardant la roue de métal à portée de l’autre, je prends de la même main gauche cigarette et chopine, expirant la fumée chargée de tabac puis ingurgitant le fond de saké sans quitter des yeux nos nouveaux amis. Con peut-être, fou sûrement. J’aime de plus en plus la tournure que prennent les évènements. La faute à la pluie dira-t-on.


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Ven 25 Mai 2012 - 17:41, édité 1 fois
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Pas délicat pour un sous l'inconnu. Il sait ce qu'il faut ne pas dire apparemment. C'est sûrement pour cela qu'il le dit. Il s'amuse drôlement. Pas moi. Avoir ma paume serrée contre mon épée ne m'a jamais fait plaisir. Lui, continue à en sourire, à faire monter la pression. Les regards se croisent, les mouches volent. Le silence se fait. Aucun des bandits du bâtiment n'ose détruire le silence qui s'est immiscé. Plus personne ne bouge. Aucun mouvement. Je ne sens rien, ou presque. Le crépitement du feu, le minuscules battement d’ailes de quelques mouches et quelques mains venant à trembler. Mais pas les notre, pas les miennes ni celles des trois autres hommes. Ce sont des pros.

L’impoli s'ose à ouvrir la bouche. Il parle comme si l'on se connaissait. Étrange homme. Il parle aussi pour réussir à calmer les nerfs des deux bandits. Et il réussit. Mais moi je continue à me poser la question : qui est-ce ? Une voix coupe court ma réflexion, celle du pistolerot de gauche.

_T'voudrais qu'on se présente hein ? On t'dira que c'que tu as besoin d'savoir. Notre nom ne t'servira à rien. Juste que moins t'en sais, mieux tu t'portes, plus longtemps tu vis. C'est l'jeu de la vie. Mais les poiscailles comme l'Môsh, sont p't'être pas censé comprendre ça. On bosse dans la boisson nous s'tu veux savoir. On est sur un coup. On a b'soin de gars solides qu'ont pas peur de crever pour d'l'argent, ni 'se salir les mains. Une cargaison à récupérer. Si ça t’intéresse, tu signes, sinon tu restes ici à siroter ta vie minable.

Grande gueule le bandit. Je ne réponds pas. Même si l'idée de lui trancher la gorge pour lui apprendre le respect me démange. La violence ne résout rien. Elle soulage, mais ne résout rien. Les sacrifices sont obligatoires pour réussir. Mais ma fierté, puis-je vraiment la sacrifier ?

_Hmmm... Oui.

_Hein ?

Il n'a pas compris.

_Combien ?

Il me sussure un chiffre. Mon signe de tête crie à l'augmentation. Son juron crie à l'acceptation. C'est déjà fini ? Cette histoire sonne trop bien. Pas assez de fausses notes. Les mots que sort le pistolerot répondent à mon étonnement.

_Quant à toi l'Tahar, j'ai jamais entendu ton nom. C'bigrement étrange vu c'qu'on a remué pour connaître la poiscaille[...]

Mon épée vole. Le cou du parleur sent le fer le caresser. Je me suis arrête. Quelques mini-mètres en plus et le sang coulait. L'autre homme a sortis son arme et la braque maintenant sur moi.

_Hmmm... Que l'on sot claire si l'on doit travailler ensemble. Pas de « poiscaille », pas de « La bête », pas de « L'animal ». Juste Ishii. Ou Ishii Môsh. Et tout le monde vivra bien.

Le cigare se consume. Les lèvres se serrent. Le silence reprend.

Je fais alors preuve de bonne volonté et je ramasse mon arme. Mais ma main continue à serrer la poignée. J'ai fait monter la tension. Mais les choses sont dites.

_Hmmm... Maintenant vous pouvez continuer. Que vouliez vous dire sur... Tahar ?
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Ces hommes de main parlent trop. Parlent trop mais répondent aux questions qu’on leur pose, même si c’est de mauvais gré. Alors bon. Passons l’éponge. Je passe l’éponge en même temps que ma manche sur la table pour éponger le saké recraché par les narines quand l’Ishii a sorti sa lame. Heureusement que c’était pas pour moi, j’avais pas vu qu’il en avait une, tiens. Vrai qu’y a un parallèle avec les yeux d’une femme et que c’est pas ce qu’on regarde en premier chez lui, mais bon, je me dis que je vais devoir me méfier. D’autant qu’il est susceptible, le brave ami, semble-t-il.

Et d’ailleurs le premier pied nickelé, celui qui m’a invité à prendre part à la conversation au début, me repose la question cette fois sans prendre à parti le cachalot : qui suis-je, pourquoi ne me connaissent-ils pas ? La voix est pas fluette mais presque. Il faut dire que toutes les conversations sont tombées depuis le bruit de métal qui fend l’air. J’avise le patron toujours léchant le même verre de son torchon en nous fixant, puis répond l’air de rien, en noyant mon mégot dans ce qui reste de riz fermenté au fond de mon godet. Tranquille-style.

Normal que vous me connaissiez pas les potos, j’arrive tout juste sur East. Besoin d’oublier un peu les autres mers, si vous voyez ce que je veux dire, héhé. Et ce brave Ishii venait de m’induire dans un projet pour lequel vous êtes apparemment les gens à contacter.

Je regarde si le Môsh va me contredire en essayant de sonder son regard de poisson. Cela dit il serait bien en peine d’essayer puisque je n’ai rien énoncé qui ne soit la pure vérité. C’est bien lui qui est venu me chercher à ma table. Mais on ne sait jamais. Alors je regarde. Mais non. Il a l’air attentif comme les autres, plus que les autres même. Doit chercher à respirer mon aura. A sentir le mal en moi. Ou bien le bien. A voir ce qui le dérangerait le plus. A voir.

Alors j’en suis, ça me fera voir du pays.

Sourire éclatant de fraîcheur derrière ma barbe pas rasée depuis mon retour de la mission sur South. J’ai tourné ça de façon à ne pas leur laisser le choix. Tomberont, tomberont pas ? Sourire à faire peur, probablement, mais c’est la pluie qui fait ça. Me donne un petit air fiévreux.

Mouais. J’l’aime pas.
Moi non plus. Mais tu sais ce qu’a dit l’patron. Plus on trouve d’bras, mieux c’est.
Mouais. J’l’aime pas quand même. L’sens pas bien.
Y aura qu’à l’buter s’y dérange. Comme le Môsh s’il est pas à la hauteur. T’verras, ça passera crème.
Euh… Vous êtes au courant qu’on entend tout ce que vous dites, mes bons ?



Foin de vos doutes, messieurs ! Allons, allons-y ! La pluie va cesser et je voudrais surtout pas louper vos dégaines de chiens mouillés.

Il s’en faut de peu à nouveau que le second ne dégaine. Mais cette fois j’ai conquis le premier, celui qui doit avoir la plus grosse des deux. Il ramène son compère à la convivialité et nous prenons une autre consommation. Une bière pour moi, le reste je m’en fous un peu. Nous sirotons les uns vite et les uns moins vite, comme si certains voulaient éviter de se faire mouiller. Hum. Pas de chance pour eux, quand nous partons il rince encore. Les hallebardes sont devenues petites hachettes pour apprenti bûcheron mais l’eau tombe toujours. A croire que la pluie aussi m’aime bien.


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La pluie tombe toujours. Un air marin qui ne me va pas tant de bien que ça. Le vent souffle et nos pas nous amènent quelque part. Je ne sais où. Tandis que nos pieds frappent le pavé, je réfléchis. J'analyse. Mes deux yeux plissés observent l'inconnu se nommant Tahar.

Que veut-il ? Pourquoi a-t-il dit qu'il me connaissait ? Non il ne l'a pas dit. Il a joué avec les mots. Un plaisantin, mais un plaisantin dont je me méfie.

Alors que nous continuons notre route, nous arrivons vite devant le musée de la ville. Drôle d'endroit pour discuter tranquillement. Les deux hommes de mains entrent.

_J’espère que vous avez de quoi payer l'entrée héhé.

_Non.

Réponse simple et pitoyable. Mais que puis-je y faire. Rien.

_Ahahah sacrée Môsh, t'es vraiment fauché toi. T'as de la chance, c'est mon jour de bonté, je paye vos entrées à ton copain et toi.

Je ne dis mot et seul un hochement de tête vient remercier son cadeau. Nous passons le guichet, puis nous continuons notre route. Les deux hommes savent où ils vont et imposent leur rythme. Rapide. Moi je tente d'admirer les tableaux de mes petits yeux. Je ne suis jamais venu ici, je me rends compte à cet instant de mon erreur. Un endroit où chaque objet transpire de vie, c'en est magnifique. A chaque pas je sens une irrémédiable envie de m’arrêter, savourer le moment. Mais le rythme imposé par les deux hommes ne le permet pas. A croire que l'Art ne les touche pas. Nous passons ainsi de salle en salle, traversant le musé sur presque toute sa longueur pour s'engouffrer dans un couloir remplis de statues. Je m’arrête. Je n'aime pas cet endroit. Trop de vie dans ces pièces de pierre. Je regarde l'une d'elle un instant. Une jeune femme magnifique au regard sublimé d'amour. De longs cheveux lisses descendant jusqu'au bas de ses reins viennent sublimer ses deux magnifiques yeux. Mon cœur claque, j'entends le sien. Comme un infime battement traversant la roche. Mon corps se fige de surprise.

_Hé Môsh !

L'un des deux hommes m'interpelle, me sortant de ma torpeur. Ils se sont arrétté au bout d'une couloir à côté d'un homme. Le patron. C'est donc lui.

Spoiler:
_J'avais demandé à ce que l'on m'amène Ishii Môsh. Je vois qu'il est bien là, mais l'autre, je ne le connais pas. Temps pis, ou temps mieux, j'ai besoin de bras pour cette affaire. Beaucoup de bras. L'homme m'observe un moment. Interloqué par ces statues Ishii ? Tu as de l'observation, elles sont étrange n'est ce pas ? Certains disent qu'un jour ce fut des hommes et femmes tout ce qu'il y a de plus normal mais qu'ils croisèrent la route d'un possesseur d'un fruit du démon qui les transforma en statue. Je crois que c'est vrai.

_Un fruit du démon ? Quel nom affreux.

_Ahahah, c'est vrai. Affreux et affreusement puissant. Mais revenons à ce pourquoi vous êtes tous les deux ici. Une cargaison de saké provenant de South Blue arrivera bientôt sur East à l'attention d'un Noble de Logue Town. Cet homme tient beaucoup à ces bouteilles et malgré le prix que je lui aies proposé, il refuse toujours de me les vendre. Pourtant il y a de quoi satisfaire plus d'une personne. Il y a tant et tant de bouteilles datant de plusieurs décennies qu'il faudrait plusieurs centaines de vies pour en boire la moitié... Alors cet homme ne me laisse pas le choix. Nous devrons utiliser la manière forte. Je ne veux pas que les trois bateaux de transport arrivent à destination.

Durant ses paroles, l'homme a regardé un tableau. Blanc sur fond blanc. Il a susurré ses mots d'une timbre franc, clair tout en gardant une voix assez faible pour ne pas se faire entendre des autres personnes.

_Très joli ce tableau bleu. Il irait bien dans mon salon.
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Nous y sommes. Au cœur du sujet. Galerie de musée pour poser l’ambiance, chiens mouillés qui nous précèdent pour assurer une conversation relativement privée, boss qui joue son rôle en appuyant bien sur les détails classiques du genre pour poser la solennité. Air nonchalant, petites lunettes teintées de grand-père qui connaît sa position dominante, voix assurée. Présentations anonymes, examens des deux parties, proposition fumeuse qu’on ne pourra pas refuser. J’hume l’air, renifle l’embrouille, en prends la mesure. Accepte, saute dedans jusqu’aux épaules. Après un triple saut. Pied droit, pied droit, pied gauche. Et atterrissage pieds joints. Amateur d’art, le patron ? Je regarde les deux chiens, regarde le poisson, regarde le chef. Daltonien avec ça ? Me retiens de faire un commentaire du style « enlève tes binocles, mon gros, tu l’verras blanc comme il est en vrai ».

En face on semble apprécier. Ca doit vouloir dire qu’on sait se canaliser. Un test ? Peuh, même pas en. Hm. L’homme cligne des yeux, les branques aux chemises à fleurs désormais imprimées sur la peau ouvrent la marche, puis nous y allons sous l’œil même pas circonspect d’un gardien qui nous voit ressortir à peine le billet acheté. Les statues vivantes, mon bon. Mon ami Ishii a pas bien aimé, ça l’a mis mal à l’aise. Susceptible et sensible, le cachalot. Paré de mon sourire le plus goguenard tandis qu’on me guide dans cette cité que, si la pluie l’embellit, je préfère qu’il continue à ne pas faire beau, je me demande quel est le troisième : submersible sûrement, terrible peut-être, réversible ?

Halte, pied à terre, stop. Nous sommes arrivés.

Le bout du monde, je voyais ça plus… Enfin moins… Mieux, en tout cas. Débarqués dans un hangar du quartier des docks, encombré et sale comme un hangar, le joueur de pipeau qui sait pas distinguer un ciel bleu d’un nuage de grêle nous loge et nous blanchit mais interdiction de quitter la zone avant le départ au soir pour l’opération. Une bande nous est présentée, sous le contrôle des deux jumeaux. Et pendant que nous faisons connaissance avec nos petits camarades le taulier s’en rentre dans ses pénates, que je lui souhaite plus confortables que nos appartements après nous avoir assuré que le dédommagement pour la fourniture de nos services serait à l’avenant de la cargaison. N’empêche, ça casserait le mythe, un type comme lui admirant ses œuvres d’art dans une bicoque miteuse avec vue sur le voisin d’en face. Manquerait plus qu’il se paie le luxe d’être accro à la poudreuse, tiens.

Salut les ptits gars. Tahar. Ishii.

Doigts indicateurs de qui est qui, œillades pour se jauger les uns les autres, grimaces de pimbêches gênées aux entournures dans leurs costumes de gros bras. Ou l’inverse. Effluves de boue mouillée et d’autres choses moins nettes, moins définies. Mon copain malgré nous fronce les naseaux comme quand on sent un truc pas bon. Il a raison, je l’imite mais en plus discret. Au hasard d’une reniflade, mon sonar repère une caisse étiquetée « FRAGILE ». Ne m’en faut pas plus, j’offre une tournée générale aux frais du grand manitou. On craint d’abord, on épie les faits et gestes des deux sous-fifres qui se sèchent dans un bureau chauffé en nous laissant fricoter et avant de nous donner le plan de bataille, puis on décide que allez hop, pourquoi pas. Faire fondre la glace, toujours la priorité. Du mauvais alcool encore, de toute façon, m’est avis que les bouteilles étaient là pour ça…

Puis sortent les premières cartes. Les éternelles cartes qui sortent toujours pour s’occuper quand on s’ennuie. Quelqu’un pour se joindre à la partie avant demain ? Et toi, où est-ce que tu penses qu’on va ? Le Baratie ? T’as la dalle l’ami ? ’dra attendre d’être payé pour t’offrir à grailler, haha.


Une vie de poiscaille [PART 1] 661875SignTahar
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