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Canards en mer du Sud


Sur un geste du noble juché sur ses murailles les soldats allument les mèches et l’une après l’autre les équipes déclenchent les catapultes, propulsant les bidons enflammés en long arc de cercles, raies lumineuses inscrites dans le ciel nocturne et plongeant vers les extrémités du bidonville de Grey Terminal.
Et en instant le monde des miséreux et des exclus sombre dans le chaos et la désolation, gonflés par le vent les flammes dévorent en un instant le tour du bidonville avant de filer vers le centre à la vitesse d’un cheval au galop. Le mur de flammes engloutit les maisons de fortunes et leurs habitants, provoquant en quelques instants la mort de milliers d’opprimés.

Et pendant que les nobles regardent leur œuvre de mort avec délectation une foule de gens terrorisés s’entasse aux pieds des remparts en suppliant leur bourreau de les laisser entrer. Et le noble fait tirer les soldats.

Repoussant la foule de miséreux vers leur bucher. Cernés par des flammes aussi hautes que les murailles de Goa, la plupart se résignent, pleurant en serrant une dernière fois leur famille dans leurs bras ou vouant aux gémonies les nobles du gouvernement mondial et leurs serviteurs. Le cercle se referme, et la chaleur infernale du brasier repousse mêmes les spectateurs les plus avides de sang des murailles.

Cachant aux assassins la dernière scène du drame. Venu de la mer un vent glacial et chargé d’humidité s’engouffre soudain dans le rideau de flammes, y ouvrant une large brèche et sauvant de justesse les civils de l’asphyxie tout en traçant dans les braises un chemin vers la survie.

Et pendant que les nobles de Goa festoient sur leur champ de cadavres, les survivants du massacre se pressent vers le bateau de l’homme qui vient une fois de plus de déjouer les plans machiavéliques des chiens de l’ordre mondial, Dragon, le plus grand meneur révolutionnaire de tous les temps…


Rossignol referme le roman, imaginant la scène dans sa tête, les flammes, les gens hurlant, et surtout Dragon, seul à la proue de son bateau, drapé dans une longue cape qui flotte au vent, regardant d’un air droit et dur les horreurs provoqué par l’ordre mondial qu’il a juré de renverser.

Dragon, de loin le héros qu’il préfère dans ses fascicules mal imprimés qu’il achète pour une poignée de berrys quand il descend au marché de Freetown. Des histoires de pirates, de révolutionnaires, des histoires vieilles d’un siècle mais aux personnages tellement vivant…

Et aux noms tellement plus imposants que Rossignol…

De toute façon il l’a déjà décidé, plus tard il sera révolutionnaire comme Dragon, et on l’appellera Red, comme les initiales de son nom complet, Rossignol Édouard Désiré… Comment peut ’on devenir un grand révolutionnaire avec un nom pareil ? Impossible.

Et plus tard, c’est maintenant.Red a eu quatorze ans hier, et c’est aujourd’hui qu’il a décidé de quitter l’ile. Il a laissé un mot aux vieux, bien en évidence, maintenant il faut embarquer avec la marée descendante, avant qu’ils ne le trouvent, ou revenir à la maison avant le matin.

Hors de question.Red sort sa pierre à feu et balance des étincelles sur la pile de bouquins jusqu’à  ce que le  premier s’enflamme, puis le suivant. Il hésite un instant en regardant le Dragon sur la couverture de celui qu’il vient de finir de relier. Puis le jette à son tour sur les flammes. De toute façon il n’a pas assez de place dans son sac pour les emmener tous. Et il les connait quasiment par cœur.


Dernière édition par Red le Jeu 26 Mar 2015, 10:28, édité 1 fois
      Red se lève et prend le chemin de la ville, pour s’embarquer il a besoin de pognon, et s’il sait ou le trouver c’est aussi le premier défi qu’il doit s’imposer avant de partir. Les deux frères d’Alton, Butcher et Horace... S’il n’arrive pas à les battre cette fois ci, a quoi servirait de s’embarquer ?
      Red se pointe dans la ruelle ou les deux frères mènent leurs affaires, combat de coqs, de chiens, vente d’alcool et d’herbe à fumer, des traines savates vicieux comme des teignes qui trainent déjà sur les traces de leur père et font la loi parmi les bandes de mômes du coin. Red ne compte plus les fois ou ils lui ont mis une peignée, non sans y laisser quelques plumes par ci par la d’ailleurs.
      Mais cette fois ci c’est différent, ce soir Red quitte l’ile et personne ne se mettra en travers de sa route. Et il a un couteau.

      -Alors eu’l nabot, qu’eq tu viens faire icite a ct’heure ? T’veux qu’on t’corrige ?

      Red sort son canif et la brandit devant lui d’un air menaçant, sans vraiment impressionner l’ado qui lui fonce dessus avec l’intention bien arrêté de lui dérouiller la gueule, il n’a même pas le temps de s’aperçevoir que le môme qu’il va corriger porte un couteau et ne semble pas du tout avoir l’intention de fuir cette fois ci. D’un revers vicieux Horace allonge une taloche sur l’oreille de Red qui va s’étaler dans la poussière, immédiatement Horace le suit, prêt à le bourrer de coups de pieds, mais cette fois le môme riposte et se relevant a demi il saute couteau en avant vers son agresseur et lui traverse le pied d’un coup de couteau
      Un rictus de douleur autant que incompréhension s’affiche sur le visage du gros Horace qui peine à comprendre le changement de situation, déjà Red se relève et d’un geste décidé lui plante le couteau dans le bide.

      -Oh pt’tain ! M’a planté !

      -MAIS QU’ECE T’A FAIS ?

      Soudain effrayé par le hurlement de rage du deuxiéme autant que la prise de conscience subite de ce qu’il vient de faire Red recule en écarquillant les yeux, pendant que défilent dans sa téte tout les emmerdements qui vont lui tomber dessus…

      -J’va te corriger crevure !

      Et puis l’instinct de survie reprend le dessus, l’instinct et l’objectif qu’il s’est fixé. Pendant que Butcher chope un bâton, Red attrape sa sacoche, l’ouvre et lui jette au visage, libérant le gros matou qu’il a mis des heures et un paquet d’écorchures à attraper. Fou de rage le chat se jette sur la première cible qu’il voit et crachant et griffant il se jette au visage de son agresseur supposé.
      Et d’une main qui ne tremble presque plus Red fait sauter les loquets des trois cages qui contiennent les challengers de la journée, des chiens méchants, dangereux, et rendus à moitiés fous par l’entrainement et les privation que leur font subir les deux d’Alton, et qui se jettent immédiatement sur le chat dés que leurs cages s’ouvrent.

      -y’a plus dégun qu’a m’corrige maintnant ! Culé !

      Red attrape le pognon sur la table et file à toutes jambes vers le port, ne se retournant que brièvement en quittant la ruelle pour jouir une derniére fois du tableau de son ennemi luttant à coups de bâton contre le chat qui lui lacère le crane et les trois clebs qui essayent de lui croquer les mollets.

      Red ne s’arréte qu’a la taverne du naufrageur, histoire de se recomposer une figure et de nettoyer le couteau plein de sang qu’il serre toujours dans la main. Plus question de faire machine arrière maintenant. Et c’est avec l’assurance d’un homme qui vient de gagner son premier duel au couteau que Red rentre dans le boui boui à la recherche de son ticket de départ.

      Ticket qui pour l’instant est vautré comme à son habitude au plus proche du comptoir, prêt à commencer une longue et habituelle nuit de souleries au mauvais alcool. Faut dire que pour borgnefesse, qui doit son nom à un boulet de canon lui ayant ôté un bon bout de gras de cul, est plutôt du genre casanier, et ne fait pas beaucoup d’autre chose que ressasser de vielles histoire de marins largement arrosé d’alcool. Mais c’est aussi lui qui a fourni à Red une bonne partie de ses rêves de départ. Et ce soir, c’est lui aussi qui peut les concrétiser…

      -Hey borgne !
      -Hey petit piaf, qu’est tu fous donc la actheure hein ?
      -J’ai b’soin de toi l'borgne j’men va embarquer.
      -Toi Embarquer ? Héhé…Et ou donc est ce qu’on embarque des ptits piafs de terrre sur des bateaux de mer hein ?
      -Y’a le « jamais content » qui part avec la marée du matin, y cherchent un mousse qu’i s’ont pas trouvés…
      -M’est d’avi qu's’ils l’on pas trouvé c’est qu’ils vont partir sans né ?
      -Moi je suis prêt, mais j’ai besoin de toi. Tu dois venir avec moi et dire que je suis ton fils et que tu me laissses bourlinguer. J’aurais pas de contrat si je suis tout seul.
      -Alors c’est’y vraiment sérieux ? T’veux vraiment partir
      -Sur, rien pour moi ici. J'finirais pas les pieds dans la boue...
      Et qu’est qu j’y gagne moi ? T’me demandes de mentir pour qu’tu partes. Et tes parents vont dire quoi ?

      Sans rajouter un mort Red sort la liasse toute fraiche de sa poche et l’étale billet après billet sur le comptoir devant l’ivrogne qui se met à papilloter d’envie devant le pognon, mais qui n’a pas le temps de tendre la main que Red a déjà tout raflé.

      -Tu m’fais monter à bord, et t’as le pognon .
      -D’accord môme, mais faudra pas r’venir te plaindre pus tard.

      Et une heure plus tard borgne fesse empoche son or et redescend la coupée du jamais content avec en poche une copie d’un contrat d’embauche pour un neveu qu’il n’a jamais eu.. Et dans les minutes qui suivent Red balance a la mer ses premières amarres et emporté par le courant de la marée descendante le jamais content quitte Freetown pour filer vers la haute mer.



    Dernière édition par Red le Lun 18 Juin 2012, 11:58, édité 2 fois
        -Hé le môme, l’est sympa ton hamac, regarde la mien à coté, l’est tout sale et troué. Et je suis sur que t'aimerais que je dorme mieux…

        Red, en train de briquer le pont inférieur regarde d’un air haineux le marin qui vient de planter ses pieds sales juste sur la partie qu’il vient de nettoyer et qui s’appréte à lui piquer son hamac. D’instinct il porte la main à son couteau avant de se souvenir des conseils du coq qui l’a pris en main. Un mousse qui blesse volontairement un matelot passe direct à la baille. Et le gaspard, qui n’est plus mousse depuis que Red est monté à bord pour le remplacer a tellement bien pigé le principe qu’il n’a de cesse d’opprimer le petit nouveau dans l’indifférence générale. Après tout, c’est comme ça qu’on forme les mousses, et tout les marins ici ont commencé en bas de la chaine alimentaire maritime à leur début, et ils ont tout survécu…

        -Hé le môme, qu’est ce tu captes pas dans passe moi ton pieu hein ?

        Red envisage un instant de se battre, mais renonce vite, même si le Gaspard n’est pas bien épais du haut de ses dix huit ans ans il est sec et dur comme un coup de trique, et si les marins lui ont donné le même surnom que les rats du bord c’est qu’il aussi méchant que vicieux, et toujours prêt à filer un mauvais coup dans le dos. Red connait le principe, contre ce genre de type il frapper pour faire très mal dés le début, et surtout ne pas se louper. Alors Red échange son hamac contre la loque de Gaspard, ferme sa gueule, et attend son heure…

          -L’est ou mon biscuit ?

          Occupé à une corvée de plus Red arrive en retard à la bouffe pou constater que si on lui a bien servi le gruau du jour on a oublié de lui filer sa part de biscuit et de viande séchée, de loin la partie la plus nourrissante du repas.
          Personne ne répond, si la plupart des marins n’ont rien contre le mousse et ne voient pas l’intérét d’emmerder particulièrement le nouveau, ils ne voient pas non plus l’intérét de s’en occuper. Après tout, les mousses changent tellement vite que s'y attacher avant qu'ils soient matelots n'a pas grand intérêts…
          Gaspard évidemment n’a pas tout à fait la même vision des choses, et il profite à fond de son nouveau statut de dominant…

          -Les biscuit et la viande c’est pour les vrais hommes, m’est avis que c’est pas ce qu’il faut pour un mousse.

          A coté de lui son pote rigole…Monkey, son alter ego... On l'appelle comme ça parce qu'il est plus velu qu'un babouin et que ses bras sont tellement longs qu'ils pourraient presque trainer par terre...

          -Mais je va pas te laisser crever de faim non plus. (Gaspard se racle longuement la gorge et expédie un mollard droit dans le bol de Red avant de sourire méchamment) T’vois que j’suis pas un mauvais gars…

          Sous le regard narquois des deux matelots Red ravale une fois de plus son amour propre et fout le camp. Peut être qu’en cuisine il reste encore des trucs à grappiller…


        Dernière édition par Red le Lun 18 Juin 2012, 11:57, édité 1 fois
            Encore une fois sous les ordres du coq Red achemine péniblement la gamelle de soupe du soir. Sacré poids d’habitude réservé au cuistot mais celui-ci est occupé ailleurs. Occupé à vérifier les sacs de bouffe que Red a décousu la veille avant de crier au rat juste au moment de servir. Plutôt qu’emprunter la coursive principale de l’entrepont, toujours étroite et encombrée, Red passe par le pont supérieur avant de redescendre par l’escalier qui mène à la porte du mess. Il s'arrête en haut, et attrapant quelques haricots secs piqués dans la réserve il les jette sur la porte, imitant à merveille le bruit d’un mec demandant qu’on lui ouvre. Et comme les places à tables sont aussi immuables que les mouvements des marées, c’est à Gaspard, le type le plus proche de la porte qu’il revient de s’occuper d’ouvrir.

            La porte s’ouvre, et Red balance d’un coup de pied une pleine bassine de soupe bouillante en bas de l’escalier. En plein dans le visage d’un Gaspard complétement surpris et soudain aussi ébouillanté qu’un homard jeté dans de l’eau chaude. La soupe se répand partout et Gaspard s’effondre en hurlant, portant les mains a son visage à vif pendant que Red se compose le visage de circonstance, celui du brave mousse horrifié par les dégâts que sa maladresse a causé, et qu’il se met immédiatement à appeler à l’aide…

            Deux heures plus tard Red est à l'infirmerie. Sa maladresse lui a valu quelques coups de fouets qui lui ont salement tannés le cuir, mais dans la couchette d'a coté Gaspard aura de la chance s'il récupère un jour une gueule humaine...
            Quand au reste de l'équipage, Red vient de leur signifier clairement qu'il n'était pas mousse à se laisser marcher sur les pieds trop longtemps. Et qu’être du genre discret n’empêche pas que quand on le cherche, on le trouve.

            La nuit tombe, il est temps d'aller récupérer son hamac...
              Entre son dos encore brulant et douloureux et la joie malsaine qu'il ressent quand il pense à l'enfoiré gémissant couché en bas, Red baisse sa garde et loupe complétement l'embuscade. A peine le temps de sortir la tête de l'entrepont qu'un sac lui tombe sur le crane, l’enveloppe complétement et qu'on le resserre en lui emprisonnant les bras sans même qu'il puisse se défendre. Un coup de poing dans le dos le fait chuter douloureusement sur le pont pendant qu'une voix lui lui siffle à l'oreille quelques insultes haineuses. Promesses de douleur à venir et autres joyeusetés. Promesse du Monkey, le pote de Gaspard...Et probablement d'un ou autres jeunes matelots qui tiennent à rappeler au môme qu'un mousse n'a pas à se rebeller contre ses maitres...

              Les coups de pieds pleuvent et Red ne peut pas faire grand chose pour se protéger. Méme pas se retenir de gémir de douleur à chaque fois qu'on le frappe sur les traces de coup de fouet. Et attendre que les bourreaux se lassent.

              -C'est bon Monkey, il a son compte.
              -Son compte ? Il aura son compte quand je le déciderai, et pas avant. Chopez moi ce tonneau et fourrez le dedans.
              -Dans le tonneau, qu'est ce que tu veux faire ?
              -Le faire mariner un peu à la traine, tu vas voir, ça va être marrant...

              Des mains empoignent un Red qui n'est plus que douleur pour le balancer dans un tonneau qu'on s'empresse de refermer avant d'en clouer le couvercle.

              -T'es fou monkey, le môme va y rester...
              -Et ben qu'il y reste, t'as vu ce qu'il a fait à Gaspard non ?
              -Gaspard l'avait bien cherché, et même si non, le passer à tabac passe encore, mais si on le tue le capitaine nous fera la peau !
              -T’inquiète pas tant. Un petit rat d'amerzonien ça se noie pas comme ça. Et s'il meurt personne saura qu'on a fait le coup.
              -Personne saura que t'as fait le coup, moi je trempe pas la dedans. T'es taré Monkey, on s'casse...
              -Dégonflés !

              Le tonneau bascule et roule sur le pont pendant que Monkey s'adresse une derniére fois à Red à l'intérieur.

              -Adieu petit rat...

              Et d'un coup de pied Monkey balance le tonneau à la mer...

              Quand au matin on s'aperçoit qu'un tonneau traine au cul du navire et qu'on le ramène à bord pour en extraire le mousse, Red est plus mort que vif. A moitié noyé et complétement gelé et meurtri par une nuit passé à lutter pour survivre dans le tonneau à la dérive, il délire, grelotte de fièvre et semble incapable de survivre une journée de plus, du moins d’après le médecin. Red évidemment est d'un tout autre avis...

              Il faut une semaine au mousse pour être capable de se lever à nouveau de son lit. Une semaine à bouffer du gruau sous la garde inquiète du médecin et quelques passages du second qui essaye de lui faire cracher les noms des types qui l'ont foutu dans le baquet. Mais Red ne lâche pas un mot. S'il y a bien un truc qu'il a appris dans ses bouquins c'est qu'un vrai dur règle ses problèmes tout seul, et n'a besoin de l'aide de personne...Et il sait aussi que si cette fois il s'en est tiré, la prochaine fois sera surement la bonne. Cette fois il n'est plus question de brimades ou de méchanceté, mais bien de survie.

              Alors Red profite de la sécurité de l'infirmerie et réfléchit...Réfléchit longtemps...
                Le soleil se couche et les hommes se préparent à changer de quart, Red se glisse furtivement en dehors de l'infirmerie et profite de court moment ou aucune des deux équipes ne se trouve dans au niveau du couchage de l'équipage pour filer vers le coffre de Monkey et y choper sa bouteille de tafia personnelle auquel il soustrait deux gorgées qu'il s'empresse de remplacer par un des produits de l'infirmerie. Un truc qu'on lui a donné une fois pour combattre la constipation. Une seule cuiller lui a donné l'impression de se vider jusqu'aux tripes...

                Puis Red retourne à l'infirmerie et attend. Il attend que Monkey finisse de bouffer et ailler téter une lampée de son breuvage favori. Il attend que le Monkey a peine couché ait l'impression soudaine que toutes ses tripes viennent de se liquéfier et file vers les aisances les plus proches, celles qui se situent juste au bout de la coursive qui passe devant la porte de l'infirmerie. Il attend que les bruits de vidange lui assurent que Monkey est bien ou il le veut, le cul à l'air au dessus des flots, la gueule concentrée sur la douleur qui lui dérange les tripes, les deux mains cramponnés aux deux barres qui l’empêchent de tomber.

                Et Red ouvre la porte des aisances et lui fonce dessus couteau en avant. Monkey a tout juste le temps de pousser une exclamation de surprise que déjà Red lui plonge son couteau dans le bide, une fois, puis une autre. Et quand instinctivement Monkey tente d'enrayer le jus de viande qui lui coule sur les couilles Red le pousse de toutes ses forces vers l’arrière.
                L'homme pousse un gémissement inarticulé, tente sans succès de s'attraper a quelque chose, croche l'épaule de Red qui lui mord le bras jusqu'au sang et finit enfin par basculer vers la mer noire qui lui tend les bras...

                Red reste un instant le souffle court, presque stupéfié que le plan ait si bien marché. Il vient de tuer un homme et finalement ce n’était pas si compliqué. C’était même plutôt facile. Beaucoup plus que dans les histoires. Même si elles ne parlaient pas vraiment de cette odeur infecte ou de ce regard qui se voile en tombant…

                Red se secoue, et contemplant sa main et le couteau encore ensanglanté il le balance à son tour à la mer avant de vomir par les aisances…

                Puis il tourne les talons, et retourne à l’infirmerie. Maintenant plus personne à bord ne l’embétera...

                  Red est assis sur la figure de proue à regarder le port qui ne se couche jamais quand le second l'interpelle.

                  -Hé Red, tu sais qu’on part avec la marée du matin ?
                  -Oui m’sieur je le sais. Et alors ?
                  -Et alors a Saint Urea, appareiller avec le matin n’est jamais facile. Rapport à tout ces maudits patrouilleurs qui aiment bien fourrer leurs nez dans les chargements comme le notre. Alors j’ai une mission à te confier. Une mission de confiance.
                  -Une mission à terre ?
                  -Ouais, va falloir que tu descendes et que tu nous ramènes des canards. Tu sais ce que c’est des canards ?
                  -Ben, des piafs, c’est pas au cuistot de s’en charger ?
                  -Non non Red t’y es pas. Vois tu, des canards c’est le nom qu’on donne aux momes des rues que tu vas descendre chercher à terre et inviter à monter à bord. Et demain quand on partira et que le bateau de patrouille nous donnera la chasse. On aura qu’a attraper les petits canards et à les balancer dans notre sillage. Et comme les braves gardes cotes ne sont pas de si mauvais bougres, ils affaleront pour récupérer nos canards, et nous filerons… Tu vois le principe ? Si c’est toi qui leur propose de monter, ils seront moins méfiant. Tu peux faire ça ?
                  -Sur. Je prends à manger et je m’en occupe m’sieur. On aura les canards pour le matin.

                  Et saluant le second Red file à la cambuse chercher de quoi appâter les futurs leurres. Avec un peu de chance il n’y aura pas besoin de les balancer tous, et le dernier pourrait faire un mousse acceptable…
                  Et s'il y a un nouveau mousse, Red passera matelot, aussi sur que l'or brille...



                Dernière édition par Red le Lun 18 Juin 2012, 12:00, édité 1 fois
                    Dans la légère brume qui nappe la mer au sortir du port de Saint Urea, le capitaine guide d’une main sure le navire vers la haute mer. Les parages sont sur, et cette fois ce ne sont pas les récifs qui l’inquiétent quand il s’adresse à la vigie.

                    -Alors ? Toujours rien ?
                    -Si capitaine, le v’la. Sur notre bâbord, il vient de quitte la pointe et file au plus prés pour nous couper le vent.

                    Hochant la tête le capitaine fait virer sur Tribord, s’éloignant du navire des gardes chasses pour les obliger à le poursuivre au lieu de tenter de lui couper la route. De toute façon, ce n’est pas comme si son bateau pouvait leur échapper, pas sans ruse en tout cas…

                    Derrière le « Jamais content » le cotre des garde chasse déploie ses pavillons, celui de la mouette, et ordonne à sa proie de mettre bas les voiles pour inspection.

                    -Allez me réveiller nos canards, c’est l’heure du bain…

                    Le ventre plein de la bombance de la nuit les mômes qui dorment sur le tas de cordes du gaillard d’avant se lèvent en clignant des yeux quand les marins les secouent. Juste le temps de comprendre qu’ils ne sont plus a quai et plouf, le premier marmot passe ne hurlant part dessus bord. Suivi immédiatement par un second, puis par un troisième.
                    Bientôt le sillage du jamais content est parsemé d’une ribambelles de tètes hurlant à l’aide ne agitant les bras. Et comme prévu le cotre des gardes cotes se montre humain et réduit la voilure pour pouvoir mettre bas la chaloupe et récupérer les mômes…

                    A bord du bateau poursuivi on sourit en hochant la tête. C’est pas aujourd’hui que le jamais content se fera serrer par les mouettes.

                    -Capitaine, un autre qui nous file droit d’ssus !
                    -On vire à bâbord !
                    -Il file toutes voiles dehors capitaine, l’a le vent pour lui… On pourra pas lui échapper…
                    -Et on a plus de canards capitaines !

                    Le capitaine comme le second réagissent en homme habitués à prendre des décisions rapides, le capitaine fait un signe de tête, et le second chope immédiatement Red sous les aisselles

                    -Désolé mome. Oublie pas de crier.

                    Et d’un grand geste, il le balance à la mer avec les autres…
                      Complétement épuisé Red atteint enfin le ponton vers lequel il nage depuis un temps qui lui parait interminable et s’y agrippe désespérément.
                      Il n’a pas crié… Il n’a pas joué au canard, et le bateau des gardes cotes lui est passé sous le nez sans s’arrêter. Bien fait pour ce salaud de capitaine et son enfoiré de second qui n’ont pas hésité une seconde à la bazarder. Red a failli se noyer encore une fois mais eux croupiront en prison ou se balanceront sous peu au bout d’une corde. La justice locale ne badine pas avec la contrebande .

                      Red s’accorde un instant de repos mais se sent lâcher prise. Le sel lui bouffe les yeux et lui irrite la gorge, et il sent bien que s’il ne sort pas de l’eau rapidement, il va se devoir se résigner à se laisser couler.

                      Tendant les bras il attrape le haut du ponton, guère plus loin qu’une cinquantaines de centimètres à peine au dessus de l’eau. Red bat des pieds, se hisse à demi hors de l’eau, plantant ses ongles dans le le bois vermoulu des planches du ponton et tire désespérément pendant quelques secondes avant de retomber misérablement dans l’eau. La douleur sourdant des ongles qu’il vient de s’arracher le touchant a peine tant l’eau froide commence à l’engourdir.
                      Un nouvel essai et un nouvel échec et Red commence à envisager l’idée qu’il pourrait échouer si prés du but, mourir ici, accroché à un ponton misérable comme un vulgaire rat d’égout.
                      Perdant peu à peu connaissance il se coince le bras entre deux des piliers de soutènement pour éviter de se laisser couler… Un instant de repos, rien qu’un instant et il sera prêt à repartir et essayer à nouveau….

                      -Hé les keums, v’nez voir ce que j’viens de trouver accroché sous l’ponton. On dirait un gars.
                      -Sur c’est un gars, mais y bouge pas, m’est avis que l’est tout crevé, on va le sortir de la, l’a pte’t que’que chose dans les poches…

                      Des mains attrapent Red et le hissent sur le ponton ou il peut enfin se vider de son trop plein d’eau avant de se retourner sur le dos pour faire face aux cinq têtes qui se penche sur lui. Quatre gars et une fille, un peu plus âgée que lui, l’air plutôt sympa pour des gosses de la rue et qui le regardent avec circonspection. Puis la fille sourit.

                      -Dis Joris ? On peut le garder ?
                      -Pourquoi pas. On est le gang du vieux phare, tout ce qui tombe ici est à nous non ? Hey mec ? C’est quoi ton blaze ?
                      -Red, j’m’appelle Red.
                      -Et ben Red, bienvenu dans le trou du cul de saint urea...