- La pluie tombait sur le champ de bataille. Ces gouttes voulaient-ils prendre part à la bataille en s'écrasant sur nous, ou essayaient-elles de nous arrêter en rendant nos vêtements plus lourds ? Mais malgré sa rage, la violence du combat l'emportait. Les pirates continuaient d'avancer sur la plage, perçant les rangs des chasseurs, tandis que derrière eux, des marines les suivaient. Il n'y avait que deux choix : foncer tout droit ou retourner en arrière. Et la pluie ne pouvait empêcher aucun des deux affrontements, les cris des non-chanceux couvrant aisément le son de l'averse. La sueur et l'eau se mélangeait, on ne pouvait plus les différencier. Cependant, le sang restait toujours reconnaissable, couvrant peu à peu davantage de corps. Tant de ce liquide rougeâtre coula sur la plage que cette pluie aurait pu être en sang, on n'y verrait pas la différence. A la façon des combats de gladiateurs, le sang était ce qui restera à la fin du combat, absorbant paisiblement le sang qu'on lui offrait en offrande. A la différence près que, comparé aux gladiateurs, nous n'avions pas de public. A moins que ce vieux porc de Midas constituait le public ? Vu sa corpulence, il le pouvait, et il ne semblait en aucun cas enclin à rejoindre la bataille. Laisser les autres se battre et se remplir la panse devant un tel spectacle, on reconnaissait bien là sa cruauté et son cœur de pierre. Mais pierre ou non, je le transpercerai, son cœur !
Me laissant de plus en plus emporté par l'adrénaline qui coulait dans mes veines, j'avançais inévitablement vers la falaise sur laquelle le paresseux se perchait. Comparé aux autres pirates qui prenaient le temps d'affronter et d'achever tous les ennemis autour d'eux, je me contentais de me frayer un chemin tout droit, toujours accompagné par les deux agents de Timuthé. Et je devais avouer qu'il recrutait bien ses membres, ils arrivaient à suivre, tant bien que mal, mon rythme. Remarquez, une fois que j'avais envoyé valser le chasseur qui bloquait la route, il leur suffisait de protéger leurs flancs et d'avancer. Bien que si je voyais bien, des gouttes de sangs perlaient sur leurs bras et leurs jambes. Je les poussais au-delà de leurs limites… Et ce bref moment d'inattention n'était pas bon pour moi non plus, la lame d'un chasseur manqua de me trancher la gorge et finit sa course en arrachant un bout du lobe de mon oreille. Tandis que ce bout de chair tombait au sol, l'importun rejoignit le sable comme tant d'autres.
L'attention, voilà la chose la plus importante sur un champ de bataille. Dans un duel, c'était le plus puissant, le plus agile et le plus rusé qui l'emportait. Mais dans une guerre, c'est comme une partie d'échec, il n'y a que la concentration qui prime. C'est le premier qui la relâche qui tombe. Tout comme ce bout d'oreille, prix pour avoir voulu connaître l'état de mes gardes du corps. Ici, c'était chacun pour soi, il fallait penser à sa propre vie et ne regardait que devant soi, que ses ennemis. Un jeu auquel Midas devait être un champion, mais sa couronne de roi ne tiendra pas éternellement.
Arrivant devant le chemin qui menait à ma cible, je reprenais ma respiration tandis que les agents arrivèrent à mon niveau. Devant nous, plusieurs chasseurs nous barrèrent la route, ultime obstacle avant Midas. Il couvrait toujours ses arrières… Ravalant ma salive, je repris ma garde à deux mains, prêt à reprendre cette lutte incessante, au moment où la terre se mit à trembler. Le souffle d'une explosion monumentale était perceptible de la plage, l'inclinaison de la chute de la pluie changeant un bref instant. Le bruit de cette déflagration marqua une petite pause dans la bataille. Surpassant les cris, un silence interrogateur s'installa. Mais celui-ci fut éphémère, et très vite les belligérants brisèrent ce court moment de paix pour reprendre là où ils en étaient.
Cette fois, l'ennemi fut plus rapide à reprendre l'affrontement, l'un des chasseurs s'avançant vers l'agent à ma droite, sa hache levée. Mais avant qu'il n'ait le temps d'atteindre sa cible, je me jetais machinalement sur lui, tranchant ses bras menaçant, faisant ainsi tomber sa hache sur son propre corps, mettant fin à ses hurlements. Mais pour cela, je m'étais avancé sans aucune précaution, et un autre chasseur fonça vers moi. Heureusement, le second agent parvint à parer le coup avec sa propre lame. Prenant rapidement la parole, il m'incita à avancer pendant qu'ils s'occuperont de cet endroit.
Hochant de la tête, je me lançais à travers la brèche formée par la perte d'un des chasseurs. Je continuais de courir le long du chemin sans me retourner, ne voulant pas savoir s'ils s'en sortaient ou non. Je devais continuer de regarder devant, continuer d'avancer, pour revenir ensuite les récupérer. J'ignorais s'ils étaient de taille contre les chasseurs qui les entouraient, ils étaient déjà fatigués, mais j'espérais qu'ils s'en sortent. L'un d'entre eux m'avait sauvé la vie, je me devais de lui rendre le même service. Mais si le destin en voulut autrement, leur sacrifice ne sera pas vain, j'en fais le serment !
Mes pensées tournées vers eux, je ne me questionnais même pas sur l'absence d'ennemi ici. Aucune marine, les chasseurs se trouvant derrière moi, sur la plage. Tout ce que je savais, c'était que le temps m'était compté. Arrivant enfin en haut, trempé jusqu'à l'os, d'eau et de sueur, je levais mon bras armé en direction de Midas. Bien que quelques mètres nous séparaient, et malgré la pluie battante, j'apercevais aisément tous les détails monstrueux de sa morphologie. Ma lame pointée vers sa tête voulait tout dire. Un léger silence s'installa, avant que je ne décide de le briser.
" Te souviens-tu de mon visage ? Je croyais que tu avais péri sous les décombres de ta guilde, mais je te promets que mon visage sera le dernier que tu verras cette fois ! "
Je ne pouvais laisser un tel homme en liberté. Les agents qui m'accompagnaient me permirent d'arriver jusque là, et je comptais bien leur donner raison de m'avoir fait confiance. Cependant, Midas et moi n'étions pas seuls, un autre homme que je ne connaissais pas me regardait d'un air ténébreux.
" Si tu tiens à la vie, n'interfères pas. Je n'en ai qu'après Midas. "
Malgré ma remarque, le chasseur ne bougea pas. Tant pis, au moins je l'aurais prévenu…