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Le Vieillot et le héros


Immense balle fonçant dans le ciel sans nuages, le soleil parcourait sa course quotidienne avec une patience inébranlable. Un mythe, inventé par un peuple sportif et très imaginatif, voulait qu’en fait, il ne soit qu’une immense balle de ping-pong qu’échangeaient deux adversaires titanesques lors d’un match à dimensions cosmiques dont la Terre était témoin. Lorsque le match se terminerait, le monde perdrait sa raison d’être, et disparaîtrait dans les ténèbres jusqu’à la prochaine partie. Cette explication présentait de nombreux défauts, et ses détracteurs arguaient du fait que, par exemple, on ne voyait jamais revenir le soleil dans le sens inverse, alors que ça devrait être le cas. Ce qui le l’empêchait pas de rester vivace : beaucoup de gens vivaient encore dans la peur maladive qu’un jour, l’un des deux adversaires décide de faire un smash.



Alors que la silhouette particulière de la Nouvelle Ohara se profilait au loin, Yudhisthira aurait pu repasser les détails de sa mission. Il aurait pu se rappeler que le chef l’avait convoqué, pour lui dire que ça bardait à la nouvelle Ohara. Il lui serait alors venu à l’esprit que c’était à l’occasion de l’action des Ghost Dog de Gharr Hadoc ; supposé opérer une simple vérification de livres, ils étaient tombé sur un nid de révolutionnaires qu’ils combattaient actuellement. S’il s’était repassé les détails de sa mission, le héros en serait arrivé aux ordres aux ordres qu’il avait reçus : débarquer à Ohara, voire de quoi il retourne, intervenir en cas de besoin, et surtout rendre compte.
Mais bien entendu, Yudhisthira n’en fit rien.



Le demi-dieu connaissait bien l’île et son histoire : pas tellement qu’il y ait passé beaucoup de temps à lire les mythes dans les livres consacrés à ce sujet ; c’est surtout que le peuple religieux de Catharsis, dont il est issu, assure une permanence sur place, pour faire plaisir au dieu des Livres, des Bibliothèques et des Lettres de Rappel pour les Prêts en Retard, lequel aime à voir ses bibliothèques bien peuplées. Notamment, il était au courant de la destruction de l’ancien arbre de l’île par la marine, et de sa reconstruction. Ca l’avait toujours choqué, d’ailleurs. La destruction en elle-même ne lui posait pas trop de problème, parce que la destinée de toute bibliothèque très connue, très ancienne et très bien fournie est de finir dans un torrent de flammes allumé par des gens qui couramment, ne savent pas lire sans suivre la ligne du doigt et en prononçant laborieusement les syllabes à voix haute. Ce qui était le plus surprenant, c’est qu’on avait réussi à faire repousser un arbre plusieurs fois millénaire aussi gros que l’ancien, en un ou deux siècles. Il fallait croire qu’à Ohara, on utilisait de bons engrais !



La zone du port semblait calme ; soit tout combat avait cessé sur l’île, soit que l’endroit avait été sécurisé rapidement. Il faut dire que la présence du Passeur et des hommes restés à le garder avaient de quoi calmer sérieusement. Sans leur prêter attention, Yudhisthira débarqua et entreprit de parcourir la zone portuaire d’un pas nonchalant. Les gens se retournaient sur lui, étonné de voir un gus en kimono sortir d’un navire gouvernemental les mains dans les poches, mais lui ne paraissait pas s’en rendre compte. De temps à autres, il jetait un coup d’oeuil accusateur vers l’arbre-bibliothèque, comme on regarderait un gamin dont on soupçonne qu’il a fait une bêtise, et dont on attend qu’il recommence, pour pouvoir le prendre sur le fait. Très gênée, la bibliothèque arboricole essayait de se faire la plus petite possible, au cas où on tenterait sur elle un contrôle anti-dopage.



Autour de Yudhisthira, les gens passaient rapidement, en s’efforçant de ressembler le moins possible à un révolutionnaire, parce qu’on ne sait jamais ce qui peut passer dans la tête de ces marines. Et surtout, ils esquivaient autant qu’ils pouvaient les patrouilles. L’une d’elle était d’ailleurs en activité, postée à un carrefour. Les gardes ne semblaient pas excessivement attentifs ; pour l’instant, ils étaient surtout en train d’essayer de ne pas entendre aussi poliment que possible un marine plus âgé que le héros voyait de dos. Le jeune héros décida d’abréger leurs souffrances et il s’approcha du groupe, à côté de l’orateur, pour demander avec un grand sourire débordant de charisme:

« Euh, bonjour. Où est-ce que je pourrais trouver votre chef, les gars ? »

    Pludbus discutait avec quelques marines à l'ombre d'un arbre. Il faisait frais, il sentait bon et les affres des combats étaient déjà bien loin dans le corps des gens, mais pas dans leur esprit. Pour la trente-septième fois depuis la fin des hostilités, Pludbus racontait aux jeunots comment ils avaient vaincu l'abominable Goulzaure le terrible, chef révolutionnaire censé être très connu, mais dont personne n'avait jamais entendu le nom, victoire avec une seule main et à cloche-pied s'il vous plait. Le scénario du combat avait un poil changer entre la première version et la toute dernière. Il semblerait que, dans la toute dernière, il aurait suffi d'une crotte de nez parfaitement tiré dans l'oeil du galopin pour le rendre aveugle et ne pas esquiver le poing de la Justice de Pludbus. Les marines n'arrêtaient pas de regarder ce poing de la Justice tremblant sous l'effet de la vieillesse de Plud'. Comme quoi, il existe nombre de choses bizarres en ce monde et Pludbus était loin d'être le moins incroyable de tous les vieux. Heureusement pour les jeunes marines, ils étaient tant de rejoindre le capitaine Gharr Hadoc pour la suite des opérations et ils purent se soustraire à sa présence. Sauf que Pludbus les accompagna, évidemment, car il n'avait rien à faire d'autres. Instinct de survie oblige, les marines mirent une vingtaine de mètres entre le vieillard et eux, histoire d'éviter un drame suite à un excès de connerie écouter à la minute. Pludbus excellait dans ce domaine.

    Quel serait l'avenir de Plud' ? Malgré ses inepties, le vieillard gambergeait. Il avait prouvé qu'il possédait de nombreux pouvoirs très efficaces. Il se sentait d'attaque pour reprendre du service, un service plus actif qu'avant où il passait son temps à squatter des équipages et à transmettre son savoir aux nouvelles générations. Il pouvait être très utile ; indispensable même ! Pludbus s'était renseigné sur les Ghost Dogs au travers des… Ghost Dogs. Ce n'est pas la source d'information la plus objective, mais cela suffit à Plud' à se faire une idée. Il avait pu voir les officiers de cet équipage agir ; il avait même de la sympathie pour quelqu'un et même de l'antipathie pour une chose informe et avide de formulaires en particulier. Et pourquoi ? Pourquoi pas rejoindre les Ghost et leur faire profiter de son indispensable puissance de frappe ? C'était une idée séduisante qui méritait réflexion. Pludbus avait pu voir le capitaine, ce Gharr Hadoc. Ce n’était pas un capitaine de pacotille, il voudra avoir des preuves de son efficacité. Évidemment, Pludbus le lui apporterait sans problème, mais il s'agissait de savoir quoi faire.

    Pludbus s'arrêta un instant. Son regard venait de s'arrêter sur un regard bovin. Une vache. Normal. Ohara n'est pas qu'un repère à bibliothécaire. Ils ne mange pas que du papier, pas comme certains officiers Ghost Dogs. Plus qu'une vache, c'est une dizaine qui broutait dans un pré au bord du chemin qui menait à la côte, cinq cents bons mètres plus loin. Que faisait-il ? Il en savait trop rien. Il en regardait une dans les yeux qui lui retournait son regard, surpris ; si on peut considérer qu'une vache puisse être surprise. Pludbus voulut s'approcher et lui flatter l'encolure, mais il activa son pouvoir inconsciemment. Ça eut un effet bizarre. La vache commença à rétrécir, ce qui eut pour conséquence de lui faire pousser des cris d'hystérie. Pour une vache. Les autres crièrent de la même façon. Pludbus s'éloigna, histoire de pas la traumatiser ; car il n'est pas comme ça le Plud', il est soucieux du bien-être de nos amis les bêtes.

    Les animaux ne semblaient pas l'aimer. Tant pis. Il s'éloigna. Mais avant qu'on me dise que ce passage est totalement inutile, un bruit se fit entendre dans le dos de Pludbus. Il se retourna intrigué et il vit une créature s'approcher à grande vitesse. Elle n'était pas si étrange que ça ; il la reconnaissait. C'était un taureau. Il courait dans sa direction. Pludbus ne comprit pas tout de suite, puis certains liens se firent. Vaches. Cri. Peur. Taureau. Okey. Le vieillard se mit à accélérer sur ses petites jambes. L'animal approchait toujours. Il amorça son sprint. Les marines de devant s'étaient arrêtées, voyant que Pludbus n'avançait plus. Ils étaient toujours stoppés, essayant de comprendre ce qui a pu se passer. Ils laissèrent passer Pludbus au milieu d'eux, mais ils durent sauter en arrière pour éviter le bestiau qui aurait pu les piétiner gentiment.

    Le danger s'approchait dangereusement. Trop vite même. L'impact était inévitable. Malheureusement, il ne pensa même pas à son pouvoir, tellement il était occupé à courir. Tellement il était concentré à ne pas se souiller dessus ; ça serait mauvais pour sa grande classe. Un dernier coup d'oeil au bon moment lui fit savoir que l'animal amorçait son mouvement. Il frappa aussi sec et envoyant Pludbus virevolter dans les airs, faisant trois tours sur lui même, histoire de lui faire voir les étoiles. Par le plus grand des hasards ; on y croit ; Pludbus retomba à califourchon sur le taureau qui n'avait pas prévu ça. Pludbus non plus : en plus d'avoir le fessier endolori par un coup de corne, le voilà l'entrejambe labourer par les mouvements de l'animal. Apeuré, le vieillard s'accrocha fermement aux cornes du taureau qui n'apprécia pas. Il accéléra afin de le faire lâcher prise ; Plud' était bien secoué.

    Mais déjà, le taureau était au milieu des marines et des habitations. Plusieurs groupes de marines s'éloignèrent du passage du bestiau en pointant du doigt celui qui le chevauchait. Pludbus, si vous avez pas suivi. Ce-dernier était bien trop malade pour oser médire sur ces gens qui ne venaient même pas le sauver. Il finit par lever un oeil pour savoir où l'emmener son ami à corne. Il ne vit qu'un capitaine des Ghost Dogs particulièrement surpris de se voir charger par un taureau. Mais pas d'inquiétude à avoir, l'officier esquiva aisément grâce au pas du chien. Plud' ne put souffler de ce succès que déjà, un autre groupe se faisait charger. Il s'agissait d'un groupe de marines en pleine souffrance face à un Lou des plus chiants ; un cours de formulaires, sans doute. Le taureau fonçait sur lui. Ça avait du bon, en fait, cet animal. Enfin, Plud' n'était pas vraiment dans la meilleure des situations pour admirer l'action, surtout que le taureau venait de se décaler sur la droite visant une autre personne.

    Il s'agissait d'un jeune homme. Un homme plutôt étrange puisqu'il portait un kimono impeccable et son sourire semblait être taillé dans le plus pur des ivoires. L'impact n'était qu'une question de secondes. Plud' tenta de l'avertir.


    Dégage de lààààààà !

    Une secousse et il dut fermer les yeux, s'agrippant fermement. Quand il les ouvrit, l'homme n'était plus là. Arf. Pauvre type. Il venait de se faire marcher dessus, forcément. Plud' prierait son âme quand tout cela sera fini, à condition qu'il ne vienne pas le rejoindre ; il n'était pas vraiment sorti d'affaires. Il fallait appliquer le seul plan viable. Et comme c'était Plud' qui l'avait concocté, ça allait être magnifique.

    Normalement.
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    "Dégage de làààààààà !"

    Un héros est habitué à se faire rembarrer. En général, on n’aime pas les étrangers qui viennent fouiner dans ce qui ne les regarde pas, et justement, s’occuper de ce qui regarde les autres, c’est typiquement une spécialité des héros. Seulement, pour une fois, le ton n’était pas agressif, ni même ennuyé. Plutôt pressant, voire même un poil inquiet. Yudhisthira se retourna au dernier moment, pour voir un taureau furieux lui foncer dessus, chevauché par un… non, trimballant un vieillard affolé qui désespérait de se sortir de là.

    D’un mouvement héroïque, au dernier moment comme il se doit, et avec un ralenti bien dosé, le demi-dieu autoproclamé se jeta sur le côté, évitant de justesse les sabots immense de la bête écumante. Tous n’eurent pas cette chance : Ame Sahira, sergent chez les Ghost Dogs, avait passé la journée à combattre ; soldat consciencieux, sous-officier compétent, il avait dirigé sa troupe avec efficacité, occupé une dizaine de postes stratégiques, tué à lui tout seul une dizaine de révolutionnaires, et frôlé une vingtaine de fois la mort, dont une par compression sous une étagère de dictionnaires. Ses exploits lui avaient fait espérer une médaille, voire une promotion au grade de sergent-chef, et il comptait en toucher un mot au commandant Trovahechnik… Jusqu’au moment où sa rencontre avec le taureau et son improbable cavalier lui mirent d’autres préoccupations plus importantes et plus définitives en tête.

    Yudhisthira se redressa, lentement. Il avait le visage barbouillé de poussière, mais son kimono, étrangement, restait immaculé. Il réfléchit un instant. Rares sont les histoires où les personnages secondaires déboulent pour le fun dans la trame de la narration et en disparaissent sans laisser de traces. En général, un gus qui arrive en taureau, tue quelqu’un et repart sans même s’excuser, en général, ce gus-là aura un intérêt quelconque dans la suite des évènements. Le dieu de la Narration, des Personnages Secondaires Inutiles et des Evènements Déclencheurs n’est pas connu pour son originalité, ni pour sa propension à se fouler.

    Le héros savait exactement ce qu’il avait à faire. Il promena son regard aux alentours, cherchant ce dont il avait besoin.

    Puis, d’un pas assuré, il se dirigea vers un pré où erraient des vaches qui semblaient tout à fait désorientées depuis la disparition de leur taureau en chef. Normalement, mâchouiller de l’herbe dans un pré en regardant passer les trains laisse beaucoup de temps pour la réflexion ; normalement, les vaches auraient dû commencer à se poser des questions existentielles comme : d’où vient ce train ? Où va-t-il ? Est-ce que ça joue sur la qualité de l’herbe ? A partir de là, il aurait été facile pour toute espèce à peu près correctement conçue de créer un système cosmologique complet ; ou au moins, une explication philosophique. N’importe quelle forme de pensée aurait suffi, d’ailleurs : il paraît que les chameaux sont de très bons mathématiciens. Mais les bovidés, non. Allez savoir pourquoi.

    Yudhisthira ne les aida pas : il déboula dans le pré en courant, sauta sur un des jeunes taureaux en second qui se trouvait là et l’éperonnant, il le fit foncer dans la direction où étaient partis le vieux et sa monture.


    ***


    Paulo le taureau courait depuis maintenant dix bonnes minutes ; il n’avait pas particulièrement apprécié qu’on lui vole sa meilleure amie, Marguerite. Il ne savait vraiment ce qui s’était passé, mais il sentait confusément, dans son cerveau obscurci par la testostérone, que le vieil homme qu’il avait sur le dos y était pour quelque chose. Et si il galopait à perdre haleine, c’était pour deux raisons : d’une part, il voulait se venger ; des vaches comme Marguerite, il n’en retrouverait pas deux, et il comptait bien le faire sentir au coupable. D’autre part, dans les tréfonds de son esprit se cachait une terreur sourde, celle de subir le même sort que sa compagne. Aussi il appliquait une solution qui jusqu’à présent avait toujours résolu tous ses problèmes. Toujours, tôt ou tard.

    En général, un taureau n’est pas porté à l’introspection. Il faut dire que sorti de la fureur noire ou de la peur bleue, les bovins n’ont pas énormément d’émotions. Cependant, il fut réellement surpris quand il sentit à ses côtés un jeune de son troupeau, Jacquot. Ce dernier courait aussi, monté par un homme en gris, qui souriait comme si le monde entier essayait de le prendre en photo.

    L’étonnement de Jacquot se mua en terreur folle quand il s’aperçut que ce n’était pas seulement Jacquot qui l’avait suivi, mais tout le troupeau en entier : voyant partir un deuxième taureau, toutes les vaches n’avaient eu qu’un seul réflexe : suivre le guide. Et elles cavalaient en espérant rattraper les deux mâles, dans un grand nuage de poussière, de désolation et de meuglements hystériques. Dans sa longue vie déjà bien remplie, Paulo avait passé beaucoup de temps à courir après les vaches, comme le font normalement tous les taureaux. Lui n’avait d’ailleurs jamais compris pourquoi elles s’enfuyaient ; mais il n’aimait pas du tout voir les rôles s’inverser…

    Il essaya de galoper encore plus vite.


    ***

    Les vaches folles et les deux taureaux non moins affolés enfilaient à présent une des rues principales de l’île. A son passage, les passants sautaient de tous côtés pour éviter de se faire piétiner. Heureusement, un troupeau de bovins, ça se voit de loin, et quand ce dernier arrivait, la plupart des gens avaient réussi à se trouver un abri. Tout à coup, avec une présence d’esprit qu’on ne lui aurait pas soupçonnée vu ce qui a été dit de lui jusque-là, Paulo le taureau bifurqua dans une petite ruelle. Mais ça ne suffit pas : les vaches les plus rapides, rompues aux techniques d’esquives, le suivirent. Le seul qui fut réellement perdu par la manœuvre, ce fut Jacquot, qui s’arrêta brusquement et resta planté là en secouant bêtement la tête.

    Yudhisthira, voyant que sa monture lui faisait défaut, se mit debout sur le dos de Jacquot, et bondit sur le dos de la vache la plus proche (Pimprenelle, en l’occurrence. Mais ça n’intéresse personne) ; puis, sautant de proche en proche, il se mit en devoir de rejoindre la tête du troupeau et le vieux bonhomme qui avait l’air de faire des choses utiles pour améliorer sa situation, comme hurler et battre des bras d’un air désespéré.

    Le demi-dieu autoproclamé sauta sur Pâquerette, rebondit sur Violette pour atterrir sur Bouton d’Or ; puis, prenant appui sur la tête de celle-ci, il finit lourdement sa course sur le dos de Paulo le taureau, lequel accusa le coup en titubant quelques instants avant de reprendre sa course. Le héros adressa à l’ancêtre assis devant lui un sourire à la « Salut ! Je suis le héros de l’histoire ; t’as une quête à me proposer ? » :

    « Salut ! Je suis Yudhisthira Dharma ! Ca fait longtemps que tu chevauches des taureaux ?»

    Puis, après un instant d'hésitation:

    "Et, heu... Tu sais comment on les arrête ?"


    D'autant que Paulo, l'esprit obscurci par la peur, fonçait droit vers le bord d'une falaise.

      Gnnnh … Gnnnnh… Gnnnnnh !

      Malgré toutes ces tentatives, il n'y arrivait pas. C'est fou ! Il ne maitrisait pas encore son pouvoir au point de l'utiliser quand il le pouvait. Faute d'expériences suffisantes à la matière, le vieillot utilisait une méthode archaïque qu'on aurait pu qualifier de « recette de grand-mère ». Il fermait les yeux en poussant très fort et se concentrant tout autant en poussant de petits cris. Puis, croyant sentir le pouvoir affluer, il donnait un petit coup de hanche en avant. La combinaison de tous ses éléments était du plus bel effet. Les passants pouvaient aisément croire que le vieillard tentait de faire de bien vilaine chose à la vache ; heureusement, pour le bien des bonnes moeurs et des jeunes enfants, Pludbus n'était pas au bon endroit pour que son geste ait une quelconque influence, que ce soit pour les spectateurs que pour la vache en question. En plus, ce n'était pas une vache, mais un taureau. Et Paulo n'était pas du bord à fricoter avec les ancêtres, qu'on se le tienne pour acquis. Faute d'autres plans en tête, et en l'absence de capacités physiques nécessaires pour sauter du taureau en marche sans se rompre le coup, il n'eut d'autre choix que de se redresser sur l'échine du mammifère afin de montrer à tous son héroïsme et son courage : Quitte à disparaître aujourd'hui, Pludbus comptait le faire avec panache. Les gens allaient se souvenir de lui comme l'homme qui parlait à l'oreille des taureaux. Dans un monde parallèle, un monde où le futur sera la mort de Pludbus, on irait jusqu'à dire que bien qu'il leur parlait, les taureaux ne savaient les écouter. Or, nous n'étions pas dans ce monde parallèle, nous étions dans cet univers où Pludbus ne pouvait pas disparaître aussi pitoyablement. L'homme au destin légendaire allait survivre. Évidemment. Car il était fait ainsi ; immortel.

      Pludbus allait survivre, mais pas grâce à lui. Alors qu'il se pavanait devant la foule, au rythme de la course effrénée de son ruminant destrier, il découvrit dans son dos un homme qui chevauchait, lui aussi, un taureau. Cette prestance, cette aura, ce courage … Pludbus croyait se voir, mais en plus jeune. Il en fut perturbé. Concevoir qu'un homme puisse volontairement vacher avec panache, c'était, en effet, assez dur. Un moment, il crut à un effet visuel ; ou un mirage. Mais ce mirage lui parla. Et son sourire était si éclatant qu'il crut voir un soleil. Le vieillard faillit donc se casser la figure et de se retrouver sous la bête, là où les sabots en aurait fait du hachis. Sous le coup de ce vilain coup d'émotion, il sentit le pouvoir monter en lui comme une irrépressible envie de vomir, conséquence d'une veisalgie, elle-même conséquence d'un pot de départ un peu trop arrosé. Il tourna son visage contrit en direction de l'inconnu : ses grands yeux exprimaient un désarroi des plus complets.


      Euuuuh. Non ! Peut-être. 'fin... Essayons.

      Et ce fut le chaos.

      D'un coup d'un seul, Pludbus activa son pouvoir ; tout ce qui le collait de près rapetissa drastiquement. Comme il était sur Paulo, celui-ci fut donc affecté le premier. Il disparut d'un coup, devenu tellement petit pour disparaître aux yeux de tous. Bouton d'Or fut aussi affecté. Ses sabots avant devinrent petits. Elle était quand même dans le rayon d'action. Prise de panique, et certainement plus si stable que ça, elle chuta avant de rouler sur le sol sur plusieurs mètres. Le chaos aurait pu s'arrêter là, mais le chaos a toujours besoin de mettre le paquet en événement dramatique. Et pour la bonne cause, le chaos avait bien fait de mettre une troupe entière de vache à la poursuite de Paulo. Certaines paniquèrent et se firent marcher dessus. D'autres chutèrent contre Bouton d'Or. Enfin, ça s'écrasait dans tous les coins. Les vaches volaient littéralement en beuglant d'intraduisibles diatribes contre les vieux et les freinages d'urgence. Et que faisait Pludbus dans toutes ces agitations ? Il rebondissait de bovin en bovin, s'approchant toujours un peu plus de la chute qui n'avait rien à envier à la chute d'efficacité du vieux marine entre ses années à l'amirauté et l'instinct présent. À la différence de cette dernière, la chute qui se présentait devant lui pouvait s'avérer mortelle. C'était pas de bol.

      Il ne voyait plus où était le jeune homme, mais avant de sombrer dans le vide, sa dernière pensée fut pour lui.


      Au secours ! À l'aide !



      ♥♥♥


      Le sergent Evan Gelion guida un Pludbus légèrement tremblotant vers le navire de la marine. L'autre, celui qui n'était pas le passeur. Le jeune marine ne savait guère les détails, mais il semblait bien être en présence d'ex Amiral en chef Pludbus Céldéborde ! C'était quelque chose ! Il lui avait demandé un autographe et l'ancêtre avait accepté de bon coeur malgré son comportement étrange. Il faut dire que l'homme n'avait pas eu vie facile dernièrement. Evan avait eu les derniers détails. Il avait survécu plusieurs jours contre une horde de révolutionnaires, contribué à leur capture et avait même sauvé le commandant Trovahecnik ! Encore tout récemment, il avait survécu à une charge de bovins en furie et il avait échappé à une chute dans le vide meurtrière pour des raisons encore obscures. Le sergent avait cherché à en savoir un peu plus en questionnant le principal acteur de la scène ; ce dernier lui avait juste dit que c'était un secret et que, dans l'opération, il avait sauvé l'autre homme, et que c'était le plus important.

      Evan était vraiment impressionné par le vieillard.


      ♥♥♥

      Une fois à bord du bâtiment de la marine, Pludbus alla s'installer sur un banc pour refaire le point. On avait estimé que sa mission était maintenant de ramener les révolutionnaires à leur légitime prison ! C'était un honneur pour Pludbus qui s'était avéré très utile durant cette mission. On lui avait laissé entendre que ces capacités avaient éveillé l'intérêt du capitaine Gharr Hadoc et que, prochainement, il serait peut-être possible de rejoindre l'équipage. Il y avait là matière à réfléchir. C'était une proposition intéressante ; Pludbus en avait un peu marre de voyager sans réel but. Faire partie d'un équipage, c'est mener d'importante mission qui pouvait le couvrir de gloire ! Il allait avoir tout le voyage pour y réfléchir.

      Voyage qui allait se montrer riche en enseignement. On lui avait alloué un coéquipier, pour des raisons qu'il ne connaissait pas, mais pas de doute, il était là pour apprendre de l'ancêtre ! C'est avec cette franche idée que Pludbus vint serrer la main de l'agent du ciphel pol quand il monta à bord, après avoir eu ces instructions. Le sourire de Pludbus était jovial, presque paternaliste. Et presque sur un ton officieux, il se présenta.


      La légende des mers, le héros victorieux, moi. Pludbus Céldeborde ! Prêt à en prendre de la graine mon grand ? Ahah !


      C'était un nouveau départ. Il ne fallait surtout pas parler de la déconvenue des bovins.

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      Et ce fut le chaos. Yudhisthira, très proche du vieux chevaucheur de taureaux, fut affecté par sa technique, au même titre que Paulo. En même temps qu’une sensation de vertige et de perte de repère, le héros eu l’impression de sombrer dans le noir…

      … Pour heurter durement un sol, quelques instants plus tard. Si certains héros utilisent lâchement les ellipses pour se tirer d’affaire, ce n’était pas le cas du demi-dieu autoproclamé pour l’instant. Prenant conscience du monde qui l’entourait, il vit que ce dernier, loin de se composer d’une vingtaine de bovins en furie comme ça avait été le cas jusqu’à présent, consistait maintenant en un long couloir sombre et humide, en pierre de taille, rongé par la mousse. Seul élément familier dans ce décor étrange : Paulo le taureau, qui paraissait aussi désorienté que lui.

      C’est ce qui assurait le héros qu’il ne rêvait pas : aucun songe, même les plus réalistes, même ceux provoqués par le dieu des Cauchemars, des Rêves Prémonitoires, des Somnambules et du Pipi au lit, ne pourrait reproduire l’odeur, le bruit, l’impression de réalité massive que dégageait un taureau.

      Yudhisthira n’était pas perdu, non. Simplement, il venait de démarrer une quête passionnante dans le but de trouver la sortie. Aussi, de manière tout à fait aléatoire mais avec une assurance à côté de laquelle un prophète fanatique passerait pour à peu près convaincu mais seulement si ça ne dérange pas trop, il décida d’avancer et de descendre l’escalier qui se trouvait en face de lui plutôt que de retourner en arrière. Paulo, qui avait eu son compte d’émotions, se mit à le suivre tranquillement.

      En chemin, Yudhisthira en l’occasion d’étudier plus en détail l’endroit où il se trouvait. Si les murs semblaient en pierre bien solide, elles accusaient une certaine élasticité au toucher. Certaines avaient des motifs étranges, ressemblant à des veinules. En tous cas, l’humidité ambiante et la mousse qui recourait les parois montraient que l’endroit n’était pas très fréquenté et encore moins entretenu. Le tout donnait une impression de vieillesse antique, antédiluvienne ; ce bâtiment, palais ou forteresse, devait assurément tenir beaucoup plus de l’archéologie ou du mythe, que de la poliorcétique. Mais pas à cause de la poussière ou de toiles d’araignées partout, puisque ces deux éléments brillaient par leur absence. Pas non plus à cause d’éboulements, de pierres fendues, ou de l’air lourd habituellement classique dans un bâtiment ancien. Non, c’était comme si le couloir avait été construit récemment mais déjà vieux, en pierres patinées par un temps qu’elles n’avaient pas vécu. Dès sa réalisation, l’endroit avait été ancien ; comme si l’architecte lui avait donné un design usé artificiellement, pour coller à un paysage lui-même multiséculaire.

      Tout à ses réflexions, le héros déboucha sur un couloir perpendiculaire beaucoup plus large et plus haut que celui d’où il sortait. Au loin, sur la gauche, on entendait un son de soufflerie irrégulier, presque un halètement, dont le bruit remplissait toute la pièce. Un cri arrêta le demi-dieu :

      « Halte ! Qui va là ? »

      Yudhisthira répondit avec un sourire à faire fondre un iceberg :
      « Bonjour ! Je suis Yudhisthira Dharma ! Et vous ?»

      L’autre répondit, bien que dans la situation et le lieu présents, il aurait eu toutes ses raisons de se méfier :

      « Lieutenant Miyo Rebû, du 1er RIM du HMW ! Mais… Comment vous avez fait pour…»

      L’homme arborait bien un uniforme, quoiqu’un peu usé, de lieutenant d’un Régiment d’Infanterie de Marine. Mais son visage hâve, sa barbe de trois jours et des poches sous les yeux attestaient qu’il était soumis à des conditions de vie particulièrement éprouvantes. En même temps, quand on vit au détour du couloir d’une forteresse visiblement abandonnée…




      Le lieutenant n’eut pas le temps de finir sa phrase : Une lumière aveuglante apparu sur la droite, tandis qu’un ouragan, venant des profondeurs de la gauche emporta Yudhisthira. Le demi-dieu vola, se rapprochant dangereusement de la lumière au bout du tunnel ; il se sentit expulsé au son d’un grand :

      « AAAAAAAAAAAAAAAAIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii… »

      Un aveuglement. Une sensation de vertige. De perte de repère. D’une chute qui s’accélère dangereusement, puis d’un contact rude et désagréablement mouillé. Plongé dans l’eau, Le demi-dieu autoproclamé fit rapidement surface, pour entendre :

      « …aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIDE ! »

      Et, dans un grand plouf, le vieillard chevaucheur de taureau vint faire un beau plat juste à côté de lui, assorti d’une gerbe d’éclaboussements. Visiblement, il devait passer plus de temps sur le dos d’un bovin que dans l’eau, car il se mit à couler comme une masse. Sans hésiter, n’écoutant que son courage légendaire et sa serviabilité proverbiale, lesquels n’avaient de toute façon pas besoin d’être beaucoup sollicités puisqu’il était déjà dans l’eau, Yudhisthira s’enfonça à nouveau pour récupérer le vieil homme.



      ***


      L’heure suivante fut mise à profit par Yudhisthira pour s’apercevoir que l’homme appartenait à la marine, pour le remettre aux autorités, et pour parler à un officier baraqué dont l’impression qu’il donnait de s’adresser à un ours portant des lunettes de soleil et fumant un barreau de chaise était au diapason de son amabilité. Il avait expliqué au demi-dieu que l’altercation avec les révolutionnaires était terminée, que la menace avait été jugulée grâce à l’action efficace de son équipage, que tout était sous contrôle, qu’il n’avait pas besoin d’aide, merci bien, et que le seul moyen pour l’agent du CP5 de se rendre utile tout en continuant sa mission était d’accompagner l’escorte emmenant des révolutionnaires prisonniers dans la prison la plus proche en attendant qu’ils soient jugés. Comme ça, lui-même pourrait…, heu… Pourrait s’occuper de finir la pacification de l’île avec des gens de confiance, tout en ne s’inquiétant pas trop de ce qui pourrait arriver à l’escorte.


      ***



      Le héros pris donc place à bord de l’Alcatraz, un navire rapide de la Marine. A ce moment, alors que l’Alcatraz appareillait, Mathusalem le Torero, qui devait être son coéquipier, vint s’adresser à lui :

      « La légende des mers, le héros victorieux, moi. Pludbus Céldeborde ! Prêt à en prendre de la graine mon grand ? Ahah ! »

      Céldeborde, Céldeborde, Céldeborde… Comme tous les agents du CP, Yudhisthira avait suivi des « cours de personnalités » pendant son apprentissage, cours qui permettait à un agent de connaitre le nom, la position et quelques éléments de biographie de la plupart des gens occupant ou ayant occupé un poste d’importance dans le monde. Cél… Ca y était ! Pludbus Céldeborde ! Yudhisthira se rappelait maintenant, au milieu de ses notes, le nom de l’ancien amiral en chef, suivi du seul commentaire qu’en avait fait le prof et qu’il avait retranscrit mot pour mot : « Bon, lui, je vous en fait cadeau. Ca vaut pas la peine qu’on en parle ! »

      Cependant, certains mots avaient fait écho dans l’esprit du demi-dieu… Légende ? Héros ? Yudhisthira descendit des hauteurs où il planait d’habitude pour regarder pour la première fois le vieil homme. Et il n’y avait pas à en douter.

      Les yeux du vieillard étaient éteints, ou ne reflétaient qu’une bêtise sénile. Comme si les neurones avaient fermé boutique des années plus tôt et qu’il vivait depuis en pilote automatique. Sa bouche ridée, tordue en un sourire débile, n’aidait pas vraiment. Le visage fripé, les cheveux si épais et si incultes que pour y mettre un peu d’ordre il aurait fallu y aller au lance-flammes, le corps malingre prêt à se rompre au moindre coup de vent, vêtu d’un uniforme d’un autre temps, désignaient à coup sûr un ancêtre dont le job consistait à passer le balai patiemment et toujours dans le même coin, sous les moqueries d’hommes plus jeunes qui l’appellent « grand-père » ou « vioque ».

      C’était là qu’il fallait se méfier.

      En règle générale, les petits vieux frêles et inutiles n’existent pas. Parce que la plupart du temps, lorsque l’on s’adresse à ce pauvre vieil homme qui bêche la terre ou passe le balai, on ne sait pas que en fait, c’est un ancien moine shaolin, ou un ancien héros à la retraite. Il a décidé de se faire passer pour un vieux fou et de se faire moquer de lui jusqu’à la fin de ses jours, alors qu’il pourrait faire des choses beaucoup plus intéressantes comme, par exemple, sauver tout le monde, ce qu’il est d’ailleurs le seul à pouvoir faire car le mec le plus fort à des kilomètres à la ronde, c’est lui ; mais non, et il faut croire que c’est beaucoup plus marrant comme ça. En général, il s’invente une excuse bidon, mais tout le monde sait bien qu’il n’attend que le moment où il la laissera tomber pour aider le héros car celui-ci le lui a gentiment demandé. Plusieurs fois.

      En fait, il faut faire attention, car un petit vieux, c’est dangereux.

      Yudhisthira se mit à observer le musée ambulant de l’oeuil de celui qui sait. Et quand on sait ce qu’on cherche, et quand on sait où chercher ce qu’on cherche, ben… on trouve ce qu’on cherche où on l’a cherché. Malgré tous ses efforts, l’amiral en chef ne pouvait empêcher ses yeux ardents de refléter toutes les batailles décisives où il avait joué un rôle capital. L’air bonhomme de son sourire ne pouvait dissimuler tout à fait une habitude à donner des ordres et à prononcer des phrases destinées à figurer dans les pages roses du dictionnaire. Le corps sec, le visage tanné par le soleil et les embruns révélaient malgré eux une vitalité hors du commun et un courage exceptionnel. L’auguste crinière du patriarche exprimait, même si il aurait voulu qu’elle n’en fasse rien, une fougue tempérée par une sagesse et une prudence infinie.



      Un mètre plus loin, Chedesire Tatake, le capitaine de l'Alcatraz, relâcha sa tension interne. Les prisonniers avaient été embarqués ; le plus dangereux d’entre eux, Outami Tatatane, était en permanence sous surveillance. L’appareillage était un succès et le navire filait à présent à bonne vitesse vers sa première et seule escale avant la prison. Tout était pour le mieux. Soudain, ce sixième sens capable de détecter les dangers qui lui avait permis de grimper les échelons de la marine le fit se retourner d’un bloc. Et ce qu’il vit l’horrifia. Il faut dire que contrairement au sergent Evan Gelion, bien gentil mais un peu naïf, lui connaissait la réputation, la vraie, de l’ex amiral-en-chef Pludbus Céldéborde. Il avait espéré y couper, mais…

      Il décida de tenter le tout pour le tout, et se précipita afin d’empêcher la catastrophe. Mais déjà, Yudhisthira Dharma, les yeux brillant et le sourire béat comme celui d’un gamin le jour de Noël, disait :



      « Mais alors,…Vous avez dû en faire, des exploits, amiral ? »



      Ooooh non, pensa Chedesire Tatake désespéré. Trop tard.


        Chedesire Tatake avait, en effet, l'évidente raison de penser que cette question de Yudhisthira n'allait pas être sans conséquence. Qui aurait cru que ça allait avoir une influence aussi importante ? Sans doute pas Tatake. Seul un être aussi brillant que Pludbus aurait pu le deviner, mais le doute aurait subsisté sur sa réaction : aurait-il laissé faire et tomber dans le piège en sachant ce qui allait arriver ? Mais surtout en sachant ce que les événements futurs allaient lui apporter ? De cela, personne ne le saura. À part Pludbus, évidemment. Alors que tous individus sains d'esprit en présence du Ciphel Pol et de la Plaie ; c'est à dire tout le monde sauf le Ciphel Pol en question et le vieux sénile ; fuyaient plus ou moins discrètement le secteur pour échapper aux affres du discours enflammé et profondément ennuyant de l'ex-amiral en chef, ce même homme se sentait flatter et heureux de pouvoir ainsi exposer à un jeune novice son immense expérience dans le domaine de la marine, de la Justice et de l'héroïsme, bien entendu.On l'appelait « amiral » en plus ! Certes, c'était encore une faute de goût certaine. On aurait dû dire « amiral en chef » quand on le voyait. Il avait le physique et l'aura du plus haut grade de la marine. Rien de moins. Mais le vieillard pardonna le jeune homme qu'il avait sans nul doute influencé plus tôt pour réaliser l'exploit de les sauver. Sans le don de son intuition Pludienne, le Ciphel Pol n'aurait jamais su faire ce qu'il avait fait. Il prit alors une grande inspiration, prologue d'un déballage d'exploit datant d'un passé aujourd'hui révolu.

        Oh que oui ! J'en ai réalisé des tas ! J'vais commencer par le premier, c'était il y a soixante-dix ans ! Tout a commencé …


        Afin d'éviter le supplice d'un discours aussi rébarbatif qu'inutile, ce dernier ne sera pas retranscrit. De plus, il se passait des choses beaucoup plus intéressantes autre part.

        Cette autre part était dans un premier lieu assez proche. Il s'agissait de Tatake qui rentrait à l'intérieur afin d'éviter toutes les conséquences de la Question, celle qui ne se répond pas par Quarante-deux, mais par bien plus d'anecdotes palpitantes, voir papytantes. Il croisa sur son chemin le sergent Evan Gelion qui comptait sortir pour profiter de l'air marin qu'il aimait tant. Il salua gentiment son capitaine qui lui sauta dessus afin de passer sa frustration sur lui. Ses sens ne le trompaient jamais et quelque chose de terrible se préparait. Ou avait déjà lieu ! Le discours de la Plaie allait peut-être faire perdre les pédales au jeune Ciphel Pol ! Et il ne pouvait rien faire. Ou il ne savait pas quoi faire. Du coup, il passait sa rage sur le pauvre sergent Gelion qui, de plus, avait été chargé de conduire Pludbus à bord du navire. Dans l'esprit alerte du Tatake, le sergent était étroitement lié au spectre de danger qui planait maintenant au-dessus de l'Alcatraz. La colère du capitaine fut rapide, mais intense. Pour le respect du jeune Sergent, le passage ne sera pas décrit. Il fut sauvé in extremis par le docteur en charge de l'Alcatraz qui, voyant l'état dans lequel était Gelion, vint stopper son capitaine qui retrouva bien vite ses esprits. Il s'excusa et préféra s'éclipser, méditer à ce qu'il venait de faire ; était-ce là encore l'influence de la Plaie ? Cet homme était bien décidément terrifiant !

        Le docteur Noah Alakon tenta de rassurer le sergent Green, mais ce dernier était bien trop perturbé pour être rassuré aussi facilement. Le docteur l'emmena à l'infirmerie et le sergent en sortit une dizaine de minutes plus tard avec une interdiction formelle de travailler pour une durée de vingt-quatre heures. Repos absolu. Les ordres du docteur n'étaient pas discutables. Tandis que le sergent alla se reposer dans sa cabine, le docteur vint prévenir le capitaine en second, le vice-lieutenant Kao Kas, qui s'occupait de la gestion du personnel à bord. Celui-ci se trouva bien embêter, car le sergent Green devait s'occuper de la vigie. Regardant la liste des disponibles, il se gratta frénétiquement la tête : personne n'était disponible. Il décida ainsi de diminuer la surveillance des prisonniers ; cinq hommes en étaient chargés alors qu'ils étaient derrière des barreaux ! C'était beaucoup trop. Ainsi, il fit transmettre au matelot Jam Bono de rejoindre la vigie. Une chose que Kao Kas n'avait pas pris en compte, c'est que Jam Bono n'était pas très adroit. C'est pour cette raison qu'on lui avait donnée pour tâche de surveiller les prisonniers, ça ne demandait pas de capacités énormes. Une bonne nouvelle aurait été que Jam Bono, conscient de ses limites, serait allé voir le vice lieutenant pour le prévenir de cette situation. Or, Jam Bono avait bien trop de bonne volonté pour refuser une telle confiance à son égard. Il monta donc à la vigie avec la plus grande détermination.

        Quelques instants plus tard et ce fut le docteur Alakon qui vint diagnostiquer diverses fractures au matelot Bono après être tombé à la moitié de son ascension. Chose honorable à son actif, l'équipage aurait plutôt parié sur une chute au quart, preuve qu'il était vraiment déterminé. Évidemment, le docteur interdit à Bono de reprendre le travail et il fut amené à l'infirmerie dans l'indifférence manifeste du vieillard et du Ciphel Pol qui était toujours en pleine discussion. Tout du moins, Pludbus discutait. Le capitaine en second Kao Kas s'arrachait maintenant les cheveux. En plus de la blessure Bono, il y avait celle de deux autres matelots qui avaient cru bon de servir de matelot à Jam Bono. Ce fut trois individus en moins dans l'équation. En l'absence du capitaine Tatake qui, aux dernières nouvelles, priait devant des bougies dans sa chambre, Le vice-lieutenant Kas avait tout pouvoir. Il aurait dû en parler à Tatake, mais il prit la décision de retirer, à nouveau, trois individus en charge de la surveillance des prisonniers pour le même motif qu'auparavant ; ils allaient pas s'échapper.

        C'est ainsi que les trois individus se moquèrent gentiment du caporal Teki Toie sous prétexte qu'il avait tiré le bon numéro en étant pas sélectionner par le vice-lieutenant Kas. Ce dernier fut plutôt ravi de la situation. À côté, les révolutionnaires sentirent une occasion de se libérer de leur chaine. Après une heure de discussions aussi silencieuse que lente, l'un d’eux se mit à se plaindre de douleur au ventre. Le caporal Teki Toie mit un peu de temps avant de se décider à appeler le médecin, utilisant pour ce faire un pécore qui passait par là. On vint alors lui signaler que le médecin était bien trop occupé à soigner les fractures des matelots et les brulures par bougie du capitaine Tatake. Et le révolutionnaire continuait à gémir tandis que ses camarades houspillaient sur l'inhumanité de la marine et sur les conditions infâmes de leur captivité. Titiller dans sa fibre humaine, Teki Toi ouvrit la cellule, alors qu'il n'aurait jamais dû le faire seul. Évidemment, tous les révolutionnaires étaient ferrés individuellement. Il vint au côté du malade qui le monopolisa avec brio pendant une poignée de minutes. Finalement, le caporal constata qu'on s'était moqué de lui et il sortit de la pièce, en colère, refermant derrière lui. Dans sa mauvaise humeur, il ne vit pas qu'il manquait un révolutionnaire. Comment avait-il fait pour se libérer ? C'était le matelot Jam Bono qui l'avait ferré. Comme quoi, sa chute n'avait pas été la première erreur de sa journée.

        Cacher quelque part, un révolutionnaire attendait patiemment le moment pour libérer ses camarades. En pleine mer, ils n'avaient aucune chance de s'échapper ; les marines étaient quand même plus nombreux. Toutefois, non loin d'une ile, ils avaient toute leur chance de s'échapper. Ce moment, il finirait par arriver. Forcément.

        Tout cela, tout ce qui s'était passé, Tatake y avaient échappé.Il se sentait mieux. Le bateau était entier. Le danger semblait passer. Certes, il y avait laissé des cheveux en se penchant un peu trop fort sur ses bougies, mais peut être que ce sacrifice avait apaisé les dieux. Arrivant sur le pont, il déboula pile au moment ou Pludbus en termina avec son modeste résumé de ses exploits.


        … Et voilà comment ça a fini. T'as pu voir que ça partait d'un petit truc pour finir à une bataille de cette ampleur ! J'crois qu'on appelle ça, l'effet papillon. Jamais compris le pourquoi. M'enfin.
        Ça t'intéresse ? T'en veux encore ?! J'suis sûr que oui !


        • https://www.onepiece-requiem.net/t2303-fiche-du-vieux-pludbus
        • https://www.onepiece-requiem.net/t2255-toujours-pas-six-pieds-sous-terretermine-meme



        « o… »

        « NOOOOOON ! »


        Cette fois-ci, le capitaine Chedesire Tatake fut le plus rapide. La sueur au front, les yeux hagards, la main tendue en avant dans un geste de supplication, il avait l’air d’un homme que la souffrance avait rendu fou. L’espace d’un instant. Puis, il se ressaisit :

        « Hum, je veux dire, … Non, sous-lieutenant Celdèborde et… Monsieur, je suis sûr que ce serait... Intéressant, mais malheureusement, vous n’aurez pas le temps : nous allons faire escale sur l’île d’Hakirira incessamment sous peu ! Ce serait idiot de gâcher une belle histoire ! Ce que vous devriez faire, c’est aller vous balader pendant qu’on refait le plein de vivres ! Oui oui, c’est ça, allez vous balader longtemps ! »

        Et, dès que les manœuvres d’approche furent achevées et que l’Alcatraz fut à quai, le capitaine les poussa, gentiment mais avec une fermeté absolue, vers la passerelle. Sur le coup, Yudhisthira était perplexe : aller à la découverte de l’île était bien gentil, mais si jamais ils rencontraient une veuve dans le désespoir, battue par son mari ? Un orphelin en pleurs, maltraité par ses parents ? Des habitants vivant dans la crainte qu’un tyran fou, sanguinaire, dépravé et autoritaire les fasse surveiller par une police secrète, voire pire, leur fasse payer des impôts ?

        Parce que, partout où un héros pose le pied, des problèmes surgissent de façon à ce qu’ils puissent les régler. C’était obligatoire : des îles entières vivent dans la joie et la bonne humeur, jusqu’à ce qu’un héros débarque chez eux. En réalité, le problème surgit souvent quelques jours avant, pour faire plus crédible : les méchants les plus intelligents se basent d’ailleurs sur ça pour prévoir à l’avance quand un héros va venir leur casser les pieds. Grâce à un savant calcul basé sur des études statistiques, ils arrivent à savoir l’heure d’arrivée du gentil sauveur à 10 minutes près. Si, si.
        D’où le problème de Yudhisthira : si il était obligé de sauver la veuve et l’orphelin, voire les habitants, ce qui ne manquerait pas d’arriver, qui empêcherait les révolutionnaires de tenter de s’enfuir pendant ce temps-là, si l’envie leur en prenait ? Le demi-dieu autoproclamé se retourna vers son aîné dans l’héroïsme, lequel ne semblait pas se faire autant de soucis. Il avait commencé à descendre de la passerelle en simulant à la perfection des rhumatismes. En chemin, il jeta un regard plus qu’appuyé vers deux jeunes filles qui bronzaient sur la plage, non loin. Il avait bien raison, d’ailleurs. C’étaient peut-être des espionnes au compte du tyran de l’île.


        ***


        Dans les entrailles du navire, Kentô Rami-Setatami le révolutionnaire n’en croyait pas sa chance. Grâce à un subterfuge grossier, ses amis lui avaient permis de s’enfuir. Il ne lui restait plus qu’à trouver où était leur chef, Outami Tatane, qui avait été enfermé à part, et à le libérer à son tour ; alors, les séides de l’injuste gouvernement ne pourraient plus rien contre eux. Le navire n’avançait plus, il devait être à quai. Il serait donc facile de s’échapper…

        Progressant rapidement dans l’entrepont, il arriva à l’infirmerie. A l’intérieur, le docteur Noah Alakon s’activait autour de ses 3 patients. Noah Alakon avait été recruté par le Gouvernement comme médecin grâce à ses excellentes qualifications ; enfin, excellentes pour la Marine : avant de s’engager, il avait été barbier. Ses soins laissaient donc à désirer, mais ses patients ressortaient toujours de l’infirmerie avec une coupe impeccable. Globalement cependant, il mettait beaucoup de temps et de cœur, à défaut de talent, pour soigner les autres ; aussi il ne méritait vraiment pas le nom qu’on lui avait injustement attribué. Ni ce qui allait lui arriver.
        Profitant de ce que le Dr Noah Alakon était en train de nettoyer le contenu d’un flacon d’acide chlorhydrique que Jean Bono avait fait tomber quand on l’avait installé sur son lit, le révolutionnaire Kentô Rami-Setatami lui sauta dessus et l’assomma d’un grand coup de tabouret. Puis, il le déshabilla, l’enroula dans des bandages serrés et le mit dans un lit.
        Enfin, portant la tenue du docteur, Kentô ressortit de l’infirmerie et se remit à arpenter les coursives avec assurance, cette fois-ci, et sans se cacher.


        ***


        Yudhisthira et son nouveau mentor arpentaient la ville d’un air nonchalant. Le demi-dieu autoproclamé avait déjà aidé trois grand-mères à traverser, empêché l’échafaudage d’un peintre de basculer dans le vide et arrêté un voleur à la tire, le tout sous l’œil bienveillant de Pludbus. Ce dernier n’avait pas manqué de l’abreuver d’anecdotes passionnantes sur sa vie d’amiral-en-chef. A l’entendre, pas une heure n’avait passé sans qu’il ne déjoue une situation complexe quelque part dans le monde, et le demi-dieu ne parvenait pas à comprendre pourquoi, finalement, il avait été remercié.

        Arrivant dans l’allée principale près du port, les héros, autoproclamés tous deux, trouvèrent une grande foule de gens se baladant, regardant et faisant beaucoup de bruit, comme ils savent si bien le faire. Ils semblaient tous très excités. Au cas où, Yudhisthira aborda un passant :

        « Dites-moi, monsieur, que se passe-t-il ici ? Il y a un problème ? »

        L’homme se retourna pour rabrouer son interlocuteur, observa un instant le jeune héros, puis opta pour la méthode douce :

        « Bien sûr que non, jeune homme ! C’est le jour de la Grande Régate ! »

        Puis il se retourna et repartit, comme si sa réponse expliquait absolument tout pour n’importe quelle personne normalement constituée. D’un bond Yudhisthira le rattrapa, l’arrêta avec l’aplomb du héros qui sait qu’il vient de trouver le personnage secondaire qui va lui donner des informations capitales pour la suite du rp, et lui demanda :

        « Excusez-moi… la Grande Régate ? »

        « Mais oui, enfin ! La Grande Régate ! »


        Devant l’air égaré de son interlocuteur, et parce qu’il ne pouvait pas ne pas renseigner un jeune homme aussi avenant, il poursuivit :

        « Ah, vous n’êtes peut-être pas du pays ? Hé bien, la Grande Régate, c’est une course qui a lieu tous les ans à Hakirira ! Les navires partent du port fluvial, descendent le fleuve jusqu’à son embouchure, font le tour de l’île par la gauche en suivant la côte, puis ils remontent le fleuve à contre-courant ! C’est l’évènement de l’année ! On rassemble des régatiers de partout dans West Blues ! On dit qu’il y a même le grand navigateur Rance Ameçong qui est venu ! Il ne faut pas rater ça !»

        Yudhisthira remercia l’homme, et le laissa repartir. Une régate, à priori, ça n’a rien d’héroïque. Il se retourna vers Pludbus pour avoir son avis, mais ce dernier regardait avec obstination un troupeau de groupies en délire qui escortaient leur idole. Pour ce qu’en savait le jeune demi-dieu, ça pouvait tout aussi bien être des veuves potentiellement en détresse. Après tout, on ne sait jamais.


        ***


        Dans les entrailles de l’Alcatraz, Kentô Rami-Setatami n’en menait pas large. Il avait erré dans les coursives sans retrouver son chemin, s’était fait regarder de travers par beaucoup de marins, et il avait dû plus d’une fois se cacher dans l’embrasure d’une porte pour éviter de recroiser une deuxième fois la même personne. S’il savait la vérité, il aurait été encore moins à l’aise : le sergent Evan Gélion, qui quoiqu’un peu niais, faisait bien son boulot, l’avait reconnu. Au lieu de hurler « à la garde ! » comme le ferait évidemment tout marin de base, le sergent était allé voir son supérieur direct, le vice-lieutenant Kao Kas. Ce dernier, voulant éviter un nouveau pétage de plomb de la part de son capitaine, avait pris les choses en main, et à présent, suivi d’une forte escouade de marins, il courait à bonne allure vers l’endroit où le révolutionnaire fugitif avait été aperçu pour la dernière fois. Ce dernier les avait vu et avait commencé à courir lui aussi, mais la distance diminuait, et le moment approchait où la vadrouille du prisonnier ne serait plus que du passé ; le vice-lieutenant s’apprêtait même à prononcer la phrase rituelle :

        « Le voilà ! Saisiss… »

        Quand tout à coup, il se prit les pieds dans un balai et un seau qui traînaient au milieu du couloir, entraînant ses hommes dans sa chute. Décidément, Jean Bono commençait à les accumuler, aujourd’hui.
        Soufflant comme un phoque, parce que l’enthousiasme et les idéaux qui remplacent en général chez les révolutionnaires l’entraînement militaire et la pratique ne l’empêchaient pas pour autant de passer outre les effets de la nicotine, Kentô Rami-Setatami entra dans une pièce. Regardant autour de lui, il vit un garde, étouffé et pendu au plafond. Et au centre de la pièce, Outami Tatane, le dangereux révolutionnaire, toujours menotté mais pas moins dangereux, qui regardait son lieutenant en souriant.


        ***


        BRAOOOUUM !

        La foule sur le port se figea un instant, ainsi que le demi-dieu et le demi-vieux. Une explosion avait secoué l’air tranquille du port. Une explosion qui venait de l’Alcatraz.
        Sans hésiter, n’écoutant que son instinct de jeune héros, Yudhisthira se précipita vers l’endroit d’où semblait vaguement provenir le bruit, sans se soucier, cette fois, de son aîné. De toute façon, s’il y avait un grave problème, ce dernier le rejoindrait au bon moment pour tout régler. Alors, pour l’instant, il pouvait bien reluquer la serveuse du bar le plus proche…


        … Histoire de vérifier qu’elle n’est pas une enfant maltraitée, bien entendu.
          La question que tout le monde se pause à ce moment, c'est « que s'est il passé sur le navire pour en arriver à une explosion ? » C'est une question pertinente qui mérite réponse. Outami Tatane est un dangereux révolutionnaire. C'est pour cela qu'il a été enchainé et mis de côté. Ainsi, quand un dangereux révolutionnaire se trouve en liberté après un court passage dans une cellule, celui-ci est en droit d'exprimer son mécontentement quant à ses conditions de détentions qui sont parfois inhumaines dans certains bâtiments de la marine. Ainsi, non content de les capturer injustement, les marines se font coupable d'actes inhumains envers des révolutionnaires. Les plus méchants auront tendance à se questionner sur l'existence d'une humanité chez les révolutionnaires, mais cette question triviale ne trouvera pas sa réponse ici. La principale chose à garder en tête est que Outami Tatane a certaines raisons de déprécier les conditions de détentions. La soupe était froide et le marine qui lui a apporté à tout fait tomber sur lui. Jean Bono ? Non. Il ne peut pas être responsable de toutes les misères du monde. Les plus attentifs noteront que c'est heureux que la soupe ait été froide. Chaude, Outami Tatane aurait d'autant plus déprécié que le contenu de sa soupe lui sert de douches. En parlant de cette dernière, il n'y a pas eu droit. Pourtant, il l'a réclamé. C'est bien le seul avantage à être marine, on y a droit à des douches chaudes. La propreté n'est pas toujours l'objectif numéro un des révolutionnaires. Cela passe toujours après les armes, les prospectus et les crayons gratuits tagués aux mots de « Écris toi même le monde de demain ! ». De ce fait, et comme Outami Tatane est un dangereux personnage, celui-ci a exprimé la piètre qualité du service des cellules en éventrant la porte de sa cellule et en courant tabasser un vice-lieutenant Kao Kas tout de suite moins chaud à l'idée de s'opposer à un monstre de puissance. Pourtant, les remontrances qui allaient lui retomber dessus, plus tard, via un rapport d'hygiène et d'insalubrité des cellules rédigé par le fonctionnaire des fonctionnaires, le célèbre Trovahechnik, allaient bien plus lui couter que quelques bleus et fractures. D'autant plus qu'une médaille aurait pu être décernée pour cet acte d'héroïsme digne d'un Yudhisthira. C'est dire qu'il a raté une sacrée occasion. Le seul qui mérita une médaille dans cette affaire, c'est, par le plus grand des hasards, ce brave Jean Bono, car le balai et le sceau eurent eux aussi raisons de l'effet de surprise d'Outami Tatane, mais qui renforça toutefois sa fureur.

          Par la suite, il ne fallut pas longtemps pour que le chaos s'installe sur le navire. En l'absence du capitaine, s'étant enfermé pour prier, l'équipage eut l'idée audacieuse de bloquer l'accès aux autres cellules pour qu'aucun autre révolutionnaire ne puisse être libéré. Pour cela, bien d'autres endroits du navire furent abandonnés aux désirs de toute faire péter d'Outami Tatane. La réserve de poudre est l'un de ces endroits qu'il fallait autant surveiller que la cellule. C'est avec quatre barils de poudre sous les bras qu'il vint balancer sur le blocus de marine. L'explosion qui s'en suivit eut raison de toute volonté de résistance. La déflagration fut telle quelle qu'elle fut audible dans toute la ville. Heureusement, la panique ne prit pas la foule, convaincue que cela faisait partie du cérémonial pour lancer la Régate. L'explosion se produisit pile au moment où on donnait le coup d'envoi de cette fabuleuse course où une centaine d'embarcations allait concourir pour un titre de champion tant convoité. La course devant se passer autour de l'ile, les participants usèrent de trésors d'ingéniosité et de témérité pour débouler en premier en bas du fleuve afin d'avoir une sérieuse option sur la victoire. C'était évidemment l'option privilégiée par Rance Ameçong qui allait tenter de pêcher pour la septième année consécutive le trophée. Évidemment, tous les concurrents allaient rapidement passer près de l'Alcatraz, enfin, de ce qu'il en restait.

          ♥♥♥

          Rance Ameçong, c'était ce bellâtre au fort accent de West Blue qui paradait en compagnie de sa meute de groupies. Cela lui avait attiré les foudres de Pludbus Céldéborde qui, parce qu'il était un sauveur de l'humanité, devaient garder l'anonymat et ne pas gouter aux fruits de la notoriété. Cela semblait être la même situation pour son compère du moment, Yudhisthira Dharma, qui travaillait d'arrache-pied pour sauver des vies et rendre le monde plus beau, ne s'attirant au final que des mercis polis de la part de vieille grand-mère presbyte. Ce n'était pas très glorieux, mais il ne semblait pas s'en préoccuper. Il était de la trempe de ceux qui sacrifient leur vie pour une cause qu'ils croient juste. Ceux qui protègent le monde dans l'ombre afin que celui-ci soit dans la lumière. Des hommes comme Pludbus, dont l'image avait oublié, ou qui n'a jamais été retenu dans l'esprit des gens, tout cela pour faire du monde, un monde beau.

          Pludbus était plutôt fier de ce Dharma. Héroïque, il brillait par son talent. Respectueux, il écoutait avec passions les histoires de Pludbus où le vrai et le faux se mêlaient avec un talent travailler pendant des années par l'ancêtre. Qu'importe l'altération de la vérité, c'était le message et le fond de vérité qui comptait. Qu'importe si Pludbus avait été responsable de la mort de nombreux innocents, il avait vaincu un grand méchant. Qu'importe ses déboires dans le Nouveau Monde, il avait tenu en échec des Empereurs. Yudhisthira était un public encore plus attentif qu'un enfant incapable de comprendre. Il posait toujours les bonnes questions pour donner à Pludbus l'envie de continuer ses récits. Pendant que Pludbus parlait, celui-ci ne cessait de sournoisement observer le défilé de jeunes filles en fleurs émoustillé par tant de stars se pavanant au soleil en montrant leurs biceps de sportifs. C'est qu'il y avait de jolis physiques. Pour tous les gouts. Heureusement, Pludbus n'est pas difficile. Il avait donc un très gros choix. Son associé, qui était aussi inconnu que Pludbus dans cette foule, avait tout de même l'avantage de pouvoir fendre la foule avec une facilité déconcertante. Pludbus profita de ses moments pour se glisser dans son passage et activer ses mains avec une réussite déconcertante, caressant les formes et les courbes, profitant du chaos relatif de la foule pour s'exécuter sans coup férir.

          C'est donc avec un regret immense qu'il vit Yudhisthira Dharma s'en allait vers le bateau avec la rapidité qui sied aux héros de ce monde. Cette explosion faisait résonner en lui son instinct de sauveur. Il ne pouvait y résister. Pourtant, il aurait dû se douter que Pludbus était dans une situation inconfortable. Non content de reluquer une serveuse toute proche, voilà qu'il se trouvait à la vue de tous, sans aucune couverture, avec une main explorant l'intimité féminine d'une jeune groupie portant une jupe magnifiquement trop courte. « Pris la main dans le sac » est une expression qui aurait été assez peu vraie quand on regardait de près la jeune demoiselle constatant qu'un vieillard ridé portait atteinte à son honneur. Elle était loin d'être un sac. Toutefois, cela ne l'empêcha pas de faire valdinguer le paquet de Pludbus.

          Le monde est si cruel.

          ♥♥♥

          La rapidité n'était pas le fort de Pludbus. Celui-ci arriva donc avec un retard certain sur Dharma, sans compter le temps qu'il dut prendre pour s'en remettre d'un coup de pied trop bien placé. Ce fut donc le héros du CP5 qui vint débouler en premier sur la scène d'un Alcatraz en proie aux flammes et au chaos. Un trou béant prenait un quart de la coque, là où Outami Tatane s'était amusé avec l'argent et la poudre du contribuable. Les révolutionnaires fuyaient le navire comme des rats. Le fier bâtiment de la marine avait perdu suffisamment de son équilibre pour commencer à couler, l'eau s'engouffrant dans chacune des pièces du bâtiment, en partant par celle de la poupe. Saucissonné et pendu par le mat, le capitaine Chedesire Tatake hurlait des phrases sans queue ni tête tel un damné. Une mission si facile qui tournait à l'enfer, cela ne pouvait être que l'oeuvre du démon. Même si Pludbus devait être responsable dans son esprit brisé, la présence du jeune Dharma ne lui semblait pas si innocente. Partagé entre ces deux boucs-émissaires, il perdait de plus en plus de la cohérence dans son discours et commençait à prendre le ciel pour témoin. Outami Tatane ayant laissé le capitaine à son lieutenant, Kentô Rami-Setatami eut la présence d'esprit de l'attacher que le capitaine commença à vouloir mordre trucider les révolutionnaires. Il finit rapidement pendu par les pieds quand ils s'aperçurent que la dentition du capitaine Tatake pouvait faire des ravages chez les oreilles des révolutionnaires. Le reste de l'équipage fuyait en tout sens, lui aussi. Kao Kas s'était déguisé en pirate pour mieux s'enfuir. Jean Bono avait tenté de fuir, mais il avait échoué et se trouvait maintenant, les armes à la main, en train de combattre pour sa vie et celle de Noah Alakon qui avait à son actif la réalisation de la superbe coupe à l'iroquoise qu'arborer Jean Bono à l'heure actuelle. C'est dans ce climat légèrement apocalyptique que le héros arriva en premier. Et en pareilles circonstances, celui-ci avait fort à faire.

          ♥♥♥

          Pludbus déboula donc sur le port avec un temps de retard, pas trop long, mais suffisamment pour que le héros fasse étalage de son talent et de sa classe inégalable dans l'action de lutte contre la révolution et le mal. Constatant un champ de bataille que Yudhisthira Dharma ne manquera pas de vous décrire, il s'aperçut bien vite qu'il était sensiblement dans le chemin d'un groupe de révolutionnaire mené par un Outami Tatane sentant que c'était le bon moment de fuir loin du gentil comme tout bon méchant qui se respecte alors qu'il aura pu constater de l'héroïsme de Yudhisthira Dharma et qui en était finalement sorti vivant, ce qui prouvait bien qu'il était le méchant de l'histoire, car celui-ci devait survivre un peu plus longtemps pour que l'histoire ait un intérêt. Comme tout bon méchant, Outami Tatane se décida à prendre un otage afin de faire pression sur le héros qui devait le suivre de près. Généralement, ce sont des femmes qui sont prises. Car elles sont faibles, souvent, mais aussi parce que ça ajoute un peu de charmes quand le héros arrive à sauver la demoiselle qui s'évanouit dans les bras de son héros. En l'absence de candidates suffisamment attirantes pour être d'un intérêt pour le héros, Outami Tatane se rabattit sur le vieillard de service, Pludbus, se souvenant de l'homme comme, étant l'un des responsables de sa capture. Si Pludbus devait être d'un quelconque intérêt pour Yudhisthira Dharma, Outami Tatane aurait alors un moyen de pression d'importance contre le héros. Toutefois, c'est généralement parce que c'est le cas que le héros s'empresse de poursuivre le méchant, car le héros n'abandonne jamais, lui.

          D'une main, il se saisit donc de Pludbus et sauta dans une embarcation de pêcheur. Ses compères révolutionnaires firent le nécessaire pour quitter les docks rapidement. Un révolutionnaire se sacrifia même pour empêcher Yudhisthira Dharma de les rattraper. Pludbus tenta de s'opposer à la manoeuvre avec toute la force et la détermination dont il pouvait faire preuve, mais Outami Tatane était bien trop puissant, pour le moment, pour que Pludbus en sorte vainqueur. Et puis, c'était trop tôt. Il se contenta donc d'un clin d'oeil discret vers son acolyte comme pour lui signaler que tout était sous contrôle et qu'il allait sortir une botte secrète de sa barbe afin de faire basculer la chance de son côté.

          C'est à ce moment-là que le bateau de pêche entra dans le peloton de la régate qui venait de sortir du fleuve.
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          Le lieutenant Kao Kas était fier de sa capacité de réaction. Après avoir suppléé à un capitaine à l’esprit aussi ferme qu’une guimauve, il avait lutté avec courage à défaut d’efficacité contre l’évasion des révolutionnaires. D’ailleurs, ce n’était pas sa faute : dans tout West Blues, le fait d’avoir le matelot de 2e classe Jean Bono à bord était reconnu comme une circonstance atténuante pour à peu près n’importe quoi. La légende voulait que le jour de son engagement, c'est-à-dire il y a 6 mois, tous les navires d’une flotte amirale s’étaient rentrés dedans à cause de son inattention. A vrai dire, on commençait déjà à l’appeler « Céldèborde Bis ».

          Maintenant, Kao Kas avait réagi une fois de plus avec promptitude : estimant qu’il fallait forcément quelqu’un pour rapporter le naufrage aux autorités navales, il avait décidé de se déguiser en pirate pour échapper au carnage. Il traversa discrètement le pont livré au chaos, protégé par son déguisement, passa par-dessus le bastingage mine de rien, et s’engagea sur la passerelle sans en avoir trop l’air. Il se pensait sauvé, quand tout à coup son visage rencontra le contact dur d’un pied lancé à pleine vitesse. Le lieutenant fut projeté en l’air et percuta avec force le mât principal, tandis que Yudhisthira acheva son entrée stylée avec l’air heureux de celui qui vient de coller une rouste à un méchant vilain. En quelques bonds, le héros autoproclamé fut sur les révolutionnaires. A travers un brouillard rouge, Kao Kas vit l’agent du CP se débarrasser d’eux ; ils n’opposèrent pas trop de résistance, parce qu’ils n’étaient là que pour le décor et en quelques secondes, le docteur Noa Halakon et Jean Bono étaient sauvés. Et en plus, ils semblaient indemnes, sauf en ce qui concerne les cheveux pour Jean Bono. Kao Kas commença à s’enfoncer dans le coma en grommelant : de toute façon, il y en a toujours que pour les mêmes…


          ***

          Quelques instants plus tard, Yudhisthira courait  sur la jetée tout en réfléchissant. C’était un apanage des héros de pouvoir penser en profondeur tout en courant. Ca permettait de ne pas perdre de temps, de ne pas ralentir l’intrigue et ça fait aussi de jolies transitions. Naturellement, ça influe aussi sur les capacités de raisonnement dudit héros, mais en général ce n’est pas grave, car tout héros qui se respecte a un ami ou un PNJ qui réfléchit à sa place ; ou alors, le dieu des Bonnes excuses, des Rencontres Fortuites et des Coïncidences Incroyables s’arrange pour que les évènements s’adaptent à ses conclusions erronées pour qu’il n’ait pas l’air d’un imbécile.

          C’était étrange que Pludbus se soit laissé prendre comme otage. Si Yudhisthira avait été à sa place, il aurait fait en sorte d’intercepter les révolutionnaires. Mais pas le vieux héros. D’un autre côté, les demi-dieux à la retraite ont souvent en tête des données que les plus jeunes ne peuvent même pas espérer comprendre. Par exemple, pour une raison obscure, il est vital pour eux de ne révéler qu’ils sont les plus forts qu’au dernier moment. Peut-être qu’ils trouvent rigolo de se laisser insulter, voire capturer, tout en pensant derrière leur sourire ridé : « Et si tu savais, mon pauvre… ».  

          De toute façon, son aîné en héroïsme lui avait fait un clin d’œil au moment d’être emporté. Il avait donc bel et bien un plan. Parce que c’est bien connu, c’est quand ils sont prisonniers que les héros sont les plus dangereux. C’est à se demander pourquoi les méchants persistent à vouloir les capturer.


          ***

          Au moment où Yudhisthira atteignit le bord de la jetée, le bateau de pêche était déjà loin, perdu au beau milieu du peloton. Le demi-dieu prit alors son élan, sauta vers l’embarcation la plus proche et atterrit dans la voilure. Entourant de ses mains et de ses bras l’étroit mât, il se laissa ensuite doucement glisser sur le pont. Ses exploits ne furent pas inaperçus, car quand il se redressa, ce fut pour se retrouver face-à-face avec un homme d’âge mûr, un peu bellâtre, dont un maillot jaune moulait les muscles impressionnants. Rance Ameçong, car contre toute attente, c’était lui, le toisa de toute sa hauteur :

          « Hey ! Que faites-vous sur my boat ? »

          Yudhisthira hésita un instant. Pas longtemps, juste le temps de mettre en valeur un sourire qui fit pâlir un instant le soleil. Puis :

          « Euh… Dites-moi, monsieur, il est rapide votre bateau ? »

          « Naturally ! C’est le Petit Baigneur, after all ! Et…»

          « Parfait. Suivez ce navire de pêche ! »


          L’assaut de classe éblouissante du héros subit une éclipse soudaine. Soit Rance était trop occupé à s’admirer-lui-même, soit il était lui aussi, en quelque sorte un héros ; en tout cas,  il coupa net :

          « No way ! Cette course, je veux la gagner ! Pour qui vous prenez-vous ? »

          Le demi-dieu autoproclamé ne resta pas démonté très longtemps. Il y a certaines personnes qui ont écrit sur le front « je vais céder si tu insistes suffisamment », et d’autres pour qui un refus ferme n’est qu’un contretemps à peine contrariant.

          « Mais… comment voulez-vous gagner, si vous restez en queue du peloton ? Le but, c’est pas d’arriver en premier ? »

          « Yes, mais… Je vais tous les dépasser à la fin ! Vous voyez,  je ne pas perdre, parce que… »


          La voix du régatier baissa au niveau du murmure :

          « Parce que je suis dopé, y’know. Vous allez voir »


          ***

          Du haut de leur tour d’observation, enflammant une foule de spectateurs qui ne pouvaient pas tout voir, Tafedu Tiramisu et Torade Sushis étaient déchaînés :

          « Que de rebondissements mes amis ! Après l’arrivée inexpliquée d’un navire de pêche au beau milieu de la course, voici que Rance Ameçong, contrairement à son habitude, vient de quitter le peloton ! »

          « C’est vrai que dans toutes les autres courses, il attendait d’être proche de l’arrivée pour accélérer et dépasser tous les autres ! Une tactique qui a porté ses fruits, pourquoi en changer ? »

          « Oh ! Regardez ! Il part à toute vitesse ! Il vient de percuter un autre navire ! Il le repousse ! Tous les autres s’écartent de sa trajectoire ! C’est étonnant quand on y pense, cette faculté de dépasser tout le monde comme ça ! »

          « Oui, c’est vrai que c’est étrange ! Un terrible secret risquerait-il d’entacher notre belle régate ? »



          ***

          Dans une explosion d’éclaboussures, le Petit Baigneur slalomait entre les navires concurrents qui paraissaient comme à l’arrêt. Avec une puissance irrésistible, Lance Ameçong remontait à toute vitesse en tête de peloton, sans que personne ne puisse l’arrêter.

          « Alors, you see ? Je suis imbattable ! »

          Yudhisthira renonça à sa pose très très classe à la proue du bateau, les cheveux au vent et le sourire aux lèvres, entouré de trombes d’eaux qui ne pouvaient l’atteindre, comme si elles ne le voulaient pas.

          « Quand même, … Je voulais vous demander… C’est une régate, hein ? Ce qui compte, c’est la vitesse du navire, pas la vôtre ! Vous dirigez et devez avoir des réflexes, mais ça ne suffit pas ! A quoi ça vous sert d’être dopé ? Ca vous fait pas aller plus vite ! »

          « Well, vous êtes ignorant ! Tous les autres concurrents savent que je suis dopé, même si nobody ne le dit ! Donc, ils savent qu’ils ne peuvent pas me battre, puisque je suis dopé ! »

          « Quoi ? »

          « It’s logical. Quand quelqu’un est dopé, il gagne, c’est tout. Et moi, je suis dopé. Donc je ne peux pas perdre !»


          Tout à coup, un choc ébranla le Petit Baigneur. Le navire fut repoussé de côté, sa vitesse brisée, tanguant très fort. Un des concurrents venait de le rattraper à pleine vitesse, et de l’éperonner, visiblement déterminer à ne pas le laisser gagner le course. Yudhisthira fut propulsé à travers le pont ; il dut de ne pas tomber à la seule présence du bastingage. Il se hissa à la force des poignets vers Lance fermement agrippé à sa barre :

          « Si vous voulez mon avis », fit le demi-dieu autoproclamé au régatier, « Celui-là est un nouveau : il n’a pas dû entendre parler du dopage ! »


          Dernière édition par Yudhisthira Dharma le Ven 26 Juil 2013, 01:01, édité 1 fois
            Outami Tatane est un révolutionnaire depuis son plus jeune âge. Par conséquent, il a forcément eu une enfance difficile qui fait qu'il a beaucoup de reproches envers la Société qui l'a empêché de vivre ses passions pleinement, le forçant à se diriger vers la mouvance contestataire des révolutionnaires. Oui. Outami Tatana était fan de bateau dans son enfance. Les régates, il aimait ça aussi. Il aurait tellement aimé regarder de pareilles courses nautiques, encourageant avec dévotions de grands noms de la régate tels que Bernarino ou Eddy « Mer » Xhe. Mais non, son enfance difficile et tristounette ne put le contenter sur ce point. De ce fait, les seules courses qu'il put voir durant ces jeunes années furent celles en barques commandées par des préadolescents boutonneux et complètement certains de pouvoir traverser la rivière sans soucis même si le gros trou au fond de ladite barque n'inspirait pas confiance. Ce n'était pas très palpitant et acclamer Boudhu ; celui qui lui tirer toujours les cheveux ; est bien moins séduisante que de suivre avec bonheur les aventures d'hommes de la mer tel Rance. Durant toute sa vie de révolutionnaire, il garda cette passion inassouvie au fond de son cœur et n'en parla à personne. Jusqu'à maintenant, il n'eut plus jamais l'occasion de regarder des régates et s'extasier devant de pareil bateau.

            Ainsi, il est évident que de se trouver en plein milieu du peloton d'une régate pour une fan inconditionnelle de cet art, c'est un peu le bonheur incarné. Malgré tout ce qu'il venait de vivre avec ces amis révolutionnaires, Outami Tatane était comme un gosse à Noël. Ces yeux d'enfants qui ont été forcés à devenir ceux d'un adulte brillait alors d'un éclat flamboyant tandis que son regard allait en tout sens pour tout voir, dévorant des yeux le sublime spectacle qu'il s'offrait à lui. C'est à peine s'il entendait les suppliques de ses camarades révolutionnaires qui lui demandaient, inquiètes, ce qu'ils comptaient faire, maintenant qu'ils se trouvaient un peu éloigné de l'illuminé au sourire illuminant, mais un peu trop proche d'une flotte de navires pouvant offrir maintes opportunités de mourir quand on ne s'y attend pas. Outami finit par se calmer et réfléchit à la situation. Il pouvait aisément associer son rêve de gosse à ces objectifs du moment ; la fuite. Son œil expert de fan nautique se rendit compte rapidement que le bateau de pêche n'était pas de taille à rivaliser avec les autres embarcations. Par conséquent, il était évidement qu'il leur fallait changer d'embarcation. Le choix fut vite fait : l'embarcation la plus proche. Celle-ci les collait de près, son skippeur étant d'un naturel suffisamment pour curieux pour se demander à quoi pouvait ressembler la tête de ceux qui auraient eu l'idée de mettre un navire de pêche dans une régate. Ce n'était pas le meilleur bateau, mais c'était assurément le plus mauvais navigateur. Ainsi, lorsque Outami Tatane envoya le pauvre homme à la mer, le navire vit sa probabilité de gagner la course augmenter. Ce détail n'échappa pas aux bookmakers de la course qui s'empressèrent de faire répercuter ce changement à leur fonds de commerce.

            Et Pludbus dans tout ça ? Pludbus était toujours otage. En même temps, Pludbus ne prenait pas beaucoup de place. Recroqueviller dans un coin, il essayait de se faire tout petit alors que son égo était tellement grand. Il n'opposait aucune résistance et semblait même soucieux du bien-être de ces kidnappeurs si cela pouvait les empêcher de faire une bêtise, bêtise qui pourrait entrainer une mort potentiellement douloureuse à Pludbus. Avec pareil otage, il est difficile pour des kidnappeurs de faire la fine bouche. C'est tout de même la crème de la crème parmi les otages potentiels. Ainsi, ils le gardèrent alors qu'ils sautèrent sur leur nouvelle embarcation. Là, les révolutionnaires découvrirent tout le nécessaire pour tricher. Mais attention ! Il ne faut pas confondre tricher et doper. Tricher, c'est interdit. On se donne les moyens de tricher, mais on ne le fait pas. Quels moyens pour tricher ? Des rames et de l'alcool. Jenbar Rheur, fidèle révolutionnaire d'Outami Tatane, avait fait du canoë durant sa prime jeunesse avant qu'une armoire le décide à devenir à abandonner le sport pour la cause révolutionnaire. Toutefois, cette sordide histoire ne sera pas relatée dans le présent récit. De ce fait, Jenbar mit en place le matériel et bien vite, les rames propulsèrent l'embarcation à une vitesse folle, prouvant bien que l'huile de coude de révolutionnaire est bien plus performante que leur matière grise.

            Malheureusement, il y a un détail que les révolutionnaires ne prirent pas en compte en faisant ça, car ils ne le connaissaient pas. Pas même Outami Tatane. Oui, même lui, le grand fan. Dans le peloton, il y a une règle secrète. Une règle sacrée qu'il ne faut pas enfreindre sans en subir les conséquences. Cette règle, c'est que rien ne doit sortir du peloton. Cela s'applique à tout. Aucun scandale, aucun procédé illégal, aucun déchet, aucun participant, aucun calendrier SW. Rien. Le peloton est comme un organisme vivant indissociable qui ne laisse rien lui échapper. C'est cette règle qui explique le comportement de Rance Ameçong. Parce qu'être en queue de peloton pour dépasser à la fin, c'est un peu bête. Autant rester dans le peloton est dépasser tout le monde à la fin, cela revient au même et on a plus de chance de réussir. Eh bien non. En ne faisant pas partie du peloton, Rance n'est pas soumise à la dure loi de cet organisme. Outami Tatane n'aurait jamais pu le savoir, mais il venait de faire une bêtise monstre. Grâce à la vitesse accumulée, le bateau prit une vitesse telle qu'il en dépassa le premier du peloton. Ce dernier était bien connu pour emmener la bête jusqu'à la fin avant de finir dernier de ce même peloton après bien des efforts. Ainsi, lorsqu'ils le dépassèrent, les regards de tous les régatiers convergèrent vers le navire fautif. La colère brillait dans les regards et lentement, presque en palsmodiant, une clameur se leva parmis le peloton.


            Traitre ! Traitre ! Traitre !

            Les navigateurs n'admettaient pas cette traitrise. Et la seule punition pour un tel crime, c'est le naufrage. Comme un seul homme, les navigateurs usèrent à leur tour de leurs techniques de triche respectifs, non pas pour gagner la course, mais pour punir comme il se doit les criminels de la navigation. Tant qu'il n'y aurait pas eu naufrage, ils n'allaient pas être satisfaits.

            ♥♥♥

            Pendant ce temps, Tafedu Tiramisu et Torade Sushis s'en donnaient à cœur joie. De mémoire d'homme, cette régate était la plus palpitante depuis la création de la compétition.


            « C'est absolument sensationnel ! Rance Ameçong vient de prendre la première place ! C'est bien tôt par rapport à ce qu'il nous fait d'habitude ! Serait-ce une nouvelle stratégie de la part du grand favori ? »

            « On dirait bien mon cher Tafedu ! Et cette stratégie fait sensation au sein du peloton. On peut voir le navire de Reach « Hard » Virank qui est parti à sa poursuite avec une vitesse sensationnelle, c'est du délire ! »

            « Exceptionnel de la part de Reach qui est plus connu pour ses déboires alcooliques que pour ses victoires. Mais cela ne nous regarde pas ».

            « Oui, cela ne nous regarde pas ! Reach a eu de nombreux problèmes avec la fédération et il a même failli ne pas participer à cette course du fait de la mauvaise image qu'il véhicule, mais cela ne nous regarde pas ! »

            « C'est vrai, c'est vrai ! Même si Reach est un peu trop souvent vu en compagnie d'animaux de tout poil dans des positions sordides, cela ne nous regarde pas ! »

            « Évidement ! Surtout que ... »

            « Mais je vous permets de vous couper, mon brave Torade ! Car, de plus, ça ne nous regarde pas, mais le peloton a accéléré à son tour ! Ils sont comme parti à la poursuite de Reach alors que nous approchons à grande vitesse du fleuve, la moitié du parcours est même franchi ! Mais cela ne nous regarde pas ! » 

            « Ah ! Je vous contredis, mon petit Tafedu, cela nous regarde ! »

            « Ah oui … Ou avais-je la tête … ? »

            « Cela … ne nous regarde pas. »

            ♥♥♥

            Les révolutionnaires souquaient dur. Et Pludbus ? Il avait trouvé la réserve d'alcool du précédent propriétaire du navire, le tristement célèbre Reach. Le marine avait aussi trouvé deux singes et un chat et ils les avaient libérés. Toutefois, perdu en pleine mer et complètement affolés, ces petits animaux se mirent à courir tout partout et à sévèrement emmerder l'équipage de révolutionnaires dont les regards haineux finirent par s'arrêter sur le visage souriant et nié de Pludbus qui ne comprenait vraiment pas pourquoi les révolutionnaires n'aimaient pas les animaux. Mais ce n'était pas le seul problème d'Outami Tatane et ces hommes. Devant lui, un navire les empêchait de le dépasser. À plusieurs reprises, les deux navires se touchèrent violemment, brisant la vitesse de chacun. Outami Tatane l'avait assez mauvaise. Il fallait savoir qu'en ce moment l'homme était de plus en plus intéressé par l'idée de gagner la course. Son rêve de gosse pouvait se réaliser. Autant de passion enterrait au plus profond de lui, il fallait que ça explose. Et c'était en ce moment que l'explosion se faisait. Il allait gagner la Grande Régate. C'était son objectif.

            Il avait donc deux problèmes. Pludbus et Rance. Il était facile d'éliminer le premier. Toutefois, Jenbar proposa une alternative au fait de l'envoyer à la mer. Il avait vu que les autres concurrents s'approchaient avec une vitesse plutôt inquiétante. Il proposait de mettre Pludbus accroché à l'arrière du bateau dans l'espoir que la présence de l'humain éloigne les poursuivants, de peur de faire du mal à quelqu'un. La décision fut prise à l'unanimité, moins une voix ; Pludbus ayant voté pour rester sagement assis sur une chaise. La sentence fut rapidement exécuter et c'est un vieillard légèrement inquiet qui se retrouva attacher en bout de bateau avec les pieds chatouillant les vagues. L'effet de la mer, du fait de son fruit du démon, le laissait légèrement groggy, comme drogué. C'est à peine s'il aperçut les navires qui étaient dangereusement proches. Hélas, ils ne comptaient pas faire gaffe à Pludbus et foncer dans le tas. La loi est la loi. Et rien ne doit sortir du peloton ! C'est une trentaine de régatiers rendus fous par une haine sauvage qui convergeaient vers Pludbus dans la seule optique de le pourfendre. Dans un monde réaliste, Pludbus aurait été tué par une trentaine de navires en furie. Mais nous ne sommes pas dans un monde réaliste. Dans ce monde, Pludbus a un fruit. Et ce fruit, il parvint à l'activer malgré ses difficultés de concentrations. C'est à ce moment que le premier navire faillit le perforer. Grâce au fruit, le navire devint très petit et avec sa vitesse, il faillit se faire désintégrer sur le mur gigantesque de la forteresse Pludienne. Sauf que le vieillard avait ouvert son pont-levis et c'est ainsi que le navire parvint à rentrer dans la forteresse sans trop morfler. Les autres arrivaient trop rapidement pour ralentir. L'avenir était fait. Ce furent une trentaine de navires qui vinrent pénétrer dans la forteresse Pludienne avec une rapidité déconcertante. En quelques secondes, c'est plus d'une moitié de la régate qui disparut. Au sein de la forteresse, c'était un beau merdier. Les premiers navires s'étaient fracassés sur les murs de pierre tandis que les suivants se firent hacher par les premiers. Dans un concert de cris de rages et destruction, le peloton s'arrêta de voguer.

            Dehors, Pludbus venait de faire entrer une trentaine de navires dans son for intérieur. C'en était trop. Il tourna de l'oeil en pensant à ce qu'il venait de se passer.

            C'est comme s'il s'était fait violer.
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            Une grande clameur salua la performance de l’ancien amiral-en-chef. La foule qui observait la régate depuis la rive ne vit qu’une grande vague, puis plus rien, aussi elle se dit qu’elle avait dû se tromper et n’insista pas. En revanche, la régate était suivie de près par plusieurs navires équipés d’escargocaméras qui enregistraient et rediffusaient tout ce qui se passait. Et tous les spectateurs qui se massaient sur la place centrale de l’île, et qui suivaient la retransmission escagovisée ne pouvaient le nier : les navires avaient rétréci, puis disparu à l’approche du vieillard. Nul ne savait exactement où ils pouvaient être, mais le fait qu’un des écrans de la place offre un plan de coupe sur un magnifique foie usé mais blindé aurait pu donner un indice. Quant à Tafedu Tiramisu et Torade Sushis, leur taux d’adrénaline atteignait des pics à défier le plus chevronné des alpinistes :

            «  Regardez Torade ! C’est absolument incroyable ! La moitié de la flottille vient de disparaître à l’approche du navire de Reach ! Sans laisser la moindre trace ! Il faut croire qu’il ne manque pas de ressources, et que son échappée était bien préparée ! »

            « Tout à fait, mon cher Tafedu ! Reste à voir ce que vont en penser les arbitres ! Cette façon de procéder est à tout le moins… étrange ! Bien sûr, il n’est pas interdit de couler les adversaires, mais les faire disparaître ! C’est époustouflant ! »

            «  C’est sûr que Reach joue gros avec cette technique sensationnelle ! Mais rien n’est joué, puisque Rance Ameçong reste toujours premier ! »

            « Je me permets de vous couper, mon grand Tafedu ! Le navire de Reach talonne de près celui du champion multirécidiviste ! »

            « Hou là là, c’est vrai ! Et ce qui reste de la régate colle l’alcoolique zoophile ! »

            « Hum, mon très estimé Tafedu, je croyais que nous avions dit que ça ne nous regardait pas ! »

            « Ha ? Mais vous, Torade, vous avez bien dit que Lance était multirécidiviste ! C’était une allusion au dopage, non ? »

            « Tafedu ! »

            « Ah…  Heu, oui, Torade, heu… Oh là là, regardez ces images, c’est absolument bouleversifiant ! »



            ***


            Si Outami Tatatane assouvissait enfin sa passion pour les régates, Rance Ameçong, lui, l’avait si bien assouvie qu’il était proche de l’indigestion. Et surtout il connaissait bien les manœuvres pour échapper à un concurrent un peu collant comme l’était le révolutionnaire. Profitant d’un vent favorable, le Petit Baigneur se détachait de ses concurrents. A son bord, le vainqueur de régates et le demi-dieu auto-proclamé, la même attitude classe et le même sourire dévastateur aux lèvres, filaient vers les cieux éthérés de la victoire en voguant à toute allure sur des flots d’insouciance. Ils avaient à présent semé tous les participants, et le régatier venait de mettre le cap sur la ligne d’arrivée ; le navire avalait les milles nautiques à tombeau ouvert sans le moindre obstacle. Quand tout à coup, Yudhisthira comprit d’où venait ce sentiment lancinant qui lui hurlait qu’il avait oublié quelque chose :

            « Rance, STOOOOP ! »

            Normalement, un navire ne peut pas piler, surtout un navire à voile dont la vitesse dépend d’un tas de facteurs : la force du vent, la voilure, les courants marins… Ce fut pourtant ce qui se passa : le Petit Baigneur fut coupé dans sa lancée et s’arrêta net. La force du freinage fit que le vaisseau tourna plusieurs fois sur lui-même avant de s’immobiliser complètement, la proue pointant dans la direction opposée à celle de la ligne d’arrivée.

            « Rance, il faut faire demi-tour ! »

            « What ! »

            « On a dépassé tout le monde ! »

            « Well, yes ! C’est le but, non ?

            « Non ! Il fallait qu’on rattrape des méchants ! »

            « Ben là, you see, c’est même plus la peine ! On est devant !

            «  Justement ! »

            « Ok, ben, c’est comme tu veux… »



            ***


            Comme ils s’en aperçurent en revenant sur place, si Yudhisthira et Rance avaient pu gagner une telle avance, c’était parce que les autres navires n’avaient presque pas bougé. Forcé, dépassé, pressé de tous les côtés, l’embarcation des révolutionnaires était en proie à la fureur aveugle des autres régatiers. Ces derniers l’éperonnaient, le faisant tournoyer sur lui-même, l’envoyant cogner sur un autre participant qui le renvoyait à son tour, manœuvrant de façon à ce que chacun puisse participer à la curée. Déployant leurs voiles comme des ailes, mordant leur adversaire de leur étrave, croassant des insultes à l’adresse de celui qui n’avait pas joué le jeu, le peloton ressemblait beaucoup à un essaim de corbeaux s’acharnant sur sa proie. De loin. Parce que de près, les hurlements, les craquements de bois, les voiles déchirées, les mats rompus, l’eau entrant à gros bouillons dans les cales et les bagarres qui avaient éclaté çà et là évoquaient plutôt le chaos, sale et mouillé.

            Rance se mit bord à bord avec l’un des navires qui étaient le plus loin de l’épicentre de la mêlée. Yudhisthira bondit sur celui-ci, se débarrassa du régatier qui voulait l’en empêcher en l’envoyant par-dessus bord, puis sauta sur le navire suivant. Une bagarre avait éclaté sur ce dernier : plusieurs participants dont le navire, pressé par les autres, avait coulé, s’étaient ligués contre un marin qu’ils accusaient de leurs malheurs. Plus pour se défouler que parce qu’ils le pensaient réellement responsable, d’ailleurs. Evitant les coups qui pleuvaient, Yudhisthira grimpa en haut du mât du navire en s’aidant des haubans. Puis, arrivé en haut, il prit son élan, courut sur la vergue, et se lança à toute vitesse dans le vide.

            Même si peu de monde le sait, il existe un dieu chargé de la Gravité, des Sauts en Chute Libre et des Objets Placés en Equilibre Précaire. Son boulot consiste en gros à faire tomber tout ce qui n’est pas retenu pas quelque chose, ce qui n’est pas facile, parce que cela nécessite une attention de tous les instants, et à tous les endroits. Globalement, le dieu de la Gravité, des Sauts en Chute Libre et des Objets Placés en Equilibre Précaire faisait bien son job, et personne n’y trouvait à redire. Seulement, aujourd’hui, le peuple religieux de Catharsis, le seul qui s’occupait encore de lui, lui avait encore offert en sacrifice une chèvre à poils raides, alors qu’il en voulait une à poils frisés. Alors, aujourd’hui, il avait décidé de bouder.

            C’est ce qui explique que Yudhisthira resta en l’air plus de temps qu’il n’aurait dû, survolant pendant un dizaine de secondes le magma de planches, d’eau et d’homme qui tourbillonnait en-dessous de lui. Mais une règle physique universelle en reste une, même si le dieu en charge n’a pas envie de l’appliquer, et la nature repris rapidement ses droits : le demi-dieu autoproclamé se mit à tomber comme une pierre. Au moment où il allait toucher l’eau, réalisant ainsi un plat magnifique, il attrapa un filin coupé dans la bataille. Le héros, propulsé par la très grande vitesse qu’il avait acquise en tombant, effectua arc-de-cercle autour du mât auquel était rattaché le filin. Cette séquence de haut vol, très héroïque et digne des plus grands films d’action, aurait pu se terminer par un atterrissage un peu rude éventuellement tempéré par un roulé-boulé magnifiquement exécuté. En fait, Yudhisthira percuta le navire de Reach « Hard », passa par un hublot  et termina sa course dans un bruit de bouteilles brisées.

            Le demi-dieu autoproclamé se redressa rapidement et sorti aussitôt de l’étroite cabine, prenant à peine le temps de vérifier dans un miroir placé là que sa chevelure était décoiffée comme il faut, et que la légère entaille due aux bris de verre était placée à un endroit de son visage où elle lui donnerait un air de baroudeur. Puis il bondit sur le pont. L’endroit, au milieu du chaos, était complètement déchiqueté. Des éclats de bois avaient volé partout, des cordes abattues se lovaient comme des serpents sur ce qui restait du sol, et l’on ne pouvait pas faire un pas sans risquer de tomber à l’eau. Mais surtout, ce qui frappait sur le pont du navire volé par les révolutionnaires, c’était l’absence d’homme. Seul, au milieu de la tempête, se tenait Jenbar Rheur, le révolutionnaire adepte de canoë.  

            Sans hésiter, n’écoutant que son instinct de héros qui lui disait d’aller coller une mandale au seul méchant disponible dans le coin, Yudhisthira bondit, faucha les jambes du révolutionnaire et tenta de le plaquer au sol en accompagnant sa chute de la main. Mais, bien que pris par surprise, le Jenbar se dégagea avant de toucher le sol, et répliqua d’une droite visant le visage. Il ne fut pas assez rapide : le demi-dieu autoproclamé attrapa son poignet, le tordit, et envoya voler le révolutionnaire. Avant que Jeanbar Rheur n’ai touché le sol, Yudhisthira lui sauta dessus et appuya de tout son poids sur son corps. Le révolutionnaire heurta le pont avec fracas, hors de combat, immobilisé qu’il était. Le moment de surprise passé, il afficha un sourire goguenard :

            « Tiens, voici le chien du gouvernement ! Tu arrives trop tard, mon pote, les autres ont eu le temps de quitter le bord ! Tu pensais vraiment qu’ils allaient t’attendre ? Je suis resté pour les couvrir et faire mon devoir !»

            Pendant ce temps, un navire qui venait récemment de changer de propriétaire quittait discrètement la mêlée du peloton. Outami Tatatane avait toujours une chance de la gagner, sa course !


            Même s’il devait être le seul à passer la ligne d’arrivée...



            Dernière édition par Yudhisthira Dharma le Ven 26 Juil 2013, 01:03, édité 1 fois
              Le plan d'Outami Tatane ne s'était pas vraiment passé comme prévu, mais la finalité était la même. Sans trop savoir comment, une bonne partie de ses poursuivants avaient disparu. Alors qu'il était en poste à la Nouvel Ohara, les révolutionnaires avaient été en possession d'une certaine quantité de fruits du démon. Pludbus ayant fait parti des forces de la marine les ayant fait capituler, le révolutionnaire songea à la possibilité que le vieux marine ait eu l'opportunité de manger un fruit du démon. Voyant ce qu'il s'était passé, il jugea que le fruit en question était très puissant. Peut-être le plus puissant de toute la collection aujourd'hui en possession de la marine. Soudainement, Pludbus prit une très grande valeur à ses yeux. Il ne savait pas trop comment, mais exploiter le pouvoir du vieil homme était prendre une sérieuse option sur la victoire finale. Quelle victoire ? La victoire de la course ? Pouvoir échapper aux formidables forces de la marine tentant de les ramener dans les geôles qu'ils n'auraient pas dû quitter ? On ne pouvait clairement le dire. Car dans l'esprit du chef révolutionnaire, une autre lumière s'était allumée. Une flamme dévorante et passionnée qui lui disait d'une petite voix charmeuse et mélodieuse : « oui, tu peux gagner cette course. Tu peux être le grand navigateur que tu as toujours voulu être ». Et cette lumière, elle passait dans ses yeux. La flamme de sa passion l'avait pris. La conjoncture était excellente ; tout arrivait pour lui donner une victoire tant rêver, mais jamais espérer.

              Mais les conquérants ont toujours eu de terribles adversaires sur leur route. Après un instant de stupeur en voyant la disparition d'une bonne partie de la flottille, les autres concurrents avaient bravé leur peur pour assaillir le navire traitre et l'empêcher de nuire à nouveau ; car rien ne doit sortir du peloton même si, en l'occurrence, le peloton se trouvait actuellement concentré au même endroit et que c'est ce dernier qui ne sortait pas de Pludbus. Frappant de tout côté, les navigateurs malmenaient le Hard avec une dextérité sans pareille, comme si le fait de vouloir couler l'un de leurs adversaires avait éveillé des ressources inexploitées dans les corps des assaillants. C'était ça la vraie compétition, en réalité. Une dure lutte ou personne ne se fait de cadeau. Naviguer pour sa vie. Naviguer pour la mort des autres. Seul le dernier survivant pouvait passer la ligne d'arrivée, laissant derrière lui une désolation d'épaves et de naufragés hagards après la terrible bataille. En cet instant, le plus formidable adversaire de la course n'était pas Rance Ameçong, oh non ! C'était Outami Tatane ! Transfiguré par sa passion de la voile enfin assouvie, il voyait de nouveaux adversaires tentaient de lui barrer la route, faisant fi de la peur inspirait par Pludbus, continuant à s'acharner sur le pauvre « Hard » de plus en plus endommagé. Bientôt, les fuites et les avaries matérielles se cumulèrent. Les révolutionnaires ne savaient que faire et finirent par se retourner vers leur Leader, dans l'attente de sa décision.

              Le leader regarda l'horizon. Au loin se trouvait la ligne d'arrivée, même si ce n’était pas la bonne direction, parce que la ligne se trouvait au centre de l'ile. Mais il regarda quand même l'horizon, alors que celle-ci était dissimulée par de nombreux navires butant les uns contre les autres, alors que des visages haineux le fixaient avec une rage toute sportive. Il fixait cet horizon lumineux, même si des nuages s'amoncelaient. C'était un présage. Le présage d'une course qui allait s'avérer terrible. C'était bien le mot. Car le visage d'Outami Tatane était terrible en cet instant. Pludbus le voyait ; on l'avait ramené à bord de peur de le faire tomber à l'eau maintenant qu'il était devenu une arme aux terribles pouvoirs. Pludbus savait ce que ça voulait dire. La suite allait être faite de sueur et de sang, à l'image de la rencontre d'Outami Tatane avec le premier navigateur qui sauta dans sa direction, armée d'un sandwich au jambon, semblant souhaiter la mort du navigateur traitre plus que du révolutionnaire. Ce dernier l'accueilla avec une violence rare qui laissa Tafedu Tiramisu et Torade Sushis choqués. Parce qu'ils étaient professionnels et qu'ils ne parlaient jamais pour choquer, ils évitèrent de mentionner cet acte sanguinolent afin de ne pas choquer le jeune public, rêveur et naïf au sujet de leur idole et de leur sport adoré.

              Le premier sang fut versé. L'affrontement pouvait commencer. Et dans la continuité de ce premier sang, le chaos s'empara de la flottille collée les uns contre les autres. Les uns s'attaquèrent aux autres. Les bateaux se battaient entre eux. Et plus le chaos s'intensifiait et plus Outami Tatane s'aperçut que la victoire lui échappait. Il était emprisonné. Sa détresse prit rapidement le dessus sur sa colère. Comment vaincre quand on avait l'ensemble du monde contre lui ? C'était sans compter l'aide miraculeuse de Jenbar Rheur qui aperçut le navire de Rance qui revenait, sans trop savoir pourquoi. L'espoir revint comme un cheval au galop. Ils pouvaient s'en sortir. Ou plutôt, il pouvait gagner, car les autres révolutionnaires n'étaient pas forcément très convaincus par la nécessité de cette victoire. Peut-être que cela allait changer la face du monde. Peut-être que les peuples allaient se libérer des chaines du Gouvernement Mondial en assistant à la victoire des révolutionnaires dans la grande Régate. Que de possibilités. Dans le doute, ils firent confiance en leur chef. Celui-ci finit par déduire la seule option qui lui restait pour gagner. Aller de l'avant. Chercher un bateau à la lisière du chaos pour reprendre la route. Les hommes étaient d'accord. Ils commencèrent à quitter le Hard, totalement immobilisé, n'oubliant pas de prendre sous le bras un Pludbus se croyant invisible à fuir à quatre pattes. Mais tous ne suivirent pas. Non. Seul resta Jenbar Rheur. Son regard était dur. Outami Tatane le dévisagea, presque sans comprendre.


              « J'aime le canoë, Tatane. Je ne veux pas gagner une régate. Ce serait … contre nature. »

              Les rivalités entre le monde du canoë et des régates sont célèbres. Outami Tatane se souvint de l'époque où il lapidait les pratiquants de canoë. Ils étaient rares. En fait, il n'y en avait qu'un seul. Jenbar Rheur. C'est en fait comme cela qu'ils devinrent amis malgré la haine mutuelle de leur sport respectif, prouvant au monde que les révolutionnaires pouvaient faire la paix malgré les différends les plus terribles. Tatane vit tout cela et hocha de la tête. Il comprenait. Jenbar Rheur continua en prétextant qu'il ferait diversion, mais ce n'était rien comparé à sa première motivation. Il tourna le dos à son chef, comme pour signifier que tout était fini entre eux. Un instant plus tard, Jenbar reçut une poulie à l'arrière du crâne. Il accusa le coup et se retourna, se massant la nuque. Outami Tatane le regardait, le sourire aux lèvres.

              Comme au bon vieux temps.

              Une fois finie cette séparation déchirante, Outami Tatane et ses révolutionnaires traversèrent les navires avec une fureur qui ne souffraient d'aucun contretemps. Les navigateurs n'étaient pas de taille et seuls les dieux des mers auraient pu ralentir les révolutionnaires, si ce n'est pas les mettre hors-jeu. Le leader révolutionnaire guida ses hommes, faisant un détour ; il alla d'abord vers le côté droit de la flottille aggloméré avant de bifurquer vers l'avant. Ils finirent par trouver un navire plus ou moins prêt à partir tandis que, plus loin, Rance Ameçong tentait de pivoter son navire vers la course, pointant actuellement vers l'arrière de la masse. Le navigateur accueillit les révolutionnaires avec une barre à mine. Le premier révolutionnaire, par pur réflexe, lança ce qu'il transportait sur l'adversaire pour le déséquilibrer. Cette chose était Pludbus et il vit en gros plan la barre à mine. Le navigateur frappa violemment au ventre et Pludbus eut le souffle coupé. Pire, il fut envoyé sur un bout de bois  droit comme un piquet, vestige d'une cabine ayant trop subi la cohue. La planche plia sous son poids, mais ne céda pas. Tordue à angle droit avec l'ancêtre dessus, la planche voulut retrouver sa position initiale. Pour cela, elle renvoya l'ancêtre, le propulsant vers une hauteur terrifiante sous les cris des révolutionnaires, voyant partir leur arme secrète dans les airs.

              Comme un demi-dieu avant lui, Pludbus vola loin. Le dieu de la Gravité, des Sauts en Chute Libre et des Objets Placés en Equilibre Précaire boudait toujours et Pludbus était léger. Il traversa la masse, légèrement panique. Toutefois, il vit Dharma en contrebas. Surpassant son appréhension, il l'interpella.


              Dhaaaaarmaaaaaaa !

              Mais il était rapide et il passa au-dessus de lui. Finalement, il se dirigea vers le sol. Toutes les bonnes choses doivent avoir une fin. Mais un dieu malicieux doit exister dans ce monde et seul l'agent du gouvernement Mondial aurait pu le nommer sans oublier ses titres ; car ne pas tous les nommer, c'est le mettre dans une colère noire comme tous les dieux à cause de leur égo divin. Ce dieu décida qu'un ex-Amiral en chef volant dans les airs, c'était amusant. L'ancêtre tomba entre deux mats séparé par une voile. Plongeant dedans, il fit pression sur les mats et tel un lance-pierre, il finit par être renvoyer dans l'autre sens, valdinguant dans les airs avec la grâce d'un canard à trois pattes.Il repassa au-dessus de Dharma.

              Tu doiiiiiiis aarrêt !

              Il ne put terminer sa phrase. Heureusement, le Dieu malicieux s'ennuyait et comme disait l'adage : jamais deux sans trois. Les révolutionnaires tentèrent bien de le rattraper, mais la surprise fut tellement grande lorsqu'il revint sur la planche qui l'avait envoyé qu'ils réagirent trop tard. Pour la troisième fois, l'homme volant passa au-dessus de l'homme au kimono impeccable.


              Teeeer les méchaaaaaaants !

              Le monde compte sur toi. C'était pas dit ça, mais Pludbus le pensait fortement. C'était dans ces moments-là qu'il aurait voulu savoir communiquer par la pensée. Ça aurait été moins dangereux que de voler dans les airs. Retombant dans la voile qui avait fait office de lance-pierre, Pludbus s'apprêtait à retourner pour un coup, mais le bois des mats craqua et la voile s'affaissa sur un bateau. Le dieu s'était lassé. S'extirpant de la voile, il tomba nez à nez avec un marin un peu moins fou que les autres. Il passa à côté de Pludbus sans le voir, débarrassant la voile de son bateau. Il ricanait. Pludbus, rampant vers l'arrière, tomba nez à nez avec une machine bizarre. Il y avait là de la poudre en grande quantité. Il se retourna vers le navigateur.


              Vous comptez faire la guerre avec tout ça ?


              Mais il ne semblait pas l'entendre, ou plutôt, il ne semblait pas le comprendre. Il vint coller son visage à celui de Pludbus et s'exclama avec un fort accent.

              « Ya Wohl ! Auzourd'hui ! Mwa ! Janu Le riche ! Ich vais enfin vaingre Ranze Amezong ! Avec mein Blitzbateau ! »

              Il actionna un levier et la chose qui semblait être un moteur explosa, propulsant le navire vers l'avant.


              Dernière édition par Pludbus Céldèborde le Jeu 25 Juil 2013, 15:02, édité 2 fois
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              « Dharma, Tue Doigts-arête.
              Thé les mèches en. »


              Le sourire pourtant réputé de Yushisthira subit l’instant d’une obscurcie. Les vieux ermites, les grands prêtres vénérables, et les héros à la retraite avaient toujours une manière de s’exprimer qui défiait la compréhension. Ils parlaient de manière à ce qu’on ne les comprenne pas, un peu comme les philosophes. Mais pas autant que les philosophes, car il y a des limites à tout quand même. L’excuse affichée, c’était qu’il fallait ouvrir son cœur/esprit/âme au juste chemin métaphysique de la vraie sagesse cosmico-divine de l’illumination pure pour comprendre le sens des paroles que le profane/méchant/impur ne peut pas espérer comprendre. Les jeunes héros au bout d’un moment, comprennent qu’en fait, c’est juste de la frime. Du coup, ils font semblant de chercher le sens de mantras idiots, simplement pour faire plaisir au vieillard qui les profère. Après tout,  ce vieux sénile et souriant a peut-être une info utile pour la quête, non ?


              Yudhisthira était un héros trop jeune encore pour en être arrivé à cette conclusion ; aussi il passa un bon bout de temps, en cheminant vers le navire de Rance Ameçong, à s’interroger sur le sens exact des paroles du vieil amiral-en-chef. Qui était ce Doigt-arrête à qui l’on en voulait tant ? Quel était le rapport du thé avec les mèches ? En ? En quoi ?
              La seule chose certaine, c’était que le vénérable ancêtre l’avait investi d’une quête. Il avait confiance en lui. Et il ne devait pas le décevoir. Il était d’une extrême importance de mener à bien cette mission, de lutter contre les gros vilains. L’équilibre du monde entier en dépendait. S’il échouait, tout ce qui avait été bâti, tous les chétifs efforts de l’Homme pour stabiliser un univers en proie au désordre sombreraient irrémédiablement dans le chaos le plus total, réduits à néant. Bref, la routine habituelle, quoi.


              Quand même, au cas où, le demi-dieu auto-proclamé fit un détour par un navire en train de couler pour y récupérer une bouilloire et un sachet d’Earl Grey. Parce qu’on ne sait jamais…



              ***



              Outami Tatatane reprit sa respiration, lâcha sa barre à mine ensanglantée et fit le point. Il avait pris le contrôle d’un navire en lisière de la forêt de mâts, avait distribué des postes à ses hommes, et il filait maintenant sur le parcours de la régate, libre de toute entrave. Et surtout, surtout, les révolutionnaires avaient trouvé sur le bateau ce qui leur manquait le plus : une caisse remplie d’armes, de sabres d’abordage, de tromblons de la marine, et même un petit canon portatif. Définitivement, la régate, c’est un truc sérieux.



              ***



              De leur côté, Tafedu Tiramisu et Torade Sushis, un instant débordés par les évènements, reprenaient leur commentaire haletant :

              « Regardez, Torade ! Le navire d’Al-Haclass vient de quitter le gros de la flottille ! Après le revirement soudain de Rance Ameçong, c’est tout à fait étonnant ! D’autant qu’il n’était pas donné gagnant ! »

              « Tout à fait, mon cher Tafedu ! Mais il semblerait que le navire ait changé de propriétaire ! Vous reconnaissez les hommes qui sont sur le bateau ? »

              « Oui, bien sûr, c’est, heu… Ah, ben non en fait. »

              « Oh, et Rance Ameçong vient de s’élancer à nouveau hors du peloton ! Il a embarqué un passager, à ce qu’il semble ! Décidément, son navire, Le Petit Baigneur, est de première qualité et le pilote est hors-normes ! Voilà qu’il gagne du terrain sur le navire d’Al-Haclass ! »

              « Au fait, mon cher Torade, vous êtes sûr qu’il ne s’agissait pas du navire de son frère ? Vous savez, Al-Heustyl… »

              « Désopilant, Tafedu, désopilant… »

              « Merci, mon cher Torade. Au fait, vous avez vu ? Le Blitzbateau de Janu le Riche est aussi sorti de la masse, il en a fait le tour, et il part maintenant à la poursuite de Rance ! C’est d’autant plus surprenant que je me suis laissé dire que Janu n’était plus si riche que ça, et qu’il avait eu des problèmes pour réparer son dernier navire… Ceci dit, cela ne nous re… »

              « Bon, ça va aller, peut-être, maintenant, Tafedu. Le public a compris, je crois ! Les gens vont en avoir marre, à la fin…»





              ***


              Outami Tatatane jura. Le navire de Rance Ameçong, une fois de plus, l’avait rattrapé. Cette fois, cependant, il avait de quoi le recevoir ! Rapidement, deux des révolutionnaires amenèrent le canon portatif et le mirent en position, à la poupe du navire. L’un des deux engagea un boulet dans la gueule, plaça la charge de poudre, la tassa, tandis que l’autre allumait un briquet. Le chef révolutionnaire entama :

              « Quand je baisse le bras … »

              Trop tard. Dans un hurlement, le boulet fut propulsé vers le navire de Rance. Il frôla d’un cheveu Yudhisthira qui se tenait à la proue, laboura le pont, et fracassa le gouvernail que tenait Rance. Ce dernier ne dut d’ailleurs son salut qu’à sa souplesse, son habileté à faire le grand écart et à son statut de PNJ encore utile à l’histoire. Tenant à la main les débris de la barre en miette, il lança au héros :

              «  Well, il va falloir faire sans ! »

              Le Petit Baigneur, privé de gouvernail, fit une brusque embardée. Sans se démonter, Rance Ameçong descendit dans la cabine, farfouilla un instant et ressorti avec une paire de rame. Posément, il les posa sur le bastingage et commença à ramer. Le navire repris rapidement de la vitesse :

              « Tu vois petit, ça sert toujours d’être dopé ! »

              Acquiesçant, Yudhisthira leva les yeux vers le navire des révolutionnaires, puis regarda la théière qu’il avait toujours à la main.  D’une certaine manière, et même si c’était énervant, les maximes sans queue ni tête débitées par les anciens veulent toujours, en fin de compte, dire quelque chose…

              Outami Tatatane, voyant que malgré le tir, le Petit Baigneur fonçait à pleine vitesse, et qu’il il rattrapait toujours le navire des révolutionnaires, hurla :

              « Rechargez ! Rechargez vite, espèces d’amis des oppresseurs du peuple ! »

              Les servant du canon réintroduirent rapidement un boulet, une charge de poudre et mirent le feu à la mèche. Mais déjà, le navire de Rance n’était plus qu’à quelques mètres des ennemis du gouvernement. Tout à coup, un objet rond en porcelaine jaillit du navire de Rance. Lorsqu’il le vit, Outami prit un pistolet, visa, et d’un œil sûr, toucha en plein le projectile. Mal lui en prit : 75 centilitres de thé bouillant se déversèrent sur le servant du canon portatif. Ce dernier fit un brusque à-coup en se tordant de douleur ; à ce moment, la poudre explosa et le boulet partit se perdre dans les airs en direction de l’île.

              Profitant de cet instant de répit, le navire de Rance Ameçong éperonna celui des révolutionnaires, reversant tout le monde à son bord. Yudhisthira se lança à l’abordage d’un saut magnifique, suivit d’un plongeon en catastrophe contre le pont pour éviter la salve de balles qui l’accueillaient. Puis il bondit vers l’un des contestataires de l’ordre établi, lui arracha son arme des mains et, faisant de son corps un bouclier, tira au jugé dans la masse des révolutionnaires. Un cri de douleur lui apprit qu’il avait visé juste. Alors, il attrapa son bouclier humain à bras-le-corps, et l’envoya suivre la balle, culbutant à nouveau les hommes d’Outami. Il sauta à son tour dans la masse grouillante, pour distribuer au corps-à-corps mandales et coups de poings bien sentis.

              Rapidement cependant, l’effet de surprise s’estompa, et l’équipage de la Révolution reprit le dessus sur le demi-dieu autoproclamé. Evitant un coup de sabre à la tête au prix d’un coup de crosse de tromblon dans les côtes, Yudhisthira bondit, attrapa un cordage et se retrouva à grimper sur l’unique et étroit hauban du navire. Il s’attendait à tout instant à être criblé de balles, car il offrait une cible facile pour n’importe quel tireur. Mais un cri perça le tumulte :

              « Laissez-le-moi ! Je vais me le faire, ce chien du gouvernement ! »

              Et Outami Tatatane, furieux, entreprit à son tour d’escalader le mât. Yudhisthira, quant à lui, était déjà parvenu en haut. Il avait surpris une vigie que le leader de la Révolution avait placée là, et lui avait offert un vol plané suivi d’un plongeon dans l’eau salée, en le délestant au passage de son sabre. Tatatane le rejoint d’un bond, sécurisant son arrivée par un grand moulinet tranchant. Puis, par petits coups d’estoc, il entreprit de repousser le héros vers le bout de la vergue du navire, du côté de la poupe. En bas,  les révolutionnaires étaient impuissants : à deux mètres au-dessus de leurs têtes, leur chef se battait avec l’ennemi sans qu’ils ne puissent rien faire. Tirer au jugé était impossible : les silhouettes tournoyaient, esquivaient, tandis que leurs lames étincelaient à mesure qu’ils les entrechoquaient avec violence. Au moment où Outami fit basculer Yudhisthira dans le vide d’une balayette du pied, ils retirent leur souffle. Mais leur déception fut grande quand ce dernier, se rattrapant d’une main et profitant de son élan, fit un tour complet de la vergue pour se rétablir juste derrière son adversaire. Le Leader révolutionnaire se retourna, porta un coup rageur, et le ballet aérien reprit de plus belle.

              Mais le trouble des soldats de la Liberté fut à son comble quand ils s’aperçurent qu’un autre navire, s’échappant de la masse, se dirigeait à son tour droit vers eux… Avec présence d’esprit, parce que les personnages secondaires, même s’ils appartiennent à la révolution, peuvent faire preuve d’initiative et de sang-froid, ils commencèrent à déplacer le canon portatif pour le braquer en direction du nouveau venu, et ils se préparèrent à l’accueillir d’une bordée meurtrière.

              En haut, Yudhisthira para de justesse une attaque meurtrière par un repli du corps. Il porta à son tour une botte vers Outami, profitant que ce dernier ait une faille dans sa garde. Mais l’homme, rompu aux exercices de l’escrime, fut plus rapide, et la lame du héros heurta le pommeau de celle du méchant. Reprenant leur position en même temps, les deux adversaires se jaugèrent. Soudain un éclair traversa l’esprit du demi-dieu autoproclamé :

              « Au fait, M. le chef révolutionnaire, est-ce que c’est vous que l’on appelle « Doigt-Arête » ? Non ? Bon, c’est pas grave, c’était juste pour savoir. »



              ***


              Du côté du peloton, plus grand-chose ne bougeait à présent. Les derniers participants encore debout s’employaient à se soigner et à trouver un navire assez en état pour continuer la course. Du haut de leur tour d’observation, Tafedu Tiramisu et Torade Sushis comptaient les victimes :

              « Ho là là, mon cher Torade, celui-là ne bouge plus ! La course est bel et bien finie pour lui ! »

              «  Tout à fait, Tafedu, et celui-là a eu mal ! Et son voilier n’a plus aucune planche plus grosse qu’une allumette ! »

              « Ca tombe bien, je me suis laissé dire qu’il aimait bien se faire allumer… Enfin, cela ne … »


              BRAAOUUUUUUUUM !

              Un sifflement strident, une explosion, et la tour de Tafedu Tiramisu et Torade Sushis vola en éclat. De l’observatoire, il ne resta plus qu’un tas de planches en cendres d’où émergea lentement la tête noircie et échevelée des commentateurs. Torade Sushis cracha une dent, puis dit à son collègue :

              « Vous, voyez, je vous avais dit que vous risqueriez de lasser les gens ! »

              Tafedu Tiramisu ne répondit rien. Tous deux observèrent un instant un boulet de canon rouler hors des décombres avant de buter sur un poteau calciné. Un boulet de petite taille, modèle canon portatif…





              Dernière édition par Yudhisthira Dharma le Ven 26 Juil 2013, 01:05, édité 1 fois
                Roulé en boule au fond du bateau, Pludbus n'avait pas la chance de voir le paysage défilé devant lui, preuve qu'il était à bord d'un navire assurément très rapide. Il n'en avait pas besoin. Il lui suffisait de voir la tête du capitaine de l'actuelle embarcation pour en déduire un autre indice : il était complètement dingue et les probabilités de s'envoyer en l'air étaient proches de la certitude. Il ne croyait pas si bien penser. L'espèce de moteur tout droit sorti des rêves les plus fous et alcoolisé des pires techniciens de ce monde fumait et couinait avec une abondance qui en aurait fait s'arrêter des merveilles de technologiques, comme si cette monstruosité jetait aux orties des siècles de découvertes scientifiques et de prouesses d'ingénierie. Tout cela, Pludbus Céldèborde n'en avait que faire puisque seul lui importait la survie. Et voir sa vie dépendre d'une machine qui, lorsqu'elle explosera ; parce qu'une telle chose ne peut finir sa mécanique vie que par une explosion ; détruira probablement l'embarcation et envoyant un Pludbus maudit par le démon par le fond. Lui qui ne pensait pas avoir déjà vu le fond de son existence, pallier à ce manquement n'était pas dans ses prérogatives. C'est ainsi qu'il fixait l'installation avec ce regard empli d'une terreur abominable et presque contradictoire cette machine fumeuse, puisque n'importe qui de sain d'esprit se sentirait obliger de penser que la seule bonne chose à faire quand on voit cet engin, c'est de le démolir avant qu'elle ne commette une catastrophe. Si possible, avec une bonne clé à molette. Hélas, certains diront que Pludbus n'est pas sein d'esprit alors que les raisons sont juste évidentes. Il ne voulait pas mourir.

                Le problème, c'est qu'il y avait toujours cette histoire de régate. Et dans cette même régate, il y a toujours ces révolutionnaires qui, comme à leur habitude, continuent de se mettre en tête qui leur est possible d'échapper à la formidable Justice de Pludbus Céldèborde. Armant le canon, ils ne faisaient pas de manière à cacher l'objet au centre de leur tentative. Janu Le riche parvint à franchir le nuage de fumée qui lui obstruer la vue pour s'apercevoir de la menace. Il fouilla son navire de son regard afin de chercher un objet susceptible de pouvoir riposter et défendre l'instrument de sa vengeance contre Rance. Ses yeux hagards et fous se baissèrent sur Pludbus. Peut-être venait-il de prendre conscience de l'existence de Pludbus comme être vivant et non comme sac de détritus à l'odeur âcre. Sa main se tendit pour agripper la jambe de l'ancêtre avec ; Plud' n'en avait aucun doute ; la ferme intention de se servir de lui pour riposter. Mais on utilise pas Pludbus aussi facilement ! Attrapant le rebord du bateau, il lutta de toutes ces forces pour ne pas servir d'armes ; il était bien trop puissant pour cela et risquait, assurément, de détruire le monde. Finalement, Janu abandonna, estimant qu'il perdait son temps, ou, peut-être, pensant que finalement, Pludbus était vraiment un sac d'ordures. Une fois celui-ci relâché, il se releva et bondit sur des armes de fortune : une espèce de tube rouillé et une grosse plaque de métal avec poignet venant de tomber du système de refroidissement de la machine, projetant dans le même temps une petite quantité d'étincelle et provoquant l'arrêt du système. Comme quoi, maintenant, qu'il était armé, il ne pouvait rien lui arrivait de pire. Il s'avança vers le rebord du bateau, ne jetant même pas un regard en arrière. De toute façon, il n'aurait vu que du désespoir.


                Ach ! Il faut pouvoir ripozter !

                Disant cela, il finit par récupérer sa grosse clé à molette qu'il avait gardée en réserve. Romantique comme il était, il a rejeté jusqu'à la fin d'utiliser sa partenaire dans cette effroyable création que fut cette machine. Il arma l'arme, tel un joueur de baseball. Pludbus, à ses côtés, leva fièrement son tube, comme un défi lancé aux révolutionnaires. Ces derniers y répondirent avec une joie sans pareille. Le boulet fonça et Janu plissa des yeux, calculant avec une précision sans pareil les points d'impact. Il finit par frapper. La clé à molette entra en contact avec le fessier de Pludbus qui fut projeté dans les airs, pile dans la trajectoire du boulet. Beuglant dans une très crédible tentative de détourner la trajectoire du boulet avec la force de ses ondes sonores, Pludbus eut la bonté d'esprit de lever son bouclier, ce qui lui sauva la vie, assurément. Le boulet vint s'écraser dessus, réduisant grandement la vitesse du projectile. Le reste de la vitesse fut transmis à Pludbus, ce qui lui permis de retourner sur la frêle embarcation, le boulet près du corps, sans causer davantage de dégât à la machinerie qui n'avait, de toute façon, pas besoin de ça pour partir royalement en cacahuètes comme on dit dans quelques contrées lointaines. Pludbus reprit rapidement son souffle, prêt à dire deux mots sur les méthodes de Janu quand, soudainement, celui-ci s'exclama, comme si une chose affreuse allait se passer. D'instinct, Pludbus ferma les yeux.


                Ach ! Nein ! Das ist la fin ! La ligne d'arrivée !

                Pludbus ouvrit les yeux, Janu avait raison. Le grand final venait de débuter. Les dernières candidates en lice s'engouffraient dans le bras de rivière qui les emmenait tout droit vers la fin de la régate. Plus si loin que ça, une grande banderole marquait la ligne d'arrivée et de part et d'autre, des milliers de spectateurs admiraient le finish d'une régate qui saura faire parler d'elle dans les années qui suivront. Le navire de Rance était premier et quelques distances derrière, celui de Janu le Riche tentait de le rattraper, sans grand succès. Outami Tatane, à la vue de cette ligne d'arrivée et toujours rêvant d'un titre sur son épreuve fétiche, eut un instant d'hésitation. Fierté ? Espoir ? Autant d'émotion qui le rendait fragile un bref instant. Mais ce n'était que de courte durée. Car la rage de vaincre le prit. Il allait gagner. Il le pensait. Plus loin derrière, Janu le riche n'était pas si joyeux. Il voyait son rêve s'envoler. Il frappa sa machine avec une rage sauvage comme pour la faire avancer plus vite, mais la pauvre bête cracha sa fumée, visiblement irrité d'être autant solliciter.


                Rah ! Pas d'autres zoluzions ! Gros bouton rouge !

                Bouton rouge ? Pludbus écarquilla les yeux, soudainement intéressé. Hé oui ! Comment avait-il fait pour ne pas voir le bouton, gros comme un poing, au milieu de tout l'attirail de mécanique huileuse ? Il s'en voulait. Il se précipita pour empêcher Janu  de ne pas commettre l'inévitable, mais il le fit, malheureusement. En même temps, ça aurait été trop bête d'avoir créé un gros bouton rouge si ce n'était pas pour s'en servir. Quelle était la fonction de ce gros bouton rouge ? Janu le savait, mais on s'en foutait, car il n'eut pas la réaction prévue. Au lieu d'être l'arme secrète de Janu, il fut ce que Pludbus redoutait. La destruction. Dans un dernier râle, la machine lâcha l'affaire et explosa, projetant Pludbus dans les airs avec une puissance phénoménale. Oui, Pludbus volait beaucoup, aujourd'hui. À l'inverse, Janu coula et le boulet de canon partit à l'horizontale. Il faut bien avoir un équilibre dans ce monde. Encore dans les airs, Pludbus gagna en vitesse à tel point qu'il parvint à atteindre le niveau de Rance. La trajectoire était approximative, mais avec un peu de chance, il y avait moyen pour que le marine puisse couper la ligne d'arriver avant de mourir dans d'atroce souffrance, noyée. Que demandait de plus ?

                C'est le bon moment pour parler d'une communauté de personne dont les aventures ont été trop longtemps passées sous silence.

                ♥♥♥
                 
                Quelques instants plus tôt, dans les entrailles de Pludbus malmené de toute part, des navigateurs faisaient cercle. Ils s'étaient extirpés de leurs bateaux fracassés avec difficulté. Ils ne comprenaient pas grand-chose à ce qu'il s'était passé, mais ils ne comptaient pas rester là, à ne rien faire. Faisant cercle, ils discutèrent et échangèrent leurs opinions. Fort de cette symbiose unique dans le milieu des régatiers, ils fourmillèrent d'idées qui passèrent presque au travers de leurs mains jointes. Rapidement, il eut consensus. Il fallait agir. Faire quelque chose. La porte plus loin devait probablement les faire revenir chez eux. C'est indéniable. Toutefois, dehors, c'est l'eau. Et y aller à pied, c'est un peu dangereux. Ainsi, ils se mirent en tête de fuir cet endroit humide et malodorant à bord d'un bateau. Quel bateau ? Ils étaient tous cassés ! Non, pas tous. Il en restait un qui n'était pas trop abimé. Il fut leur radeau de la méduse après lui avoir prodigué des réparations sommaires. Puis, ils firent le choix de l'équipage qui s'échapperait. Bah oui, les autres devaient pousser le bateau pour que celui-ci puisse s'échapper. À l'intérieur, c'est du caillou, même si c'est humide. Dans l'équipage, on mit les leaders du peloton. Lié par un serment plus fort que le sang, tout le monde savait qu'ils viendraient les sauver. C'est ainsi qu'avec un mental de fer, les hommes restants poussèrent le bateau avec tout leur courage, amenant le bateau vers la sortie. La porte s'ouvrit. Et le bateau s'y engouffra, dans un océan de lumière.
                 
                ♥♥♥
                 
                Tefedu Tiramisu examinait le boulet de canon quand son compère lui tira par la manche de chemise. Enfin, ce qu'il en restait.

                « Formidable ! Formidable ! Regardez-moi cette fin ! C'est fantastique ! »

                « Voyons, Tafedu, inutile de continuer à parler ainsi. Le matériel est détruit et personne ne nous entend. »

                « … sérieux ? »

                « Bah ouai. »

                « Ah … merde. C'trop con. J'pensais crever l'audimat là. »


                Les deux compères observèrent la course. Plus si loin que ça, le navire de Janu venait d'exploser. Le navire de Rance bondissait vers l'arrivée et Pludbus volait dans les airs quand, soudainement, un navire apparut dans les airs, fonçant vers l'océan avec à son bord un équipage particulièrement surpris de se retrouver en plein air.

                « Dis-moi … c'pas étrange ça ? »

                « Bah, c'est grâve magique! »

                « Et le bateau, il fonce par sur celui de Rance ? »

                « Ah ouai … On aurait gravement crevé l'audimat ? »

                « Y a qu'un putain de Dieu pour pouvoir gérer pareil situation ... »


                Il ne croyait pas si bien dire.


                Dernière édition par Pludbus Céldèborde le Jeu 25 Juil 2013, 15:01, édité 1 fois
                • https://www.onepiece-requiem.net/t2303-fiche-du-vieux-pludbus
                • https://www.onepiece-requiem.net/t2255-toujours-pas-six-pieds-sous-terretermine-meme
                Il ne croyait pas si mal dire.


                Depuis le début de la régate, le dieu de la Navigation, des Courants marins, des Naufrages et des Iles Désertes suivait avec intérêt les évènements. Ce que personne ne savait, sauf peut-être Yudhisthira et un ou deux vieux barbus de l’île que plus personne n’écoute, c’est que cette régate, avant d’être un évènement sportif de renommée interinsulaire, était un rituel pratiqué en l’honneur du dieu, afin qu’il permette aux navires participant à la course de mener par la suite leurs voyages sans danger. A l’époque, on avait statué que tous les concurrents, de par leur simple présence dans ce rituel, gagnaient la bénédiction du dieu pour l’année à venir.


                Quand on vous dit, hein,  que l’important, c’est de participer…


                Bien sûr, cette raison s’était perdue, et on ne continuait à faire la course que parce que c’était la seule attraction touristique de l’île, qui ne vivait par ailleurs que de la pêche aux moules. Le dieu de la Navigation, des Courants marins, des Naufrages et des Iles Désertes n’était pas contrariant, et il continuait à observer la régate avec intérêt. Il s’arrangeait pour qu’il n’y ait pas de tempête ce jour-là et même, il envoyait des courants marins propices et des vents favorables à divers navires en retard, pour rendre la compétition plus intéressante.


                Ainsi donc, grâce au dieu de la Navigation, des Courants marins, des Naufrages et des Iles Désertes, un incident comme une chute de bateau aurait dû n’être qu’une péripétie de plus, ne troublant l’azur immaculé de la bonne humeur générale que le temps que le bateau en question tombe à un mètre d’un des participants, histoire de faire un peu de suspense. Mais voilà : la capacité de concentration d’un dieu ne dépasse celle d’un poisson rouge que pour les meilleurs et dans les bons jours ; les dieux se lassent vite. Et puis, le bénévolat, ça va un siècle, mais il ne faut pas pousser, et de toute façon, il y a le dieu des Casinos, des Jeux de Hasard, des Machines à sous et des Brelans d’as Cachés sous la Manche qui venait de lancer une nouvelle partie de tarot, et le dieu de la Navigation, des Courants marins, des Naufrages et des Iles Désertes ne voulait manquer ça pour rien au monde. Aussi laissa-il la régate sans aucun état d’âme.


                A défaut de dieu pour gérer la situation, il allait falloir se contenter d’un demi.



                ***


                Sur le navire des révolutionnaires, en haut du mât, Yudhisthira et Outami Tatatane continuaient à se battre avec un acharnement féroce, que soulignaient encore plus la musique épique qui jouait en fond et qui donnait la chair de poule aux plus impressionnables. Le demi-dieu autoproclamé esquiva une botte, lança lui-même un coup d’estoc, et regarda en bas. Il vit les révolutionnaires s’agiter, courir en tous sens en pointant le ciel du doigt. Pendant ce temps, Lance Ameçong, tranquillement, était en train de dégager son voilier de l’autre, en essayant de le repousser avec ses rames. Revenant soudain à la réalité, Yudhisthira bondit en catastrophe pour éviter la charge furieuse de son adversaire.

                « Ne t’endors pas, chien du gouvernement » fit ce dernier. « Je n’aurai aucune gloire à te tuer, sinon ! »

                «  Heu… Essaye d’être un peu plus passionnant alors ? Parce qu’on s’ennuie, là… »


                Le révolutionnaire ne répondit que par un hurlement et en abattant son sabre de toute sa force. Yudhisthira sourit, intérieurement et extérieurement, ravi : il avait enfin réussi à sortir une réplique héroïque au beau milieu d’un combat ! Ce n’était pas aussi facile qu’il y paraissait : il fallait beaucoup de réflexes et de présence d’esprit, et les héros avaient besoin de beaucoup d’entraînement avant d’arriver à ça… L’héroïque agent du CP 5 était bien conscient que sa phrase l’allait pas entrer dans les pages roses, mais il progressait, c’était sûr ! Tiens, ce serait même une bonne idée de la noter quelque part et de la ressortir à d’autres occasions…


                Malgré tout, le ravissement de héros était terni par un sombre pressentiment, l’impression obscure que quelque chose allait lui tomber dessus incessamment sous peu. Que son avenir était sombre et lourd. Et pas que sur le plan métaphysique. L’ombre qui grandissait au niveau du bateau y était peut-être pour quelque chose.



                ***



                Durant ce temps, Rance Ameçong avait éloigné Le Petit Baigneur du navire des révolutionnaires, et, en ramant comme seule un athlète dopé peut le faire, il commençait à prendre de la vitesse. Il devait avoir un dieu pour… Ah, non, il n’y en avait pas, puisque le seul disponible était parti jouer au tarot. Lance devait donc avoir beaucoup de chance, puisque le navire vomi par Pludbus, et qui lui était destiné à l’origine, le manqua d’un cheveu et alla s’encastrer dans celui des révolutionnaires.



                ***



                Dans un craquement dantesque,  le premier navire percuta le second. La plupart des occupants des deux navires furent balayés, tout comme les canons, les mâts, la plupart du pont des voiliers. Suivit quelques secondes de pur chaos, où les débris de bois, la poussière, les lambeaux de voile et des trombes d’eau le occupèrent devant de la scène où en arrière-plan, des hommes volaient en tous sens en hurlant. La réserve de poudre qui, bien que totalement illégale dans la course, n’en était pas moins présente sur le navire volé par les hommes d’Outami, explosa à cause du choc, ajoutant beaucoup au désordre qui n’en avait pourtant pas besoin, mais ajoutant une magnifique détonation sans laquelle le spectacle n’aurait pas été le même.


                Un instant, l’univers fut mobile, mouillé et plein d’échardes. La barre d’un des voiliers fut propulsée au loin en virevoltant et vrombissant, puis ce fut à nouveau le calme plat, où plus rien ne donnait de signe de vie.



                ***



                Au bout de quelques secondes toutefois, des coups sourds ébranlèrent un tas de planches. Les secousses s’arrêtèrent ; puis, après un instant d’hésitation, les planches volèrent en éclats, pour laisser la place à Yudhisthira. Le héros s’assura que les légères coupures zébraient son visage de manière photogénique, et que sa coiffure était suffisamment dérangée, mais pas trop. Ceci fait, il s’orienta : en haut dans le ciel, Pludbus achevait sa course aérienne ; le héros eut une courte pensée pour son aîné, mais il allait sûrement s’en sortir. Les héros qui vivent assez longtemps pour atteindre l’âge de la retraite sont increvables. Au niveau des épaves, la plupart des membres des équipages gisaient parmi les décombres, ou, jetés à la mer,  s’accrochaient désespérément à tout ce qu’ils trouvaient.


                Rapidement, le demi-dieu vit ce qu’il cherchait : Outami Tatane, qui tentait de se dégager lui aussi. Apercevant à son tour le héros, Tatatane bondit vers lui, comblant rapidement l’espace qui les séparait. L’homme allait porter un grand coup de poing, et Yudhisthira leva le bras pour parer ; mais un mouvement du navire le déséquilibra, et il tomba parmi les planches bisées dont les échardes le coupèrent. Son adversaire révolutionnaire s’apprêtait à le frapper du pied, mais une nouvelle secousse, suivie d’un craquement sinistre, le jeta aussi au sol. Ce fut à ce moment que les deux protagonistes virent que le navire, sectionné en deux, coulait par le milieu, sous le poids du voilier qui l’avait percuté, lequel demeurait dangereusement en équilibre précaire.


                Outami Tatatane, qui n’était pas stupide et savait reconnaître un terrain défavorable quand il en voyait un, changea alors de stratégie : tournant le dos au héros, il courut, prit appui sur le bastingage délabré, et se jeta à l’eau.
                Yudhisthira n’hésita qu’un instant : gonflant ses poumons d’air, il plongea à son tour.


                Sous l’eau, le désordre n’était pas moins grand qu’à l’air libre. Les deux navires commençaient à s’enfoncer et autour d’eux, coulant lentement, des débris, des corps, des armes. Cependant, malgré tout, les mouvements étaient ralentis, les sons effacés, et le tout donnait une impressiond e plus grande tranquilité qu’à la surface. Le demi-dieu autoproclamé se saisit d’un sabre, et se mit à la poursuite du chef révolutionnaire, qui était en train de s’introduire dans une déchirure de la coque d’un voilier. Il le suivit prudemment, entrant à son tour dans une cabine. Il n’y avait personne, mais quelqu’un avait ouvert la porte, malgré la forte pression de l’eau. Nageant à travers la pièce, esquivant les couvertures, les divers objets de vaisselle et l’inévitable sandwich thon-mayo en train de se désagréger, Yudhisthira atteignit la porte, et continua dans une étroite coursive, toujours vide de présence humaine. Cela faisait maintenant facilement cinq minutes que le héros était sous l’eau, et un léger détail, survenu des fins fonds de ses poumons, vint frapper à la porte de son cerveau… Ah oui, l’air ! Il faut dire que souvent, les héros qui partent en exploration sous-marine ont une capacité d’air quasi-illimitée, même si ils n’ont aucune formation de plongeur. Ce talent est bien pratique lors des combats sous l’eau contre les méchants, même si ces derniers disposent du même atout ; ceci dit, l’un et l’autre font comme si ils étaient à bout de souffle dès le début, pour faire durer le suspense. Et… Bon, peut-être que, dans le cas de Yudhisthira, l’entraînement du CP aidait. Oui.


                Oui, mais juste un peu.



                ***



                Sans le moindre remord, Rance Ameçong, de son côté, ramait allègrement vers la ligne d’arrivée. Personne ne l’avait jamais battu, et ce n’était pas des bateaux volant qui allaient l’en empêcher !



                ***



                Sous l’eau, l’héroïque agent du CP 5 réfléchissait ferme. Outami Tatatane devait avoir le même problème d’air que lui, et, s’il ne paraissait pas, c’est que, soit il était en train de se noyer, soit il avait résolu le problème, en trouvant une poche d’air quelque part. Parce que, sous l’eau, et particulièrement dans un bateau en train de couler, il y a des poches d’air partout pour aider les gens en train de se noyer, au cas où. Poches d’air qui, d’ailleurs, rétrécissent à vue d’œil à mesure que le navire s’enfonce, parce que c’est plus drôle comme ça, et qu’il y a des gens, quelque part, qui trouvent trippant de voir des hommes écraser leur profil contre le plafond en espérant avaler un dernière goulée d’oxygène avant que la pièce ne soit entièrement remplie d’eau.


                Bref, avisant la porte de la deuxième et seule autre cabine, le demi-dieu autoproclamé s’agrippa au plafond, et propulsa ses pieds contre la porte ; malgré la résistance de l’eau, il atteint une vitesse suffisante, et la porte vola en éclat. En deux brasses, le héros fut à hauteur du plafond, où la poche d’air salutaire lui aurait tendu les bras si elle n’en avait pas été dépourvue, preuve non-vivante de la limite de toute métaphore. Aspirant avidement, Yudhisthira ne vit pas arriver le coup du poing d’Outami, qui s’était tapi dans l’ombre. Porté à l’air libre, le coup d’avait pas été stoppé par la résistance de l’eau, et le héros se le prit de plein fouet. Il décolla, et traversa la paroi, se retrouvant à nouveau hors du voilier, et sous l’eau. Prenant appui contre la coque, le révolutionnaire le suivit et s’agrippa à lui.


                A présent, hors de question de chercher à faire dans le spectaculaire : chaque adversaire s’agrippait à l’autre, essayant avant tout de l’étrangler, cherchant à lui faire perdre sa réserve d’air, pour avoir le dessus. Tout en luttant, les deux hommes continuaient de couler, et ils touchèrent vite le fond, qui était relativement haut à cet endroit proche de l’île. Outami Tatatane, dans un réflexe rapide, pris un caillou dans la vase et frappa le jeune héros ; profitant du moment de trouble de ce dernier, il en profita pour le saisir au cou et serrer dans le but de l’étrangler.


                Les yeux voilées de rouge, les poumons en feu, Yudhisthira fouillait avidement la vase des mains, dans l’espoir de trouver quelque chose qui pourrai lui servir d’arme et trouva… Un truc dur, dont, sans savoir ce que c’était, il essaya de frapper le révolutionnaire.



                ***



                Bernard le Homard ne comprenait pas ce qui se passait. Comme tous les jours, il s’était baladé sur les coraux, avait taquiné des éponges, et il tapait la discute à son algue favorite quand on l’avait saisi puis projeté maladroitement. Aussi, obéissant à son instinct de défense, il visa droit devant lui, et attaqua avec ses deux énormes pinces tranchantes.



                ***



                Sur le moment, Outami Tatatane ne comprit pas d’où lui venait cette douleur fulgurante. Il lâcha son opposant en essayant de se débarrasser de son agresseur crustacé. Il secoua son bras, sans succès, avant de cogner le Homard contre un rocher. Le pauvre Bernard, assommé, lâcha prise et glissa parmi les anémones de mer. Le chef révolutionnaire se retourna, pour voir où était l’agent du CP. Ce dernier avait saisi une seiche, et, la pointant dans sa direction, la laissait déverser  un jet d’encre aveuglant. S’ensuivit une scène aussi violente que brève et indescriptible.
                Outami, complètement aveuglé, ne vit pas venir le héros foncer sur lui avec un lourd morceau de corail. Yudhisthira étourdit son adversaire, puis, allant récupérer la seiche il s’en servit pour ligoter Outami en faisant des nœuds en liant entre eux les dix tentacules de la bête. Puis, il attrapa son prisonnier, et d’un grand coup de pied sur le sol marin, il entreprit de nager vers la surface.


                Il arriva à l’air libre hors de souffle, dans un grand bruit d’éclaboussures. Remorquant Outami, il se dirigea en direction de la rive, avec un brin d’inquiétude pour son mentor.


                Il était vidé, mais il n’y a pas à dire : ne pas manger de fruit du démon, ça permet de faire des scènes d’action méga-classe au fond de l’eau.



                ***

                Et de son côté, Bernard le Homard, encore choqué par les évènements récents, alla raconter ses mésaventures à Toto le Bigorneau.


                Dernière édition par Yudhisthira Dharma le Ven 26 Juil 2013, 01:06, édité 1 fois
                  Alors qu'un demi-dieu combattait avec héroïsme un révolutionnaire et que des bateaux tombaient du ciel, on pouvait dire que, oui, Rance Ameçong avait raison. Ce n'était pas des bateaux volants qui allaient l’empêcher de gagner cette course. Oh que non ! Toutefois, alors qu'il s'approchait de la ligne d'arrivée, poussé par les cris d'encouragement de la population en délire venu voir sa nouvelle victoire, il crut entendre un sifflement dans l'air. C'était faible, mais son sixième sens prenait de l'ampleur : quelque chose allait arriver ? Un phénomène allait se produire. Plutôt la première. Quelque chose arriva, oui. Ou plutôt quelqu'un arriva et pas n'importe qui. On l'aura deviné, Pludbus Céldèborde avait manqué son coup, de peu. Il n'allait pas franchir la ligne d'arrivée. Il allait tomber à l'eau, sans victoire, une chose impensable pour ce héros illustre. Tentant vainement de brasser du vent pour aller plus vite, il filait vers la surface de l'eau. Il allait mourir. Il ne voulait pas. Il était bien trop jeune pour ça. Peut-être qu'un dieu, quelque part, le prit en pitié, et une brève bourrasque eut raison des quelques mètres qui le séparaient d'un Rance Ameçong éberlué par ce qu'il voyait. Oui. Pludbus arrivait. Pludbus lui arriva dans la figure.

                  Le choc fut rude, mais les deux hommes ne manquaient pas de ressources même si l'un des deux n'était plus de toute première jeunesse. Rance se cogna contre le plancher de son embarcation. De son côté, l'ancêtre fit plusieurs roulades avant de s'arrêter près du bastingage dans un état proche de Rance. Comme plus personne ne ramait, l'embarcation décéléra et vint dériver tout près de la ligne d'arrivée. Il suffisait de quelques mètres pour obtenir la victoire finale, mais la course n'avait pas encore son vainqueur. La foule exultait. Une fin pareille, ce n'était pas tous les jours qu'on voyait ça ! Rares étaient ceux à croire que tout cela était le fruit du hasard. C'était bien trop beau. Et puis, la présence d'une star comme Pludbus, ça ne s'improvise plus, même si seulement deux vieilles dames reconnurent l'ancien amiral de la marine. Elles l'honorèrent en crachant au sol. Charmante. Heureusement, Pludbus ne vit pas ces gestes. Il n'avait d'yeux que pour Rance qu'il regardait au travers des ses paupières mi-closes. L'homme se frottait la nuque, visiblement toujours surpris par ce qu'il venait de lui arriver.


                  What the f... ?


                  Alors qu'il allait reprendre les rames, bien décider à obtenir une nouvelle victoire, Pludbus émit un petit cri, les yeux soudainement écarquillés. Au milieu de son ventre, une petite porte s'abaissa. Le sportif la fixa et sa surprise augmenta. Si si, c'est possible. Pludbus le regarda. Rance le regarda.

                  Ce n'est … pas … fini …

                  What ? C'est une joke ?

                  Non … aaaaah …. AAAAHHH

                  AAAAAAAH !

                  Oh my …

                  Il n'eut pas le temps d'en dire plus, il fut rapidement submergé par une vingtaine de marins qui surgirent des tréfonds de Pludbus. Ils hurlaient, heureux de sortir enfin de cet enfer. Ils avaient eu peur. Et à force d'avoir peur, elle les avait poussés à sortir. Tandis que d'autres sortaient, les premiers se rendirent contre de la situation dans laquelle ils se trouvaient : ils étaient près de la victoire finale. Le rêve de n'importe quel regatier. Les uns après les autres, chacun comprit. Ils pouvaient gagner. Mais à 40 dans une embarcation, cela n'avait aucune valeur. Il fallait la gagner seule. Et pour cela, il fallait être seul. Chacun comprit ce qu'il devait faire.

                  ***

                  « Torade ! Cette fin ! Cette fin ! Je n'en reviens pas … Dans mes bras ! »

                  « Mes voyons, Tafedu ! Un peu de tenu ! Et puis, ce n'est pas fini ! »

                  « Comment cela ? »

                  « Mais regardé ? »

                  « Oh ! »

                  « C'est tout ce que ça vous fait ? »

                  « Et bien, c'est divertissant, non ? »

                  « Comment ? Vous trouvez ça bon pour l'image qu'une quarantaine de régatiers en viennent aux mains devant tout le monde ? Que vont penser les fans de tout cela ? Et les enfants ?! Eux qui idolâtrent les régatiers ! C'est ces mêmes régatiers qui vont briser leur rêve par cette violence, gratuite et malsaine ! C'est intolérable ! »

                  « Je n'avais pas vu cela sous cet angle... C'est bien triste … »

                  « En effet. »
                  ***

                  Près de la ligne d'arrivée, les candidats à la victoire finale s'en donnaient à cœur joie. Les hommes tombés à l'eau continuaient leur lutte, attrapant les pieds et faisant tomber à l'eau d'autres adversaires. La bataille était pitoyable, chacun voulait se retrouver seul dans l'embarcation pour la mener seul vers la victoire. Ce n'était pas possible. Évidemment. Pludbus le voyait bien. Isolé, dans son coin, il analysait les chances de chacun, mais elles étaient proches du zéro. Même Rance semblait peiné. Son regard vint alors à vagabonder sur la surface de l'eau. Un peu de repos, c'est toujours paisible. Il réfléchit aussi : comment pourrait-il gagner ? Et c'est pendant qu'il se posait cette question qu'il s'aperçut de quelque chose. Là. Près de la rive. Cette chevelure. C'était Yudhistara. Il s'approchait de la rive, mais, sans le savoir, il était tout proche de passer la ligne d'arrivée. Pludbus se leva, totalement surpris. Il lui volait sa victoire ! Mais il n'eut pas l'occasion d'approfondir son sentiment de traitrise, l'un des marins découvrit l'existence du vieux qui s'était relevé et il s'empressa de l'attraper pour le balancer à l'eau. Dans la mauvaise direction, évidemment. Ce qui devait arriver arriva. Après quelques gestes désespérés pour se maintenir à flot, Pludbus coula. C'est alors qu'une grande clameur se produisit. Non. Les gens n'applaudissaient pas la mort de Pludbus. C'était juste qu'il y avait un gagnant à la Régate.

                  Sur le bateau, Rance n'était pas ce vainqueur. Il était choqué. Son regard vint vers là où se trouvait Pludbus un instant plus tôt. Il bascula la tête sur le côté.

                  Well. C'est la défaite de toute façon. Why not ?

                  Et il plongea.

                  ***

                  « Quel fin Torade ! Quelle fin ! »

                  « Oui ! C'est la meilleure régate de toute l'histoire de la compétition ! Le vainqueur, cet homme très classe, a fini à la nage ! C'est une première ! Et Rance Ameçong a sauvé ce vieil homme de la noyade devant tout le monde ! Ça montre bien que derrière le compétiteur qu'il est, il y un être prêt à tout pour sauver quelqu'un. C'est beau. »

                  « Oui. C'est terriblement beau ! Avez-vous des nouvelles de ce vieil homme ? »

                  « Il me semble avoir entendu dire qu'il avait été pris en charge par des marines et un médecin, un certain docteur Alakon. Il a l'air compétent. Le vieil homme semble avoir meilleure mine. Il paraît plus reposer avec ses couettes. »

                  « Oui. Les marines semblent insister pour s'occuper du soin de ce pauvre homme. Mais il me semble aussi qu'ils veulent nous arracher notre champion ! C'est stupéfiant ! Ils ne vont tout de même pas oser ! »

                  « Je n'espère pas. On risque l'émeute. Les gens ne veulent pas abandonner leur champion. Ils veulent le voir. Le toucher. Lui parler. Il ferait mieux de lâcher l'affaire. »

                  « Oui. »

                  « Enfin, cette compétition est terminée. J'espère que ça vous aura plus, même si nous sommes seulement tous les deux à pouvoir nous entendre. Ce fut un plaisir de commenter cette course avec vous, Tafedu. »

                  « Ce fut aussi un plaisir pour moi, Torade ! »

                  « Je vous en remercie ! Je vous dis donc à l'an prochain, pour la prochaine édition … de la Grande Régate ! »
                  • https://www.onepiece-requiem.net/t2303-fiche-du-vieux-pludbus
                  • https://www.onepiece-requiem.net/t2255-toujours-pas-six-pieds-sous-terretermine-meme


                  Les dernières minutes furent agitées pour Yudhisthira. A peine avait-il eu le temps d’arriver sur la rive, qu’il s’était senti acclamé, entouré, soulevé, porté en triomphe, acclamé, placé sur un podium, acclamé, médaillé, acclamé encore. Un instant désorienté, le héros qu’il était repris rapidement le dessus. Cachant vaguement sa fatigue, il s’efforçait de sourire, d’agiter la main d’un air bête comme le font toutes les personnalités face à une foule qui n’attend que ça d’elles, et, surtout, il s’efforçait de rassembler ses esprits pour répondre aux questions que lui posaient deux commentateurs aux vêtements ravagés et à la santé mentale à l’avenant.

                  « Félicitations ! Vous êtes le vainqueur de ce tournoi ! Quel est votre nom ? »

                  « Hem… Yadusake, heu… Alapero. »

                  « Splendide ! Regardez-moi cet athlète, Tafedu ! Quelle allure ! Quelle prestance ! »

                  « Ah oui, mon cher Torade ! Mais il a l’air épuisé et blessé ! Dites-moi monsieur, est-ce-que cette course a été éprouvante pour vous ? »

                  « Heu… C’est »

                  « Oh que oui, ça en a tout l’air, Tafedu ! Il lui a fallu se battre contre un peloton déchaîné ! Il a même réussi à vaincre Rance Ameçong ! Dites-moi, cela fait quoi de battre le champion en titre, qui a gagné sept fois consécutives cette régate ? »

                  « Je dois dire que… »

                  « Ah, il a l’air ému, mon cher Torade ! Mais j’imagine que le geste chevaleresque de l’ancien champion en titre ne lui a pas échappé et que ça l’a touché ! N’est-ce pas ? »

                  « En fait, il… »

                  « Ca, Tafedu, c’est une phrase qui en dit long, très long pour ceux qui savent la décrypter ! Champion, vous donnez du fil à retordre à tous les commentateurs et journalistes qui sont un peu versés dans le monde de la régate ! »

                  « On peut le dire, Torade, on peut le dire ! Après cette victoire, le monde de la régate est changé ! Mais il va falloir nous séparer, et penser à l’année prochaine… Au fait, Yadusake, participerez-vous à la régate l’année prochaine ? Heu… Yadusake ? »


                  Mais Yudhisthira avait disparu au milieu de la foule, en direction du soleil couchant. A vrai dire, il n’avait pas réellement disparu, puisque tout le monde l’acclamait et le félicitait, mais il était impossible à rejoindre. Pour le moment, une horde de groupies en délire le suppliait de leur signer un autographe, ce que le héros faisait de bon cœur, un sourire charmeur et à présent détendu aux lèvres. Il faut dire que, tout jeune héros qu’il était, Yudhisthira était habitué aux marques d’affections, et évoluer au milieu d’un foule déchaînée faisait partie des attributions d’un demi-dieu. Il sentait qu’on attendait de lui un comportement particulier, et il agissait en conséquence.


                  Son parcours l’amena peu à peu à Rance Ameçong, qui lui aussi avait droit à son moment de gloire. A l’image de septuple vainqueur de la régate, du sportif de haut niveau en forme optimale et aux biscotos impeccablement huilés s’était ajoutée celle de l’homme de cœur, prêt à perdre une course pour sauver un homme. Et ce n’était pas pour lui déplaire.

                  « Hey, you ! »

                  Yudhisthira se retourna :

                  « Ah, Rance ! Heu… Désolé, votre navire est détruit et vous n’avez pas gagné la course… »

                  « You don’t mind ! C’est pas grave ! On ne peut pas toujours gagner. Y’know, tu m’as ouvert les yeux. La régate c’est bien, mais je ne suis pas certain de vouloir faire ça all my life. »

                  « Ah ? Ben, changez de métier alors ! »

                  « Yes »


                  Avec un air de conspirateur, il se pencha vers le demi-dieu.

                  « After all, j’ai bien aimé cette course. La poursuite, le combat, all that stuff. Je crois que je suis fait pour cette vie. L’excitation d’une course, it’s nothing comparé au frisson d’un boulet qui passe près de votre tête ! »

                  Ameçong s’approcha encore.

                  « Et puis, le combat, les actes de noblesse, sauver ses amis au cours d’un abordage pour la justice et l’adulation du peuple… C’est décidé, my friend, je vais devenir… Cap’tain pirate ! What d’you think ? »

                  Devant l’air interdit de l’agent du gouvernement, Rance Ameçong se méprit :

                  « Ho, maybe vous vous inquiétez pour votre ami, Nomorebusses ou je ne sais qui… Il est avec les marines. Hum… Il vaut mieux que je file, ils viennent vers nous !»

                  En effet, au grand déplaisir de la foule, quelques soldats courageux s’étaient approchés de Yudhisthira, tandis que d’autres emmenaient Pludbus à l’intérieur d’un navire réquisitionné pour l’occasion. Le demi-dieu prit à son tour le chemin du navire, mais un changement d’ambiance le fit hésiter. L’attitude de la foule passait de l’incompréhension à l’appréhension, puis à la colère et enfin à la fureur noire. La tradition voulait que le vainqueur de la régate préside, après la course, à un festin qui devait durer toute la nuit et qui était l’occasion de grandes réjouissances. Pourquoi les soldats s’en mêlaient-ils ? Pourquoi emporter leur héros ? A quoi ressemblerait le banquet du vainqueur de la régate, sans vainqueur de la régate ?

                  ***

                  Le temps que la réflexion se fasse dans toutes les têtes des gens amassés ici, le demi-dieu, poussé par les marines qui ne tenaient pas à traîner dans le coin, était monté dans le navire réquisitionné, et son premier geste avait été d’aller rendre visite à son aîné dans l’héroïsme, l’incomparable Pludbus, qui pour l’instant gisait dans une des cabines, sous l’attention constance d’un jeune matelot breveté bien gêné de se retrouver à faire de la gériatrie. L’ancien amiral en chef semblait souffrir de quelques contusions, et d’un trop plein d’émotions. Mais les vieux héros étaient increvables, et d’ici quelques minutes, il serait à nouveau d’attaque. Yudhisthira resta quelques secondes au chevet du vieil homme, l’air indécis. Puis, il se décida :

                  « Au fait, Pludbus, qui est ce Doigt-Arête que je devais tuer ? »

                  Demanda-il, sûr que la réponse allait donner un sens nouveau à sa vie.


                  ***

                  A l’extérieur, le climat commençait à tourner au vinaigre. Tout d’abord, sans le dieu de la Navigation, des Courants marins, des Naufrages et des Iles Désertes pour veiller au grain, les embruns se faisaient plus agressifs, les vents plus violents, et une fine pluie se mit à tomber sur l’île. Mais le temps ne diminuait en rien l’ardeur de la foule, et les plus entreprenants, frustrés dans leur attente, avaient commencé à déborder le service de sécurité de l’île, à s’assembler autour du navire réquisitionné, en criant et en levant le poing. Des mots furent dits, des insultes lancées, et bientôt et coups de poings les accompagnèrent. La marée humaine fut traversée de courants contradictoires : celui des enragés, et celui des badauds qui, effrayaient, ne voulaient qu’une chose : se sortir de la cohue. Bientôt, le navire de la marine ne fut plus la cible des mécontents : les supporters les plus acharnés avaient bien vu que la course ne s’était pas déroulée de manière normale, qu’il y avait eu des irrégularités. Aussi ils progressaient lentement vers la tribune du comité d’organisation de la régate, qui commençait à se trouver mal à l’aise.

                  Mais en tout cas, le moment était parfaitement choisi pour la marine de lever l’ancre, mettre les voiles, bref, mettre le cap vers ailleurs.