Premier jour de prison. Douches collectives.
Un vingtaines de douches, séparées par rien d'autre que la pudeur. Et la pudeur, des taulards vivant ici depuis une dizaine d'années, ils n'en ont plus beaucoup. C'est ma première à moi, alors je n'ai pas l'habitude. Forcément, j'observe, je renifle. Bruyamment. L'odeur de transpiration, de savon et d'eau chaude. L'odeur de coups de poings aussi. Et c'est là que tout commence.
_Pas tapayyyyyyy
_Ta gueule !
PAF POUF BAM.
_Il se passe quoi ?
_Tu vois bien. On s'amuse. T'es quoi toi ? Qu'est ce qu'une poiscaille comme toi fout ici ?
PAF POUF BAM.
_Aïeeeeeeeeeeeee...
Forcément ils n'ont pas encore compris les règles. Mes règles. Ici, on ne tape pas pour le plaisir. Ou pas devant moi en tout cas. Et surtout : On ne me traite pas de poiscaille, de bête, de monstre.
_Tu m'appelleras Ishii. Ou Mr Môsh. Mais rien d'autre.
La dizaines d'autres taulards observe la scène. Je renifle, encore. Personne n'a quelque chose d'autre à ajouter. Les choses sont dîtes. La victime du bagareur, un pauvre gosse, plus petit que les autres hommes déjà petits, plus maigre et plus roux vient me remercier.
_Merci euh... l'ami. Moi c'est le biz... euh Tommy. Faut pas leur en vouloir, ils s’ennuient un peu... Et puis là, tu m'fous dans une sacrée galère...
_Tu l'as dit, l'bizu... Tu sais qui tu viens de frapper ? J'suis Bernou, le n'veu d'Oncle Tram. Et on ne cherche pas l'Oncle Tram ! Tu vas voir quand j'vais lui dire ça !
Cet Oncle Tram, je ne le connais pas. Le lecteur ne le connait pas. Personne ne le connait. Mais apparemment je devrais. Et la moue des autres douchés me confirme cette hypothese. Rien n'empêche, les choses sont faites. Alors je continue à me doucher et le Bernou sort de la pièce la queue entre les jambes, le visage ensanglanté.
Deuxième jour. Cour de promenade.
Je commence peu à peu à connaître l'endroit. Ici, des saigneurs pirates, des mafieux sans cœur, il n'y en a pas. Ce sont des hommes comme moi, à l’exception qu'ils n'ont pas un horrible visage et qu'ils ne font pas 2metre 80... Ils ne sont pas mauvais, ils ont juste peur... Ce sont juste de pauvres petits hommes n'ayant eu d'autre choix que de prendre la mauvaise route pour nourrir leurs enfants. Des voleurs à l'étalage, de petits truands qui tentaient de gagner assez pour se remplir le ventre. Des gens normaux qui n'ont pas eu la chance de naître une cuillère en or dans la bouche. Mais bien sûr, il y a quelques exceptions et c'est lorsque je sens un poignard dans mon dos que je m'en rends compte. Ma réaction est forcément de me retourner, ce qui fait reculer l'agresseur de quelques pas. La mine presque apeurée, il tente vainement de garder son sang froid.
_J'viens de la part d'Oncle Tram. On ne cherche pas sa famille. Ou on meurt. Ce sont les règles. Bien compris ?
_Hmmm... Non.
Je m'avance, il re-recule. Je me ré-avance, mais cette fois plus rapidement. Il tente de me couper. Je frappe son bras sans broncher, envoyant valser sa lame avant de le saisir par le col.
_Hmmm... C'est qui, l'Oncle Tram ?
Je suis son regard, jusqu'à un vieil homme assis, le bras posé sur une canne, nous observant calmement, assis sur un simple tabouret et entouré de quelques hommes. Relâchant mon agresseur qui s'écroule sur le sol, je m'avance vers le vieillard m'observant toujours.
_Tonrad, qui a tenté de te faire comprendre les choses, est un imbécile. Il a peur de toi parce que tu es un homme poisson. Et j'ai cru entendre dire que ça ne te plaisait pas trop que l'on t'appelle ainsi. Sauf qu'ici, les règles sont les miennes. Le sol que tu foules m'appartient. La nourriture que tu bouffe m'appartiens, les hommes que tu agresses m'appartiennent. Ta vie, dès que tu as foulé cette prison, m'a appartenu. Alors écoute moi bien la poiscaille, à partir de maintenant, tu vas m'obéir comme un gentil toutou, tu vas m'lecher les bottes comme un gentil toutou et tu vas arrêter de JOUER AU CON DANS MA PRISON !! Je me suis bien fait comprendre ?!
Qu'un homme ose me parler ainsi... Qu'ai-je donc fait à la terre pour cela ? Plus je me pose cette question et plus mes poings se serrent. Plus une incontrôlable envie de faire taire cet indélicat m'envahit. Alors je fuis. Non je ne cours pas. Je ne lui fais pas cet honneur. Je lui tourne juste le dos, et je pars. En reniflant. Bruyamment.
Et c'est ça qui me sauve la vie.
Une odeur de transpiration et de parfum parviennent bien vite à mon nez. Si vite que je m'en retourne de surprise pour apercevoir un barbus me courir derrière une lame dans la main. Je ne peux que tenter de l'éviter, mais c'est trop tard. La lame qui avait pour but de m'ouvrir le ventre me déchire l'épaule gauche. De rage, ma main vient voler contre le visage de l'homme qui ne peut que tenter d'encaisser. Le choc le propulse à terre, mais ce n'est pas assez. Je me jette sur lui et mes poings vont voler contre tout son corps. Je ne peux m'en empêcher. Ma colère parle par chacun des poings s'écrasant contre son visage, son buste, ses épaules. Ma rage gronde jusqu'à ce qu'un dizaine de gardiens viennent s'interposer et me matraquer pour finir par me faire tomber. Inconscient.
vingt septième jour. Au trou
Combien de jour ? Ca fait combien de putains de jours que je suis ainsi ? Que mon esprit se perd ? Je n'en sais, vraiment rien. Lorsque je me suis réveillé, mon dos me faisait un mal de chien. Tout mon corps me faisait un mal de chien. Depuis, c'est à peine si j'ai bougé autre chose que mes mains. Où je suis ? On appelle ça le trou. Une pièce noir faisant moins de deux mètres carré où tout mon corps est obligé de se serrer pour passer. J'y passerai un mois de ma vie. Les journées seront longues. Plongé dans le néant, avec comme seul occupation mon esprit. Tournant en rond jusqu'à en devenir fou. Deux fois par jour peut être trois, on viendra me déposer un mie de pain rassi et un verre d'eau. Seuls vestige d'un temps qui continue à couler dans la rivière de la vie. Mais il ne tourne qu'à l’extérieur, car ici, il s'est arrêté. Je manquerai à plusieurs reprise de me tailler les veines, d'oublier de manger ou de demander une corde. Mais mon esprit me sauvera. L'idée de faire payer cet Oncle Tram me tiendra en vie. On ne me traite pas comme un animal. D'homme Poisson, je ne suis qu'Homme.
Ce Tram a beau avoir les gardiens, les prisonniers et peut être même l'argent avec lui, il me payera cet affront.
.
Dernière édition par Ishii Môsh le Mar 9 Oct 2012 - 16:43, édité 5 fois