Carnet de voyage de Kyoshi Okabe
Année 1624, semaine 23, jour 2
Trois semaines qu'on est ici. Et c'est toujours autant le bordel. Je pense que c'est quelque chose que je ne vais définitivement pas aimer dans cette base... Cet air de fourmilière. Ça grouille de partout, ça gueule dans tous les sens, ça s'excite tout le temps. Je regrette Union John. Et le fait de côtoyer toujours plus de grands noms de la révolution ne me fait pas plus chaud au coeur que cela.
Mais la cause est noble. La cause au moins... Tout le monde se bat pour la liberté. Il y a un certain respect dans le coin. On sait pourquoi on est là. Surtout en ces temps troubles. Par contre, je dois avouer que dans la ville, à Novograd, l'ambiance est particulière. Voire la révolution se servir de tous les rebuts de la société, de criminels en tous genres comme de gens honnêtes, ça me titille pas mal. Je n'aime pas ça. Une révolution ne peut être faite hors des règles morales qu'elle prône. Sinon, quelle est sa légitimité? Comment peut-on affirmer vouloir le bien du peuple d'une part, et protéger les criminels d'autre part? C'est insensé, et je n'aime pas ce qui est insensé.
Depuis que nous sommes arrivés avec Yukikurai et Hiroko, nous avons eu droit à de nombreux briefings. Et bien que nous ne soyons pas des révolutionnaires appartenant au mouvement local, grâce à l'influence de Mandrake, nous avons été rendus responsables d'hommes. Pour ma part, je suis affecté à l'une des unités qui gèrent les défenses de la Grosse Bertha, un canon impressionnant de calibre et de technologie. D'ingénieux systèmes de compression des explosions permettent d'envoyer des obus de plusieurs centaines de kilos. Bon, c'est un peu lent à recharger, de ce que m'a dit le professeur Histic Bal, un expert en balistique, mais la puissance de feu de cette arme est apparemment l'un des points importants de la défense de la base. De quoi mettre hors-jeu plusieurs navires lors d'un assaut... Il existe un autre canon, nommé le P'tit Louis. Ils sont tous les deux gérés par le professeur Bal depuis un point entre les deux yeux de la gueule du requin. Un point de vue imprenable pour estimer les meilleures cibles et pour prendre en compte tous les paramètres.
Ma tâche sera de coordonner les pièges qui protègent la Grosse Bertha, ainsi que les techniciens qui les gèrent. Et je pense que ça va pas être de tout repos. Tous ces pièges n'ont jamais servi en douze ans. Les attaques ne sont jamais parvenues jusqu'ici. Du coup, depuis mon affectation, je passe mon temps à passer en revue tous les mécanismes qui devraient empêcher d'éventuels intrus de parvenir à neutraliser les défenses. Quelle ingénierie d'un autre temps! Incroyable... Je n'suis pas ingénieur pour un berry, mais il n'y a rien à faire, quand on voit la physique utilisée, sans doute la chimie même si c'est moins mon rayon, on dirait que les pièges ont été imaginés il y a cent ans. J'en ai profité pour faire quelques améliorations, imaginer de nouveaux pièges. Aujourd'hui encore, je vais passer en revue une dizaine de vieux pièges afin de vérifier qu'ils fonctionnent correctement.
***
Le scientifique rangea son carnet, et se mit en route pour la salle de contrôle des pièges. Un seul café dans les veines, c'était bien peu. Particulièrement avec ces journées de boulot permanent qui s'enchaînaient. Se lever, boire du café, bosser seize heures d'affilées en buvant quelques cafés, aller dormir... Le train-train. Depuis que les nouvelles concernant la base révo sur les Allods étaient parvenues aux révolutionnaires, tout s'était encore plus accéléré. Il était maintenant clair que cet équipage de marines cinglés, les Sea Wolfs, allaient tenter d'aider les marines locaux à faire tomber la base, et qu'ils avaient des arguments pour eux.
Et aux commandes de cet équipage... Toji Arashibourei. Son nom était resté gravé dans la mémoire de Kyoshi depuis qu'il l'avait vu, en 1620, jouer avec la vie de gens qu'il aurait du protéger. Une brute épaisse, une odieuse carcasse sans coeur, un déchet de l'humanité... Enfin, de l'humanité poissonique. C'était la principale raison qui avait poussé le physicos aussi loin des siens: mettre des bâtons dans les roues de ce type. Bon évidement, il n'avait déjà rien pu faire de très concluant à l'époque, il fallait bien se douter qu'il ne pourrait pas faire grand-chose de plus en confrontation directe même s'il avait énormément progressé en matière de combat depuis lors; l'adversaire restait un type qui avait détruit une île entière avec son équipage. Mais cette fois, il n'y aurait sans doute pas de confrontation physique directe; Kyoshi allait se battre avec son esprit. Ce qu'il pouvait faire de mieux assurément.
La deuxième raison, c'était bien sûr Hiroko. Elle voulait assister ce mouvement révolutionnaire dans son combat. Dès lors, le destin du manchot était tracé. Il s'était seulement rendu compte sur place que, au final, il n'avait aucun moyen pour protéger directement la lady. Il ne restait plus qu'à espérer qu'elle ne soit pas prise de trop grands accès de folie.
Enfin il arrivait dans la salle où il passerait son temps lorsque l'attaque surviendrait. Seule une équipe de nuit était sur place. La relève n'avait pas encore été faite. Kyoshi se dirigea vers un bureau dans un coin de la salle. Dans les tiroirs, des listings exhaustifs des pièges installés dans le secteur de la Grosse Bertha. Avec descriptions complètes, emplacement, dates de révisions, date de création... Enfin, tout ce qu'il fallait pour les gérer. Il consulta la liste des dernières révisions. Il restait plusieurs mécanismes qui n'avaient pas été revus depuis leur création. Il s'occuperait de ceux-là aujourd'hui.
Au centre de la pièce, une grande table. Elle est divisée en neuf parties distinctes, et dans chacune d'elles, un plan détaillé d'un étage de la structure se trouve. On y trouve toutes les localisations des emplacements pour les escouades défensives, des den-den mushis de surveillance, des pièges, des accès aux autres parties de la base, etc. Les vérifications du physicien interviendraient sur les cinq étages inférieurs. Un chimiste local, un type qui se faisait appeler "Eki, Libre dans sa Tête", était arrivé. Un type un peu secoué du ciboulet, un chimiste quoi... Toujours était-il qu'il était le type que Kyoshi attendait pour aller commencer ses examens. Un chimiste et un physicien, c'était tout ce qu'il fallait dans l'absolu. Et merde aux ingénieurs!