"Là où tout commence"
Blake, Monster, Ishii
14 Juillet 1624
Blake, Monster, Ishii
14 Juillet 1624
Elle était là, s’élevant comme une tour d’ivoire inatteignable et impérissable.
Le temps avait beau être passé, elle subsistait encore, portant en elle l’héritage et le souvenir d’un homme qui avait réussi. Un homme qui avait tout obtenu : la puissance, la gloire, la richesse, et même les femmes. Un homme qui avait, par la seule force de ses mots, influencé le destin des générations futures, projetant les populations vers leur existence en les poussant à la prendre en main. Le seul qui aurait réussi à atteindre le paradis, à atteindre Rough Tell. A atteindre le plus grand trésor jamais apparu sur Terre…
– Olé, Blakou, c’est ça qu’on est v’nus voir ? Non pa’lce que je m’attendais à un peu mieux, olé !
– Kiki, tu t’rends compte de ce que c’est au moins ? De toute façon t’es qu’un gros naze, tu peux pas comprendre.
– Au cas où t’au’lais pas ‘lema’lqué, toi et moi on est la même pe’lsonne ! Si je suis un naze, olé, tu l’es aussi ! Et non, pou’l moi c’est juste un balcon tout moche.
Peu importait ce que pouvaient penser les autres. La seule chose qui comptait en réalité, c’étaient ces échafaudages en acier soutenant cette plaque de bois, et le souvenir ineffaçable de ce qui s’y était produit. Blake n’était pas dupe, si Roger avait réussi à soulever un tel engouement autour de sa quête, ce ne pouvait être que pour une seule raison. Cette même raison qui expliquait que son nom, même s’il s’était éteint depuis longtemps et avait été traité en pariât, soit encore aujourd’hui dans les mots de chacun. L’histoire du vieux Bill, canonnier de l’équipage des Gro’lar Pirates – dont son père était le capitaine – restait toujours ancrée dans sa mémoire. La scène était destinée à y rester gravée et à alimenter son désir. Sa volonté et ses espoirs ne reposaient que sur ces paroles, ce conte qu’il avait été le seul à croire et auquel il avait été le seul à porter l’intérêt qu’il méritait. La fable de la Nymphe de Rough Tell et de ses tétons magiques, voilà ce qui l’avait poussé à venir ici. Voilà ce qui l’avait poussé à l’aventure en accréditant ses rêves de gloire.
Blake se rapprocha de l’immense potence, comme attiré par elle. Roger avait été l’unique personne à avoir atteint l’ultime île de Grand Line, il avait été le seul à pouvoir rencontrer la fameuse Nymphe. Peloter sa poitrine était synonyme de renom et jeunesse éternels ; considérer que le seigneur des pirates l’avait fait était loin d’être une sottise et paraissait même évident quand on y réfléchissait. Après tout, seule une paire de seins phénoménale pouvait causer autant d’exaltation autour d’un seul homme.
Oui, Gold Roger avait tripoté la Poitrine de Jouvence. Et Blake serait son successeur dans cet exploit. Devenir Seigneur des Pirates ne l’intéressait guère, tout ce qui comptait c’étaient la renommée et les tétons d’immortalité.
– Blakou, tu fais quoi, là ?
– Je prends mes couilles en main, si tu veux savoir.
– Je te p’léviens, si tu tombes, je ne t’aide’lai pas ! Olé !
– Qui a parlé de tomber ? Héhé !
Les mains agrippant l’échafaudage et les pieds servant d’appui, Blake entamait une ascension relativement périlleuse de la potence. Etant donné l’état plus que dégradé des fondations, la peur aurait été légitime. D’ailleurs, c’était ce qu’il ressentait à l’heure actuelle, regrettant sa connerie maintenant qu’il était à mi-hauteur – mais qu’il dissimulait excellemment bien en forçant ses dents à afficher un sourire prétentieux. De toute façon, ce n’était pas en ne prenant aucun risque qu’il arriverait à se faire un nom !
– J’te vois bien t’fai’le un nom : Faits dive’ls de la Gazette : Un ab’luti est mo’lt en voulant g’limper su’l une vieille potence pou’llie. Ca t’va, ça ? Olé !
Kiki n’avait pas tord, l’exercice était plutôt ardu, et même la témérité légendaire de Blake commençait à être mise à mal. Quatre mètres… Si jamais un boulon lâchait ou que sa main glissait, il gagnerait une colonne vertébrale brisée en guise de consolation.
– Et un type handicapé, ça pelote pe’lsonne ! Olé !
Comme en écho à la phrase de Kiki, son pied manqua l’appui et il bascula brusquement en arrière. Blake était dans une sale position à présent, ses mains formant l’unique assurance à son salut. En-dessous, il entendait la foule émettre des « oh » de surprise et semblait même sentir les doigts pointés en sa direction. Tout ce qu’il voulait, c’était atteindre son but, un rêve enfantin transformé en obsession. Etait-ce trop demandé que d’y parvenir ?
– Ca y est, on est mo’lts ! Olé ! J’ai pas envie de te di’le que je te l’avais bien dit, mais je vais t’le di’le quand même. Je te l’avais bien dit ! Olé !
– On va pas mourir maintenant, c’est clair ?!
Son cri troubla la quiétude de la place de Loguetown. A force de gueuler comme un fou, Blake avait acquis des cordes vocales réellement développées, si bien que son hurlement sembla entrer en résonnance entre les murs alentours. Il serra les dents et émit une projection, ce qui lui permit d’atteindre l’échafaud au-dessus. Plus que quelques centimètres, et j’y suis. En réalité il avait encore un peu plus de deux mètres à parcourir, mais diminuer les faits lui redonnait courage. Cette tactique se révéla payante puisque Blake parvint à surmonter les tremblements agitant ses bras et la fatigue compressant ses membres. Le froid de l’acier ne l’atteignait plus. La dureté du métal ne le blessait plus.
L’héritier de Roger, ce serait lui, personne d’autre. Personne d’autre n’était digne de toucher à la Nymphe de Rough Tell. Ce rêve était sien, tout simplement. Et il le réaliserait.
– Olé, t’as ‘léussi ! J’en avais jamais douté, olé !
Ses mains rencontrèrent enfin la plaque de bois, véritable salut de son ascension. Au contact, ce qui n’était qu’un enchevêtrement de morceaux de troncs d’arbres lui apparut comme une intense bouffée de chaleur, un paradis utopique n’attendant que sa venue.
– Waouh… Supe’l. Tout ça pour… Ça ? F’lanchement ! Olé !
Blake ne répondit rien, bien trop occupé à contempler ce paysage. Bon, effectivement, ce fameux paysage en lui-même était plutôt banal, d’autant plus qu’il ne faisait pas très beau à Loguetown ce jour-là. Le véritable intérêt reposait dans le symbolisme : il voyait ce que Gold Roger avait vu. Surtout, il voyait ce que le peloteur de la Poitrine de Jouvence avait vu. Ça, c’était beau. Le jeu en avait donc bien valu la chandelle. Pour une fois, l’idée de tripoter les femmes en-dessous ne l’intéressait pas : car en ce moment, il était en communion parfaite avec son prédécesseur. Là, dans cette position, face à la foule qui le regardait en le traitant sans doute de fou, Blake se sentait invincible. Au fond de lui, il avait la conviction que ses rêves n’étaient pas aussi chimériques que les autres l’affirmaient. Son but lui paraissait être à portée de main.
– Maintenant, tu fais quoi, olé ?
– Ben… Je sais pas, HAHA ! T’as une idée de truc intéressant ?
– Attends, t’es en t’lain de di’le que t’es monté ici sans savoi’l quoi fai’le ? Olé !
– On appelle ça l’instinct, Kiki. Rappelle-toi c’que disait Papa « un pirate agit toujours à l’instinct, parce qu’il est pas assez intelligent pour réfléchir. »
– T’lès ‘lassu’lant tout ça ! Olé !
– Si t’es pas content c’est pa…
– Hé gamin ! Descends de là tout de suite, c’est pas un terrain de jeu !
Qui était l’enfoiré qui avait osé lui couper la parole, alors qu’il était là, à l’endroit-même où était mort Roger ? Blake s’approcha du bord afin de voir celui qui venait de parler. L’avantage dans cette situation était qu’il pouvait regarder tout le monde de haut, ce qui lui plaisait particulièrement. Le type était habillé en blanc et bleu, avec une affreuse casquette lui couvrant le nez.
– Je descends si je veux !
– Olé, c’est un ma’line. Allez, on descend. Olé !
– Un marine ? Et alors ? On est des pirates nous !
– Blakou, écoute-le, tu vas enco’le nous atti’ler des putains d’ennuis ! ‘Llappelle-toi la de’lniè’le fois quand tu t’es fait jeter en p’lison avec un obsédé homosexuel et qu’il t’a fo’lcé à te mett’le à quat'le pattes.
– C’est pas pareil. On est à l’endroit où Roger est mort ! Il mérite un hommage.
Sans savoir réellement ce qu’il faisait, Blake se redressa, releva le menton et se mit à crier.
– Population de Loguetown, vous avez la chance de vivre dans la ville qui a vu naitre et mourir le seigneur des pirates.
– Olé, fais pas de conne’lies s’il te plait.
– Cette ville porte en elle la légende de Gold Roger, le seul homme qui a atteint Rough Tell ! Le seul qui a mis la main sur la Poitrine de Jouvence !
En réaction à sa déclaration, un type dans la foule se mit à répliquer, lui aussi Marine de toute évidence. En fait, à bien y regarder, il semblait y avoir une bonne poignée d’agents sur la Place à présent. :
– La Poitrine de Jouvence ? Non mais c’est quoi encore ces conneries ?
– Et ta mère, c’est une connerie ? Ça m’empêchera pas de lui lever la robe en tous cas !
– Olé Blakou, et si on s’en allait ? Ca pue ces histoi’les là !
– Quoi ?
Une volée de jurons se mit à partir des deux côtés, fusant d’un bord à l’autre du tac-au-tac. Au bout d’un moment cependant, Blake sembla avoir touché un point sensible :
– Espèce de peloteur de poitrine plate !
– Olé, t’y es allé f’lanchement ! Le pauv’le.
Evidemment, le sens commun aurait fait comprendre que ses insultes étaient si absurdes que les Marines avaient fini par en avoir marre de répliquer. Mais Blake ne le savait pas, et ce moment de gloire le poussa à commettre un acte plein de courage selon son point de vue, et plein de stupidité selon celui des autres.
– Clouer le bec aux Marines n’est pas mon seul point fort. HAHA ! Je suis Blake Redhorn, et je suis celui qui deviendra le successeur de Gold Roger ! Je suis celui qui pelotera la Nymphe de Rough Tell ! Cet acte n’est que le premier de la longue série qui fera de moins son héritier !
– Olé, Blakou. On est dans le caca là, olé !
La place comptait déjà une bonne trentaine de marines, en armes et prêts à tout découper.
– Ces types ne sont quand même pas tous pour moi, si ?
– Je te l’avais dit, olé !
– Division 1 avec moi, on attrape le poisson. Division 2, occupez-vous de l'abruti sur la potence.
Poisson ? De qui est-ce qu'ils parlaient ?
– En tous l'ab'luti su'l la potence je sais qui c'est ! Olé ! BOUGE !