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[FB 1617] La fleuriste et le paysan

Dans une vie, y' a toujours un moment où y faut partir. Quitter sa famille, ses amis, son travail, ses idées, c'qu'on aime ou c'qu'on déteste; pour la gloire, pour l'argent, pour la paix du cœur ou du ménage, pour Dieu, pour les autres ou pour soi.

Moi, j'sais pas trop ce qui a fait qu'j'ai pris la mer, mais c'que j'sais, c'est qu'elle m'avait prise depuis le berceau. J'pouvais pas résister, c'était une évidence. Couper les ceps, tailler la vigne, faire la cuve et vinifier, c'était beau; mais c'était pas pour moi, pour sûr. Sinon, pourquoi j'me serais senti aussi mal, aussi décalé, pas à ma place ? Eh. J'y suis pour rien dans cette histoire. La mer, c't'une sirène ou une méduse. Elle m'a attiré avec son chant glacé, et j'y ai trouvé... Enfin, non, j'sais pas bien c'que j'y ai trouvé, mais que'qu'chose qui d'vait s'annoncer plus ensoleillé qu'ma vie bien calée et ma routine un poil trop pesante.
Tiens, si on rajoutait des rimes, on pourrait en faire une chanson :

Le poète qui dérive sur le port n'a rien ni personne !
L'enfant tombé du nid n'a pas appris à voler !
Le vagabond cherche sa pièce sur le pavé !
Le passant marche à tâtons dans le vide qui résonne !

La poésie... Les chats et leur sacré nom de liberté opportuniste... Mes rêves de gosse, qu'est-c'que ça va bien pouvoir m'donner ? J'viens de débarquer du navire des chasseurs de primes. Ils ont rien calculé, j'me suis fait si p'tit, pendant la traversée... Même quand j'ai été malade, j'ai pas fait d'bruit. C'est vrai, j'ai bien ruiné un caisson d'sardines en salaisons, mais ma foi, le temps qu'ils aient écoulé leurs jambons qui font barrage, j'serais déjà loin. Dans ma nouvelle vie. Ouai, la fameuse vie que j'sais pas encore du tout à quoi elle ressemblera ! Tout juste !

Eh... En attendant, ici, c'est pas encore le bonheur. J'voulais être un chasseur, mais j'ai comme qui dirait pas vraiment l'âme d'un grand guerrier. Pas que j'sois lâche. Ça, non ! Comme si j'avais eu le loisir de dev'nir félon et paresseux ! Quand on naît paysan, on naît sans instinct de fuite, ou on n'existe pas. … c'qui m'fait d'ailleurs cogiter sur c'qui s'est passé pour moi...

Morbleu ! Y'a des marins qui passent, des dockers qui déchargent des navires de commerce... Tiens... Pas bête, ça. J'vais p'têtre pouvoir les aider un peu, et gagner à grailler pour le jour. C'est qu'on pense mieux l'estomac plein. Pas vrai, Morgan ?


-Miaw !

Bon. Planque toi dans le manteau, on y va.

Oh ! Mais c'est qu'ce sont de vrais monuments, les gens, ici ! Pire que Maraverick ! On dirait des légions de Brom, en plus jeunes et mieux bâtis encore ! Et pourtant, et pourtant, on peut pas vraiment dire que là d'où j'viens...
Eh ! En v'là un qui s'r'vire vers moi ! Accroche toi, c'est ta chance, Sören !


-L'bonjour, l'ami ! Z'aurez bien b'soin d'une paire de bras en plus ? Hein ? Oh, dites ! J'prends pas cher, si j'peux manger c'midi, c'serait déjà Bysance !
-Raconte pas d'bêtises, petit. Où sont tes parents ? T'as fait une vilaine fugue, hein ? Tu d'vrais r'tourner les voir, ils doivent être morts de frousse ! Aller, fais pas l'andouille. De toutes façons, c'est un travail bien trop dur pour une tête blonde comme toi.

Ah ! Vraiment, j'suis pas bien servi par l'héritage de ma mère ! Cette peau blanche malgré les heures de labeur au soleil, ces muscles fins et ces cheveux plus proches des plumes de poussins que de la bonne tignasse des gars du nord ! Et cette barbe qui refuse de pousser ! Bon, aller, un petit mensonge bien senti...

-C'est que... J'ai plus d'parents, m'sieur. J'réchappe juste d'un lynchage... Mon île a été brûlée par des pirates. J'me suis enfui à bord d'un navire de chasseurs de primes. Ils ont pris le large quand ils ont vu qu'ils étaient pas assez forts... Alors... Alors je fais quoi, maintenant, si je peux pas travailler ?

Par le diable des sept vallées, le gars est sceptique ! Il me regarde avec ses yeux bleus, perçants comme la pointe d'un couteau.

-Quelle île ?
-Euh... (pas moyen de gruger, le bougre doit avoir fait le tour des ports de North Blue !) L'île du Loupiac. J'suis vigneron.
-Ah, ah !

Grillé, il connaissait.

-Menteur, va. Les chasseurs qui se sont occupés des fameux pirates qui ont attaqué ton île se sont pointés à la caserne pas plus tard que ce matin ! T'as juste profité de l'occasion pour faire ta petite fugue, hein ? Quoi ? Le travail était trop dur ? On voulait faire le patachon, là où on avait de la besogne ? Eh ! J'vais t'apprendre, moi... Oh ! Reviens ici tout de suite !

Courir, ça, je sais faire. Le docker peut y aller, il me rattrapera pas. J'suis peut-être pas large, mais moi, au moins, je passe partout. Comme un félin. Un ours peut rien contre moi. D'ailleurs, bien vite, il abandonne... Sauf que maintenant, ben j'suis perdu. J'vois plus le port, juste une place où se tient une sorte de grand marché. Un marché, avec des jongleurs et des saltimbanques en plus. Et puis, une musique... Trois visages connus qui chantent. Bon sang. Mes nerfs qui s'raidissent. Je m'cale dans la foule, l'air de rien, mais l'cœur en fête. Finalement, comme un courant d'air, la chanson passe et s'arrête. Les applaudissements fusent, la monnaie tombe dans le chapeau. Et puis...

-Eh ! Mais c'est le petit des Hurlevent, ça !
-Par le Fenrir et les gardiens des Quatre Océans, ça fait un bail !
-Il a si peu changé ! Oh... Mais les esprits le tourmentent, mon Dieu !
-T'en es sûre, Serena ? Eh, mon bonhomme ! Tu fais quoi, là, loin de ton coteau ? Nos sales trognes te manquaient tant que ça ?
-Bah, pour sûr, il en a juste eu ras le bol d'entendre les salades des vignerons ! Rien ne vaut un bon bain de mer, une chanson et un vrai conte, qui raconte de vraies choses !
-Ferme la un peu, Olaf, tu lui prends toute la place, avec ta grande gueule qui te ferait boire la tasse à chaque traversée si on prenait pas la peine de la boucler pour toi de temps en temps !
[color=brown]-Et c'est toi qui dit ça, la Bonne Parole ?
-Bon, bon, bon on se calme ! Que fais-tu ici, mon cher enfant ?

Serena et sa façon de parler, toujours comme une vieille gitane... Ou comme une voyante, avec ce regard qui scrute l'âme et qui avait tant foutu les jetons à ses parents qu'elle s'était retrouvée à la rue plus vite qu'elle ne l'aurait souhaité ! Olaf, avec sa besace aux milles contes ! Et aussi Edwin, la parole toujours trop franche !
Loués soient les océans, et béni soit le coup de cul qui m'amena sur cette île, plutôt que sur une autre !


-Morbleu, j'suis si heureux d'vous revoir tous ! En fait, voilà...

Je leur raconte l'histoire en détails. Et pendant ce temps, j'me doutais pas que, sur mon île, le père faisait un raffut de tous les diables.


Dernière édition par Sören Hurlevent le Mer 3 Oct 2012 - 12:17, édité 2 fois
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-Comment ça, introuvable ? Tu l'as encore planqué dans ta bande de brebis galeuses, Brom ! Pour sûr ! Tu te moques de moi !
-J'oserais pas, et tu le sais bien. On a retourné toute l'île, je t'apprends rien. Le p'tit a du s'échapper. J'sais pas comment. Peut-être qu'il est monté à bord du navire des chasseurs, et qu'il est parti avec.
-Et pourquoi mon fils f'rait une chose pareille ? L'a toujours été ben traité, ben nourri, et maintenant, quoi ?!
-Du calme, Hurlevent. Peut-être qu'il a voulu voir comment c'était fait dedans, et que les autres ne l'ont pas vu quand ils ont levé l'ancre. Sören a toujours été curieux, comme garçon.
-Ce qui voudrait dire qu'il est coincé sur Manshon, sans personne ? Eh ! Mais attend, pourquoi il se serait pas manifesté, une fois le bateau en marche ?
-Qui sait ? Il n'est jamais monté sur un bateau. Peut-être bien qu'il était trop malade pour dire quoi que ce soit de tout le voyage. Ou peut-être que l'idée d'aller voir comment c'était ailleurs ne lui déplaisait pas. On a tous été jeunes. Tu vas pas dire le contraire.
-Ce n'est pas un foutu pirate repenti qui va m'apprendre à vivre !

Comme un coup de fouet, le mot du père Hurlevent avait cinglé dans l'air. Le silence s'installa dans la pièce à vivre de la maison. Sa femme se signa trois fois, en récitant des Ave et des Pater en patois. Brom, un grand paysan qui tirait sur la soixantaine, s'était figé dans son paletot et sa chemise de chanvre.
Sans un mot, il jaugea son interlocuteur du regard, ramassa son chapeau et sa veste, pour se diriger vers la sortie.


-Je m'en vais te le ramener, ton fils, Jörgen. Mais tu devras me présenter les excuses les plus plates. Dans le cas contraire, tu pourras dire adieu à notre amitié, et ta famille devra trouver sa viande et son fromage ailleurs. Et tu ne compteras plus sur moi pour vendre ton vin par-delà les mers. A bon entendeur.

La menace avait été proférée sur un ton serein, mais le père Hurlevent se mordait déjà les lèvres. Il n'était pas familier de l'emportement, mais les conditions étaient si particulières... Il savait qu'il venait de commettre l'irréparable, en se mettant à dos l'une des plus grandes personnalités de l'île. Jurant intérieurement, il prit une chaise, s'assit, et enfouit son visage dans ses mains calleuses.
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-Et ? Tu appelles ça une fugue ? Ah ! Eh, 'faut bien se jeter à l'eau un jour ou l'autre !
-Ouai, t'as juste pris tes couilles à deux mains. Y'a pas de mal.
-C'est bon d'l'entendre... Mais j'avais pas prévu la suite. J'pensais trouver d'l'ouvrage sur l'port, mais 'faut croire qu'j'ai pas suffisamment la tête du métier. Et puis, j'rêvais de dev'nir chasseur pour voyager, mais j'me sens pas d'commencer comme ça...
-Et pourquoi ne viendrais-tu pas avec nous ? Les vignerons ont une bonne voix, tu pourrais rentrer dans la troupe, en attendant de te faire à ta nouvelle naissance !
-Euh... J'sais pas si j'pourrais. J'aimerais, c'est sûr ! Mais j'peux p'têtre aider quand même. Vous savez garder un secret ?
-Bonne Parole, ferme tes esgourdes.
-Eh ! J'sais m'tenir, espèce de gros...
-Mon amour...
-Oh, pardon.
-Bon.

J'appelle Morgan. D'un bond, il surgit de ma capuche, grimpe sur mon épaule. Un poil endormi, il regarde mes amis, avec l'air de les reconnaître. C'est qu'c'est un futé, Morgan. Bien plus que n'importe quel chat d'gouttière. Jamais y m'a quitté, depuis son sevrage. Et même avant, y forçait sa mère à m'suivre... Si j'ai un côté félin, pour sûr, lui, il a un côté humain. Il comprend, il juge, il interprète. Tout se lit dans ses yeux.

-J'ai un genre de pouvoir, juste avec les chats. Si y'en a dans l'coin, pour sûr, ils me suivront. Et si je leur demande, pour sûr, ils danseront. J'les attire et j'les fascine comme l'herbe à chat.
-Ohoh ! Mais c'est que t'es bien tombé ! Les gars, ça nous en fait un de plus !
-De quoi ?
-De marginal, de cas social, de phénomène de foire, de mec pas bien rangé qui dérange par sa seule présence ceux qui le sont. Ouai, bienvenue chez les fous !
-T'apprendras vite. T'es un gars de la campagne, donc, de l'oral. La musique viendra comme la poésie, tu verras. Et puis, tu seras pas tout seul.

C't'ainsi qu'j'ai commencé ma nouvelle vie. Coup de bol, pas trop de galère du départ, et des gens sur qui compter. D'autant qu'Edwin, malgré l'fait qu'il soit plus rustre que l'ermite de la colline de Touche-à-Mer, se f'sait un plaisir de trouver des plans bouffe et repos pour rien. Facile, quand on fait le spectacle.

Petit à petit, j'ai appris à accompagner Olaf au chant et à la guitare. C'était l'instrument qu'ils avaient en rab, c'est par là qu'j'ai commencé. Même si le son d'son bouzouki me donnait toujours envie d'chialer, et qu'j'aurais vingt fois préféré d'l'avoir entre les mains. Je savais qu'j'avais eu d'la chance, et pas un jour ne passait sans qu'j'en rende grâce aux océans et aux forces du destin.

Mais une semaine s'était pas écoulée qu'au terme d'un spectacle, la carrure d'un homme que je connaissais bien se dessine derrière une ruelle. Heureus'ment, les gars m'ont filé un costume de troubadour ! J'ai le visage peint, de sorte à avoir une gueule de félin. En clair, j'suis méconnaissable, mais j'sais le bonhomme affuté. Une tristesse, car Brom, que je r'connaissais, là, maintenant, ç'avait été un ami. Un ami, et ma seule fenêtre sur l'monde, avec ses histoires, les foires auxquelles j'l'accompagnais, les transhumances où j'venais toujours donner la main.

D'un geste, j'fais signe aux gars que j'me barre aux chiottes. Enfin, façon d'parler. Dans un coin d'rue sombre et protégé, le temps que l'éleveur disparaisse. J'reste planqué le temps de le voir partir, et j'me faufile à l'auberge qui nous donne le gîte. Tout alarmé, les joues rouges sous mes moustaches peintes.


-Faut qu'vous m'aidiez, les gars !
-Quoi, t'as déjà trouvé le moyen d'aller faire une connerie ?
-Non, rien d'neuf ! Mais y'a un gars d'mon île dans les parages. J'le connais, c't'un éleveur, l'ambassadeur local. Mais il a rien à faire là, y'a pas d'foire en cette saison. En plus, on est en pleine période de rentrée des foins et du bétail, s'il est là, c'est qu'il a été envoyé ! Pour me chercher, moi !
-Aaah. Papa qui s'inquiète.
-La ferme, Bonne Parole.
-J'ai une idée qui fera passer toute envie au poursuiveur de te retrouver, Sören.

Très douce, très calme, comme à son habitude dans ses périodes sans possession ni transes mystiques, Serena m'sourit.

-Écoutez tous. Voilà...
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-Euh... les gars... vous êtes sûrs que c'est nécessaire ?
-Absolument.
-Yep.
-Je crains que oui.
-Non mais... J'vois pas pourquoi ce s'rait pas Serena qui...
-J'te vois v'nir, p'tit malin. Serena, elle reste avec moi, et faut savoir tromper son monde. Ton gars, il va forcément retrouver ta trace. Tout l'monde sait ici qu'tu nous as rejoint. Alors, faut changer la donne. Deux hommes, un jeunot et une femme, c'est trop repérable.
-Oui mais... mais...

J'suis au milieu d'la chambre que j'partage avec les gars. Revêtu d'une ignoble robe bleue en gros coton, d'un tablier à fleur, et de brodequins à rubans; la tête couverte d'une coiffe blanche, façon crêpière du nord, et un petit panier rempli de fleurs à la main. J'fulmine. L'plan de Serena était tordu, comme l'ensemble du groupe. Il s'agissait de se séparer pendant un temps, et de changer d'vie le temps que Brom se lasse de pas m'trouver. Et cela impliquait de faire de moi...

-Une fleuriste. Rien ne saurait être plus invisible que ces pauvres femmes qui vendent leurs roses à deux francs six sous pour en tirer leur moyen de subsistance, Sören. C'est la dure et triste réalité. Une fleuriste accompagnée de son mari alcoolique qui revient lui soutirer son triste salaire tous les soirs, lorsque chante le premier hibou... Avec en toile de fond, un mur sale et gris couvert d'inscriptions, et sinistre comme une porte de pris...
-Bon, on a compris. Je vois pas ce qui te dérange. Que je fasse le mari alcoolique, peut-être ?
-On aurait pas pu juste prendre le large dans le premier bateau ?
-On est pas des rats. On partira d'ici quand on en aura envie. Tu as demandé notre protection ? Bah tu l'as. Mais à notre manière, c'est tout. Et puis...
-Quoi ?
-Y'a moyen de s'payer une franche tranche de rigolade avec ce plan là ! On va pas s'priver ! Muahahahaha !!

Vlan ! Une bonne claque amicale dans l'dos, qui manque de m'envoyer gouter le sol poussiéreux de la chambre, encombré que j'suis de tous mes jupons... Et moi qui pensait, à plus ou moins long terme, devenir chasseur pour pouvoir voyager ! J'suis pas sorti. Ça, non, j'suis pas sorti.

-Donc, du coup, l'objectif est de dérouter ce gars là, Brom, et de l'envoyer chercher ailleurs en multipliant les mauvaises pistes. Pour ce faire, nous avons quatre personnages : Suzon, la fleuriste, Maurice, son mari alcoolique qui passe son temps à divulguer des rumeurs en faisant la tournée des bars...
-André, le bûcheron du coin. Un ancien de la marine qui raconte ses exploits à qui veut l'entendre, en exhibant sa jambe de bois et sa gueule de travers. Très gentil, mais qui a ses phases de folie qui lui ont valu son exclusion hors des rangs des hommes en bleu.
-Et Berthe, la pauvre prostituée qui s'est attachée la protection d'André, et qui s'acharne à mendier son pain de manière toujours plus provocante. Bien sûr, la pauvre aura été victime d'un incendie, lui laissant de terribles cicatrices... Edwin est un génie du maquillage de scène.
-Bon ! Et nous pouvons compter sur la complicité d'un bon réseau de personnes, que je m'en vais prévenir dès ce soir. Notre bonhomme va arriver dans une ville de Manshon préparée comme un décor de théâtre destiné à l'induire en erreur. Un bon exercice de scène !
-De bons moments en perspective !
-Tu vois, tout va bien se passer !
-Mon Dieu...

En quelques heures, la nouvelle avait fait le tour des connaissances des gars, et tout ça dans la discrétion la plus grande. Incroyable ! Une heure, et v'là qu'on me donne du « Mlle Suzon », et du « pauvre petite » ! Pour sûr, c'est ma fierté qu'en prend un coup. J'devrais m'y faire. J'suis un artiste, maint'nant, et pas l'rester, c'est mourir. J'commence tout juste à goûter à c'que ça peut être, la vie. L'est pas question d'faire machine arrière, ou d'laisser quelqu'un prendre les rênes à ma place. Quand bien même ce s'rait Brom. Brom ! Dire qu'plus d'une fois, j'ai souhaité qu'il fût mon père ! On choisi pas sa famille. Jamais j'ai eu faim, jamais j'ai souffert de sales manières. Mais jamais j'ai été compris non plus. Mes chats, Brom et le travail. C'étaient mes seuls espaces de liberté, mes seuls refuges face à un destin qu'on avait tracé pour moi. C'était confortable, mais j'pouvais pas, rien à faire. Si seul'ment l'bon Dieu m'donnait d'comprendre c'qui tourne pas rond chez moi !

-Dis donc, la Suzon, t'aurais pas un p'tit que'qu'chose pour ton vieux Maurice qui peine à payer dignement son écot ? Eh ?

Une voix déguisée, rauque à souhait, s'en vient m'tirer d'ma rêverie. J'suis assis sur un tabouret, au coin d'la rue. J'ai recyclé ma serpe de taille, je coupe des tiges, j'compose des bouquets. J'affecte un ton effarouché, j'parle haut.

-Maurice, tu devrais avoir honte. Depuis l'temps que je dis qu'tu nous traineras jusqu'en enfer, avec ta boisson et ta maudite paresse ! Bah ! Va donc au diable voir si j'y suis !

Sous son nez rougi par les talents d'maquilleuse d'Edwin, j'vois Olaf qui s'crispe. Et puis c'est la surprise ! J'me ramasse une baffe comme mon père m'en filait quand y s'rendait compte qu'j'étais parti courir la campagne à la pleine lune !
La mâchoire me fait mal. J'me relève à peine qu'le bougre me recolle au sol. Son geste est violent, mais le choc passe bien. Il a compris qu'il y était allé un poil trop fort.


-Tiens, la gueuse ! Tiens ! Et tiens !

Enfin, c'est qu'il attaque quand même ! Bientôt, j'me roule en boule en gémissant. Moitié jeu de rôle, moitié sincère. Et puis, il m'arrache ma bourse, et la vide avant de partir en chantonnant.
La plupart des passants ont fait semblant d'rien voir. Moitié par complicité, pour ceux qui savent, moitié par lâcheté, pour les autres. Mais j'en vois un qui reste comme bloqué, et qui me r'garde avec de grosses larmes dans les yeux. C'est Brom, bien sûr ! Avec sa sensibilité qui lui a tant et tant coûté dans une vie tantôt baroudeuse, tantôt lapin de choux !


-Ne t'en fais pas, ma pauvre petite, ça va aller... Tiens, bois.

Le bougre me reconnaît pas. Il me tend sa vasque, toujours remplie d'un hydromel dont je ne connais que trop bien le goût ! J'bois, j'fais comme si j'm'étouffais avec le parfum alcoolisé. J'le regarde, de derrière mes lentilles vertes, qui m'donnent un regard un peu niais.

-Merci, monsieur. Tenez... pour vous.

D'une main tremblante, je tend au pauvre Brom qui perd complètement ses moyens une rose que j'ai évité d'trop écraser en faisant mine de m'faire tabasser. Quelques secondes passent, et v'là mon vieux compagnon qu'en pleure toutes les larmes de son corps. Bien sûr, il le cache. Elles roulent silencieusement sur ses joues de brave ours pas gâté par la vie. Mais j'connais l'animal, j'sais qu'il a pas son pareil pour c'qui est d'faire preuve de la plus sainte des compassions.

Il s'assure mille fois que j'vais bien, m'offre à manger, et s'en va. J'sais qu'il va y en avoir un qui va avoir droit à une drôle de scène. Alors, curieux, je remballe mes fleurs et mes jupons, et j'me dirige dans l'une des tavernes complices où sévit mon prétendu mari alcoolique et dépravé...
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Y'avait pas meilleur acteur qu'Olaf. Lui, si leste, si agile, y s'faisait décharné, bossu comme un ivrogne trop souvent accoudé au comptoir. Il rit, un sale rire ben gras qui résonne contre les murs sales. J'suis planqué dans un coin d'ombre, dehors, quand Brom s'amène. Il a les manches retroussées, un air furieux dans les yeux. Prêt à en découdre. Merde, que j'me dit. Y'en a un qui va dérouiller bêt'ment... J'peux encore tout arrêter. J'peux m'rendre.

Mais l'gars a pas eu l'temps de saisir l'autre au col qu'un homme bâti comme une montagne se dresse entre les deux. J'souffle. C'est Edwin. Il a la carrure de Brom, y'aura pas d'malheur. Et puis...


-Dis donc, mon ami, c'est qu'on chercherait des ennuis, par chez nous ?
-Laisse-moi donc passer, bougre d'âne ! Cet imbécile a commis l'erreur de sa vie, et je m'en vais le remettre sur le droit chemin !
-Depuis quand jouez-vous le redresseur de torts, monsieur ?
-...

V'là Brom qui fulmine comme jamais ! 'Faut dire qu'à c'qu'il m'avait raconté, il avait bel et bien joué le justicier, par le passé. Même qu'il était devenu pirate à cause de ça. Pour avoir un peu trop redressé des torts là où mieux aurait valu pour lui de pas trop s'en mêler... Enfin, ça, il l'avait dit qu'à moi, et à ses apprentis. Les jeunes un peu originaux de l'île, en somme, qui pouvaient l'entendre sans trop l'juger.

-Vous ne savez rien de cette histoire. Laissez moi donc faire, et tout se passera bien.
-Ah ! Mais c'est une menace, ma parole !

Théâtral, v'là le monument qui passe la main dans son veston (taillé dans un cuir rêche et usé jusqu'à la corde), et qu'en sort une casquette, du genre de celle portées par les gars d'la marine ! Il en impose, le bougre. Avec sa fausse patte en bois, ses balafres de carnaval et son jeu de bon fonctionnaire... Dans la taverne, un ange fait son chemin.

-Alors, laisse moi te dire : d'une, ici, la loi, elle est r'présentée. De deux, on aime pas les fauteurs de troubles qui s'prennent pas pour d 'la merde. Alors, tu rentres dans les clous, où c'est moi, l'sous-lieutenant André Pagneul-Breton qui t'fera rentrer au trou ! Parole !
-... Soit.

J'me cache un peu plus. Morgan miaule sous mes jupons. Silence, mon ami ! V'là Brom qui sort... Grands dieux, j'ai peine pour lui ! A peine dehors, il décharge sa rage sur la première poubelle qui lui passe devant.

-Qu'est-ce que je suis dev'nu ! Hein ? Ça rime à quoi, tout ça ! Brom, t'es qu'un lâche ! Un foutu connard ! Un fuyard ! Il a fallu qu'un pauvre gosse se barre de son destin de merde pour que tu t'en souviennes ?! Crétin ! Foutu crétin de grand guignol !

J'en crois pas mes yeux. D'toute ma vie, jamais j'avais vu Brom perdre le contrôle comme ça. Sa force déchargée contre la poubelle qui git à ses pieds, en morceaux, il disparaît dans une ruelle obscure. De là où j'suis, j'ai l'impression d'encore sentir sa colère sourde qui filtre à-travers l'obscurité.

J'reste un moment interdit, et puis, j'me reprends. J'entre dans la taverne, où j'trouve mes compagnons en train d'vider joyeusement des choppes offertes par le patron, visiblement ravi du spectacle.


-Y'a pas à dire, les gars ! Avec vous, au moins on rigole ! Allez, buvez !
-Ah ! Mais c'est ma petite fleuriste que voilà !
-T'aurais pas dit ça, j'aurais dit que j'suis épaté.
-T'as bien fait de nous raconter ce que tu savais sur le bonhomme. On a fait du programme sur mesure, et en trois actes.
-Trois ?

La mousse aux lèvres, y'a Edwin qui rayonne.

-Ouai ! Y'a Serena qui va s'y mettre ! Si l'bonhomme r'part pas dès d'main, j'comprends rien à la scène !

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Ça, oui. Serena en faisait désormais son affaire. Son sourire mystérieux en permanence sur les lèvres, elle avait suivit la scène avec application. Elle ne riait jamais. Les Dieux ne rient pas, ils sourient, un sourire figé rempli d'amour pour le prochain, et surtout, capable de faire paniquer n'importe qui l'observerait un peu trop longtemps.
Le pire advenait lorsqu'elle se trouvait prise d'un fou rire. Alors, son rictus tournait à la grimace hystérique, grimace en tout point digne du pire agent de douane pendant l'exercice de ses fonctions. Rien que ça.

Cependant, pour l'occasion, elle avait accepté de rire pour de bon. Pour le bien du rôle. Chose à laquelle elle s'employa non sans une certaine maladresse, lorsqu'un Brom des plus déconfit passa à ses côtés. Immédiatement sur la défensive, celui-ci avait sursauté, poings dressés. Geste qu'il avait aussitôt regretté, en constatant qu'il avait affaire à une femme. Une pauvre femme, qui plus était, lardée de cicatrices, clairement défigurée.


-Pardon, mademoiselle. Je suis un peu sur les nerfs ce soir, veuillez excuser ce mauvais geste. Vous...

Tout homme solide qu'il était, Brom n'avait jamais supporté le spectacle de la misère humaine. Sa colère se mua en tristesse, tandis qu'il détournait les yeux.

-Y'a pas d'soucis, mon lapin.
-Uh ?

Soudain, Brom prit conscience de l'étrange tenue de l'inconnue : un vieux corset à jupon court, des talons hauts, une bonne dose de maquillage exagérant clairement la dimension de ses lèvres. De nouveau, il eut un geste de recul. Par le passé, déjà, il boudait les catins des ports au profit de filles légères, en lesquelles il lui semblait découvrir, à chaque fois, le véritable amour. Ses amoures, nombreuses ou non, il y croyait d'ailleurs avec une telle sincérité qu'il trouvait toujours le moyen pour leur ménager une place à bord de son navire, au grand déplaisir de ses hommes. Mais cela était une autre histoire.

-T'en fais pas, j'ai compris, va. Tu veux pas d'moi. Désolée pour l'dérang'ment, j'retire de suite mes balafres de ta vue. Grand seigneur.

 « Grand Seigneur » ! Ce mépris, cette déception dans la voix... Le sang de Brom ne fit qu'un tour. Sans réfléchir, il ouvrit grand les bras, et serra l'apparition contre son cœur.

-Pardon. Si tu as besoin de quoi que ce soit, dis-le, mais il est hors de question que je fasse quoi que ce soit de répréhensible avec quelqu'un qui pourrait être une de mes filles !

Le pauvre Brom craquait complètement. Avec sa sensibilité légendaire, Serena ne pût s'empêcher d'y être quelque peu réceptive... Ce grand enfant qui écrasait maladroitement les larmes qui s'échappaient de ses yeux...
Elle fit mine de l'observer un instant.


-Ben v'là aut' chose... Eh, j'peux pas t'laisser comme ça. Viens. On va boire un truc chaud sur les docks. T'as eu des embrouilles avec Maurice ? T'en fais pas, il ramène jamais sa trogne là-bas avant les douze coups. Y'aura un pote, André, mais c'est un type bien, lui. Un peu frappé, y s'prend pour un gars d'la marine. Mais on peut lui faire confiance. Aller, viens.

Et, tandis qu'Edwin s'échappait de la taverne par une porte dérobée, Serena emporta Brom par un dédale de rues allongeant suffisamment la distance pour laisser le temps au premier de s'installer, et de prévenir tout le monde. Il était temps de lancer le bouquet final de la soirée.

-B'soir Jojo ! S'lut André ! Bonsoir les gars !

Un bougonnement maussade lui répondit, depuis l'intérieur d'une salle copieusement enfumée, et particulièrement glauque. Seules les lumières issues des bougies d'un vieux chandelier, allumé pour l'occasion, éclairait la poussière de la taverne et la crasse étudiée de sa clientèle.

-Donne donc un vin chaud au grand, là. Pour moi, comme d'habitude.

Brom eut droit à son vin, et Serena, à ce qui s'apparentait davantage à du brûlot.

-Tu sais, plus j'pense, plus tu m'fais penser à c'gars... Eh, Dédé !

L'intéressé se redressa. Il avait toujours sa casquette de marine. Brom le reconnut, mais ne tenta rien. Il avait épuisé son capital « énervement » pour un bon moment.

-Ah, rev'là mon justicier... Berthe, t'aurais pu éviter d'nous le ramener ici...
-Raconte lui l'histoire de Brom, Dédé !
-Oh ? Pourquoi ?
-J'aime pas voir ces grands musclés abattus. C't'une histoire d'espoir, ça f'ra du bien !
-Bon, très bien.

A l'écoute de son nom, Brom avait tressaillit. Se pourrait-il que, quelque part sur North Blue, les gens aient gardé un quelconque souvenir de lui ? Plus de vingt ans après sa disparition en temps que pirate ? Soudain captivé, il bût une gorgée, et attendit.

-J'suis bien jeune pour avoir vu les choses. Mais j'tiens l'histoire d'un capitaine de la Marine, c'qu'on appelle un homme de confiance. Bien que le bougre n'était qu'un simple revendeur de chaussures en daim, à l'époque de Brom.
Brom, il me disait, c'était un pirate qu'avait pas choisi son destin. Pas le genre qui s'en va écumer les océans et charger les mers d'hémoglobine pour d'obscures raisons familiales ou personnelles. Non.
Brom, c'était un gars qui avait tout laissé tomber pour faire du monde une terre de justice. Mais, j'dois bien l'avouer...


D'un geste théâtral, Edwin ôta sa casquette d'officier.

-... Il arrive bien à la marine de couvrir des drames, ou de servir d'obscurs jeux de pouvoir. Et ce, malgré la lutte acharnée de la majorité... On ne peut être partout. Et en particulier, on ne peut être dans le drame quotidien de tout le monde.
Alors, Brom, il a voulu endurer ce drame quotidien, et le vaincre. Il a monté un équipage, et partout où il voyait de la misère entretenue, un truc qui tournait pas rond, il agissait. La marine le haïssait, le gouvernement, davantage; le peuple l'adorait.


Brom sentit les larmes lui remonter aux yeux de plus belle. Il vida son verre d'un trait. Une douce chaleur l'emplit tout entier.

-Il revenait tout juste d'un tour des Blues, lorsqu'il disparut en mer... Au début, tout le monde à pensé qu'il était devenu fou, tant son équipage a fait du mal à ceux qu'il avait protégés. Mais le peuple a fini par comprendre, quand le nouveau capitaine s'est annoncé. Brom avait été victime d'une mutinerie. Sans doute a-t-il été dévoré par un requin, car plus personne ne l'a jamais revu. Mais pour nous tous, qui vivons dans les bas-fonds... Il est resté un symbole d'espoir et de résistance ! Enfin... autant que le drapeau de la marine, bien sûr.

Se taisant, Edwin enfonça de nouveau sa casquette sur sa tignasse broussailleuse. Un bref silence s'ensuivit. Brom avait la gorge bien trop nouée pour proférer le moindre son. Il demanda une chambre, et passa la nuit à l'auberge.
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Quand les gars m'ont raconté c'qu'ils avaient voulu faire, j'ai pas voulu l'croire. C'était vrai, j'leur en avait raconté un bout sur qui était Brom. Ou plutôt, sur c'qu'il avait été. Mais j'étais loin d'penser qu'ils allaient l'utiliser pour me protéger.
Cela faisait deux jours qu'l'on continuait à jouer nos rôles tranquillement. Brom n'était pas sorti de sa chambre, et on en profitait pour prendre le petite déjeuner dans une auberge du centre.


-Reconnais que c'est audacieux, Sören !
-On pourra dire que l'on a réussi si ce pauvre homme se réconcilie avec ses rêves.
-Et c'est bien parti ! Vous avez vu la gueule qu'il a tiré, quand j'ai raconté son histoire ? Ah ! Pour sûr, j'en mettrais mes couilles sur la table !
-Vous croyez qu'c'est bon d'le pousser à être d'nouveau un pirate ? C'que j'voulais, c'tait juste être protégé, pas avoir à y r'tourner... Sincèrement...

Soudain, j'regrette mes mots. Les gars me r'gardent sans comprendre.

-T'es con, ou quoi ? T'as dit toi même qu'c'était un type qu'les gens adoraient, qu'il faisait que transgresser des règles qui font chier tout l'monde...
-Oui, mais...
-Aller ! Ravale un peu tes bons préceptes, ici, y'a personne pour y croire. La justice, c'est c'que t'en fais, rien d'plus. C'pas parce que t'es marine que t'es toujours juste et bon. C'pas davantage parce qu'on t'a collé un Jolly Roger sur le pavillon que t'es qu'un salaud.
-Et puis, il y a plus important, Sören. Plus important que ta liberté. Ton ami, Brom, les esprits le tourmentent.

Comme à chaque fois que Serena faisait une déclaration du genre, un silence se pose.

-Que veux-tu dire, mon amour ?
-Il n'a pas supporté de me voir jouant le rôle de Berthe, l'autre soir. Je l'ai vu pleurer. Il ne supporte pas d'être impuissant, faible contre les misères du monde. Tu l'as vu agir, quand Olaf a fait mine de frapper la prétendue fleuriste...
-Disons qu'il f'sait pas si semblant qu'ça...
-Cet homme est bon, mais sur son île, il se gâte, il se fait du mal. Il a du être très déçu, par le passé, quand ses hommes l'ont abandonné... quand ils ont préféré se livrer au pillage. Il a renoncé à la piraterie parce que la trahison l'a trop fait souffrir. Il ne s'est jamais repenti. Il n'a jamais changé d'avis sur le monde et les gens. Il me fait de la peine...
-Ouai ! On fait une bonne action, nous, dans tout ça ! Et tu sais quoi, Sören ? On a même quelque chose dans l'idée... Quelque chose qui nous plait bien, à tous.

Un peu effrayé par tant de mystère, je r'garde mes amis. Tellement imprévisibles... J'sais que j'peux m'attendre à tout.

-On se disait que si Brom reformait un équipage, on voudrait pas qu'il retombe sur le même genre de types qu'il a connu par le passé.
-Et y s'trouve qu'on est de bonnes fréquentations. Hein ?
-Absolument, Bonne Parole. Et donc, comme on aime pas bien certains trucs que l'on nous donne à voir... Comme on aimerait bien malgré tout foutre une jolie claque au système...
-Me dites pas qu'vous faites ça pour rejoindre Brom à son bord ?
-C'est exactement cela !

De surprise, j'manque de tomber d'ma chaise et d'renverser l'bol de chocolat brûlant qui trône sous mes yeux. Edwin... Olaf... Serena... Des pirates ?! Et moi qui veut toujours dev'nir chasseur ! Et y'a rien à faire ! J'peux pas passer si vite du côté obscur. J'vois pas clair. J'comprends pas les injustices dont y parlent. Ça m'parle pas, pas encore. J'veux pas être traqué. J'veux pas vivre en fuyard. Alors, j'peux pas m'empêcher. J'leur dit tout net.

-Alors... On va d'voir s'dire adieu, si ça s'fait comme ça.
-Bah. On s'en doutait. C'est qu'un au-revoir, on te gardera toujours une place à bord.
-Yohoho !
-Restez calmes, mes amis. Tout reste peut-être encore à faire. Pour l'heure, nous n'avons toujours pas de nouvelles, et Brom doit être encore dans sa chambre. Il nous faut attendre.

Mais Serena a pas fini d'parler qu'la porte de l'auberge (pas celle des docks, une autre, bien sûr) s'ouvre à la volée.

-Eh, les gars ! Vot' bonhomme, comme qui dirait, là, y vient d'quitter la chambre. L'a rendu les clefs, comme ça, et maint'nant, y parle d'acheter un bateau. C'est à y rien comprendre, parole !

J'vois mes compagnons qui s'regardent, l'air réjouit. Moi, j'continue de m'demander c'que j'ai fais, ou c'que j'ai engendré. Sur mon épaule, Morgan ronronne.
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