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[A]lone in the Park

    Il y avait eu une avarie. Il y a une semaine. Durant une tempête. Louve le savait parce qu'ils avaient tous couru dans tous les sens pour réparer voiles et gréement. Mais s'ils avaient prévu des voiles de rechange, le mât, il avait été difficile de le changer.
    Alors depuis une semaine, ils voguaient sur les flots portés par un seul mat sur les trois que le navire pirate arborait généralement. La grande voile où flottait d'ordinaire le fanion de l'équipage avait donc été repliée et attendait patiemment qu'un nouveau mât soit installé. Tout l'équipage attendait patiemment que le nouveau mât soit installé. Et de la patience, il en fallait, car avec la moitié des voiles en moins, tous avaient l'impression de se traîner sur les mers. Surtout Louve qui ne pouvait plus s'amuser comme avant avec le roulis et l'air marin que la vitesse créait autour d'eux.

    Un trajet de trois jours. Ils en mirent donc une semaine.

    Une semaine pour arriver enfin jusqu'à l'île la plus proche. L'île, son port et sûrement son chantier naval. Il faudrait se serrer la ceinture pour les prochains jours. Ou piller un peu le lieu, les commerçants et les nobles locaux. Pas trop de tueries, de préférence, Louve n'était pas loin, mais voler de quoi se payer de la nourriture à emporter ainsi que les frais de réparation du navire. Et tout ça une fois les réparations faites évidemment.

-Et je pourrais jouer avec les autres enfants ?
-Hum... Non, pas cette fois.

*****


    Les deux premiers jours furent plutôt calmes. Rien à redire. Une petite investigation pour savoir que trouver dans cette bourgade de South Blue, un entretien ou deux avec les contremaîtres du chantier pour les frais de réparations et le temps que ça prendrait. Une semaine supplémentaire, visiblement.
    Durant ce laps de temps, les hommes de bord, les pères de Rachel, alternaient les tours de surveillance du navire et les rondes en ville. Les soirs surtout. Les tavernes et les bordels du port et alentours. Pourquoi s'en priver ? Ils avaient une semaine à tuer. Et puis pourquoi le cacher à Louve, elle vivait dans le même monde qu'eux.

    Six ans. Seulement six ans et tout ce qu'elle savait d'une femme, c'était qu'elle était soit catin soit serveuse dans un port. Au service des marins en pause.



Quatre jours plus tard, fin d'après-midi.

-Larguez les amarres ! Hum.

    Sur le pont, c'est la folie. Les hommes courent en tout sens, certains hilares, d'autres un peu moins. Les armes sont sorties, les coups de feu claquent. Les voiles sont tendues, le bosco hurle et crie à tue-tête des ordres tantôt de type navigation tantôt de type combat. Faut dire que sur le port, une belle poignée de marines les tiennent en joue avec de multiples armes à distance. Un canon Armstrong par exemple. Un gros truc qui n'a rien à envier aux canons des navires de guerre des Vice-Amiraux. Heureusement qu'un membre de l'équipage a sur lui des explosifs. Et ainsi le morceau de pont où se tenait le canon aux dimensions gigantesques s'écroule, abîmant le souffleur de feu métallique. Et comme le navire s'éloigne sous un vent favorable qui souffle à nouveau dans toutes ses voiles, les combats s'amenuisent et avec eux la fureur des marins. Tandis que la liesse des pirates ne fait que s'accroître comme la terre s'éloigne de plus en plus.

    Ce n'est qu'une fois hors de portée que le canonnier d'approche du capitaine. Visiblement inquiet.

-Euh... Rachel est introuvable...
-Qui ?
-Euh... C'est Louve... elle n'est pas à bord...
-... Holy Shit...


    Pendant ce temps, un peu à l'écart du port, dans des rues qu'elle arpentait au hasard, une petite fille de six ans déambulait jusqu'à aboutir à un pseudo jardin d'enfant, vidé par les parents à cause des agitations non loin et des pirates en ville. Visiblement...
    Ce ne serait pas aujourd'hui encore qu'elle jouerait avec d'autres enfants.



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« Quand est-ce que tu reviens ?
- Ce soir. »

Il attrapa de sa grande main sa veste qu’il enfila sur ses épaules. De son autre main, il s’empara de son arme qu’il attacha à sa ceinture. Il regarda la pièce pour voir s’il n’oubliait rien. Reposant ses yeux sur la gamine à ses côtés, il ébouriffa les cheveux roux de l’enfant pour la réconforter et lui dire quoi faire. Il avait l’habitude de s’en aller. Rarement pour la journée, mais il ne pouvait pas faire autrement.

« Ou demain. »

Elle hocha la tête, docile, comme à chaque fois, comme toujours. Elle lui fit un sourire tendre, il ne lui rendit qu’un semblant de sourire, qui ressemblait plus à une grimace qu’autre chose, et il tourna les talons, passant la petite porte de la maison sans regarder en arrière. Elle s’installa à la fenêtre pour voir la silhouette massive de son père adoptif rejoindre le port de l’île. Ses grands gestes en imposaient, très vite l’on mit à sa disposition un navire qui partit, en quelques minutes, vers l’île la plus à l’ouest, île ou on l’attendait pour affaire. Et en affaire, Yumen était tout à fait du genre à s’y connaitre. Loin d’être un idiot, malgré son physique de catcheur, il était dur, ferme et toujours impassible aux négociations de ses clients. Traiter avec l’autre, ce n’était pas son genre, excepté pour la Gamine. Et lorsqu’il négociait avec quelqu’un, il n’utilisait jamais vraiment des mots. Plutôt ses poings. Son ami Charly le connaissait et l’invitait à chacune des entrevues pour cette raison. Parce qu’avec Yumen, on ne discutait jamais, ni sur le temps, ni sur le travail, encore moins sur les prix. Et pouvoir exercer son métier dans ses conditions, sans avoir à subir la pression ou le chantage des acheteurs, c’était le pied total.

Pour cette fois-là, il n’eut pas à frapper ou à cogner qui que ce soit. Le Navire de Pirate à qui il manquait deux mats ne se fit pas prier pour mettre la main au porte-monnaie : ils savaient, tous, que les réparations allaient couter cher, que ça prendrait du temps aussi. Le soir-même, Yumen put rentrer chez lui et rejoindre la Gamine, à qui il ramena un bouquin de Géographie parlant de Grand Line.

*

Quatre jours plus tard, c’était la folie sur l’île. Les pirates qui venaient d’accoster plus tôt étaient pris en chasse par des marins. Dur vie de brigands, pesta-t-il pour lui-même en tirant sur sa cigarette. Il était content de ne pas avoir amené la Gamine. Des bruits de pas derrière, il se tourna pour vérifier. La casquette et le costume blanc et bleu, il se contenta de réagir : il happa un marin avec son bras, le terrassant. Son collègue voulut l’attaquer, Yumen plongea la tête du gosse dans le bitume. Son escargophone sonna dans son manteau, il alla le chercher pour décrocher.

Pulupulu. Pulupulu.

« Mh ?
- Yumen !
- Quoi ?
- Ces idiots ont oublié une gamine sur l’île. Je les conduis jusqu’au QG, mais faut que tu la retrouves… »

Il entendit en fond les bruits d’un canon, et les armes et les balles qui fusent en même temps que les cris du combat.

« Qu’est-ce qu’tu branles ?
- Combat en mer, tout ça avec les connards de moustiques… on s’apprête à quitter le port très bientôt, dit-il en pourfendant un des matelots qui avait changé de bateau.
- Et ou t’as vu, putain de merde, qu’y’avait marqué Baby-sitter sur ma tronche !
- C’est des gros clients, Yumen… T’as pas le choix !
- Putain… elle s’appelle ?
- Louve.
- Mh… Bordel... »

Il raccrocha l’escargophone et le fourra au fond de la poche de sa veste. C’était bien sa veine : devoir retrouver une gamine pour la ramener avec lui… Il ne savait pas y faire avec les enfants. Et même si la ville n’était pas bien grande, il allait mettre un temps fou à la retrouver. Pestant contre les circonstances, qui faisaient qu’il était relativement pressé à cause des marins qui bataillaient près du port, et l’absence de la petite qui n’était probablement pas en sécurité et qu’il devait ramené en un seul morceau, il injuria lorsqu’il se rendit compte qu’il n’avait aucune idée de la description physique de l’enfant. Avançant à pas de géant dans les rues parfois étroites, sa silhouette se perdit au détour d’un carrefour.

*

Au large et en pleine mer, Charly avança vers le capitaine du navire qui reprenait de l’allure après les maigres reconstructions. L’un des mats avait déjà retrouvé sa place, mais le combat de tantôt avait abîmé le pont et les cabines. Heureusement, tous s’en étaient sorti.

« Je vais vous guider jusqu’au QG. Il faudra me laisser les manœuvres avant d’arriver, l’endroit est plein de récifs et difficile d’accès pour les non-initiés.
- Et pour Louve ? demanda le Canonnier avec une pointe d’anxiété dans la voix.
- Mon ami va la ramener. »

Pas pour autant rassurer, l’homme fut contraint de quitter la conversation, Charly avait à faire avec le capitaine.

*

Pulupulu. Pulupulu.

« Moshi moshi ?
- Gamine ?
- Oui ?
- J’appelais pour avoir des nouvelles.
- Oh. Le prototype avance plutôt bien, j’ai pu régler l’une des mains dans la nuit. Tout va bien ?
- Oui. Je rentrerai probablement plus tard, prépare le diner.
- Un poulet à la broche avec des patates ?
- Ok. Et pitié, ne fais pas cramer le poulet comme la dernière fois.
- Hihihi… Des problèmes ?
- Non. Ne t’inquiète pas.
- …D’accord, à tout à l’heure. »

La conversation tourna court. Yumen avait parcouru une partie de l’endroit pour retrouver l’enfant, assez pour avoir eu le temps de voguer à ses pensées. Alors, il avait appelé la Gamine pour savoir si tout allait bien. Il ne voulait pas vraiment savoir si le prototype avançait bien : c’était intéressant, mais le plus intéressant restait l’état de santé de la gamine. Il ne voulait pas qu’elle se fasse mal bêtement... Et quittant ses pensées un instant, l’enfant lui tomba sous le nez, se baladant, simplement. Elle avait une démarche dansante, des cheveux noirs, deux grands yeux verts, un air chétif et la peau pâle. Elle ressemblait à une poupée, songea-t-il. Il comprit rapidement pourquoi ce nom, pourquoi « Louve ». Il voulut lui faire un sourire mais se dit qu’il ne pourrait que lui faire peur. S’approchant de l’enfant, il se mit à son niveau et lui dit froidement, sans vraiment vouloir l’être :

« Ton capitaine veut que je te ramène auprès de lui. On va rejoindre une barque au Nord. »

Sans lui demander son avis et sans vraiment lui laisser le choix, il l’attrapa par la taille et le monta à son épaule. Silencieux et imposant, il tourna les talons et pris le pas vers l’autre côté de l’île, tenant d’une main immense les jambes de la gamine pour vérifier son équilibre. Les bruits du combat s’étaient stoppés depuis le temps, mais les traces et preuves de ce conflit apparaissaient aux yeux de tous : Les boulets de canon plantés dans les maisons, les dalles explosaient, les victimes ça-et-là et les quais détruits. Louve n’aurait pas à voir ce spectacle de désolation, tout simplement parce qu’ils s’éloignaient toujours plus des lieux du drame. Et très vite, traversant les espaces plus sauvages de ce côté de l’île, ils trouvèrent tous deux une plage retirée du monde, ou, comme il l’avait prédit, une barque n’attendait qu’eux. Il posa l’enfant sur le sable et jeta sa veste à l’intérieur du navire de fortune.

« Grimpe. Installe-toi. »

Si vient l’Orage, le Tonnerre et la Foudre, le Cœur Solide, reste en vie Mon Amour.
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    Si elle cherchait des enfants, ils devaient au moins être trois dans le corps qui lui fit soudain face. Une montagne de muscles et de tendons. The Tall Man. Serait-ce lui la raison de l'absence des autres enfants ? Mais où étaient-ils donc ?
    A la recherche d'une tignasse innocente avec qui s'amuser, se retrouver devant cette force de la nature l'apeura. Pourtant, elle ne put en détourner le visage, comme un lièvre attiré par les phares des... carrioles ? Et plus il s'approchait, moins elle ne pouvait se résigner à faire demi-tour. Son regard était braqué sur elle. Il avançait inexorablement. Puis soudain il s'abaissa à sa hauteur. En une seconde, il venait de perdre un mètre cinquante et son mutisme comme il s'adressa à elle. Lui rapportant que son équipage la cherchait.

    Trois raisons suffisantes à elles seules pour rassurer la petite Louve jusqu'alors pétrifiée. Suffisantes Indépendamment.

    Pourtant, l'information qu'il lui donna ne lui plut pas. Pour une fois qu'elle réussissait à partir du navire, elle n'avait pas envie d'y retourner. Il eut alors pour toute réponse une moue désapprobatrice qui vint gonfler ses joues. Ce qui ne le dissuada pas de la transporter sur son épaule. C'est ainsi qu'elle se trouva plus fragile que jamais entre ces gigantesques mains qui la soulevèrent comme une plume pour l'installer sur son épaule.

    Boudeuse et silencieuse, elle remarqua cependant que l'homme qui faisait office de mule était bien plus attentionné que son visage bourru l'aurait laissé présager au premier abord. Il la maintenait en place d'une main assurée et pourtant ne faisait que l'effleurer, comme s'il craignait de la briser d'un éternuement. Ce qui au vu de la hauteur où elle se trouvait, ce serait probablement le cas. Du moins si elle perdait l'équilibre de son perchoir. Instinctivement et pour se rassurer, elle s'agrippa aux cheveux de son tuteur éphémère. Et silencieux. Et toujours en jetant des regards de droite et de gauche pour essayer de dégoter un jeune garçon ou une jeune fille qui voudrait bien se joindre à sa grande aventure. Jusqu'à s'en dévisser le cou pour observer derrière elle. Ne pas profiter de ce minaret imprévu aurait-été criminel. Et perdre de vue ses objectifs de départ une véritable hérésie. Têtue. Encore heureux.

    Mais d'enfants, nulle autre trace. Elle en vit bien deux ou trois. Cachés derrière les jupes maternelles, bien abrités derrière un carreau de maison ou encore masqués dans leurs landaus. Aucun susceptible de bien vouloir la rejoindre pour jouer. Jouer à quoi, elle n'en savait rien, car elle n'avait pas l'habitude d'en rencontrer d'autres et encore moins de jouer avec eux. Tout ce qu'elle savait, c'était que les enfants jouaient entre eux et qu'elle voulait faire comme tous les autres. La mer, le bateau, c'était très bien, mais qu'est-ce qu'elle pouvait s'y ennuyer seule, parfois.
    Soyons réalistes, ce ne serait pas ce soit non plus qu'elle jouerait avec des jeunes de son âge. Elle s'y résigna. Et comme ils quittaient lentement la ville vers une crique où une barque les attendait, elle commença à jeter son dévolu vers la seule personne en mesure de l'écouter, voire de l'amuser.

-Comment tu t'appelles ?
-...Yumen
-Moi c'est Rachel. C'est comme ça que papa dit que ma mère m'a appelée. Mais lui m'appelle Louve. Comme tous mes papas. Parce que moi j'ai pas de mère mais j'ai plein de papas. Ils sont tous mes papas. C'est eux qui me cherchent, d'ailleurs. Parce qu'ils m'aiment tous.
-...
-Moi aussi je les aime, mais ils font des trucs de grands sur le bateau et moi je m'ennuie toute seule. Y'a que mon papa qui me raconte des histoires, sur un prisonnier dans une prison toute blanche. Et le cuisinier aussi il m'en raconte des fois.
-...
-Tu veux pas me raconter une histoire, toi ? Je les connais pas les tiennes. Parce que je m'ennuie et que je commence à avoir froid. J'aime les nouvelles histoires. Tu veux bien dis ?
-...

    Et ils avaient embarqués.

    Au départ, Yumen avait tenté d'empêcher Rachel de courir d'un bout à l'autre de l'embarcation de fortune de peur qu'elle ne tombe à l'eau. Il fut vite obligé d'admettre qu'elle avait un don d'équilibriste. Uniquement sur mer cela-dit, mais il ne pouvait que l'ignorer. Passer sa vie entière sur un navire à flots avait, au final, des avantages non négligeables. D'autant qu'ainsi, Rachel s'amusa seule pendant tout le trajet, cherchant des sirènes et entamant des chants inventés pour les appeler. D'où la raison de sa course de bâbord à tribord, pleine d'espoir. Elle n'avait jamais été sur ces mers-ci. Cette île en hébergeait peut-être. Grand bien fasse à Yumen qui eut ainsi la paix durant le trajet déjà passablement ennuyeux pour rallier les deux îles à la rame.

    Puis ils débarquèrent.

    Et si Yumen gardait toujours un silence presque religieux, il n'en restait pas moins constamment assailli par des histoires parfois sans queues ni têtes de la jeune pirate qui s'en donnait à cœur joie. Elle ne savait pas où elle était, il faisait nuit maintenant et si elle avait froid et faim, ses histoires d'aventures et de trésors perdus l'emportaient sur ses besoins naturels. Enfin sur presque tous.
    Après trois minutes de pause ou Yumen dut faire le videur près d'un arbre, Rachel se laissa conduire par son autochtone de guide. Qui savait quelles nouvelles rencontres elle allait bien pouvoir faire.

    Et avec un peu de chance elle aurait même droit à du pain !

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Yumen n’avait jamais été un homme spécialement loquasse. Avec les adultes, il ne savait en générale pas quoi dire. Avec les enfants, c’était une toute autre histoire. Il ne les appréciait pas spécialement, ne les estimait pas non plus. Pour lui, un enfant n’avait d’intérêt que lorsqu’il rapportait quelque chose, qu’il savait se rendre utile. Il pouvait d’ailleurs considérer un gosse comme faisant parti de la race des hommes à partir de ses sept ans et trois mois, parce qu’en âge d’apprendre à la fermer. De toute évidence, et malheureusement pour lui, la Louve qui lui faisait face et qui n’arrêtait pas de parler avait moins de l’âge requis pour être considéré comme humaine, et s’il n’était pas question de business, Yumen n’aurait certainement pas manqué de la jeter à la flotte pour se débarrasser d’elle.
Eviter de se remémorer les cheveux qu’elle avait tiré en s’agrippant à eux, de l’embarcation qui tanguait dangereusement sous son poids (plume, certes, mais poids quand même dans une embarcation comme celle-ci) et tenter de faire abstraction de cette petite langue incapable d’arrêter de bouger, c’était la seule chose à faire pour l’ingénieur pour se soustraire à tout incident diplomatique. Fixant toujours Louve avec l’air dépité, allant à la force de ses bras jusqu’à l’île la plus poche, Yumen respirait profondément en laissant ses pensées aller et venir au gré de ses envies. Mise à part noyer la gosse en face, il rêvait de manger. Il avait faim.
Et comme tout homme qui se respecte, savoir partir dans ses pensées, c’était se couper de tous mondes extérieurs. La voix de Louve, même si fluette et aigue, finit par ne plus lui taper sur le système et ses histoires sans queues ni têtes ne vinrent plus lui titiller la claque. Le reste du voyage se passa ainsi sans encombre, malgré la capacité spéciale de cette Rachel à savoir être pénible dans les moments et avec les personnes ou le calme et le silence s’imposeraient en temps normal. Yumen remarqua alors que, comme toutes ces légendes urbaines le disaient : on supporte beaucoup moins les enfants des autres. Et même si la Gamine n’était pas sa fille légitime, il savait qu’un voyage en barque avec la rouquine aurait été sans doute moins cruel que celui qu’il vivait actuellement.

Entendant les jérémiades de la Gosse au sujet du froid, il prit la peine de retirer son manteau et de lui jeter dessus. Cette dernière, embarquée sous le poids de l’habit, se retrouver pendant un temps coincé dessous, et tentait vaguement de s’en retirer. Lorsque cela fut fait, Rachel n’eut plus à se plaindre de la fraicheur et de l’humidité ambiante, mais peut être d’une vague odeur de tabac qui imprégné le cuir usé.

Poussant un ultime soupir pour calmer ses ardeurs, ils finirent tous deux par accoster.

*

« BIENVENUE A LA MAISON ! »

Yumen poussa la porte ainsi que Rachel pour l’obliger à rentrer dans la bâtisse. La rouquine avait pris soin de faire un feu et dans l’air se rependait une bonne odeur de poulet cuit. Lorsque la Gamine vit Louve trônait devant elle, ses cheveux noirs et ses grands yeux verts, elle interrogea l’Ingénieur du regard, un peu surprise. Yumen intima à la nouvelle arrivée d’aller se mettre dans un coin, d’arrêter de parler, et d’attendre qu’on lui dise de faire quelque chose. Il prit le pas jusqu’à une autre porte adjacente, la poussant en tenant sa fille adoptive par les épaules. Il se pencha vers elle et lui dit d’une voix ferme, assez basse pour ne pas que Louve n’entende :

« Sers lui à manger, mais fais en sorte que ce ne soit pas trop bon. Je n’ai pas envie qu’elle se sente à son aise ici et qu’elle décide de s’installer.
- Euh… D’accord. »

Elle acquiesça sans broncher, tournant les talons tandis que Yumen passa dans la salle à côté. Elle alla jusqu’à la nouvelle venue et s’inclina respectueusement, comme on lui avait appris à faire avec les invités. Faisant face à une enfant, un peu plus jeune qu’elle, et pas sûre de ce qu’elle devait penser de sa présence ici, elle prit l’initiative de lui donner un ordre. Tapant sur le dossier de la chaise près de la table montée, elle lui dit d’une petite voix douce :

« Installe-toi là. »

Et attrapant la main de l’enfant, l’aidant à monter sur cette chaise trop haute, même pour elle, elle partit comme une flèche jusqu’à la cuisine pour revenir quelques minutes plus tard avec un plat trop grand et trop lourd pour ses bras, ainsi qu’une hache de fortune. Lorsque, après une dure lutte, elle réussit à monter le poulet (qui devait bien faire deux fois la taille de sa tête) et les pommes de terre qu’elle avait préparées durant la soirée, elle se mit à niveau et planta férocement la hache dans le poulet, dans un bruit sinistre, séparant la carcasse en deux parties distinctes. Et elle refit le même geste, séparant une moitié en deux, glissant à la suite l’une des parties dans l’assiette de Rachel, et l’autre dans son propre plat. La plus grosse moitié était évidemment pour Yumen. Elle ajouta alors les pommes de terre et fit un sourire à l’enfant :

« Ça, c’est pour toi. »

Et plantant sa fourchette dans une première pomme de terre, décidant de faire abstraction de cette jalousie montante qu’elle ressentait malgré elle, la Rouquine lâcha joyeusement :

« Bon appétit ! »

*

Dans le garage, Yumen regarda l’avancée de la Gamine. Il constata, apprécia, attrapa ensuite son Escargophone et prit la peine de prévenir son coéquipier de sa présence sur l’île, ainsi que de l’issu de sa mission. Il signifia que Louve était en bonne santé et qu’il avait laissé à sa Gamine la charge de la nourrir.
Satisfait de ces déclarations, son ami annonça qu’ils ne tarderaient pas à venir chercher Rachel.
Il raccrocha, posa l’objet et retourna dans le salon.
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« BIENVENUE A LA MAISON ! »
    Dès que la porte avait été ne serait-ce qu'entrouverte, Rachel avait saisi le concept de doux foyer. Une cheminée, de la chaleur, quelqu'un qui attend ton retour, une délicieuse odeur de nourriture. Il lui semblait entrer dans les cuisines au moment du petit déjeuner où elle était toujours bien traitée.

    La seule surprise fut la jeune fille qui les accueillit. Plus grande d'une tête ou deux, elle avait une magnifique chevelure dont la couleur chatoyante sauta aux yeux de Rachel. Immobile à se jauger l'une l'autre, c'est finalement Yumen qui, la poussant dans le dos, lui demanda de rester à l'écart. Ce qu'elle fit sans rechigner, toujours sans lâcher l'inconnue du regard. Laquelle s'entretint en silence avec le grand homme qui l'avait amenée dans cette maison chaleureuse. Finalement, Rachel observa les alentours, la décoration -ou ce qui devait faire partie de la décoration- avant que son regard ne se perde dans les flammes. Puis, le dénommé Yumen les laissa toutes les deux. Elle s'observèrent une nouvelle fois et lorsque la jeune hôte vint s'incliner respectueusement devant Rachel, cette dernière l'imita grossièrement, Curieuse.

    Curieuse mais obéissante. On lui avait demandé de ne pas parler, alors elle ne le fit pas. Bon, elle était surtout intriguée par elle. Elle semblait plus grande qu'elle et pourtant ressemblait encore à une enfant. Elle ne savait pas quoi dire. Ce qui en soit était assez incroyable de la part de Rachel. Alors elle garda le silence. Elle resta muette lorsqu'elle l'aida à monter sur sa chaise, ne prononça pas un son alors que la jeune fille arrivait avec un poulet aux odeurs délicieuses, ne pipa mot lorsqu'elle la servit. Elle avait hésité à l'aider à hisser le poulet sur la table, mais elle avait été trop lente à réagir.

    Et finalement.

« Bon appétit ! »
-Comment tu t'appelles ? Demanda Rachel soudainement en plantant une pomme de terre.

    La situation lui apparut tout à coup étrange. En train de diner dans une chaumière agréable en compagnie d'une jeune fille qu'elle ne connaissait même pas dix minutes auparavant. Elle croqua timidement dans sa patate, se sentant soudain pas à sa place. Où donc étaient ses parents ?
    Reportant son attention sur la rouquine, elle se demanda son âge. Et si elles pourraient jouer ensemble après manger. Rachel n'avait pas souvent rencontré d'enfants de son âge pour ses rares excursions à terre, mais toujours c'était dans des parcs et sous la surveillance de son père. Que penser de cette fille qui mangeait avec elle qui ne semblait visiblement pas s'amuser. Tous les autres enfants riaient, pourtant. C'était parce qu'elle n'était plus une enfant peut-être, alors ? Et qu'elle travaillait. Rachel aussi aurait dû travailler si elle vivait dans un port ? Elle était bien contente de ne pas y habiter... Parce que dans les ports, toutes les femmes qu'elle avait vue travailler étaient...

-T'es une serveuse ou une catin ? Demanda notre douce ingénue aux grand yeux verts, ronds de curiosité. Tu sais déjà plus jouer ? Enchaîna-t-elle sans se rendre compte le moins du monde que ses questions, loin d'être adaptées, étaient surtout déplacées.

    Tandis que la jeune rousse restait coi devant de telles questions, la porte derrière elles s'ouvrit et entra de nouveau celui que Rachel identifiait comme l'homme de maison et le père de la Gamine.

-J'aime bien chez vous, il fait chaud et on mange bien. Y'a quoi derrière ? Tu es allé chercher une histoire, dis, c'est ça ? Je peux te découper le poulet moi aussi Yumen ? Termina-t-elle en se jetant avec spontanéité vers la hache qui trônait sur la table. Hache qu'elle souleva sans mal, à la grande surprise générale.

    Mais si Rachel ne voulait que couper le poulet, le public n'était visiblement pas de cet avis.
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« Euh… Je… Je ne sais pas. »

Elle baissa les yeux, prise au dépourvu. Son nom ? Se creusant la tête pour tenter de le retrouver, elle ne mit la main que sur une série de chiffre qui la qualifiait depuis son arrivée sur l’île et vu que Yumen n’avait pas pris la peine de lui donner une véritable identité, autre que « Gamine », depuis qu’elle était dans sa maison et à son service, elle ne savait absolument plus quoi dire. Elle se rappela alors un prénom qu’elle avait lu dans un livre, Lilou, sans pour autant oser se l’approprier. Son cœur se serra, très fort, au point de lui faire mal. Elle sentit son nez la chatouiller, les larmes monter à ses yeux. Elle n’était pas habituée à ce genre de question, elle ne pensait pas être aussi gênée de ne pas savoir répondre à ça. Parce que plus que de la tristesse, c’était de l’embarras. Et la suite la désarçonna d’autant plus : une serveuse ou une catin ? Elle releva le regard et fronça les sourcils : qu’est-ce que c’était que ça, une catin ? Impossible d’en trouver la définition dans les bouquins que Yumen lui avait rapporté de voyage, et il ne lui semblait pas en avoir rencontré un jour.
La porte, derrière elles, grinça et Yumen refit son apparition. Il s’installa et regarda les deux jeunes filles en s’interrogeant devant ce silence pesant. Il attrapa sa fourchette et voulu commencer à manger, mais Rachel renchérit de plus belle, la langue totalement déliée et en confiance : en effet, elle se sentait étrangement bien parmi eux, au grand désarroi du propriétaire des lieux qui avait hâte de s’en défaire. Il lui était d’autant plus compliqué d’avoir une autorité légitime sur cette enfant, particulièrement parce qu’il ne la connaissait pas et qu’il la rangeait dans la catégorie « business ». Le moindre faux-pas lui en couterait de l’argent, ou des clients, ainsi qu’une réputation. Jeter Louve dans le feu crépitant n’était donc pas envisageable.

« J'aime bien chez vous, il fait chaud et on mange bien. Y'a quoi derrière ? Tu es allé chercher une histoire, dis, c'est ça ? Je peux te découper le poulet moi aussi Yumen ?
- Qu’est-ce que c’est qu’une catin ? »

Yumen fixa la Gamine avec des yeux ronds, il les posa ensuite sur Rachel en se demandant comme une fille de son âge pouvait apprendre des mots aussi laids. Non pas qu’il n’était pas d’accord avec l’idéologie disant que toutes les femmes étaient évidemment des grognasses, mais il s’étonnait qu’une enfant comme elle puisse envisager de telles choses. Il se passa la main sur le visage en essayant de garder sa contenance, regardant ensuite Louve qui agitait la hache habilement. Yumen était surpris de voir autant d’agilité et de force dans un corps aussi frêle. A son âge, elle égalait la Gamine à ce niveau, il se dit pourtant que sa fille adoptive valait largement le prix qu’il avait payé pour l’avoir. Fronçant le nez, partiellement agacé, il prit l’initiative de partir plutôt que de s’énerver contre son invité :

« Gamine, occupe-toi d’elle… »

Yumen se leva en soupirant, prit le pas vers la porte en sortant une cigarette de sa poche de pantalon. En même temps, la Gamine hocha la tête et attrapa le poignet de Rachel, lui prenant la hache des mains en la posant loin d’elle ; elle ne savait pas vraiment comment s’occuper d’une fille plus jeune qu’elle. Manque d’expérience, elle ne fréquentait pas les enfants. Elle ne savait pas non plus ce que c’était que jouer. Sa seule occupation, à laquelle elle prenait énormément de plaisir, était la construction d’objet, l’ingénierie, la lecture de ces énormes manuels de mécanique. Difficile de se dire que ce genre de passe-temps n’était bon que pour elle. Elle chercha dans sa tête ce qui pourrait occuper une enfant dans son genre au moins une bonne heure. Et d’un coup, l’idée…

« Tu veux voir ce qu’il y a derrière ? demanda la Gamine timidement. »

Les yeux pétillant, elle devança la réponse de sa compagne de soirée. La Gamine aida Louve à descendre et l’attrapa par la main pour la mener jusqu’à la porte de derrière. Elle la poussa légèrement, la faisant grincer par cette même occasion. La pièce était plongée dans le noir total. Elle chercha à tâtons l’interrupteur qui alluma en quelques secondes une lumière au plafond. C’est alors que, sous les yeux de Louve, se dessina le garage plein de bricoles en tout genre, de jouets pour les plus érudits, et surtout, au centre de cette pièce, l’immense machine qui se dressait devant elles, d’une couleur métallique, presqu’humaine et inanimée.

« Quand il sera fini, il sera mieux encore ! »

Son squelette était par endroit toujours apparent, mais il prenait forme. Frôlant le plafond pourtant haut de quatre mètres, massif, l’armure en imposait. Elle était son bébé, son œuvre.

« Moi, je joue à ça… »

Et tenant toujours la main de l’enfant, elle fit volte-face :

« Et, regarda, là ! »

Elle tira Rachel jusqu’à sa table de travail et déroula un plan qui dévoila les plans du Navire de l’équipage de Louve, les quelques nouveaux aménagements, les réparations en cours, ainsi que le panel d’objets que les mercenaires offraient aux pirates :

« C’est ton bateau, nous travaillons dessus… ça te plait ? »

*

Yumen tira sur sa cigarette, se pinçant l’arête du nez. Il était épuisé, par sa journée, par la situation, aussi et surtout par son invité du soir. Il ne savait pas qu’une Gamine pouvait avoir autant d’énergie. Il regarda l’horizon, le ciel dégagé, la mer calme, la ville encore illuminée, les quelques voix qui s’élevaient des tavernes, portées par le vent jusqu’à lui. Sur le chemin qui montait jusqu’à maison, il distingua des silhouettes. Un autre soupir, il sentait et espérer que l’on venait pour Louve.
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    Lorsqu'on lui arracha des mains la hache qu'elle voulait utiliser pour découper un morceau de viande à Yumen voir à la jeune fille sans nom, elle s'avoua vaincue et enfourna une nouvelle pomme de terre avant de s'enfoncer dans sa chaise avec une moue dépréciatrice -si encore elle connaissait ce mot. Elle regarda alors Yumen quitter la pièce comme s'il voulait éviter une dispute. Peut-être qu'elle avait mal agi. Son regard vert glissa alors vers la jeune fille qui semblait contrite. En vérité dans le fait de devoir s'occuper d'une enfant comme Louve, mais dans l'esprit de cette dernière, c'était parce qu'elle avait voulu jouer avec la hache. Raison également du départ du maître de maison.


-Pardon... minauda-t-elle en faisant mine de s'enfoncer encore un peu plus dans sa chaise avec une nouvelle pomme de terre.

    Mais au finale, la Gamine bondit de sa chaise, plus rayonnante qu'à l'instant et descendit à son tour Louve de son trône. Enfin, de sa chaise trop haute pour elle. Elle faillit tomber et renverser la table avec elle. Le genre de chose qui ne lui serait jamais arrivé en pleine mer, même par temps de chien. Là, la Gamine l'emmena vers la fameuse pièce de derrière, là où étaient entreposées les histoires. Et comme elle ouvrait la porte grinçante qui donnait sur une salle complètement noire, Louve ne put s'empêcher d'ouvrir encore une fois la bouche.

-Tu vas me lire une histoire ? C'est une bilibiothèque ?

    Et le jour se fit.
    Louve eut un soubresaut de surprise. Ébahie devant tant de chose à voir en une seule seconde. Et puis cette lumière. Elle n'en avait pas dans son navire. Eux, ils utilisaient des lampes à huiles. La jeune enfant leva le regard vers cette technologie inconnue jusqu'à s'en brûler les yeux. Comme quand elle regardait le soleil. Avec un sourire, elle s'en détourna et put admirer la magnifique image rétinienne qu'elle gardait imprimée sur l’œil de l'ampoule -ou de ce que c'était. Elle réussit même à rire de la cocasserie de la situation : aveugle pour avoir regardé la lumière. Et maintenant, partout où elle posait le regard, elle ne voyait qu'une tâche sombre, souvenir de plafonnier. Elle rit encore une fois avant de s'agacer de ne pas pouvoir voir les fameux « jouets ». Mais la sensation s'estompait et elle pouvait voir tous les outils, les plans, et tout ce que le garage contenait de bric-à-brac.

    « Quand il sera fini il sera mieux encore ! »

    Rachel se retourna pour observer ce qu'elle avait pris pour une poutre. Une très grosse poutre vous l'imaginez. Une poutre de près de quatre mètres de haut, avec des os étranges, une couleur de sabre et munis de diverses aspérités aux termes sûrement aussi étranges que la forme globale de la chose. Qui en imposait. Qui en imposait vraiment. Dans le sens où il faisait près de quatre fois la taille de Louve, mais le fait que l'on distinguait et devinait une posture plus ou moins humaine et que la tête n'était pas visible pour la jeune Louve donnait une impression de force, de puissance. Presque Mystique. Elle recula d'un pas sans vraiment le vouloir et finit par s'exclamer :

-Il est Grand...C'est toi qui le fais ?

    C'était peut-être pas une serveuse finalement. Et comme elle n'avait jamais vraiment su, Louve, ce qu'était une catin, alors la jeune fille sans nom devait en être une.

    La jeune fille sans nom.
    C'était un élément qui perturbait bien notre petite Louve. Une enfant sans nom ? Ou qui ne le connaissait pas ? Ca n'entrait pas dans le domaine du compréhensible pour la graine de pirate. Tout le monde naissait avec un nom donné par son papa ou sa maman. Voire deux noms. Rachel et Louve. Pourquoi pas elle ?
    Cette pensée ne cessait de tourner dans sa petite tête si bien que lorsque la Gamine lui montra des plans, des dessins compliqués sur un bout de papier, elle n'y porta pas grande attention. Et puis ça n'avait pas la stature de la statue de métal qui trônait au milieu de la pièce. Elle se retourna vivement vers la Gamine, la bouche grande ouverte pour revenir à la charge sur cette histoire de prénom inexistant. Mais il y avait par terre sûrement quelque chose de glissant. De l'huile pour le robot ? De la mayonnaise pour les sandwiche ? Un truc verdâtre nécessitant une « visco-analyse » ? Louve n'en sut jamais rien et ne tînt pas à savoir. Toujours était-il qu'elle bascula les quatre fers en l'air pour se ramasser dans une table. Où divers outils lui tombèrent dessus. Peut-être même un marteau qu'elle prit sur le haut du crâne. Il y eut un cri de stupeur, un « Aïe ! » retentissant, une avalanche en tout genre d'objets rudement bien rangés pourtant. S'en suivit une seconde de calme soudain duquel jaillit une Louve décoiffée et se tenant la tête en minaudant des petits couinements d'écureuil malade. Elle croisa le regard de la Gamine et finit par sourire.

-Badaboum... Big badaboum.
Dis... pourquoi tu n'as pas de prénom ? C'est pas normal. Moi j'en ai deux, moi... Tu veux que je t'en prête un ? Parce que tout le monde a un nom, même les grands. Et même si t'es grande, tu dois en avoir un. C'est les mamans qui les donnent, m'a dit mon papa. Ta maman elle l'a pas fait ? Ni ton papa Yumen ?


    Tout en se penchant pour ramasser un outil sur les douze éparpillés au sol. Délicatement elle le posa sur la table et s'appliqua pour qu'il soit parfaitement bien rangé. Parallèle tout ça. Tandis que dehors le salut de Yumen se rapprochait de la maison.
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« Dis... pourquoi tu n'as pas de prénom ? C'est pas normal. Moi j'en ai deux, moi... Tu veux que je t'en prête un ? Parce que tout le monde a un nom, même les grands. Et même si t'es grande, tu dois en avoir un. C'est les mamans qui les donnent, m'a dit mon papa. Ta maman elle l'a pas fait ? Ni ton papa Yumen ? »

Rachel était d’une innocence meurtrière, enfonçant avec l’air ingénu un couteau dans des plaies déjà ouvertes, retournant naïvement le poignard dans la blessure déjà béante. La Gamine se baissa pour ramasser les quelques affaires tombées à terre par la faute de Louve. Elle avait presque la sensation que l’enfant à ses côtés le faisait exprès. Un élan de paranoïa mal placée, un sentiment de persécution, elle ne savait pas comment répondre à son invitée sans être désagréable. Elle se dit alors qu’elle avait à faire avec une enfant, et que les enfants ne voyaient pas la même chose que les adultes, ou que ceux qu’on a forcé à grandir trop vite. La Gamine faisait partie de la deuxième catégorie, bien malgré elle. Son enfance n’avait été que mauvaise rencontre sur mauvaise rencontre, et maintenant que Louve posait toutes ces questions, la Gamine se disait que c’était probablement une autre de ces mauvaises rencontres en question.
Se raclant la gorge, elle préféra rester muette et aider Rachel à remettre tout en place, lorsque cela fut chose faite, elle regarda que l’enfant n’avait rien de cassé, ni égratignures, ni bleus en devenir, pour qu’on ne pense pas qu’on en avait profité pour la maltraiter. Dans les faits, c’était surtout Louve qui avait mis les nerfs de tout le monde à rude épreuve, autant ceux de ses hôtes que de ses parents, qui avaient dû se faire un sang d’encre pour la jeune fille.

« Je n’ai pas de maman, moi, dit-elle d’une voix douce. »

Elle fit un maigre sourire, le cœur serré. Vrai que son identité se résumait à un surnom. Un simple surnom. « La gamine ». Juste le temps de penser à celui qui la nommait ainsi :

« Et Yumen n’est pas mon papa. »

La gamine se sentit très seule. Elle regarda Rachel, toujours avec le même sourire, en essayant de ne pas pleurer. Comme à chaque fois, c’était dur pour elle de comprendre qu’elle n’était personne. Ou en tout cas, pas assez quelqu’un pour obtenir un véritable prénom. Et puis, en se souvenant d’un nom qu’elle avait lu dans un bouquin que Yumen avait ramené d’un voyage, elle se dit que si personne n’acceptait de lui donner un prénom, il n’y avait plus qu’elle pour s’en attribuer un. Ravalant sa peine, elle lâcha :

« Tu n’auras qu’à m’appeler Lilou. »

*

Yumen fit face à trois bons hommes, les regardant de haut. De haut, parce qu’il dépassait les deux mètres. Il regarda les trois lascars avec un certain dédain, poussant un long soupir. Il pensa qu’il n’était pas temps de leurs faire la morale, mais son air dur en disait long sur ce qu’il pensait de la situation, et de ce qu’il avait dut faire pour ses « clients ».

« On va faire vite. Vous restez la nuit sur l’île, et vous vous tirez demain à la première heure. Votre navire sera prêt. »

Une voix froide, la mine décidée, Yumen jeta un regard glaçant aux trois zigotos, se fixant vers celui des trois qui avaient l’air le plus à même de lui répondre : un grand type, la barbe naissante et le chapeau sur la tête. Il retint une réplique acerbe sur son style vestimentaire : les chapeaux, c’étaient franchement ringards.

« Faites en sorte de ne jamais revenir dans la région, surtout, amenez votre gosse loin, très loin d’ici. »

A peine venait-il de lâcher ça qu’il appela dans la maison :

« GAMINE ! »

*

« Vite Rachel, tu dois partir ! »

En quelques secondes, les deux refirent leurs apparitions, traversant le salon jusqu’à la porte d’entrée. La Gamine tenait Rachel par la main. Elle salua les nouveaux arrivants en s’inclinant respectueusement, puis poussa Louve jusqu’à ses pères d’un mouvement ferme. Elle lui glissa un petit « adieu » au creux de l’oreille, avant de lever le regard vers le grand au chapeau.
Son intérêt pour le dit chapeau était tout autre que celui de Yumen : elle trouva à l’homme un certain style, sinon quelque chose d’amusant. Un sourire plus tard, la tête rousse s’éclipsa…

Et Yumen claqua la porte.
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    Cinq minutes que Red et les deux autres patientent dans la méme salle qu'un Yumen qui a l'air aussi content de recevoir du monde que de se faire passer les doigts un par un dans un étau... Franchement c'est quoi son probléme, quelqu'un à pissé dans son bol ce matin? Il aime pas les pirates et les mômes ?

    En attendant Red fait le tour des lieux, les bidules, l'aménagement spartiate... Mais pas moyen de toucher à un truc vu le regard noir que lance le maitre des lieux.
    Heureusement la gamine rousse est efficace et le colis qui réunit tout le monde ici arrive à son tour dans la piéce avant que l'ambiance guerre froide ne passe à quelque chose de plus musclé...

    -Salut Louve, alors? Depuis quand tu te perds à terre ? Pour un peu on filait sans toi nous...

    D'un sourire spécial mômes il remercie la rouquine qui doit pas se marrer tout les jours avec le gros dur et de la main il ébouriffe un peu la mèche rebelle de louve... Dire qu'en descendant à terre l'autre jour ils étaient partis pour dessouder les gens qui l'avaient kidnappés...

    -Allez miss on s'arrache de ce trou !

    Un signe de tête neutre à l'autre bourrin, de gros dur à gros dur histoire de signifier que les comptes sont soldés et qu'on le remercie quand même. Un tour de magie pour la rouquine qui voit apparaitre une belle pièce d'argent dans la main du copain de Louve, trois tours sur les phalanges et hop, la pièce file droit dans les mains de la môme.

    Puis poussant Louve devant eux les trois pirates tournent les talons et foutent le camp de concert...Trois jours à terre c'est beaucoup trop, il est temps de retrouver un pont qui bouge sous les pieds.

    -Alors, tu t'es faite une copine ? Sympa la môme ?
    -Une fille devenue grande ! Et elle avait même pas de nom ! Alors j'ai voulu lui prêter le mien, Rachel, mais elle a pas voulu...

      Sur le chemin du retour, vers un plancher bien plus sûr, victime du roulis, Louve marchait à côté du cuisinier, derrière les deux autres membres de l'équipage qui discutaient gaiment entre eux. Le cuistot avait dû être envoyé pour le quota Charisme bien plus élevé chez lui que chez les deux autres gus, sûrement là pour le quota de poings.

      Alors Rachel, Forte de cette nouvelle aventure, raconte son voyage en bateau, son repas et Yumen, puis la jeune fille sans nom et sa construction plus grande que le plafond. Une grande construction de métal dont elle aurait pu avoir peur sans la petite « Lilou ». Puis elle prend la main du cuisinier pirate pour y voir la cicatrice et lui demande de lui raconter une histoire. Pour la énième fois, celle du chien fou qui l'a battu il y a longtemps, heureuse d'avoir enfin une histoire. Elle pensait en avoir une nouvelle, mais elle se contenterait de vieilles et des meilleures. Le Chien Fou puis le gentil monsieur dans une chambre toute blanche, en rentrant. La meilleure.

      Alors que tous marchaient encore et que la petite Louve commençait à fatiguer, cette dernière bâilla longuement et repensa aux gens dans cette maison chaleureuse. Elle prit alors à parti son cuistot qui était resté silencieux depuis qu'il avait fini son histoire.


    -C'est triste de grandir... Moi je veux pas. Je veux rester votre Louve !

      Et si elle arracha un sourire amusé à ses accompagnateurs, les Destin, de loin, éclatait d'un grand rire sardonique.
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