Posté Mer 10 Oct 2012, 21:09 par Rafaelo
Trois jours plus tôt.
Le voilà enfin. Le prince des océans, le Léviathan. Frère de lait du Béhémoth. L'assassin glissa sa main d'acier sur le promontoire du navire, gravissant pas à pas la palanque qui leur servait de pont. Le navire fumait encore, mais il n'avait rien perdu de sa majesté. Le crissement de ses griffes le ramena à la réalité : il empêchait le convoi d'avancer. Il raffermit la prise qu'il avait sur le bras du Colonel et le ramena sur son épaule. Il était inconscient et nécessitait des soins urgents. Là-bas, il avait été le premier à le secourir lorsqu'il avait commencé à vaciller. Sortant de nulle part, les Marine avaient cru à un énième pirate, mais ils le reconnurent à temps, non sans exprimer leurs doutes. Qui était-il ? D'où venait-il ? Et à cela, l'assassin répondrait en temps voulu. Pour l'heure, ils l'avaient applaudi, félicité même d'avoir œuvré à aider le Fenyang. Ils passèrent sur le pont du Léviathan, faisant fi des hommes occupés à réparer et nettoyer l'imposant édifice. Rafael laissa ses yeux courir partout, notant ça et là quelques changements par rapport au plan d'origine. Commençant de nouveau à perdre le fil de ses pensées, il secoua la tête et s'engouffra à la suite des Marines dans les appartements de leur leader. Sobre, militaire. Tout cela tira un sourire à l'assassin, qui l'abandonna là. Puis on en vint à quérir un médecin. Quelqu'un apte à soigner Alheïri. Une nouvelle étape de la machination de Rafael se lançait à présent, les pirates lui avaient manifestement mâché le travail. Fort de sa connaissance de l'anatomie humaine et de ses humeurs, il possédait des notions rudimentaires de médecine, alliées à une capacité favorisée par l'entraînement à connaître chaque faiblesse physique. De même, nombre poisons, et leurs antidotes, n'avaient plus aucun secrets pour lui. Sans compter les quelques notions glanées ci et là, lorsqu'il subissait lui même des interventions au sein des divers groupuscules révolutionnaires. Les notions d'asepsie, d'antiseptique ou encore l'importance de ne pas laisser l'infection s'installer. Anémie et autres troubles découlant d'une mauvaise hygiène des blessures. Il ne pouvait prétendre à une science aussi noble, mais il en savait assez pour se rendre utile. Ainsi, commanda-t-il linges et bandages, avant de se retrousser les manches. D'un geste, il remonta un peu plus l'écharpe qui lui bandait le visage. Le Marine était grièvement blessé, ses jours ne semblaient pas en danger tant qu'on s'occupait assez bien de lui. Il faudrait le recoudre, et surtout veiller à ce qu'il ne bouge pas trop. Ses plaies étaient peu profondes mais nombreuses, mieux valait ne pas risquer une anémie, doublée d'une fièvre.
Un jour plus tôt.
* ... ne le réveillez pas ... endormi sur sa tâche ...*
Émergeant d'une rêve à moitié flou, Rafael se redressa, se rendant soudain compte qu'il était à terre. Il s'appuya sur ses mains. Il était au milieu de l'infirmerie, complètement avachi sur le lit d'un soldat qui dormait paisiblement. L'assassin secoua la tête. Encore une fois il avait trop présumé de ses limites et pêché par excès de zèle. Non pas qu'il prenait plaisir à soigner cette engeance mais plus il ferait d'efforts dans ce sens, plus sa couverture serait crédible. Mais il avait fait montre de négligence. Un des soldats vint l'aider à se réveiller, puis l'aida à s'adosser contre le mur, lui fournissant un plateau repas. L'assassin releva le bas de son écharpe, de façon à ne révéler que sa bouche. Il mordit à pleines dents dans une miche de pain et s'envoya une rasade de vin rouge aux tanins râpeux. Il s'essuya du revers de la main droite, puis il avisa que les deux hommes lorgnaient sur son gantelet d'acier. Il posa alors le plateau à terre, bruyamment, et voulut se relever. Il était perclus de courbatures et si aucune blessure ne couvrait sa peau, il sentait en lui leurs tiraillements. Le logia ne le privait pas du harassement infligé par de tels affres, il lui permettait simplement de réarranger son corps pour ne plus avoir à en souffrir. Sauf en certaines circonstances particulières. Il resta appuyé contre le mur, la tête lui tournant avec douleur entre ses mains. Ses forces n'étaient pas illimitées.
"Je pense que vous avez besoin de repos, Gabriel." marmonna le premier des deux hommes.
Rafael opina du chef et secoua la tête pour chasser ces maudits maux de tempe. Il en avait assez fait, oui. Il regarda en clignant des yeux les rangées de lits sur lesquels reposaient des soldats inconscients. Un médecin fatigué faisait des erreurs, après tout. Son zèle resterait dans leur esprit. De plus, c'était étrangement plaisant de voir que ses mains pouvaient faire autre chose qu'ôter la vie, de voir qu'elles savaient aussi la préserver en un sens. Et bon. Sans parler de ce qu'elles faisaient aux femmes. Cette pensée lui tira un léger sourire. Les Marines lui indiquèrent une cabine inoccupée depuis peu, faisant de lui leur invité d'honneur. Celle qui lui était voisine était autrefois celle d'un homme dénommé Rain, mort au combat. Cette pensée ne lui faisait ni chaud ni froid, mais les hommages aux morts seraient donnés le lendemain et il se devrait alors de faire bonne figure. Verrouillant sa porte, il plaça une chaise contre la poignée, le prévenant de toute intrusion, et tira de son gilet un mini escargot blanc. L'heure était venue de faire le rapport. Juste à côté, il posa un autre escargot d'allure similaire, mais tout en noir, avec une coupe afro démesurée. S'il pouvait intercepter au passage les communications du Léviathan, ça n'en serait que mieux. Ce ne fut que quelques dizaines de minutes plus tard qu'il s'accorda le luxe de se reposer. Et bien que ce fût la fin d'après-midi, le médecin improvisé s’endormit sans demander son reste, pour n'émerger qu'au petit matin, bercé par le tangage du navire.
Ce même jour.
À l'heure du loup, l'assassin n'attendit pas la trompette pour s'engouffrer hors de la couchette qui lui avait été attribuée, dans une minuscule cabine. Il gagna rapidement le haut du bastingage et resta là plusieurs heures, au beau milieu des vents à méditer. C'était devenu une habitude pour lui, apprendre à maîtriser ses émotions, rester à l'abri de tout regard pour juguler la propension de ses pouvoirs à s'exprimer. Il était malheureusement tributaire de ses émotions débordantes et tout passait par la maîtrise de celle-ci. Voilà plusieurs mois qu'il cherchait à entraîner son esprit en vue de dompter son corps. Et par là même, il développait ses capacités d'écoute et de concentration. Il repassait sans cesse ses combats en tête, ses erreurs et apprenait à agir différemment, penser avant de frapper. Et il se construisait mentalement une vie et un rôle, celui de Gabriel Belmont. Sa couverture devait être irréprochable, il ne cherchait pas à duper du menu fretin. Là, il y avait plus que sa simple quête en jeu : la moindre erreur pouvait lui coûter la vie. Comme toujours, à vrai dire. Ce qui en rendait le jeu d'autant plus excitant. Pourtant en cette matinée qui se présageait ensoleillée, le brouhaha habituel s'était tu, chose qui marqua en premier Rafael. Il se souvint alors de la veillée funèbre qui devait se passer le soir même, à laquelle il avait eu l'honneur d'être convié. Ainsi donc, cette journée serait dédiée à s'occuper des morts. Il se laissa choir de son perchoir, glissant entre les entrelacs de cordes et atterrissant lourdement à terre. La journée serait longue. Ils commencèrent par préparer de quoi les hisser sur des palanques ou autres planches afin de les laisser rejoindre le large. Pour ceux dont le corps avait disparu, des couronnes de fleurs et leurs effets personnels les suivraient au fond des océans. C'était une belle mort qu'on leur offrait. Le droit de rejoindre la quiétude des fonds marins. Pourrait-il lui aussi prétendre à pareil pardon ? Non, son âme était damnée et il le savait bien ... le sacrifice nécessaire. Toujours était-il que le travail les mena rapidement au crépuscule, où l'assassin se retrouva perclus de douleurs, à nouveau. Il s'était comporté en simple mousse et avait prêté main forte aux différents ouvrages. Leur rendre hommage l'indifférait, mais il était de ceux qui respectait la faucheuse et son ouvrage. Très chère consœur. Puis, bien vite, on allât chercher ceux qui restaient dans leurs cabines, comme le Commandant bigarré, dont il s'était aussi occupé à la suite du Colonel Fenyang. Grièvement blessé, en revanche. Et quand les derniers hommes arrivèrent, Rafael était déjà là, adossé contre un arbre à une dizaine de mètres, les regardant de loin. Ce n'était pas sa cérémonie, il n'était que spectateur et s'y inviter aurait été déplacé, à moins d'un geste de la part du Colonel.
Le Soleil se reflétait à merveille sur l'océan, d'une lueur si diffuse qu'on l'aurait cru vert. Et d'aucuns prétendaient que lorsque le crépuscule s'annonçait ainsi, une âme s'apprêtait à passer dans l'autre monde, guidée par les dieux des océans. Y croyait-il ? Cela importait peu, il vivait pour l'instant présent et le prochain, non pas pour ce qui venait après. Ainsi était la condition d'assassin, il fallait s'attendre à perdre la vie à n'importe quel instant. Autant la chérir du mieux que l'on pouvait, tant que l'on en était capable. Si l'humeur était morose, on pouvait dénoter dans ces hommes un espoir sans limite. Ils révéraient les hommes qui les menaient, et Rafael avait du mal à croire qu'on pouvait ainsi se comporter envers gens du Gouvernement. Certains s'étaient trompés de camp, auraient mieux servi le monde en œuvrant pour lui, au lieu de cette pathétique coquille vide créée par et pour des profiteurs malavisés. L'assassin repoussa son étole sur son arête nasale, et soupira longuement. Bientôt ils reprendraient la mer, se rapprochant un peu plus de Marie-Joie. Pourrait-il devenir alors assez puissant pour accomplir son objectif ? Alheiri était un monstre, un phénomène de puissance et de résistance. Vivre aux côtés d'un type pareil forçait le respect et ne poussait qu'à se donner encore plus. Tout ceci serait formateur, il en était sûr. S'en remettre à un homme du camp adverse pour parachever son œuvre. Sois proche de ton ami et encore plus de tes ennemis disait l'adage. On ne pouvait dire plus vrai ...