Cinquante-huit heures, ouais.
C’est le temps qu’il aura fallu pour que l’odeur de roussi commence à monter.
D’abord, il y a eu le signe. L’heure moins deux. Le barreur a commencé à rendre ses tripes peu avant les dernières formalités d’embarquement. Un gars inconnu mais refilé par qui de droit pour une mission qui en fait ne dépend au final absolument pas de lui et sur laquelle il n’a, et c’est assez désagréable, aucune espèce de contrôle. Lui, Tahar le sauveur de South Blue. Mais il n’y a pas qu’un seul barreur au royaume de Bliss, alors on a continué.
Ensuite, à l’heure zéro, quand le signal du départ a été donné, un marin a manqué se tuer en glissant sur un cordage un peu trop visqueux des algues qui y avaient élu domicile et construit une pouponnière. Même son bateau à lui, le Tambour, on ne le lui a pas laissé prendre, et en compensation on lui a refilé un matériel tout crade. Mais le marin n’est pas mort alors on a continué.
Ensuite, à l’heure trois plus un quart, le colis a commencé à devenir vert. A l’heure trois plus une demie, il était blanc. A l’heure quatre moins un quart il était à l’infirmerie, et à l’heure quatre il a fini sur le lit du capitaine pour y guérir son terrifiant mal de mer. Vivent les scientifiques et vive la science, mais il n’est pas mort et la mission demeurait, alors on a continué.
A l’heure quinze, loin après la fin du service de jour, le cuistot a réveillé les matelots endormis. Un rat gros comme un mousse faisait une orgie avec ses propres mômes dans les réserves, la moitié du grain a fini dans la moitié de la bière, et lui a fini en pâté du matin pour les marins à qui la nuit blanche donnaient fin. Résultat, trois malades. Mais aucun mort, alors on a continué.
A l’heure trente, le deuxième jour en milieu d’après-midi, le scientifique a remis pied à terre, enfin sur le pont, et a prouvé qu’il lui était possible d’être encore plus casse couilles vivant et en bonne santé que malade et à l’article de la mort. Mais il était la mission alors Tahar n’a pas pu l’enfermer dans les cales avec un boulet de douze dans les pieds, et on a continué.
A l’heure quarante-deux, juste avant l’aube du troisième jour, les marins de quart se sont engueulés pour un dé pipé et ont abrégé la nuit de leurs collègues qui dormaient encore. Eux, il était possible de les faire mettre aux fers alors Tahar l’a fait, avec un plaisir certain, mais leur absence n’enrayait pas la mission alors on a continué.
A l’heure cinquante-et-une, au repas du midi, un des officiers à la table a posé son couteau mais pas sa fourchette et demandé à Tahar ce qu’il pensait des informations laissant supposer un retour de la révolution dans South Blue quelques mois à peine après qu’on lui a retiré le dossier. Tahar a regardé l’officier, regardé la fourchette de l’officier, regardé l’officier et imaginé des choses. Le repas s’est fini en silence mais la digestion s’est révélée difficile et on a continué malgré tout.
A l’heure cinquante-sept, enfin, la vigie qui ne dormait pas encore a indiqué avoir cru apercevoir une lumière à l’horizon, très brièvement. C’était la première embarcation croisée depuis le départ, et dans le corps des officiers on a surtout pensé à un pêcheur quelconque. C’était légitime, et sans juger bon de prévenir le capitaine qui se reposait avant le repas dans sa cabine libérée on a continué.
Mais quand Tahar sort de sa cabine maintenant qu’on est à l’heure cinquante-sept et un sixième, et qu’au loin là-bas le navire invisible est devenu un point noir dans la mire de sa longue-vue, toutes ses tripes d’animal pas vraiment vétéran puisqu’il n’a que vingt-sept ans mais quand même un peu parce qu’il en a vu pas mal, toutes ses tripes de militaire aguerri lui chuchotent qu’on ne va pas continuer.
Et quand la voile apparaîtra comme telle dans le télescope, c’est-à-dire dans approximativement cinq sixièmes d’heure à en juger par le vent, quand enfin il verra réellement de quoi est fait ce navire tiers que le destin lui apporte sur une mer d’huile, alors il aura confirmation. En attendant, il agresse un des marins qui lui polissent la nuque à coups de courant d’air depuis qu’il est sorti, lui vole sa lanterne allumée parce que la nuit s’approche, et s’allume à la bougie une clope qui lui chatouille les narines.
Y a du sang dans l’air, petit, pense-t-il ou pas en laissant le brave homme peut-être plus vieux que lui repartir.
C’est le temps qu’il aura fallu pour que l’odeur de roussi commence à monter.
D’abord, il y a eu le signe. L’heure moins deux. Le barreur a commencé à rendre ses tripes peu avant les dernières formalités d’embarquement. Un gars inconnu mais refilé par qui de droit pour une mission qui en fait ne dépend au final absolument pas de lui et sur laquelle il n’a, et c’est assez désagréable, aucune espèce de contrôle. Lui, Tahar le sauveur de South Blue. Mais il n’y a pas qu’un seul barreur au royaume de Bliss, alors on a continué.
Ensuite, à l’heure zéro, quand le signal du départ a été donné, un marin a manqué se tuer en glissant sur un cordage un peu trop visqueux des algues qui y avaient élu domicile et construit une pouponnière. Même son bateau à lui, le Tambour, on ne le lui a pas laissé prendre, et en compensation on lui a refilé un matériel tout crade. Mais le marin n’est pas mort alors on a continué.
Ensuite, à l’heure trois plus un quart, le colis a commencé à devenir vert. A l’heure trois plus une demie, il était blanc. A l’heure quatre moins un quart il était à l’infirmerie, et à l’heure quatre il a fini sur le lit du capitaine pour y guérir son terrifiant mal de mer. Vivent les scientifiques et vive la science, mais il n’est pas mort et la mission demeurait, alors on a continué.
A l’heure quinze, loin après la fin du service de jour, le cuistot a réveillé les matelots endormis. Un rat gros comme un mousse faisait une orgie avec ses propres mômes dans les réserves, la moitié du grain a fini dans la moitié de la bière, et lui a fini en pâté du matin pour les marins à qui la nuit blanche donnaient fin. Résultat, trois malades. Mais aucun mort, alors on a continué.
A l’heure trente, le deuxième jour en milieu d’après-midi, le scientifique a remis pied à terre, enfin sur le pont, et a prouvé qu’il lui était possible d’être encore plus casse couilles vivant et en bonne santé que malade et à l’article de la mort. Mais il était la mission alors Tahar n’a pas pu l’enfermer dans les cales avec un boulet de douze dans les pieds, et on a continué.
A l’heure quarante-deux, juste avant l’aube du troisième jour, les marins de quart se sont engueulés pour un dé pipé et ont abrégé la nuit de leurs collègues qui dormaient encore. Eux, il était possible de les faire mettre aux fers alors Tahar l’a fait, avec un plaisir certain, mais leur absence n’enrayait pas la mission alors on a continué.
A l’heure cinquante-et-une, au repas du midi, un des officiers à la table a posé son couteau mais pas sa fourchette et demandé à Tahar ce qu’il pensait des informations laissant supposer un retour de la révolution dans South Blue quelques mois à peine après qu’on lui a retiré le dossier. Tahar a regardé l’officier, regardé la fourchette de l’officier, regardé l’officier et imaginé des choses. Le repas s’est fini en silence mais la digestion s’est révélée difficile et on a continué malgré tout.
A l’heure cinquante-sept, enfin, la vigie qui ne dormait pas encore a indiqué avoir cru apercevoir une lumière à l’horizon, très brièvement. C’était la première embarcation croisée depuis le départ, et dans le corps des officiers on a surtout pensé à un pêcheur quelconque. C’était légitime, et sans juger bon de prévenir le capitaine qui se reposait avant le repas dans sa cabine libérée on a continué.
Mais quand Tahar sort de sa cabine maintenant qu’on est à l’heure cinquante-sept et un sixième, et qu’au loin là-bas le navire invisible est devenu un point noir dans la mire de sa longue-vue, toutes ses tripes d’animal pas vraiment vétéran puisqu’il n’a que vingt-sept ans mais quand même un peu parce qu’il en a vu pas mal, toutes ses tripes de militaire aguerri lui chuchotent qu’on ne va pas continuer.
Et quand la voile apparaîtra comme telle dans le télescope, c’est-à-dire dans approximativement cinq sixièmes d’heure à en juger par le vent, quand enfin il verra réellement de quoi est fait ce navire tiers que le destin lui apporte sur une mer d’huile, alors il aura confirmation. En attendant, il agresse un des marins qui lui polissent la nuque à coups de courant d’air depuis qu’il est sorti, lui vole sa lanterne allumée parce que la nuit s’approche, et s’allume à la bougie une clope qui lui chatouille les narines.
Y a du sang dans l’air, petit, pense-t-il ou pas en laissant le brave homme peut-être plus vieux que lui repartir.