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C'était le temps des transhumances ♫

C'était le temps des transhumances...
Le temps béni des réjouissances...
Quand les vaches couvertes de fleurs
S'en vont brouter au petit bonheur...


Sifflotant et chantonnant gaiement, Sören guidait un troupeau de vaches, aidé en cela par Brom, ses apprentis et ses chiens qui serraient les bêtes. Par leur seule présence, ils donnaient au défilé un sentiment d'ordre quasi-géométrique. Parfois, une génisse récalcitrante ou curieuse se détachait du groupe, et l'un des garçons lui envoyait un coup dans les rotules à l'aide d'une tige de jonc, tandis qu'un chien grondait d'un air menaçant.

Ce jour là faisait partie des moments forts de l'année, ceux que le petit paysan chérissait le plus. Fin mai, les bêtes de Brom montaient aux estives, situées sur la plus vaste et la plus froide colline de l'île. Presque une montagne. Rien n'y poussait, c'était le domaine du bétail. Et alors, les jeunes vignerons avaient leur permission, tant pour donner la main que pour participer aux festivités.

Toute la journée, on couvrait les vaches de costumes de fleurs, on chantait, on riait et l'on buvait en travaillant. Puis le soir, une fois la besogne effectuée et les bêtes lâchées, on les abandonnait à la surveillance des chiens de troupeau, et l'on dansait, mangeait, prenait du bon temps. Bon temps bien apprécié dans une vie consacrée aux rudes travaux des champs.


-Eh, Sören ! J'espère bien que tu inviteras Svena à danser, ce soir ! Hein !

Sous les rires des apprentis, Sören se sentit rougir jusqu'aux oreilles à la seule évocation de la jeune fille. Sachant que ce genre de plaisanteries faisaient partie du jeu, il arma sa tige de jonc, et se mit à poursuivre Brom qui manqua de s'étouffer, la poitrine agitée de soubresauts.
Au loin, se profilait les contours de l'unique village de l'île, qui faisait office de chef-lieu, de port et de point de ravitaillement. Des banderoles et des guirlandes en soulignaient l'entrée dans un festival de couleurs chatoyantes. On entendait déjà le son des accordéons, des violons et des lourds tambours d'accompagnement. Aux clameurs qui s'élevaient, l'on devinait aussi la foule épaisse qui attendait l'arrivée du troupeau pour le couvrir de fleurs. Le tout en riant et en félicitant les éleveurs et les bergers.


-Eh ! Jeune premier ! Tu crois qu'elle te l'accordera, ta danse ? En tous les cas, t'as pas intérêt à faire dans ton froc devant elle, ça risquerait de l'effaroucher un brin !

Finalement, Brom fut réceptionné par des hourras tandis que Sören stoppait sa course. Il n'avait pas réussi à rattraper son vieil ami, mais peu importait. Cela portait bonheur au poursuivi, et contribuait à sa bonne santé durant l'été, disait-on. Celui-ci l'attrapa par l'épaule, et lui frictionna affectueusement le crâne.

-En v'là un p'tit qu'ira loin ! Eh ! Pour un peu, j'envierais la fille qui dansera avec lui ce soir !

Toujours silencieux, le garçon s'était mis à rire lui aussi. La chaleur humaine qu'il sentait tout autour de lui le comblait.
Le troupeau venait de faire son entrée tant attendue. Une pluie de fleurs se déversa sur les bêtes qui, contrôlées par les chiens et impassibles, poursuivaient leur marche paisible.
Le village était bondé comme jamais. Pour l'occasion, des ouvriers, des éleveurs et des membres des familles vivant sur des îles voisines étaient venus en apportant leur bonne humeur. Et parmi eux, quelques petits truands de campagne, bandits du dimanche qui avaient leur place dans le folklore local pour la journée. Mais seulement pour la journée, c'était évident. Il n'y avait pas de base marine sur l'île, mais les paysans avaient confiance, à juste raison, en leurs propres forces.

Le cortège finit par quitter le village. Les pâtures n'étaient plus très loin, et une bonne partie de la foule s'était greffée au troupeau. Les discussions allaient bon train,et tout était en place pour que la fête s'étende jusqu'au matin en une longue réjouissance.


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Qu’admirait-il ? Les enfants heureux du pays joyeux.
Qu’ouïssait-il ? Des chants, des rires et des chants.
Que faisait-il ? De la chasse aux monstres gentils.
Quand était-il ? Tous les jours du printemps.
Où se trouvait-il ? Sur l’île aux enfants.
Que buvait-il ? Le paradis.

Présenté comme ça, c’était beau. Vécu, c’était encore mieux. Pourquoi était-il là ? Cette question avait sans doute aussi une réponse. Avait aussi eu une réponse, plus exactement, depuis si longtemps que celle-ci s’était perdue entre les ardoises accumulées à l’unique troquet-auberge-hôtel du coin. Etablissement dans lequel il va sans dire que Tahar Tahgel s’était déjà fait un petit nom depuis ces quelques jours qu’il était arrivé. Un nom et une table attitrée, rien de mieux pour bénéficier d’un service idéal… Et là, doigts de pied en éventail, bottes vides posées sous la table pour prendre l’air après une nuit humide qui avait exigé qu’il dorme avec, cache-poussière séchant de la rosée au soleil naissant, il prenait le frais avant une matinée déjà chargée de cette saine tiédeur de printemps.

Un café pour la transition, colonel ?

La tenancière et seule serveuse de l’heure, accorte et les yeux bruns, avait de bonnes idées et des idées en tête. Mais Tahar était en une de ses rares phases, pas si rares, où il ne ressentait plus le monde et où ses phéromones ne le servaient en rien. Tout ce qu’il pensait, à la voir, c’était que oui les gens du nord ont pour beaucoup d’entre eux dans les yeux ce bleu qui manque à leur décor, si on en croit la chanson, mais qu’ici point d’iris bleus, enfin point trop. Le sombre côtoyait le clair en égales proportions comme si, comme si ce n'était pas nécessaire. Et force était de constater que derrière les volutes de l’alcoolémie constante le ciel était bleu, souvent bleu en cette région. Froid à l’ombre, la nuit et dans les hauteurs, certes, mais dégagé et même chaud le jour, en pleine lumière.

Mh.

Le noir arriva peu après ses effluves, sans plus de formalisme que de formalités parce qu’ici on prenait la vie et les gens comme ils venaient, et une longue journée commença de s’allonger. Dans les quelques restes de marc qui avaient passé le filtre, l’officier en villégiature contempla les vingt-neuf premières années de sa vie, bientôt rincées à grand jet par les eaux tumultueuses de Grand Line comme les particules sombres le seraient bientôt par l’eau de la vaisselle. C’était à la fois étrange, assez ironique et parfaitement logique. De finir ainsi, ou presque, son existence sur les mers bleues par un séjour sur une île qui avait tellement en commun avec ce bon vieux Troop Erdu.

En commun surtout en termes de paysage, d’occupations principales et de densité de population. Peut-être moins si l’on parlait caractère et psychologie. Ici on ne semblait pas ériger la consanguinité en culte, ici les fillettes ne se la jouaient pas toutes surviveuses de l’extrême, des extrêmes, et ici on préférait, en apparence du moins, vivre une vie bonhomme à survivre dans les miasmes. A preuve, on proposait du café aux alcooliques plutôt que de les envoyer dans l’abreuvoir.

Mh…

Un autre ? Mais vous allez finir par vous dissoudre les tripes si vous continuez ! Vous n’avez fait que boire aujourd’hui ! Allez, goûtez-moi plutôt ces gâteaux, vous m’en direz des nouvelles, je les ai faits moi-même… Et après il faudra y aller, hein, les vaches vont bientôt arriver et la fête avec. Ah, je crois les entendre d’ailleurs, vous devriez y faire un tour… Mais mangez donc d’abord, mangez !

Aujourd’hui ? Tahar secoua ses œillères et aperçut la soirée qui tombait effectivement déjà dans un grand bruit sec sur la mer à l’horizon. Le temps passe si vite quand on n’y prête pas attention. Il s’était rhabillé sans s’en rendre compte. Rouillé comme il l’était malgré l’hydratation continue depuis l’aube, ses genoux craquèrent quand il se releva. Et son équilibre ne revint qu’après les quelques enjambées dont son cerveau eut besoin pour se réhabituer à l’art de la marche. Les galettes de la matrone, succulentes, ne firent qu’attiser sa faim et il dut se résoudre à avaler un repas entier avant de pouvoir sortir et profiter de l’air désormais plein d'une chaleur plus humaine et animale que résiduelle. Partout des fleurs sans nombre justifiaient la mention d’une fête par la tavernière.

Le crépuscule se fendait de sourires plus ou moins dentés qui s’étiraient jusque vers l’ombre des plaines supérieures de l’île et, victime d’un mimétisme parti de ses entrailles de fils d’une campagne profonde, il décida de suivre le mouvement. Anonyme et silencieux.


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Dim 21 Oct 2012 - 4:03, édité 1 fois
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L'air soufflait fort sur les pâtures, dessinant dans l'herbe épaisse et drue d'étranges mouvements de marée. Sören avait ce jour là les cheveux trop longs par-rapport à la norme des paysans. Le vent venait de le lui rappeler. Il devrait y faire quelque chose, sans quoi, à son retour chez lui, il aurait droit au long regard de réprimande que son père lui lançait parfois, les jours où il venait à le décevoir. Mais un éclat de rire venant de Brom et de ses apprentis vint redire au garçon qu'aujourd'hui, il n'aurait pas à se soucier de quoi que ce soit. Ni de la grêle, ni de la vigne, ni des champignons sur les jeunes grappes, ni de rien n'ayant trait aux duretés du quotidien. Il était libre de jouir du temps présent.

Pas après pas, la foule devenait moins dense. Ceux qui avaient du travail en ville préféraient généralement y rester, évitant ainsi d'user leurs brodequins. Les plus vieux hésitaient également face à la montée à-travers les pierres, mais beaucoup d'entre eux ne renonçaient pas. Les jeunes oubliaient l'âpreté de l'existence et leurs aînés, le poids des années. Pour un jour, ils étaient de nouveau enfants et, facétieux, ils riaient à-travers les collines en brandissant leurs cannes noueuses comme des mages victorieux.


-Brom !
-Qu'est-ce que tu as ?
-Tu crois qu'Svena, e' voudra ben danser ?
-Eh ! Pourquoi elle voudrait pas d'un bon petit gars comme toi, hein ? Te fais pas de bile, mon grand. Fie toi à ton instinct et pense pas trop.

Le troupeau avançait lentement, et le silence se faisait avec l'altitude. Pas après pas, mètres après mètres, le village et ses hourras s'estompaient. Discret et silencieux, à peine plus coloré qu'à l'ordinaire, dans un pli entre la falaise et l'océan. Ceux qui suivaient le troupeau étaient comme pris par l'effort que demandait la marche en montagne, et peut-être un peu aussi par la magie du passage entre les deux grandes saisons. Celle où l'on peinait en vivant sur la réserve, et celle où l'on récoltait. Bientôt viendrait l'été, et l'on cueillerait les fruits mûrs sur les arbres. Les légumes seraient tendres et frais, et accompagneraient le lard et le poisson comme rien d'autre. L'on se chargerait le corps et les yeux de mille merveilles et d'autant de petites joies, l'on retrouverait la force de travailler dur du matin au soir. Une année, un hiver encore. Et encore. Et encore. Jusqu'à ce que la vie s'achève.

Un vieux s'était mis à courir aux côtés des bêtes, jurant qu'il avait retrouvé ses vingt ans. Deux de ses compères échangeaient un regard complice : ils avaient ajouté un petit quelque chose à son café.

Sören sentit soudain que son corps prenait le rythme. Une chaleur douce l'emplit tout entier, tandis que le vent continuait à sévir, rafraîchissant et vivifiant. La tête pleine des songes paisibles que convoquait la marche, il s'offrit le luxe de jeter un œil à la foule qui s'était mêlée aux bergers de Brom. Il reconnut la plupart des marcheurs, devinant que les autres avaient du travailler à un moment ou à un autre pour son père. Ou peut-être pour Ouranos, qui dirigeait la seule exploitation viticole rivale de l'île... Peu importait. Tous étaient des paysans, avec ou sans terre.

Mais bientôt, le garçon perdit sa belle cadence. Son regard curieux avait accroché un personnage qui sortait clairement du lot. Celui-là, c'était certain. Il n'avait pas cueillit du raisin à la dernière saison, et il n'était pas franchement coutumier de la fête des transhumances. Son manteau de cuir, sa cravate, son regard. Tout détonnait en lui, par-rapport à l'ambiance locale. Pourtant, en-dehors de Sören, personne n'avait l'air de lui prêter grande attention. C'était la transhumance. Aujourd'hui, l'île était plus ouverte que jamais, et la différence n'avait pas la moindre importance.
Tout cela, il le savait. Mais l'envie d'aller voir l'étranger, de lui poser des questions le tenaillait furieusement. Comme il le faisait souvent dans ses moments de doute, il observa Brom. Lui aussi avait repéré l'homme. Il conservait son éternel sourire, mais derrière le pétillement de ses yeux, Sören sentit qu'il était intrigué.


-Nous arrivons !

Le troupeau avait passé le col. Sous le soleil déclinant s'étalait le haut plateau herbeux, immense, à peine vallonné, prêt à accueillir des dizaines et des dizaines de têtes. Cernées par les chiens, les bêtes s'élancèrent joyeusement dans leurs quartiers d'été, sous la surveillance des bergers. Enfin, lorsque la dernière bête fût passée, Brom referma la clôture qui barrait le passage. Il remonterait dès le lendemain. Pour la soirée, il laissait aux chiens le soin de garder le troupeau de l'égarement et du danger.

-Le dernier au village est d'garde avec moi demain matin ! Aller les gars !

Peu soucieux de préserver leurs genoux, les villageois dévalèrent gaiement la pente qu'ils venaient à peine de monter, chantant et criant de nouveau. Dans une heure, à peine, ils seraient de nouveau dans le cœur des évènements. Le soleil se coucherait, et l'on chanterait... l'on danserait... l'on mangerait. Il y aurait un grand feu, les querelles passeraient sous silence, et l'on pourrait savourer ce que les ignorant appellent la douceur de l'existence.
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Depuis combien de temps n’avait-il arpenté ainsi un chemin ? Depuis combien d’années n’avançait-il plus que pour un devoir qu’il abhorrait déjà en secret, qu’il avait toujours abhorré en secret depuis qu’il le servait ? Depuis combien de vies avait-il dans les faits laissé à d’autres que lui le choix de poser la sole de sa botte en tel ou tel lieu plutôt qu’en tel autre ?

La première phase de la marche est celle où on se pose le plus de questions. Pourquoi suis-je là, pourquoi n’étais-je pas là plus tôt, pourquoi ne resterais-je pas là. Et puis, après, après la cadence se prend, les cuisses se détendent et se font chaque pas mieux au dénivelé, et l’esprit s’envole vers cette limbe où rien n’a plus d’importance que l’instant paradoxal, celui qui n’a ni début ni fin. Celui qui est maintenant et toujours, celui qui est fragrances éphémères et spectacles immobiles, qui prend le temps d’incruster la cervelle jusqu’en son cœur, et qui enfin passe comme s’il n’avait jamais été.

Et c’est dans ce brouillard si léger que Tahar avançait, s’échinant par un reste d’esprit de contradiction à labourer les ajoncs et autres plantes basses qui jouxtaient le sentier plutôt qu’à frayer parmi la plèbe de l’île où parmi celle de ses champs. Par un reste d’esprit de contradiction vestige de son caractère fondamentalement asocial, et par simple commodité comme ce vieux qui soudain courait là sur le côté, entre lui-même et la masse. Les sentes creusées par les bêtes au fil de la saison et d’une année sur l’autre ne sont praticables que pour les bêtes ; les pointes des chausses des hommes quant à elles se prennent dans ces fossés linéaires dont leur démarche ne s’accommodent que mal. Et, quitte à trébucher, autant que ce soit du fait d’un caillou instable ou d’une racine cachée par l’ombre que de celui d’un creux sans confort qui assomme les lombaires et casse les reins.

Oui c’est ainsi qu’il progressait, et c’est ainsi qu’il prit du retard, lui que les chiens ses semblables n’osaient prendre la peine de mordre aux jarrets lorsqu’il peinait trop à suivre le rythme général, bercé par le sien propre. Prit du retard à tel point que lorsqu’il parvint aux estives il n’y trouva en guise d’âmes qui vécussent que des âmes à cornes, certes parées de fleurs pour un temps encore mais peu loquaces, et surtout moins intéressées par sa personne que par l’herbe verte des prés renés de peu.

Un patou plus brave que les autres et tombé sur lui par hasard entreprit de le guider vers la barrière quand soudain le cri de ralliement lançant la prochaine étape de la fête tonna un peu plus bas dans la plaine. Il avait dû faire un beau détour, et à nouveau comme au matin se perdre loin dans son esprit pour ne pas s’en rendre compte. Mais qu’importait les absences en un tel soir. Les cris des tombés et des joyeux retentirent un peu, un peu moins, plus du tout, et il était seul en atteignant la sortie, qu’il passa d’un saut sous le regard muet du gardien à poils drus.

Bonne garde, soldat.

D’un jappement fier et bref la sentinelle le salua avant d’aller prendre son poste, et Tahar coupa à travers rocs et buissons comme il avait fait à l’aller. Avec un succès plus relatif…

Peut-être fut-ce la descente, peut-être fut-ce la nuit tombante, toujours est-il que son pardessus arriva au village d’un beige un peu moins clair qu’il n’en était parti, sa crinière un peu moins lisse et sa cravate un peu moins serrée, ce qui lui valut doses double de quolibets et triple d’alcool. Encore une différence d’avec l’île natale : on était généreux avec celui qui avait trimé autant qu’avec celui qui trimerait le lendemain. Aux moqueries s’ajoutèrent les commentaires et conseils pour amadouer le père Brom, dont ceux qui cherchaient à impressionner l’Etranger n’hésitèrent pas à brosser un terrible tableau, jusqu’à ce que le concerné s’approche et les fasse taire sinon fuir.

Non pas que l’homme ne méritât pas quelque attention, mais enfin on fait difficilement frémir la dure couenne d’un soldat aguerri quand on a seulement le physique et le charisme d’un homme qui a su résister même à cinquante fois quatre changements de saisons. Au mieux, et c’est réciproque, on s’en attire l’oreille et la conversation. C’est ainsi que lui et le drôle de petit bonhomme qui le suivait en semblant regarder ailleurs, respectivement peut-être son fils et peut-être vers la rosière aux beautés toutes fraîches écloses là-bas, se virent accueillis lorsqu’ils arrivèrent devant lui par un :

Départ à l’aube, ou arrivée ?

encore un peu trop militaire, car même les meilleures soirées de printemps ne font pas perdre les mauvaises habitudes d’efficacité du langage. Qu’à cela ne tienne, pensa-t-il en s’en rendant compte, il lui restait encore toute la nuit pour les noyer dans cette chopine magique qui ne se pouvait vider.


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La nuit était tombée sur le village, mais les derniers rayons du soleil gardaient une empreinte sur les nuages orangés qui s'étiraient sur l'océan, à l'ouest. On avait allumé les petits réverbères qui faisaient l'orgueil des habitants, aussi fiers d'esprit que modestes de condition. Partout sur la grand place, ils dispensaient généreusement leurs lueurs fauves qui faisaient luire les trognes chauffées au feu des liqueurs.

Parmi ces visages rouges, celui de Brom était hilare. Il venait de découvrir celui qui l'accompagnerait demain, et se réjouissait de voir dans la personne du concerné un inconnu, et un étranger. Car à la différence des locaux, le berger avait énormément voyagé par le passé en qualité de forban idéaliste, et regrettait bien souvent de se trouver en quelque sorte condamné à revoir toujours les mêmes hommes et les mêmes femmes. A un tel point qu'à ses yeux, chaque naissance avait quelque chose de l'ordre de la bénédiction. Seulement, il évitait au maximum le sujet. Il gardait quelque part l'idée que ses enfants à lui devaient avoir connu une fin atroce, si les mutins de son équipage leur avait fait connaître le sort qui avait été le sien... la planche. Son aîné n'avait pas dix ans, à cette époque.


-Oh, oh ! Pas d'inquiétude, mon ami ! On va quand même pas se précipiter à l'ouvrage alors que les chiens sont si fiers de mener la baraque ! Si on part après le casse croûte, ce sera déjà le bout du monde !
-Brom !

Détournant pour un instant son attention de la jeune fille qui distribuait des roses en servant des verres de vin chaud, Sören porta vers le berger un regard plein d'espoir.

-Qu'est ce qui t'arrive, p'tit gars ?
-J'pourrais v'nir, demain ?

Un rire profond et rauque agita la barbe épaisse de Brom, qui posa une main aussi calleuse qu'amicale sur l'épaule de l'étranger qui l'accompagnerait à la pâture.

-Curieux comme une vieille chouette ! Avoue que tu as envie de poser des tas de questions à notre malheureux invité... Hein ?
-Ben...
-Il en est pas question.

Un froid passa, entre les deux hommes et le garçon. Les traits tirés, droit et digne serré dans son paletot et béret vissé sur la tête, un paysan venait d'apparaître auprès de Sören. Le père Hurlevent n'avait rien d'un drôle. Dur avec lui-même comme il l'était avec sa femme et ses enfants, il plaçait le travail en idéal absolu. Il n'était pas venu au début de la fête, sans doute retenu par un dernier hectare à désherber ou une pièce de cuvage à remplacer. Une tâche qui aurait pu attendre, mais qu'il n'aurait pu supporter de remettre au lendemain. Il en allait de son honneur et de l'idée qu'il se faisait de la réussite.

-Demain, j'aurais b'soin d'tout l'monde. La vigne a l'mildiou, 'va falloir faire d'la bouillie pour traiter tout ça...
-...
-Jörgen, ça te coûte tant que ça d'laisser le p'tit profiter d'la transhumance ? Tu sais, c'est pas ça qui f'ra d'lui un fainéant... Le travail reste le travail. Et puis tu sais que j'dis pas ça pour profiter. T'auras mon aide aux vendanges, à la cuve et pour la taille, comme tous les ans. Mais laisse lui sa journée, pour l'amour du ciel. Un p'tiot comme ça, ça a b'soin d'courir un peu, de temps en temps.

Le père Hurlevent vira au cramoisi, tandis qu'il fronçait les sourcils. En tant que conseiller principal de l'île et responsable des échanges commerciaux, Brom jouissait d'une autorité qu'il devait autant à ses efforts qu'à son charisme et à ses talents. Trop droit pour se l'avouer, le vigneron nourrissait une profonde jalousie à son égard, d'autant qu'il n'avait jamais oublié qu'autrefois, le berger avait probablement été un pirate, ou quelque chose dans ce genre là. Il savait que Sören préférait passer du temps auprès des bêtes plutôt qu'au pied des ceps, et ce constat avait le don de l'agacer comme rien d'autre. Cependant, il ne pouvait contrarier Brom. Pas sans s'attirer des commentaires déplaisants, et pas sans ternir un tant soit peu sa réputation immaculée.

-... Très bien, Icecream, très bien. Mais j'veux l'voir chez moi avant l'soir. Parole ?
-Sagregi.

Ultime offense, aux yeux du vigneron. Brom venait de souligner sa promesse dans la langue de l'île, un patois qu'un étranger n'était certainement pas supposé comprendre, et encore moins parler. L'air sombre, le père Hurlevent dévisagea encore une fois les deux hommes qui lui faisaient face, avant de s'éloigner. Le berger ne dissimula pas son soulagement.

-Tu sais, mon ami, pour un peu j'aurais cru que tu allais avoir droit à du grand Jörgen Hurlevent : d'où tu viens, qu'est-ce que tu fais, où est ton travail, ta femme, tes enfants et j'en passe et des meilleures ! Pas un mauvais bougre, mais peut-être un peu trop rigide... le pauvre vieux sait pas s'amuser.

Pendant que l'on causait et que l'on buvait, les sonneurs et musiciens occasionnels de l'île étaient montés sur la petite estrade qui dominait la place. On avait allumé les lampions fleuris, qui pendaient au-dessus des paysans. On y voyait comme en plein jour, à ceci prêt que la lumière était plus chaude, plus douce et résolument plus dansante.
Les premiers accord d'une ritournelle se firent entendre, soulignés par des cris de joie. Les premiers danseurs s'avancèrent dans la clarté des lampions et des réverbères, la jambe légère et le pied agile. Distrait par l'étranger, Sören avait laissé passé son tour. A son grand désespoir, Svena virevoltait au bras d'un des fils Ouranos, et avait l'air d'y prendre grand plaisir. Alors, il reporta toute son attention sur l'homme au costume souillé de boue... en attendant la prochaine danse.


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Pittoresque, un mot que Tahar mit quatre ou cinq gorgées à retrouver dans les méandres de son cortex déshabitué aux choses de la terre depuis tant d’années. Oui, la chaleur des lampions et les gorges déployées qui l’entouraient lui donnaient l’impression d’avoir pénétré une de ces croûtes à la mode qu’il avait tant aperçues dans les palais de nobles encore plus déconnectés que lui des réalités du monde. Ce genre de toiles qu’on trouve rarement belles parce qu’elles ont une forme qui plait à l’œil, mais qui empêchent l’inconscient de l’homme civilisé d’oublier d’où il vient pour mieux s’en détacher. L’arrivée presque trop théâtrale du père… Hurlevent, donc, et l’ouverture de la scène qu’il annonçait du triple coup de sa sévérité ne firent qu’accentuer cette impression.

Bouche muette, oreilles grandes attentives et yeux semi-rieurs, il observait les us locaux, s’imprégnait de l’univers au même rythme que de l’alcool et des musiques voisines. Yeux semi-rieurs d’ailleurs pas si différents de ceux de l’homme Brom, pétillant et vivace comme peu, lequel par cet aspect lui apparut très familier. C’était comme contempler un lointain futur, un potentiel devenir. Et témoignait s’il était besoin de ce que le hasard n’est pas si aléatoire qu’il n’y paraît… Que deux individus aux destinées peu ordinaires soient mis à proximité l’un de l’autre dans un environnement neutre, et fatalement ils se rencontreront. En cet instant Tahar retournait ce principe : si au détour d’un milieu quelconque un individu au destin exceptionnel vient à rencontrer un être haut en couleur, alors il y a toutes les chances pour que cet être ait lui aussi un destin exceptionnel. Ait eu, peut-être ?

Malgré tout, pour un homme à la fortune de haute volée, il semblait bien intégré ici, peut-être trop bien pour certains. Dont celui qui repartait sans même lui avoir adressé la parole… Lui aussi devait être exceptionnel, mais il l’avait bien caché. Bah. Une prochaine fois peut-être.

D’où je viens, ce que je fais ? Il aurait été déçu sans doute. Chic type en tout cas…

Et de se présenter, sans préciser plus avant sa qualité, d’abord par réserve naturelle en milieu protégé mais aussi à cause d’un reste de paranoïa instinctive et, paradoxalement, d’un certain fatalisme puisque son grade était de toute façon déjà aux mains de la tenancière qui se trouvait non loin et lui faisait des clins d’œil appuyés.

Puisque j’ai eu ton nom par…

Le fils du père en colère ne le regardait plus en cet instant et son invitation tomba à l’eau, noyée au fond de la chope comme un moucheron ivre. La timidité faisait balancer le regard du garçon depuis la fameuse jouvencelle partie dans un tour de piste avec un autre jusqu’à lui, et… ah. Sören ? Soit.

…par Sören, donc… Moi, c’est Tahar.

Le reste, une ou deux phrases banales indiquant qu’il avait bien pris note pour le lendemain, qu’il serait prêt de toute façon parce que force de l’habitude, et que virgule, le reste se perdit dans les trois coups qui annoncèrent la pièce suivante. Apparemment un metteur en scène mécontent du cadre bucolique de la première voulait de l’attention pour son œuvre à lui, et tenait à le faire savoir… Des voix puis des cris s’élevèrent à l’orée du village et l’agitation gagna jusqu’à la zone où se trouvaient les compères. Certains autour se mirent à jurer en patois alors que la ritournelle s’effaçait dans une fausse note et, si les instincts toujours latents de Tahar en avaient fait l’un des premiers avertis des troubles, il fut le dernier au courant de ce qui se tramait réellement.

Ca ne l’empêcha pas de bien voir que la fête allait s’interrompre, pas seulement pour eux cette fois par l’arrivée d’un unique importun isolé mais bien pour tout le monde par un problème un peu plus substantiel. Une main sur son épaule, il consola son admirateur du moment.

On dirait bien que tu vas devoir reporter ta danse avec ta belle, petit…

Puis il s’étira, finit sa bière en bon homme d’action, et réajusta son manteau sur son dos et son sabre dans son fourreau. Enfin prêt, il demanda à Brom la marche à suivre.

On a parlé des bêtes, c’est ça ? Quel est le problème ?

Amorti par la marche préalable et la bonne humeur maintenant en train de se dissiper alentour, il n’était pas encore un lieutenant-colonel présent au bon endroit au bon moment pour défendre l’ordre et la justice dans un territoire sous la protection du gouvernement mondial. Le trouble était certes là, indéniable, mais sa portée semblait encore relative. Et demeurer l’Etranger lui allait bien, celui qui prête main-forte au besoin mais ne s’implique pas au premier rang.


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Oh... Vraiment, ce n'était pas juste. Déjà, l'an passé, Sören avait du revoir ses projets de danse suite aux affres de l'un de ses frères qui avait abusé de la boisson. L'idiot avait mis le feu à sa tunique, et sur ordre de son père, le garçon avait du l'aider à revenir à bon port avec le plus de discrétion possible, assisté en cela d'un cousin qui était resté sobre... un personnage des plus ennuyeux, pour tout dire.
Le temps d'engueuler le responsable, de l'aider à se mettre au lit et de revenir sur les lieux des festivités, Svena était rentrée chez elle. Et comme si cela ne suffisait pas, la rumeur selon laquelle il avait préféré partir s'occuper d'un simplet ignorant ses propres limites plutôt que de faire danser les filles avait fait le tour du village. Il avait eu droit à des remarques aigres-douces, parfois innocentes, souvent condescendantes. Cela l'avait tant exaspéré qu'il avait préféré finir la soirée de son côté, profitant de la liesse générale pour aller battre la campagne avec les chats de l'île qui gardaient toujours un œil sur lui. Les trois quarts du temps, il préférait les félins aux humains. Plus francs, plus silencieux, plus libres. Et jamais moqueurs.

Bien sûr, il y avait eu d'autres bals. Mais Sören aimait plus que tout celui de la fête de la transhumance, une période pendant laquelle il se sentait vraiment au cœur des évènements. Il était l'ami de Brom, et il y avait de quoi en être fier ! Il se sentait digne de danser avec la fille Ouranos, avec ou sans l'approbation de son père. Le reste du temps, il se contentait des petites métayères. Aucune ne lui semblait avoir la grâce et la force d'esprit de Svena.

Mais ce soir là, le problème avait l'air un peu plus sérieux qu'une histoire d'alcool. Ou peut-être pas, mais quelque chose dans l'air disait qu'il valait mieux prendre les choses au sérieux. Le silence était brusquement retombé sur le village et, mélancoliques, les lampions dansaient dans le vent léger et doux.


-Eh bien, allons voir ce qui se passe, mes amis. Plus vite ce sera réglé, plus vite Sören pourra retourner à ses préoccupations... Pas vrai, petit ?
-Oui. Mais j'espère qu'c'est pas l'Ordaillou, Brom...

L'Ordaillou était une créature encapuchonnée qui faisait partie du folklore local. On y croyait sans vraiment trop y croire, tout comme l'on parle ailleurs de la voisine empoisonneuse et des jeteurs de sorts du deuxième étage. Mais sans cesse en temps de crise, elle revenait sur les lèvres des rêveurs, des enfants et des farceurs. Et toujours, elle savait répandre dans les consciences autant de courage et de dérision que de crainte et de méfiance. On disait d'elle qu'elle était capable de précipiter un homme fortuné dans la misère la plus noire, en faisant tout simplement disparaître ses biens les plus précieux.

-Bah. Si c'est ça, on a avec nous le meilleur anti-poison. Seul un étranger sans terre peut en venir à bout facilement, tu te souviens ?
-Oh ! Oui, c'est vrai ! M'sieur Tahar... Vous nous protègerez, hein ?

Comme le malheureux avait l'air quelque peu dépassé par la conversation, Brom se remit à rire en accélérant le pas. Sa vivacité faisait oublier ses traits déjà tirés par l'âge et le travail au grand air.

Mais lorsqu'il parvint aux frontières du village, son visage s'assombrit brusquement. La colline sur laquelle il avait guidé les bêtes un peu plus tôt dans la journée était en feu, et les bêtes s'échappaient, obéissant mystérieusement à une direction unique.


-Par tous les canons de l'Oro... Ah ! Morbleu ! Dix hommes avec moi ! Armés ! C'est pas encore aujourd'hui qu'un enfant de rien me volera mon troupeau !

Tout naturellement, en sachant bien que Brom ne refuserait pas son aide, Sören se saisit d'une torche qui indiquait le commencement de la rue principale. A quatorze ans, malgré son visage rond et ses cheveux blonds, il était déjà solide et connaissait les montagnes aussi bien que le berger. Il savait qu'il pouvait être utile. Bien plus utile en tous les cas que quatre ans auparavant, lorsqu'un criminel était venu faire exploser les caves de son père... et massacrer ses chats. En y repensant, le garçon raffermit sa prise autour de son arme improvisée qui éclairait l'assistance de manière infiniment plus inquiétante que ne le faisaient les lampions.

Malgré le grand calme dont il continuait de faire preuve, Brom semblait transfiguré par l'urgence. Malgré lui, Sören ne pouvait s'empêcher de s'imaginer l'homme qu'il avait du être, en tant que capitaine pirate... A une époque désormais éloignée et révolue, que chacun semblait bel et bien ignorer, ou avoir délibérément oublié.
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Les flammes de la colline en feu illuminaient au loin la nuit comme une attraction de foire. Et dans la pénombre telles dix papillons de nuit, les dix silhouettes aux dix paires de bras réclamées par l’homme Brom se tendaient en leur direction. A travers bois et fourrés, par dessus fossés et recreux, la troupe fonça plus vite que jamais sous l’impulsion du propriétaire atteint et dans son patrimoine et dans sa fierté. Dans le trio de tête, un Tahar pensif que rafraîchissait l’obscurité, concentré tant sur sa course effrénée que sur le visage du meneur. Eclairé seulement des à-coups de la torche tenue par son protégé, le visage de celui-ci transpirait la froide détermination préludant au mauvais quart d’heure que passent les délinquants qui ont le malheur de tomber sur une victime de ressource.

Un étranger sans terre, hein ? l’officier s’interrogeait-il. Si le vieux bougre avait su voir juste, si les landes reculées de Troop Erdu n’était plus pour lui l’attache qu’elles auraient pu être n’eût été cette âme d’itinérance, qu’en était-il pour lui qui avait parlé ? Clairement, il n’avait pas toujours été celui dont il endossait le rôle aujourd’hui. Clairement, il y avait dans le coin de son regard acéré une étincelle qui n’était pas le simple reflet des lueurs du brandon sautillant en zigzags sur sa gauche. Que son sourire lorsqu’il s’assurait de la progression de ses alliés du moment ne masquait pas en totalité. Alors qui était-il, lui ? Quelle terre avait-il abandonnée ? Et que ne pourrait-il vaincre lui-même cet être de légende dont ils avaient parlé ? Avait-il donc l’illusion de s’être fixé sur cette île, à ce village, à ce troupeau qu’on lui menaçait ce soir ? Ne voulait-il qu’entretenir le mythe auprès de ses bons concitoyens en les détournant vers l’Etranger du jour ? N’était-ce bien qu’une illusion ?

Tch.

Crachant dans un buisson à son arrivée sur le replat en feu, Tahar délaissa ses interrogations sur son futur à lui et sur le passé des inconnus, quitta la tour de son égocentrisme, et retomba sur le sol ferme des réalités présentes. La zone n’était que chaleurs aveuglantes et, venus de derrière le rideau brûlant, mugissements désemparés. Des cris aussi passaient le fracas du brasier, probablement ceux des voleurs s’improvisant pâtres nocturnes. Rouges de colère et d’effort, les fronts luisaient d’une sueur timide, comme sous un soleil ardent qui aurait desséché les aménités comme les peaux. On se regarda un peu, puis les instincts prirent le dessus sur la stratégie : il fallait contourner le rideau enflammé alors on le contournerait. Certains par la gauche, certains par la droite, la scission se fit sans un mot et de toute façon autant prendre en cisaille les coquins pour les mieux vaincre.

Sous les dehors toujours d’une tranquille bonhomie l’envie de vengeance commençait à sourdre, celle de gens de la terre qui voyaient partir, ignominie à peu d’égales, une partie de leurs prés en cendres. Aux ordres aux bêtes commencèrent à répondre les cris de fureur relâchée à mesure que les confins de la prairie et de l’incendie approchaient et, des trois hommes qui accompagnaient Tahar, deux se précipitèrent à la rencontre de l’ennemi. Tout le pittoresque qu’elle avait conservé grâce à la profusion de couleurs chaudes et au contraste qu’elles créaient jusque lors avec le noir de la nuit, la scène le perdit aussitôt : une détonation étouffée par un craquement fit tomber l’un tête la première dans un bosquet d’orties, tandis que le second prenait son genou à deux mains en l’imitant.

Une soudaine volute surchauffée masqua à la vue du ou des tireurs les deux indemnes, qui parvinrent sous les injonctions du lieutenant-colonel retrouvant ses galons à s’approcher suffisamment à couvert pour assurer aux éclopés un salut des flammes mordantes. Ensuite, le coupable sentit le fouet de la colère s’abattre sur lui sous la forme d’un poing venu de nulle part, qui lui percuta la mâchoire alors qu’il rechargeait encore son mousquet. Un jeune gars pas beaucoup plus vieux que le Sören à en juger par son duvet, qui ravala sa panique en même temps que ses dents de devant pendant qu’on lui chuchotait que, sa petite aventure du mauvais côté des choses, elle était mort-née. Il finit allongé aux côtés des blessés, ligoté avec la bandoulière d’une des armes emportées par la troupe.

Pas de bavure, hein ?

Celui dont la rotule gémissait acquiesça en gardant un des fusils pendant que Tahar et l’autre paysan apte à marcher repartaient au front. Si le feu venait à les lécher de trop près malgré le vent favorable, il n’aurait qu’à envoyer rouler de sa jambe encore valide son camarade et le jeunot sur la pente vers le village. Ils se casseraient sans doute un os ou deux, ou trois, mais au moins ils auraient une chance de réchapper à une fin pas très propre, même pour un voleur de bêtes.

Les bêtes justement semblaient, à en croire leurs meuglements de plus en plus éloignés, toutes avoir quitté la pâture et reflué vers une zone rocheuse sise de l’autre côté de la colline. Probablement le passage vers une partie de l’île que leurs voleurs maîtrisaient. Sur leurs trousses, une bande de dix ou quinze pantins gesticulants, poursuivis par quelques ombres qui devaient être des chiens, puis par un autre groupe qui devait être celui de Brom vu la configuration des lieux. Manifestement, le contournement par la gauche avait été moins plein d’encombres que celui par la droite…


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Malgré la curiosité qui le rattachait à l'étranger, Sören avait suivi Brom comme son ombre. Il n'était pas tout à fait rassuré par-rapport à l'Ordaillou, malgré ce qu'il avait laissé deviner un peu plus tôt. Après tout, peut-être bien que ce Monsieur Tahar n'était pas si sans terres que cela... Et il savait mieux que personne que son vieux compagnon l'était peut-être plus que n'importe qui sur l'île. Les autres avaient l'air de faire semblant de l'ignorer, parce qu'ils détestaient le fait qu'un inconnu sans famille ni patrimoine ait pu prendre de l'importance dans leurs existences. Mais c'était justement cela qui animait le garçon, lorsqu'il allait travailler pour l'ancien capitaine. Entendre parler d'un ailleurs et d'un autrement, entendre la parole rassurante et bouleversante à la fois d'un étranger sans terre.

L'Ordaillou était craint parce qu'il s'attaquait à la fois au patrimoine et à la terre. Sören se disait que, le jour où il échapperait à sa famille et aux devoirs qui en découlaient, il n'aurait plus rien à redouter. Seulement, il se complaisait dans les histoires et l'échappatoire que constituait le travail. Il était perçu comme un baroudeur et un fugueur, mais suffisamment courageux pour être digne de l'illustre famille dont il portait le nom. Illustre, car après tout, même les nobles des Royaumes Lointains que l'on évoquait parfois buvaient du Grand Cru Hurlevent.

Pour l'heure, Sören était encore tiraillé entre le désir de tout abandonner et l'horreur de tout perdre.

C'était avec ces pensées qu'il parvint à un point haut épargné par les flammes, suivi par ses compagnons en colère. Une colère qui se mêlait encore à l'étourdissement de la fête. Les rictus vengeurs avaient encore l'apparence de sourires terribles sous la lumière des torches.


-Ah. Les loups sont devant... Ils doivent avoir des armes et un bateau. Peut-être armé de canons. Compagnons, il va falloir rattraper le groupe de rabatteurs. Nous sommes plus forts que de simples bandits.

Une clameur répondit aux paroles de Brom, tandis que le groupe s'ébranlait, indifférent à la difficulté du terrain. Supérieurs en nombre et visiblement sûrs de leur force, une partie des hommes que dissimulait l'obscurité s'arrêtèrent pour faire face. Lorsque les paysans furent à portée, des coups de mousquets résonnèrent. Immédiatement, l'éleveur donna un ordre bref et ses compagnons se dispersèrent. Quelques uns d'entre eux avaient emprunté des carabines de chasse en ville et, protégés par d'épais rochers, ils ripostaient.

-Laisse ta torche, mon petit, et suis moi. Reste bien près de moi, et ne fais pas de bruit.

Obéissant, Sören coinça son flambeau entre deux aspérités rocheuses, à hauteur d'homme. De cette manière, l'on faussait légèrement la perception des voleurs qui gaspilleraient bien quelques balles avant de comprendre la ruse. La nuit était sans lune, et loin des lumières du village, on n'y voyait goutte. Les bandits n'avaient pas choisi la date au hasard.

Sans un bruit, Brom progressait lentement en direction du groupe. Les paysans se relayaient pour tirer, sélectionnant les plus habiles. Deux de leurs ennemis étaient déjà tombés, mais ils ne prenaient aucun risque et la bataille se prolongeait. Bientôt, le troupeau aurait atteint la crique située en contrebas... et les bandits combattants fuiraient pour les rejoindre. Peut-être ne se soucieraient-ils pas d'amener leurs blessés. Il fallait brusquer la situation.

De nouveau abrité par un rocher cette fois-ci situé à hauteur des voleurs, le berger murmura à l'adresse de Sören :


-J'y vais. Lance une pierre de l'autre côté que j'ai le temps.

Le garçon ne posa pas de question. Il sortit un lance pierre qu'il avait confectionné lui-même de sa poche, et tira dans un bosquet touffu situé à l'opposée du groupe ennemi. Surpris, tous se retournèrent tandis que Brom, comme une ombre, surgit dans leur dos pour les assommer un à un. Sa vitesse était fulgurante, et son efficacité en disait long sur son passé. Mais bientôt, la victoire fut totale et les paysans se relancèrent à la poursuite des cinq derniers rabatteurs... Qui avaient atteint le niveau de la crique avec les bêtes. Malgré l'urgence de la situation, le berger gratifia son jeune partenaire d'un sourire. Celui-ci avait le regard fixé sur un point situé en contrebas.

-Tu as vu quelque chose, petit ?
-M'sieur Tahar et les aut' sont là-bas.

Plissant les yeux, Brom dut faire un effort pour entrevoir l'autre groupe, qui s'était également débarrassé de ses torches. A force de sorties nocturnes, Sören avait pris l'habitude de distinguer les formes grises qui se mouvaient dans la nuit. Détail qui échappait régulièrement à ses parents, mais pas à son vieil ami.

Décidé à semer la confusion dans les rangs ennemis avant d'attaquer, le berger prit une grand inspiration. Il était à portée de voix de son troupeau, et avait reconnu la démarche de certains de ses chiens qui, dans la pénombre, la truffe trompée par l'humidité, n'avaient pas faits la différence entre leur maître et les voleurs de bétail.


-BERRY ! GAUCHE ! DOUCE ! GAUCHE ! VENGEUR ! GAUCHE !
TYR, JUSTICE, MAYA, DROITE, DROITE, DROITE ! HAY, HAY !!


Obéissant à une main invisible, les chiens firent brutalement virer le troupeau de bord, à la grande surprise des rabatteurs et de leurs chiens-loups qui reculèrent instinctivement devant la menace que représentait une bonne centaine de bêtes en marche.
Profitant du désemparement des voleurs, Brom et les siens tombèrent sur eux comme un seul homme. Il ne restait plus qu'à bloquer définitivement l'accès à la plage, et à prendre possession du navire... Tahar et les siens avaient les mains libres.




Dernière édition par Sören Hurlevent le Mer 7 Nov 2012 - 11:25, édité 1 fois
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Après le feu, les odeurs de fumée et les claquements secs des mousquets, le silence, l’air marin et l’humidité du littoral prirent le dessus. Guidé par son compagnon vengeur, courant à en perdre haleine, Tahar avait pris au plus rapide autour de la plaine pour contourner les bêtes et arriver avant elles à leur destination. Si l’encerclement n’avait pas pris dans la pâture, il fonctionnerait cette fois, parole. Ils arrivaient maintenant tous sens dehors près de la petite baie où les attendait un comité d’accueil lui aussi aux aguets. Assis contre un bloc qui devait faire trois fois sa taille et concentré sur sa respiration, l’officier compta sept ombres sur la plage, au moins deux têtes sur le pont du bateau amarré contre une jetée improvisée qui devait sans doute permettre l’embarquement des bêtes, et une lanterne qui toussotait sa lueur à travers un sabord de l’entrepont. Au moment où il s’élançait, l’homme qui l’épaulait, qu’il épaulait, lui indiqua une dernière silhouette près du large passage de roche par lequel arriveraient sans doute les vaches. Le guetteur.

Etre au cœur de l’action est une chose, patienter à l’affût en attendant de soi-même y participer en est une autre. Les nerfs dans le second cas sont tendus comme des cordes d’arc, le moindre soupçon de bruit déclenche l’alerte. Le grondement du troupeau fou en approche masqua un peu mais pas assez l’arrivée du duo, et bientôt une flèche siffla, puis deux, puis le cliquetis caractéristique du chien qu’on arme sur un fusil fendit l’air. Sur un murmure à son collègue, Tahar partit à découvert une paume vers l’avant et en direction de la sentinelle, annonça qu’il se rendait. L’autre le toisa dans l’ombre, ajusta son tir sur la masse noire dont il ne pouvait distinguer les traits. Dans ce genre de profession le mot-clef était sécurité… Un craquement à sa droite lui fit dévier le regard. Le paysan resta à l’abri derrière son roc, mais il était déjà trop tard pour lui quand le veilleur reporta son attention sur sa cible.

L’arme apparut depuis le dos de Tahar, le coup partit tandis que les sept autres bandits accouraient. Un de moins. L’affaire tourna au corps à corps, les lames caressèrent les fourreaux et le métal hurla sa soif. Le marin était un bretteur expérimenté, fonça mais s’attacha à rester sur le flanc de la mêlée. Le centre est trop dangereux. Un truand s’écroula, son allié le rejoignit avec le sabre récupéré sur le corps du premier mort. Derrière vers l’intérieur des terres, les chiens venaient. Sur le navire, deux lampes sonnèrent le branle-bas. On accourut sur le pont, on regarda et on cria des ordres. Le sabord à la lueur tremblotante se ferma, un autre s’ouvrit sur du noir. Mauvais signe.

Hardi !

Autant l’un que l’autre ils avaient crié, le premier pour aviser son compagnon du danger futur, le second pour aviser Tahar d’un danger plus imminent, celui des loups survivants qui refluaient vers le navire. Trop tard cependant, l’un des fauves lui sauta dessus sur sa route vers l’embarcation, tous crocs sortis, et ne lui entailla que l’avant-bras de justesse. Les deux chiens, le bâtard et le sans collier, roulèrent à terre dans un cri mêlé de grognement et il fallut au second abandonner sa lame pour l’emporter. Un coup de poulie moins mal ajusté que les précédents envoya valdinguer le monstre à quelques pas avec force piaillements et, après une ou deux toises de travers, il tomba, assommé.

L’Etranger se releva, lui aussi titubant, dans les lambeaux de son manteau. Devant lui le paysan, plus franc combattant qu’habile spadassin, peinait à tenir la cadence des quatre mauvais bougres toujours d’attaque. Et même ici, se prit à penser l’Etranger, même ici on vole, pille et tue. Même ici… Il n’était pas désemparé, non. Trop lucide pour ignorer la nature humaine dont il avait tant de fois admiré les noirs abîmes, c’était un simple constat, à la rigueur un regret. Un regret qui pour la première fois le fit partager la colère des paysans. Il grinça des coudes et alla récupérer sa lame d’une enjambée rapide. Elle n’avait pas la même source, sa rage, elle était plus froide et n’avait pas non plus la même ampleur. Mais elle était là et allait servir le même intérêt. Alors qu’aux loups succédaient les patous dans le couloir d’accès à la crique, il repartit aider son acolyte, épée au clair.

Quelques coups mirent hors d’état de nuire un forban de plus et les trois autres eurent enfin un moment d’hésitation. Le berger qui n’était pas rompu à l’exercice de l’escrime pantela, et aux voix qu’il entendait derrière lui Tahar voulut crier de rester hors de portée. Le souffle du boulet qui passa à deux pouces de son oreille avant d’aller s’écraser vers elles l’interrompit, puis le tonnerre de l’explosion l’assourdit et, même, il vacilla sur ses appuis devenus futiles contre un dégagement d’air aussi puissant. Voilà qu’on transformait une soirée champêtre sur fond de nostalgie en guerre ouverte…

Brom ?

Dans le silence pour lui absolu, tout en relevant l’homme qui était venu à ses côtés, aussi choqué sinon plus qu’il ne l’était, il appelait. Il appelait sans encore pouvoir entendre de réponse. Juste ce sifflement omniprésent qui passerait et la douce odeur des bombes qui montait avec la brume. Ici les loups et les crapules reculaient vers la large barge qui repartirait vide. Là-bas, on rechargeait probablement déjà.

Et, lui, il appelait.

Brom ?! Sören ?


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-Merde...

Du haut de la falaise, Brom avait vu le bateau s'éclairer. Il avait deviné le mouvement des canons, dans l'ombre des sabords. Il avait si bien connu cela... peut-être avait-il sauvé son troupeau, mais il n'avait pas reconnu, ou pas pris le temps de reconnaître les bandits qu'il avait assommés. Lui en voulait-on personnellement ? Étaient-ils plus forts qu'il n'y paraissait, et surtout, étaient-ils vraiment prêts à tuer ? Jusque là, le berger avait presque cru à une plaisanterie, l'œuvre d'une bande de gamins dégénérés et insouciants. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas connu la rage du champ de bataille...

Un premier coup de canon. Brom fronça les sourcils, de plus en plus inquiet. Le changement d'ambiance n'échappa nullement à Sören, qui l'observait à-travers la pénombre. Il avait deviné les mouvements sur la plage. Il pouvait bien voir l'angoisse envahir les traits de son mentor.


-Brom... c'est l'Ordaillou, c'est ça ?

Déjà dans l'action, le berger approuva avec raideur. Il n'y avait peut-être pas de silhouette encapuchonnée, mais c'était au moins aussi terrifiant que le monstre. Furieux de ne pas avoir pu s'emparer d'un patrimoine, la créature de malheur s'attaquait aux hommes et fauchait des vies.

-Peut-être, mais je dirais que c'est pire que ça. J'y vais. Restez tous en arrière, protégez les bêtes.

Les hommes se récrièrent, furieux d'imaginer la personnalité de l'île partir au combat seule contre tous. Mais ils n'eurent droit qu'à un regard d'acier pour toute réponse.

-Je crois que j'ai déjà risqué suffisamment de vies pour le restant de mes jours. Alors n'en rajoutez pas. Je m'en vais sauver ce qui reste à sauver, et c'est tout.

Sans un regard de plus, Brom se laissa avaler par les ténèbres du sentier étroit qui descendait vers la plage. Sören n'avait évidemment pas pris l'ordre pour lui, et marchait sur ses talons. Le berger ne s'en étonna pas, mais il aurait voulu pouvoir l'empêcher de le suivre. Il savait qu'il ne pourrait pas protéger tout le monde, une fois sur les lieux de la bataille.

Plusieurs coups de canons se succédèrent. Rageur, la sueur trempant sa barbe, Brom accéléra le pas. Mais il était encore à plusieurs mètres au-dessus du sol, lorsqu'il entendit l'étranger appeler. Sa voix... son cœur se serra. Lui aussi avait compris que l'homme n'était pas seulement un paisible voyageur de passage. Il savait d'instinct qu'il en avait vu suffisamment pour qu'une bataille le laisse de marbre. Et pourtant, il appelait, il criait son nom... Et celui de Sören. Comme si le massacre était par trop absurde, par trop inattendu pour être supportable.
Il est des contextes au sein desquels le plus endurci des hommes ne peut résister au spectacle de la destruction.


-M'SIEUR TAHAR ! ON ARRIVE !
-TENEZ BON !

Désormais indifférent à la présence de son jeune compagnon, Brom survolait les derniers mètres, ses bottes crissant sur les gravats. Puis, il courru dans le sable humide, rageusement. Un bandit lui barra le passage, sabre au clair. Il ne prit même pas la peine de s'arrêter pour lui faire rentrer l'arête nasale dans la cervelle, d'un seul coup de poing violent et précis. L'homme s'écroula, tandis que ses compagnons refluaient vers le navire... qui tirait, tirait et tirait encore.

Soudain, Sören se figea. Il avait perçu un léger mouvement qui, visiblement, avait échappé au berger. Sans chercher à comprendre, il se jeta sur lui, et lui administra un coup d'épaule en y mettant toute sa force. Un boulet vint s'écraser sur ce qui aurait du être la trajectoire de Brom.

A présent, lui aussi voyait Tahar et les paysans courageux qui l'avaient accompagné dans la bataille. Il soutenait un de ses camarades, cherchant visiblement à se mettre à couvert. Des formes humaines se trouvaient recroquevillées contre le sable. Le jeune garçon avait l'air ailleurs. Il repensait encore à cette fameuse nuit, où le domaine de son père avait été la proie du chaos. Sauf qu'alors, il n'y avait pas eu de morts.
Pas de morts humains, se dit le garçon. En fait, ça avait été pire. L'Ordaillou, ou ce qu'il y avait de plus terrible après lui, s'en était pris à ses chats. Il les avait disloqué, comme des pantins. Sören voyait encore l'énorme Menkoun noir tomber à ses pieds comme une poupée de chiffons sanguinolente. Oui, ça avait vraiment été pire.

Pourtant, cela n'empêchait pas le garçon de sentir ses nerfs prendre leur autonomie. Il tremblait, perdu entre les feux de l'adrénaline et de l'horreur. Et le fait de voir le même genre de sentiments peints sur les deux visages qui l'entouraient n'avait rien pour le rassurer.


-M'sieur Tahar... faut vous mettre à l'abri. Y s'en vont...

Mais l'étranger ne bougeait pas. Pas plus que Brom, qui avait les yeux rivés sur la poupe du navire appareillant. Les torches éclairaient sa plaque nominative. « Hollandais Voleur ». Le berger serra les poings. Il venait de reconnaître le dernier bâtiment qui avait jeté l'ancre au port de son île natale, le jour où ses ennuis avaient commencé... jusqu'à ce qu'il soit poussé à la faillite, et à l'exil. Le capitaine, un escroc de la plus belle espèce, ne pouvait certainement pas savoir à qui il venait de s'attaquer. En homme prudent, le berger savait qu'il ne reviendrait probablement jamais dans les parages. Mais il n'oublia pas sa négligence. Il savait que ce n'était pas une victoire, et que, s'il y avait vraiment eu des morts dans les rangs des paysans, l'on pourrait le lui reprocher longtemps. Ce ne serait que justice.
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D’abord invisible car mêlé aux fumées des explosions, le brouillard s’installa peu après que la nuit fut retombée sur le tableau arrière du Hollandais. Ce genre de brume printanière valant bien un bon orage, dans sa capacité à traverser les tissus pour engourdir les muscles et mouiller jusqu’aux os des hommes. Le froid bienvenu qu’elle apporta calma les esprits et l’adrénaline laissa place à la chair de poule en guise de cause aux tremblements des uns et des autres. Tahar récupéra l’ouïe dans son oreille gauche d’abord, trop tard pour répondre aux questions posées mais assez tôt pour entendre que le programme du lendemain était compromis. Un regard rapide échangé avec Brom le convainquit de remettre à plus loin la discussion avec lui sur ces voleurs contre qui ils avaient échoué.

L’orage est passé, petit… Peut-être que tu devrais aider les blessés à rentrer.

Les yeux brillants du garçon laissait penser que chez lui l’émotion n’était pas encore totalement retombée. Et qui eût pu l’en blâmer ? Enfin échoué… Les bêtes étaient sauves, et aucun membre du groupe d’intervention ne semblait mort. N’étaient les deux éclopés restés dans la plaine avec le garçon assommé et l’estafilade reçue par celui venu jusqu’à la crique avec Tahar, on eût même pu dire que tout s’était plutôt bien passé au vu des circonstances. Au canon contre des paysans, hm.

Et les cadavres ?

Après la brume devenue bruine, la bruine devenait crachin. Terre et ciel ne firent bientôt plus qu’un, la sueur prit froid sur les crânes et les coiffes ruisselèrent bientôt des gouttes guidées par les cheveux. Seules les bêtes avaient le cuir assez épais pour résister à l’humidité et après une telle tension nerveuse la tentation était grande d’abandonner tels quels les corps de l’ennemi pour s’aller réchauffer au coin d’une bonne flambée. La fête était finie et ce serait une mauvaise soirée pour tous, mais à défaut de réchauffer les âmes on pouvait guérir les peaux. Cependant par fond d’humanité ou par souci pratique il fallait disposer des morts avant le lendemain, où on ne les retrouverait qu’à moitié dépecés par les ombres de la nuit, et on le fit. Dépecés, ou bien déplacés en une côte plus fréquentée de l’île par la marée… Il n’y avait rien de pire en soi à la besogne qu’à labourer un terrain coûte que coûte sous les averses du début de saison, la cohésion fut au rendez-vous.

Quand on en eut terminé, y compris avec les vaches qu’il fallait calmer et regrouper, on rentra. Le passage par la plaine ardente assura qu’elle ne l’était plus autant sous l’effet des diverses humidités. Le spectacle au matin serait terrible et les bêtes auraient besoin d’une autre parcelle pour l’été, mais sans doute la nature cherchait-elle déjà à se montrer plus douce que le destin pour une fois. On rentra, et l’accueil fut à hauteur du départ enjoué. Sinistre. Tahar était trempé, ses vêtements maculés flottaient aux quatre vents. Les trous ouverts par les griffes du loup avaient cela de bien qu’ils permettaient une aération des griffures qui les accompagnaient, mais en contrepartie et avec la fatigue accumulée la bise était rude. Les sourires qui reviendraient mais qui pour l’heure s’étaient éteints n’aidaient à réchauffer ni le cœur ni le cuir, la fin de nuit fut silencieuse et alcoolisée.

Au matin, les yeux verts de Tahar avaient la noirceur d’une sieste vite passée et surtout mal vécue, entre acouphènes persistants et douleurs diffuses ou pas. Le temps avait pour sa part décidé de repasser au beau fixe et laissait admirer du pâtelin moins pittoresque que la veille la colline encore fumante. De loin, ce n’était pas un spectacle si affreux. Finalement. Peut-être que sa compassion pour la localité avait passé avec le bruit du ressac nocturne… Sa compassion oui mais son désir de justice maquillé sous des dehors de revanche personnelle, ou l’inverse, certainement pas. Abandonnant sa couche il joignit d’un Den Den d’aussi mauvaise humeur que lui ses correspondants sur North Blue, commanda un café qu’on lui refusa poliment et une corvette, qu’on lui refusa aussi mais qu’il parvint à négocier à bon prix, contre environ une demi-solde et deux bouteilles de Hurlevent grand cru. On le préviendrait si on avait ouï dire qu’un Hollandais Voleur accostait ou passait en territoire conquis.

Ensuite vint le temps de retrouver Brom et celui qui lui servait d’ombre. Les regards étaient toujours empreints de ce sérieux qui suit les évènements lourds de sens, mais les visages s’affichaient plus détendus que la veille, comme si la bonhomie était ici l’équivalent des civilités en ville. Le masque à arborer pour bien se mêler à la masse, pour ne pas éveiller ses soupçons ni attiser sa colère.

Un navire arrive demain soir, je pars en chasse. Vous êtes les bienv… Toi, Brom, es le bienvenu. Pas sûr qu’un navire de guerre soit un endroit pour les jeunes garçons à parents attachés. Ca coûtera deux des bonnes bouteilles de ton père, ceci dit. Combien ça fera ?

Et d’agiter une bourse encore garnie, faute d’avoir réglé l’ardoise de l’auberge.


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Brom et Sören avaient très vite trouvé l'un dans l'autre un ami et un complice. Combien de fois le père Hurlevent n'était-il pas venu se plaindre devant le berger des mauvaises idées qu'il introduisait sournoisement dans l'esprit de son fils ? A la vérité, Brom était innocent sur ce point. Mais il ne pouvait, ni ne voulait empêcher le garçon d'être ce qu'il était : curieux, aventureux, et souvent téméraire. S'il y avait une faute d'éducation, elle dépendait de ses parents et de leurs habitudes rigides. Certains caractères s'y pliaient sans souffrance, et d'autres pas.

C'est ainsi qu'une fois de plus, Sören ne rentra pas chez lui pour la nuit. Au domaine, l'on dormait déjà depuis longtemps, et l'on ignorait tout des évènements de la nuit. Une bonne raison pour ne pas rentrer. Bien que son cœur battait encore fort lorsqu'il s'endormit chez la vieille Belledone, une amie du berger qui tenait une boutique d'articles de pêche en ville, le garçon songeait déjà à ce qu'il adviendrait le lendemain matin. La marine viendrait-elle ? Qui était vraiment ce Monsieur Tahar qui en imposait au moins autant que Brom ? Que déciderait-on, en cas de nouvelle attaque ?
Ces questions empreintes de curiosité le calmaient mystérieusement, lui faisant oublier le péril, la mort et les blessés, en posant sur la scène qu'il se représentait une atmosphère de légende.

Tout ceci changeait de son quotidien lourd, tranquille et pesant. Souriant malgré le côté tragique de la situation, Sören rêvait, les mains croisées derrière sa nuque et les yeux ouverts dans l'obscurité du salon décrépit. Il se disait qu'il serait un jour un grand conteur, et qu'il dirait cette histoire et des milliers d'autres à-travers les mers. Ou peut-être un gentil marin, qui libèrerait des villages entiers du joug de pirates sanguinaires. Ou alors, un commerçant qui traverserait le Route de Tous les Périls en solitaire, pour livrer des denrées exotiques sur des continents merveilleux... et bien sûr, il emporterait tous ses compagnons avec lui. Ses chats adoreraient mener ce genre de vie...
Sur ces dernières pensées, il s'endormit.


* * *

Alors comme ça... il était de la Marine ! Ah ! Il l'aurait parié ! Avec ce costume, la cravate, et le reste... Remarque, ça aurait pu être aussi un pirate. On racontait que les pirates avaient coutume de récupérer leurs vêtements sur les cadavres de leurs victimes... Mais peu importait au garçon qui tentait de dissimulait son sourire. Brom et Tahar ne plaisantaient pas. L'un parlait de partir en chasse, nouvelle que l'autre accueillit avec scepticisme. Sören ne tiqua même pas lorsqu'il fût question de le laisser en-dehors du programme. Il savait se cacher, il viendrait quand même si le cœur lui en disait. Et pour sûr, il lui en dirait.

-Vous êtes un homme de bien, Tahar, et c'est tout à votre honneur. Mais je connais un peu trop ces oiseaux là pour faire entièrement confiance à la Marine. Pour vous dire, cela fait plus de trente ans qu'ils se livrent au pillage, au faux témoignage, et à la persécution de travailleurs honnêtes. Et je n'ai jamais entendu leur réputation s'étendre. Je crois même pas qu'ils portent une prime sur leurs têtes. Il y a longtemps, j'ai mené l'enquête, et j'ai découvert qu'ils bénéficiaient du soutien des nobles de Goa. Comme quoi l'un des chefs serait fils de Prince je-ne-sais-quoi. Alors, les gens se taisent.

Comme s'il cachait une vieille colère sous un masque rieur et cynique, Brom attrapa son compagnon par les épaules, et l'entraîna vers l'auberge. La patronne, qui ne perdait jamais rien de sa bonhommie, servit trois cafés au lait. Son mari avait fait partie de l'expédition, et avait été blessé à la jambe. Mais comme elle le disait à qui voulait l'entendre, c'était un maudit fainéant et cela lui faisait du bien du voir ce que c'était de courir la campagne plutôt que de travailler.

-Par contre... Si vous voulez quand même partir en croisade... Gardez bien à l'esprit que vous risquerez fort de passer dans l'illégalité. Mais c'est pas moi qui vous découragerait. Je viendrais même avec vous. Même si ça donnera sûrement rien, je pense que tout le monde ici sera rassuré. Le Hollandais n'attaque pas deux fois au même endroit, mais en général, ils n'essuient pas de telles pertes. Ils aiment s'en prendre aux faibles. C'est mal connaître les paysans, hein ?
-Brom, j'pourrais v'nir, hein ? J'peux être utile, j'sais naviguer !
-J'ai promis à ton père que tu serais chez toi ce soir. Ce serait dommage de gâcher nos relations, tu ne crois pas ?
-Mais... Mais...

Un éclair de malice traversa le regard de Brom.

-Ceci dit, je n'ai rien promis en ce qui concerne demain soir. Mes garçons peuvent s'occuper du troupeau, je les préviendrais. Et puis, il faudra bien que tu ramènes les deux bouteilles à Tahar... 100 000 berrys les deux, le Grand Cru, hein ?
-Ouai. Avant, c'tait moins cher, mais 'vec c'qui s'est passé y'a quatre ans, on a ben été obligés d'les monter...
-Rentre vite chez toi, alors. On te surveillera moins.

Le cœur content, Sören reprit le chemin du domaine, des berrys pleins les poches. Même si son père était loin d'être vénal, il savait que l'argument financier l'aiderait à accueillir son fils avec le sourire. Au fond, il n'était pas mauvais bougre. Il manquait juste cruellement de fantaisie.

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Un homme de bien, hein…

Le faux sourire de Tahar en disait plus long qu’une biographie et il garda le silence. Curieux comme le fait de changer de mer pouvait lui éclaircir la réputation. Et qu’est-ce que ce serait quand il aurait rejoint Grand Line, ou personne, vraiment personne ne le connaîtrait ? Et cette Céléno dont il rejoignait l’équipage, et cette si terrible Céléno sous les ordres de laquelle on l’avait muté, le penserait-elle un homme de bien elle aussi ? Hum. Fatigué, l’officier se laissa conduire à l’auberge où sa future solde avait déjà flambé durant toutes ces journées de villégiature, et il but sa chope sans même en recracher le contenu. Du lait dans du café ? Ah, le goût de ces hommes du cru…

Brave garçon.

Les détails s’étaient mis en place et Sören sortait déjà de la pièce, mû par ses rêves d’extérieur. Sans doute n’était-il finalement ni trop jeune ni trop encadré pour venir sur un bateau de la marine en quête de réponses à ce qui s’était passé ici. S’ils en étaient tous deux d’accord, c’est que la chose devait être vraie malgré la canarde et malgré la bombarde. Tahar commanda un café noir pour faire passer le goût du lait et un alcool fort pour se réveiller, et observa Brom qui hochait la tête, les yeux fixés sur les souvenirs de ses aventures aux trousses du Hollandais Voleur. Goa, avait-il dit ? Possible. Il y avait néanmoins Redline entre là-bas et ici, alors il devait bien y avoir un port d’attache dans les environs à leurs petites expéditions sur North Blue. Un port d’attache pour fils de noble…

Luvneel s’imposait comme destination et le nom filtra d’entre ses lèvres séchées malgré lui. Parce qu’on avait parlé de prince autant que parce que lui-même s’était créé un passif là-bas par son échec face à Sharp Jones, Tahar se sentait ramené en la place par le destin. Son vis-à-vis semblait toujours dubitatif sur sa capacité à accomplir quoi que ce fût de concret, mais il partageait l’intérêt stratégique du royaume pour le lancement des recherches. Puis, vieil homme encore vigoureux, Brom se leva en annonçant devoir voir certains détails avec ses collègues paysans pour le lendemain et toute la durée de son absence. Pourtant plutôt avide de compagnie, le militaire déclina son offre de l’accompagner. Le bruit des sabots et des cloches n’était pas une bonne idée dans son état. Encore moins bonne que celle de traquer un fils de noble… Et puis ce ne serait pas la première fois qu’il se mettrait un noble sur le dos, après ses rencontres avec la Dame de Pierre de Saint-Urea il était rôdé.

Meh.

Soupesant sa bourse il calcula la suite de sa journée puis alla s’enfoncer dans l’un des deux fauteuils de la salle principale de l’établissement, qu’il ne quitta pas jusqu’au soir. Les temps étaient rudes, les poches vides et les bouteilles cruelles. La fin de journée fut terne comme une campagne sous la pluie, et à titre préventif il préféra laisser passer dans le sommeil le lendemain jusqu’aux premières heures de l’après-midi. Après quoi, le navire promis apparut à l’horizon. Il était temps, le charme insouciant de l’endroit l’avait par trop délaissé pour qu’il pût y vouloir rester encore. La sensation lui rappelait celle dont tout son être se souvenait, celle de son départ de Troop Erdu. Sur l’échelle de la réussite traditionnelle, il avait accompli d’assez grandes choses depuis. Serait-ce la même, ici et puis sur Grand Line ? Les deux visages à côté de lui ne lui répondirent pas, qui guettaient la corvette aux voiles frappées du sceau de la marine. Voiles qui pour l’un étaient synonyme et rappel de les dieux seuls savaient quoi, pour l’autre, le jeune, de porte sur l’ailleurs. Hm.

Quand le temps fut venu, Tahar enjoignit à ceux qui passaient du statut d’hôtes à celui d’invités à grimper à bord. Ce faisant il eut pour lui une phrase noire de sens, qui répondait au Brom de la veille et qu’il avait mis presque un jour entier à accoucher.

Les hommes de bien meurent à vingt ans ou naissent à quarante, roulons jeunesse…

Mais personne ne l’entendit que les vagues et le bois de la passerelle qu’on repliait déjà derrière lui, tandis que le capitaine lui serrait la main pour lui transmettre, à lui le plus gradé, le commandement.


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