L'heure du bilan

Cabine lugubre d’un navire voguant en pleine mer, une pièce sordide dépourvue de toute décoration. Pour seul mobilier une table de bois délabrée sur laquelle trône fièrement un escargophone somnolent. Devant le petit animal se trouve Rydd Steiner, le tigre rouge de Saint Urea. Dans sa combinaison rouge de chasseur de primes il semble illuminer la petite pièce. Derrière la porte de la cabine il entend les têtes qui se plaquent pour tenter d’entendre ce qu’il se passe. Car oui, la situation est on ne peut plus particulière. Rydd vient de quitter le QG de South Blue après avoir tenté d’assassiner Mac Finnegan le chef de la guilde des chasseurs de primes. Plusieurs jours de navigation et il est maintenant aux faits des mesures prise par le « gros porc ». En effet, Midas n’a pas fait moins que mettre la tête de son agresseur à prix. Rydd a donc prit des mesures et contacté Manfred Tigan. Celui-ci, furieux, a affirmé que son apprenti devrait faire cavalier seul pour un moment le temps qu’il règle ses problèmes.

Les chasseurs de primes étaient maintenant à ses trousses. Heureusement Rydd avait rapidement trouvé en ses anciens ennemis des alliés puisque les pirates l’avaient rapidement protégé devant sa tentative osée d’abattre l’un des chefs associés au gouvernement. Mais qu’en était il réellement du gouvernement ? La marine allait elle s’associer à la traque ? Jugeait elle légitime la prime mise sur la tête de l’ancien défenseur de Saint Urea ? Peu de chances que Stanhope lui vienne en aide pour l’heure, la dame de pierre n’était pas réputée pour accompagner les plus fébriles de ses associés.

Le tableau était donc dressé, des chasseurs de primes devenus ennemis et des pirates, tout du moins quelques uns, devenus alliés. La grande inconnue de l’équation restait donc la marine. Il fallait que Rydd en ait le cœur net, il devait connaître les intentions du gouvernement à son sujet. Nul doute que ces actions au QG de South Blue était remontées jusqu’aux oreilles des officiels gouvernementaux.

Il fallait donc parler à un officiel du gouvernement, d’où la présence de Rydd devant ce den den mushi. La situation était épineuse mais pas le choix, il fallait franchir le pas pour être fixé. Cet appel allait probablement conditionner le futur de l’ex chasseur de primes. Il attrapa donc l’escargophone et entreprit de contacter le gouvernement, après quelques longues secondes d’attente il prit la parole d’une voix fébrile.

-«Al-allo… ?»

La situation était trop grave et pénible pour que le chasseur de primes ne fasse véritablement attention à la modification physionomique de l’escargophone. Il retint néanmoins avec attention les paroles qui s’échappèrent de l’objet et accueilli avec aigreur la voix détestable qui s’engouffra dans ses oreilles et vint chatouiller ses tympans. Décliner son identité ? Mais qui était il maintenant qu’il n’avait plus ce titre de chasseur de primes qu’il affectionnait tant ? C’est la bouche pâteuse et d’un ton incertain qu’il parla dans le combiné.

-«Rydd Steiner, Chasseur de primes. Autrement nommé le Tigre Rouge de Saint Urea.»

Il attendit quelques secondes qu’une réponse vienne à lui mais rien. Il se rappela en jetant un œil à la bouche hideuse du den den qu’il lui avait été spécifié de donner également les raisons de son appel. Il s’y attela donc bien que lui même ne savait pas réellement quelles attentes il avait.

-«Je souhaite m’entretenir avec un responsable gouvernemental au sujet de la prime qui est actuellement placée sur ma tête. Manifestement il s’agit d’une erreur ou tout du moins une prime qui n’émane pas directement de vos services, aussi aimerais-je en savoir davantage à ce sujet je vous prie.»

Attrapant au passage un bouteille de vin il laissa le fluide écarlate s’écouler dans sa gorge ; il lui semblait que cette maigre conversation venait déjà de l’assécher.

-Patientez !

Et comme il n'y a que ça à foutre, tu patientes. Une très longue minute. Puis une autre... Puis une bouteille complète...

Jusqu'a ce qu'enfin le den den s'anime à nouveau. Maintenant munie d'une petite moustache, l'escargophone gonfle les joues et affiche un air jovial et presque guilleret tout à fait déplacé vis à vis de ton état d'esprit du moment...

-Hey... Ridd Steiner, le Tigre Rouge en personne... Mon fils est un de vos fans... Désolé pour l'attente, vous savez ce que c'est... L'administration tout ça...

Tu imagines sans peine le mouvement de main de ton interlocuteur pour englober le "tout ça", qui pour autant que tu saches peut impliquer absolument n'importe quoi, depuis la commande massique de tonnes de rouleau de PQ pour toutes les bases de la marine à l'extermination systématique d’autochtones génants...

-Mais, vous avez surement autre chose à faire que m'écouter parler de mes problèmes... Venons en aux vôtres... Voyons voir...

-Je souhaite m’entretenir avec un responsable gouvernemental au sujet de la prime qui est actuellement placée sur ma tête. Manifestement il s’agit d’une erreur ou tout du moins une prime qui n’émane pas directement de vos services

Effectivement, la vieille peau avait raison, l'appel était enregistré... Et subitement le den den a perdu son air jovial pour devenir tout ce qu'il y a de plus sérieux.

- Vous avez des problèmes de mémoire monsieur Steiner ? Très franchement, je ne vois pas d'erreurs... Mais allez y, expliquez moi...

Chacun dispose d’une certaine patience, d’une résistance innée à la stupidité. Rydd commençait fortement à voir ses forces déclinées et il sentait qu’il n’allait pas tarder à exploser. Car oui que ce con de Midas soit connu et reconnu était un fait mais il n’empêche que le tigre rouge de Saint Urea n’était pas n’importe qui. Tapotant du pied sur le sol de la cabine il tentait de se contenir mais cela devenait tâche presqu’impossible au fur et à mesure que le bureaucrate déblatérait ces inepties. Finalement n’y tenant plus Rydd se laissa aller et abandonna la gueule de bois.

-«Finnegan ? Gage de stabilité ? De STABILITE ? Mais vous nagez dans le coton espèce d’imbécile arrogant. Ce gros porc vous mène en bateau depuis des années, il contrôle une partie des chasseurs de primes et n’unifie rien du tout. C’est juste sa guilde contre le reste des chasseurs de primes ! Il gère mon cul cet imbécile ! C’est un soufflet prêt à retomber à la moindre pression. La preuve en est toute sa stratégie, toute sa pseudo intelligence ne l’a pas empêché de se faire ouvrir de haut en bas. Et je gage devant vous, puissiez vous garder cet enregistrement éternellement, que je retournerai terminer le travail que j’ai commencé.»

Rydd s’abandonna à la boisson et attrapa désormais une bouteille de rhum. Il avait en plus du discours pirate les consommations de ceux-ci… Il vida le contenu de la flasque avant de s’en retourner à sa conversation, les yeux troubles.

-«Maintenant déterminons quelle est la position de la marine vis à vis de moi ? Quelle est la position du gouvernement ? Dois je comprendre qu’en sus des chasseurs de primes qui croiseront la route je vais devoir faire face à la marine ? Voir aux officiers du gouvernement ? Soyons clair, je ne tiens pas à quitter ce giron. Mais je vous invite à bien, bien réfléchir à votre réponse. Car dans le cas contraire chaque navire marine que je croise je le coule, chaque marin qui a le malheur de tomber son mon regard je l’écrase, chaque gouvernemental rentrera chez lui en pièces détachées. Entendons nous bien, vous avez encore les moyens d’éviter l’irréparable. Car je n’aurai de cesse de vous tourmenter jusqu’à ce que vous vous pliiez à ma volonté. J’hisserai le drapeau pirate si c’est ce que vous voulez et j’attendrai patiemment que VOUS me recontactiez pour que je cesse. VOUS serez ceux qui supplieront pour que je stoppe mes exactions et pour que je revienne dans le droit chemin. VOUS viendrez me chercher ! Mais mon retour ne se fera pas sans conditions ce sera moi et uniquement MOI, MOI ! DEHORS FINNEGAN ! DEHORS LA GUILDE DES CHASSEURS DE PRIMES ! ENGEANCE D’IMBECILES !»

Et il lança furieusement la bouteille de rhum vide qu’il avait en main qui vint s’exploser sur la porte de la cabine. Derrière l’on entendit le groupe de pirate hurler de stupeur.

Tigan… Oh oui ! Il avait été grandement abusé par cet homme, mais Rydd avait toujours tiré les fruits de ses enseignements. Franck, celui qui avait été amené à Manfred par Rydd était probablement devenu le nouveau jouet du moment. Il l’avait également discuté avec lui après les évènements de South Blue, il fut bien moins habile que Manfred pour transmettre ses intentions. « Ouais Rydd, je vais rester un peu à South Blue pour le moment tu comprends… ». En ce sens « le couteau » montra toutes ses limites, toutes la difficulté que représente la possibilité d’avoir de réels alliés. Mais l’ancien chasseur de primes ne se laisserait pas abuser, plus jamais, il resterait seul et comptait bien agir librement. Plus de missions imposées, de plan d’attaque préparé, il ferait à SA manière. C’est donc le regard mêlé de haine mais aussi d’une certaine quiétude qu’il laissa échapper des mots lourds de sens d’une voix calme et glaciale.

-«Manfred aura son heure… Franck, son probable nouvel acolyte également… N’ayez crainte à ce sujet, un jour viendra où je réglerai mes dettes à chacun…»

Restait encore la fameuse question de la prime. Le fonctionnaire savait comment parler, indéniablement. Il avait trouvé l’argument juste en insistant sur la valeur de la traque. Une traque à 10 millions n’est pas une à 100 millions, les chasseurs ne sont pas les mêmes. De même la marine ne fait pas trop attention à la foultitude de petites primes alors que les grosses primes… On imprime vite les visages. Et justement Rydd opérait désormais à visage découvert. Fort heureusement il n’était pas encore si connu, son visage pouvait encore passer inaperçu en bons nombres d’endroits… Il fallait donc jouer le jeu du fonctionnaire, tenter de minimiser un maximum l’impact de la prime.

Mais Rydd est un homme orgueilleux qui ne peut se laisser emmener complètement dans le jeu d’un autre homme. Tout du moins ne désirait il plus avoir l’impression d’être dirigé par qui que ce soit, aussi y alla-t-il de son commentaire. Un commentaire partagé où l’on pouvait discerner le désir d’amendement mais également la volonté de résister.

-«Très bien. Alors écoute ceci et enregistre. Je vais faire exactement ce que je veux faire, où je le désire et quand je le désire. Aucun moyen de me faire changer d’idée à ce niveau. J’ai bien l’intention de partir en promenade sur Grand Line pour me changer les idées. Tu vois je ne suis pas ingrat je te donne même des indications sur ma position. Maintenant je n’attaquerai pas de marine, ni de gouvernemental, ni même des membres d’une île alliée du gouvernement mondial. Néanmoins… Que ce soit bien clair… Les malheureux qui désireront prendre ma prime, quelque soit la nature de leurs fonctions, Cipher Pol, marine, chasseurs de primes, civils, pirates ! TOUS ! Aucun d’eux n’en sortira sans pertes. Car si tu considères que ma prime je la mérite tu dois bien comprendre également que je ne suis pas prêt pour autant à me faire capturer. Aussi me défendrai-je bec et ongles contre quiconque aura l’audace de me faire face.»

S’arrêtant un instant il chercha une nouvelle bouteille mais sa main ne rencontra que le vide et cette infortune lui arracha un grognement sourd.

-«Maintenant il faut que tu me dises quelque chose qui va me faire plaisir. Dit moi qu’il existe un autre moyen que de purger sa peine pour revenir du côté gouvernement mondial. Parce que jusqu’à présent à part les corsaires j’ai pas eu vent de la pitié, ni même de la magnanimité de la justice mondiale.»

Car oui cette question se posait. Un individu primé ne repasse pas de l’autre côté normalement. On ne retire pas une prime par fantaisie, ni même par sympathie.

-«J’ai bien ouï dire qu’il y avait une lettre qui se baladait et qui octroyait le titre de corsaire. Seul moyen pour moi ? La voie de la piraterie sous l’égide du gouvernement ? Encore une question, qui es tu réellement ? Toi qui semble si bien me connaître ?»

A mesure que la conversation s’avançait, le discours devenait plus intéressant. Le bureaucrate commençait à se muer petit à petit en un homme plus convaincant, plus combattant… Difficile de déterminer la nature exacte de cette personne. Elle avait déjà vu Rydd combattre. Mais pour le chasseur de primes cette information voulait tout dire et ne rien dire en même temps. Adepte des coups d’éclats il avait à maintes reprises fait étalages de ses capacités devant des foules plus ou moins nombreuses.

Ne plus être le meilleur du secteur… C’était une information particulièrement complexe à digérer pour un individu tel que Rydd, très confiant en ses capacités. Difficile pour un homme de se voir balancer en pleine figure ses faiblesses, le chemin qu’il y a encore à parcourir. Mais ce n’était pas une information si déplaisante, là où certains s’affaissent devant la tâche, Steiner était électrisé. Il souriait maintenant devant l’escargophone.

-«On verra ça Agent Wilson, corsaire ou pas je compte bien me tailler un nom sur grand line. J’ai peut être encore du chemin à parcourir mais je vais pas tourner le dos à ça.»

Il ricanait maintenant, cette conversation prenait une tournure qu’il appréciait. Manfred ne semblait pas plus apprécié que Finnegan. Finalement lui non plus ne devait pas être la coqueluche du gouvernement mais il pouvait espérer se faire une place au sein des requins. Il faudrait probablement donner quelques coups de mâchoires de ci, de là mais ça, c’est le travail… Et justement, voilà que le mystérieux agent proposait « du travail ». Curieuse chose que de passer des annonces par le biais de conversation de ce type.

-«Quel genre de travail Agent Wilson ? Tu piques ma curiosité. »

Rydd envisageait les réponses les plus pertinentes avant de finalement reprendre la parole.

-«Soyons clair Agent W. Je n'ai pas l'intention de me remettre au service de quelqu'un après toutes mes aventures. Dorénavant j'agirai seul et selon mon bon plaisir. En conséquence si je vous aide ce sera pour mon bon plaisir. Pas pour l'or, pas pour la gloire, pas pour des faveurs. Juste pour mon bon plaisir.»

Rydd repose délicatement le combiné du den den mushi. Autour de lui la pièce est plongée dans une demi obscurité. Il sourit, il ricane comme un enfant qui vient d'entendre une histoire amusante. "Tu obéis toujours a quelque chose."

-«C'est vrai Wilson, on obéit tous à quelque chose. La personne à qui j'obéis, c'est moi...»

Et il recommença à se gausser doucement.