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Y'a pas de prison sans pirates!

Dans la base de la marine généralement utilisée pour jouer aux cartes la nuit que pour véritablement accueillir une division de marines entraînés, une effervescence nouvelle est née depuis deux jours. Et les cartes ont laissé place à des armes fébrilement huilées et nettoyées, des mains moites tremblantes et des rognures d'ongles. Toutes ces petites choses qui n'avaient jamais été vues dans ce lieu reculé de South Blue. Il faut dire que Baterilla n'est pas connue pour ses pirates, ses brigands ni même pour ses mouvements de foules mécontents. Alors encore moins pour sa marine, imposée là comme indicateur de puissance et d'appartenance plutôt que comme force de frape. Ce qui n'avait malgré tout pas empêché un groupe de pirates décapité de venir y faire un brin de remue-ménage. Des pirates dont la capitaine vient de se faire capturer et qui, incapable de se mettre d'accord sur un membre pour reprendre la tête de l'équipage pour aller le libérer, cherche par tous les moyens quelqu'un pour faire office de chef. Sur la première île qu'ils ont trouvé. Baterilla. Pas le meilleur choix.
Et comme ils brutalisent les gens et civils pour les tester, la marine locale commence à avoir peur qu'ils s'en prennent à eux.

C'est là qu'intervient la porte qui parle.

En général, derrière cette porte, on stocke tout genre de balais brosse pour nettoyer ce qui sert de caserne à la garnison. Mais aujourd'hui, dans cette petite pièce sombre, on peut y voir, et y entendre surtout, une fille, jeune, un peu plus de dix-sept ans, une faux au coin du coude et devant son visage blanc, un petit miroir rond où un regard de braise vert lui répond avec une violence feinte. Ses mèches noires font presque illusion.
Pour information, elle est là depuis l'aube, à travailler ses expressions, à se fusiller du regard, à avoir l'air neutre et violente et aussi dangereuse qu'elle peut l'être. Heureusement que sa faux intervenait en sa faveur.

À l'heure du déjeuner, la porte du placard à balais claqua enfin et à peine avait-elle fait deux pas dehors que la dizaine de marins sur place se jetèrent sur le Sergent pour la convaincre de ne pas faire ça, que c'était de la folie, que d'ici trois jours la marine serait là avec des éléments compétents pour régler le soucis des pirates trop entreprenant. Et c'est avec un regard froid et violent qu'elle avait travaillé durant les précédents vingt-quatre heures qu'elle les repoussa. Elle jeta un regard à leurs mines défaites, stupéfaites et fut satisfaite de son travail de comédienne. Aoi n'avait qu'à bien se tenir.

But du jeu : leurrer la bande de gueux qui se dit pirate, devenir leur « capitaine » et au lieu de les amener vers le navire carcéral pour libérer leur capitaine, les emmener vers le navire carcéral pour les y enfermer à double tour. Facile. Et pour ça, il allait falloir être très convaincante.

*****

Un cri bref résonna dans l'air.

Toute la mauvaise troupe se retourna soudain sur Rachel. Leurs regards glissèrent avec appréhension sur la lame de la faux gigantesque qui trônait à ses côtés. Certains yeux suivirent le mouvement aérien de ses anglaises noires charriées par le vent marin. Mais leurs mines patibulaires descendirent invariablement vers le corps qu'elle piétinait ostensiblement. Un corps qui appartenait à leur tribu. Le plus proche à réagir se leva d'un bond, comme pour venger son collègue dont le nez avait craqué violemment, cause de toutes les attentions sur notre faucheuse. Tout ce qu'il y gagna fut un coup de Black Crow qui, non content de le balafrer sur toute la longueur du torse, l'envoya voler vers les rochers qui abritait la quasi totalité du reste des pirates sans maître.

Entrée remarquée : Check !

Ils se levèrent, à la fois stupéfaits et méfiants. Fallait les comprendre sur ce coup là. Une gamine qui arrive de nulle part et commence à leur faire comprendre qu'ils sont mal barrés, de suite, ça les fait réagir. Pas forcément en bien. D'autant plus que la gamine est dominée par une faux de deux mètres et que ses vêtements noirs à dentelle blanche en laisse plus d'un pantois. Plus d'une même. Car en un coup d’œil à la ronde, Rachel avait bien vu les trois filles dans les rangs. Deux brunes et une blonde. Pour une fois qu'elle avait de la chance : ces éléments lui permettraient de se faire accepter un peu plus facilement que si tous étaient des hommes.

-Qu'est-ce que tu nous veux toi ?

Rachel leva le regard des filles assises entre les rochers face à la mer pour braver le regard d'un type un peu plus imposant que les autres. Et plus grand aussi. Stéréotype, stéréotype. Le regard émeraude de Rachel se fit dur et impersonnel comme elle s'était tant entraînée à le faire dans le placard à balais. Ils se fixèrent, se jaugèrent. Notre faucheuse prit du temps pour répondre.

-Il paraît que vous cherchez quelqu'un pour vous mener vers votre capitaine parce que vous êtes trop stupides ou trop pleutres pour y aller de vous même. Regards en coin qui se veulent tout sauf aimable. Ne pas les remarquer, continuer. Eh bien me voilà.

Les sourires en coin firent échos aux regards qu'ils échangèrent les uns les autres, puis ce fut un tonnerre de fous rire qui les prit tous au ventre. L'un d'eux faillit même passer par dessus les rochers de la falaise tant il riait. Il ne dut sa survie qu'à l'un de ses coéquipier assez vif, ce qui augmenta encore un peu plus le volume sonore.
Droite dans ses chaussures à talons, Rachel garda la pose en s'armant de patience. Elle s'était attendue à une réaction du genre, alors elle n'était pas surprise. Elle attendit juste. Attendit que les décibels redescendent lentement et que certains regards ne se braquent à nouveau sur elle. Et puis une fois fait, elle brisa sa propre immobilité pour fouiller dans une de ses poches. Lentement, pour bien faire monter le théâtral de la scène.

-Et qu'est-ce qui te fait croire qu'on va te suivre ?
-Je suis une mercenaire qui aimerait bien se faire un peu de sous à vos dépens...

Elle sortit alors un petit escargophone de sa poche. Un tout petit escargophone, banal, mais maquillé pour l'occasion en appareil de brouillage. Duquel crépitait quelques informations de base comme des positions et de fausses discussions banales.

-...Et puis je sais où est votre capitaine.
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Quelques jours avant.

Maya venait de recevoir son ordre de mission. Infiltrer un équipage pirate pour les faire capturer par la Marine. Simple comme bonjour. Enfantin. Et où est-ce que l'équipage naviguait ? South Blue. Près de Baterilla. La gouvernementale se plia à l'ordre de mission sans broncher.

Elle s'était présentée sur le quai où ils avaient jeté l'ancre, un beau matin, toute guillerette et toute avenante. Elle avait même mis un cache-oeil sur son orbite vide. Un joli cache-oeil, noir, en cuir, orné d'un crâne en rouge sang. Habillée d'une ample chemise blanche serrée contre son corps par une sorte de corset de cuir noir et d'un pantalon en jean noir moulant ses jambes fines, elle paraissait dangereuse. Sa chevelure blonde, soigneusement coiffée et tressée de perles, flottait sur ses épaules. A sa ceinture, un sabre de pirate. Par une de ses superbes lames rectilignes que la majorité portait, non. Une lame courbe, bien affûtée, enveloppée d'un fourreau de cuir usé mais solide.

La main sur la garde de l'épée, la borgne avait enjambé le bastingage d'un bond léger pour poser le pied sur le pont et aller frapper à la cabine du capitaine. Quand il avait ouvert, elle avait sourit et s'était présentée.


_ Bonjour ! Elle s'appelle Maya, et elle voudrait bosser pour toi. Elle sait se battre, et a déjà exercé comme garde du corps ou autre. T'es d'accord ?

Plus surpris que le capitaine, ça n'existait pas. Il est resté là, les bras ballants, la bouche ouverte sans laisser échapper un son (un peu comme un poisson hors de l'eau), et clignant des yeux à un rythme assez rapide. Il faut dire qu'une telle demande alors qu'on vient à peine d'être réveillé par des coups frappés à la porte de sa cabine.

_ Euh... Hein ?
_ Maya voudrait faire partie de ton extraordinaire équipage pour écumer les mers et devenir riche. Tu veux bien ?

Il se gratta le cou d'un air étonné, puis acquiesça rapidement.

_ Euh. Bon. D'accord.

Maya l'avait remercié d'un sourire, et était parti déposer son sac dans le quartier des membres d'équipages. En descendant, elle avait remarqué que la majorité des hommes dormaient d'un côté, et que deux personnes étaient isolées.

Lorsqu'elle vint à pénétrer dans les quartiers, elle réveilla sans le vouloir ses occupants.


_ Bonjours tout le monde. Elle s'appelle Maya, et elle vient jouer les pirates avec vous.

Derrière elle, le capitaine fit son apparition pour confirmer ses dires. Il lui indiqua ensuite d'accrocher son hamac avec celui des deux occupantes isolés. Occupantes, d'ailleurs. La blonde sautilla jusqu'aux deux brunes et posa ses affaires.

~ ¤ ~

Quelques jours après, les pirates se frottèrent à des soldats de la Marine. Après une bataille où quelques uns seulement y restèrent, les pirates battirent en retraite. Sans leur capitaine. Ce dernier, aidé par Maya, venait de se faire capturer par le gradé qui menait l'attaque. La gouvernementale était retournée avec le reste de l'équipage.

La soirée fut bien remplie. Entre trouver un endroit où se poser, faire le compte des blessés et des morts, et puis trouver un nouveau capitaine. Mais sur ce dernier point, impossible de tomber d'accord. Les disputes durèrent toute la nuit. Finalement, au petit matin, Maya proposa d'en cherche un ailleurs.

Tous tombèrent d'accord. Et depuis, ils attaquent les gens. Ils les testent. Les pauvres civils de l'île ne comprenaient pas bien pourquoi on les brutalisaient. Maya s'amusait.


~ ¤ ~

Alors qu'ils s'étaient posés pour déjeuner, les pirates sans capitaine se virent interrompus par l'arrivée d'une jeune femme avec une faux. Et quelle entrée ! Maya en aurait applaudi si elle ne devait tenir son rôle. Ayant réussi à faire amie-amie avec les deux brunes de l'équipage (l'une cuistot et l'autre infirmière), Maya s'était assise avec elles sur des rochers pour déjeuner.

Apparemment, la nouvelle venu voulait leur servir de capitaine. Pour Maya, ça ne changeait rien. C'était juste une de plus à faire arrêter. Et pendant que les hommes se gaussaient, malgré la démonstration fort convaincante faite à son entrée, la blonde grignota placidement son chocolat.

Elle perdit momentanément conscience, appuyée contre les rochers, sans que personne le ne remarque. Heureusement, cet accès de narcolepsie ne dura pas longtemps. La borgne à l'oeil d'émeraude reprit conscience quand la prétendante au poste de capitaine déclara savoir où se trouvait le précédent capitaine.

Elle se redressa et s'éclaircit la gorge.


_ Maya est d'accord.

Son intervention coupa court à toute protestation qui aurait pu surgir des hommes d'équipage. Elle décida aussi ses compagnes à acquiescer.

_ Nous aussi on est pour. Et puis, les mecs... Une femme peut faire aussi bien qu'un homme. Alors arrêtez de faire vos machos.

L'intervention de la cuistot décida les plus timides. Et finalement, tous votèrent pour. Même les plus réticents. Ceux-là cédèrent aux beaux yeux des deux brunes de l'équipage. La blonde se leva et s'adossa au rocher.

_ Vous voulez manger avec nous ? Il y a de la viande tout juste rôtie. Et du chocolat. Et des bouillons de légumes.

La cuistot alla en effet retirer les deux bestiaux mit à rôtir et divisé en quatre part chacun un peu plus tôt. Elle fit signe qu'il était l'heure de passer à table. Et quand la cuistot parle, tout le monde obéit.

_ Bon appétit.

Maya s'installa en tailleurs près d'un des feux et tendit son assiette, gardant sa besace remplie de tablettes de chocolat juste à côté d'elle. Elle n'avait pas ôté le cache-oeil depuis son entrée dans l'équipage. Et elle avait fait comme les deux brunes, elle s'était lavée en gardant sa chemise. Elle était toujours plus propre que la majorité des hommes présents.
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L'homme imposant se rassit avec une moue enfantine. Comme si on l'avait privé d'un jouet nouveau appartenant à un de ses petits camarades. Comme s'il avait voulu jouer avec Rachel et ses nerfs. Et à son mouvement, beaucoup d'autres firent échos. Les pirates se rasseyaient avec quelques rictus, des rires et quelques bravades à l'encontre des filles et de l'homme qui s'était opposée à notre poupée de porcelaine. Un ou deux bienvenus fusèrent à mi-voix vers elle. Et on l'invita déjà à partager leur repas. Pour être interdite, on pouvait dire qu'elle l'était. Le regard abasourdi, ses yeux émeraudes passèrent d'un visage à l'autre en tentant de se persuader qu'elle avait réussi. Aussi simplement que ça. Vraiment ? Il avait suffi de donner deux claques, d'en imposer avec un petit speech écrit de la majuscule au point, puis de tenir tête au plus grand pour être acceptée ? Oui répondit une petite voix joyeuse et soulagée dans sa tête. Soulagée. Le stress fit soudain place au soulagement avec une force qui la fit vaciller une seconde.

La faux se reposa sur les pierres avec force alors qu'elle ne pouvait retenir un soupir en se tournant vers les trois filles qui semblaient finalement être les meneuses du groupe. Qui l'eut cru ? En pensant que ces trois filles étaient un avantage dans son intégration au groupe, elle n'avait jamais envisagé une telle efficacité. Rachel se secoua les miches en remarquant qu'elle s'était fourvoyée. Et que les hommes, ici, ne faisaient visiblement pas la loi.
Un petit sourire naquit à la commissure de ses lèvres comme cette pensée la traversait.

-J'ai bien cru qu'il allait me broyer en deux. Avoua-t-elle alors à la blonde qui lui proposait de manger avec elles.

Sautant d'un gros caillou, elle suivit le mouvement de foule de tous les autres et se dirigea vers les chaudrons et feux de la cuisinière. Bien que ce soit plus pour les beaux yeux de la cuisinière que pour ses antilopes rôties qu'elle s'y dirigea. En espérant que le fait d'être végétarienne n'entache pas sa crédibilité. Elle comptait donc bien faire honneur à la soupe de légumes. Et au chocolat. D'ailleurs, en leur laissant sa part de viande, peut-être que ça réduirait le nombre de réticents encore cachés dans la masse. Sait-on jamais, autant le crier sur tous les toits.

-Je ne prendrai que du potage de légume, s'il te plait. Je n'aime pas la viande. Un temps. Ni même l'alcool en fait.

Mieux valait enfoncer des portes ouvertes en enfonçant un peu plus le clou.

Mais avant qu'elle n'aie pu s'asseoir ou même déposer Black Crow contre un rocher, un petit nuage rose apparut devant son visage. De surprise, elle poussa un petit cri incontrôlé et fit un bond en arrière. Une odeur aigre-douce la prit aux sinus, plus fourbe que du poivre. D'ailleurs, elle en décela une pointe. °Hhh...° C'est de la cannelle, ça ? À moins que ce ne soit de la vanille. °Ahhh...° de la coriandre et de la violette ? Ils le vendent ça ? °Haaaaa...°

-Atchä !
-C'est bon, elle dit la vérité !

Et un petit gros court sur pattes, un singe en peluche sur l'épaule, détala entre les rochers, disparaissant subitement à la vue de tous, laissant malgré tout derrière lui une sale piste de fragrance salée. Punaise, il y avait même mis du sel dans son parfum !

-Et il fait tout le temps ça ?
-C'est sa manière de tester les gens. Il paraît qu'il peut savoir qui ment ou pas. Précisa l'infirmière en bâillant.
-Et ça marche ?
-Va savoir...

Soudain inquiète en se rapprochant de l'infirmière pour s'asseoir à leurs côtés, Rachel détailla les trois filles avec qui elle allait passer le plus clair de son temps à partir de maintenant. Et vous vous en doutez, la première chose qu'elle vit fut le cache-œil de la blonde ainsi que son unique œil vert. Presque aussi vert que son propre regard. Mais l'attitude complète de cette pirate blonde était plus surprenante qu'uniquement son œil masqué. Quelque chose en plus qui remplit Rachel d'admiration.

_Et encore, tu as de la chance, ajouta la cuisinière en se détournant de son potage pour en servir Rachel une louche bien remplie. À mon arrivée, il m'avait tâté les seins « pour voir s'ils étaient vrais ». ceux de Maya aussi. Dit-elle avec malice avec une œillade pour la blonde.

Rachel observa l'échange de regards puis réalisa.

-C'est toi Maya ? Mais... pourtant...

Elle allait devoir se faire à la troisième personne...

-Bon ! Et sinon, vous avez un navire ou quelque chose du genre ? J'ai un enterrement dans deux semaines auprès de mon père, ça m'ennuierait d'être en retard.
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C'est avec un grand sourire que Maya répondit à l'aveu de la nouvelle venue.

_ Il fait toujours ça, il ne faut pas y faire attention.

Maya s'était assise pour manger. La cuistot la servit d'une généreuse louche de soupe et d'un bon morceau de viande. Mais avant que la blonde ne commence à manger, le petit gros de l'équipage, avec sa peluche, vint faire son petit numéro. L'équipage était blasé, mais ça paru surprendre la nouvelle. Leur capitaine, à présent. C'est vrai que la première fois, c'est assez déroutant. Elle sourit, et hocha la tête en réponse à ce qu'à dit la cuisinière. Elle eut même un petit rire.

_ Il a eu peur avec sa réaction d'ailleurs. Il a dû croire qu'elle allait le décapiter. C'est sans doute pour ça qu'il a pas recommencé cette fois-ci.

L'infirmière hocha la tête, souriant également au souvenir de l'incident. Maya commençait alors à manger, quand la nouvelle brune sembla comprendre que la blonde parlait d'elle à la troisième personne. C'était pas évidement à comprendre, pour qui ne la connaissait pas. Un sourire aux lèvres, mais la bouche pleine, la borgne hocha la tête. Sa mère lui avait toujours apprit à ne pas parler la bouche pleine. Au contraire du navigateur, qui ne se gênait pas pour raconter des blagues grivoises à ses coéquipiers.

_ Le navire est amarré de l'autre côté de la crique, comme ça les habitants d'ici ne le voient pas tant qu'ils ne s'y aventurent pas. Et comme la crique est maudite...

Les pirates acquiescèrent. Certains croyaient à la malédiction, mais les trois filles non. Et c'était plus ou moins elles qui menaient les hommes par le bout du nez (certaines grâce à leurs charmes, et l'autre grâce à son aura un peu dangereuse) alors... Ils n'avaient donc pas leur mot à dire.

_ On te le montrera après manger, hm ?

Ben oui, c'était l'heure de manger, et Maya avait faim. Les hommes aussi d'ailleurs. Beaucoup étaient heureux de savoir que la nouvelle était végétarienne, et qu'elle ne leur piquerait pas leur outres d'alcool. Certains, ceux qui s'étaient ouvertement opposés à son entrée dans le groupe en tant que capitaine, ne s'en méfiaient que plus. Et ça, ça arrangeait Maya. Parce qu'elle pourrait ainsi les leurrer plus facilement.

Elle regretterait quand même de devoir faire coffrer les deux autres femmes. L'infirmière et la cuistot. Quand au nouveau capitaine, la blonde ne la connaissait pas encore assez pour pouvoir dire ça. Mais elle avait l'air gentille.


_ Il est mort comment ton père ?

La curiosité de Maya était indécrottable. Et elle disait ça sur un ton tellement mignon, que c'était impossible de lui en vouloir de la brusquerie de ses questions. Surtout que son sourire était avenant, et compatissant. Ce n'était pas juste pour blesser ou pour être froidement inquisitrice. Elle se souciait vraiment des détails.

_ Celui de Maya, il avait trop bu, et il a voulu jouer au cracheur de feu. Mais ça n'a pas fonctionné comme prévu.

Elle finit son assiette rapidement, et ouvrit sa besace de chocolat. Elle en prit un bout, avant d'en proposer un aux deux autres filles. Et puis à la nouvelle venue.

_ Tu veux un bout de chocolat ? Et tu t'appelle comment au fait ?

Nouveau sourire, nouveau regard presque enfantin.
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Pour Rachel qui mangeait très peu, son bol fut bientôt propre et lustrée de tout le bouillon que la cuisinière lui avait généreusement servi. Elle le posa religieusement à côté d'elle et se saisit de Black Crow comme certains enfants auraient serré leur doudou. Sûr qu'elle n'était pas dans son élément, mais il suffisait d'oublier les hommes derrière pour se dire qu'elle assistait à un pic-nique entre les filles du club d'échec de la base locale. Dont une avait un cache-œil... D'ailleurs, de cette borgne, Rachel ne pouvait en décrocher le regard. Ses cheveux blonds, ces grands yeux presque innocents et ces airs d'ingénue couplés à cet œil manquant... Elle ressemblait à ces vieilles poupée en porcelaine qui vous fixaient, insipide, comme si leurs seules envies étaient de vous égorger pendant votre sommeil. Oui, tout ça rien qu'en regardant le visage de la blonde. Rachel eut un frisson et ne put réprimer un sourire. Elle allait l'adorer à n'en pas douter. Surtout si elle était si ingénue qu'elle le semblait. Le Lieutenant Blacrow rit doucement.

-Mon père n'est pas vraiment mort, c'est une expression pour dire que je n'ai pas envie de m'éterniser. On ne prévoit pas un enterrement deux semaines à l'avance.
Mais je suis navrée pour son...ton père.
Des clous ouais. Et elle... peut m'appeler Rachel.

Saleté de troisième personne. Communicatif comme tic.

Rachel refusa le morceau de chocolat d'un simple mouvement de tête et s'étira comme les autres finissaient leurs premières ou deuxièmes assiettes de viande. Le soleil en ce début d'après midi, réchauffait les cœurs et les corps. Rachel avisa tous ces hommes dans son dos puis les trois filles du groupe. La cuisinière portait un simple haut de maillot. Faire la cuisine donnait chaud et nul doute qu'elle affirmait ainsi son charisme ou son autorité. Une idée à creuser. La propre peau blanche de Rachel profitait du soleil et sa robe noire le rendait plus chaud qu'il ne l'était, mais elle-même n'avait jamais été frileuse. Alors avec un sourire, elle se redressa et ôta sa veste noire pour garder simplement sa jupe noire à dentelle et le nœud papillon blanc qui trônait à sa hanche. Bon, elle n'avait pas son soutien gorge aussi rempli que celui de la cuisinière, mais au moins, elle aurait peut-être quelques hommes en plus de son côté.

-La crique est maudite ? Voici une information que j'avais raté en arrivant ici... Et l'excitation qui transpirait de ses paroles n'était pas feinte. La faucheuse parlait. Hihi, une crique maudite... ajouta-t-elle rêveuse.

Vissant sa faux sur son épaule, elle grimpa sur un rocher contre lequel tous mangeaient et porta son regard au loin. Vers la fameuse crique qu'elle devinait derrière d'autres rochers et quelques falaises. Elle fit également abstraction des divers regards qui la dévisagèrent durant cette entreprise. La médecin fit une blague à un collègue dans son dos, mais jamais Rachel ne sut si elle parlait d'elle. Elle se retourna vers la cuistot et la blonde qui attirait immanquablement son regard avant de s'adresser calmement à elles.

-Dans deux jours ils vont transférer votre capitaine dans une prison un peu moins merdique que celle qui le garde actuellement. On discutera de mes honoraires plus tard si vous le voulez bien, mais je saurai où ils le transporteront et où les intercepter. Mais pour l'instant, je crois que je vais aller voir cette fameuse crique...

Et tandis qu'elle descendait lentement de l'autre côté de son rocher, une voix l'interpella. Un homme.

-Tu n'iras pas au navire seule, gamine !
-Qui a dit que j'y allais seule ?

Et avec un regard entendu et un sourire fourbe qu'elle avait tant travaillé dans son placard, Rachel reprit sa marche, certaine qu'elle serait rattrapée d'ici trois... deux... un...
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Ainsi, son père n'était pas vraiment mort ?

Maya haussa les épaules, pas plus rassurée ou mortifiée qu'avant. Elle se contente de sourire, du coup. Elle aimait bien la nouvelle venue, et que cette dernière n'aime pas forcément le chocolat n'attrista pas la blondinette. Au contraire. Parce qu'ainsi, ça en faisait plus pour elle. Et ouais.

En plus, l'attitude de la brune était très ouverte, et amicale. Personne n'avait réagi ainsi avec Maya depuis longtemps. Même les filles, ici présentes, avaient mis du temps à apprécier la sociopathe. Pourtant, cette dernière faisait tout pour s'intégrer, mais son tic de parler d'elle à la troisième personne, l'oubli fréquent du bandeau sur l'oeil borgne et son attitude enfantine adorable n'étaient pas vraiment pour aider. Cependant, ils s'y étaient fait.

Quand la femme qui voulait devenir leur capitaine se leva, Maya suivit immédiatement, son chocolat à la main. En réfléchissant un peu plus, d'ailleurs, la blonde ignorait le nom de la dernière venue. Mais elle n'y fit pas plus attention que ça, son esprit se portant sur un estimation de sa réserve de chocolat pour le temps de sa mission.

Et le résultat de son expertise, c'est qu'il ne valait mieux pas qu'elle s'éternise non plus. Elle n'avait pas son père à enterrer (pas encore, mais elle ne le savait pas encore) malgré le faux récit livré à l'équipage pour les besoins de la mission. Mais quand même.

En souriant bêtement, la sociopathe suivit l'échange entre la nouvelle capitaine et l'un des hommes d'équipage.

Elle donna d'ailleurs raison à la première puisqu'effectivement, elle la rejoignit et qu'ainsi, la brune n'était plus seule. Elle ne fut pas la seule. Les deux autres femmes de l'équipage leur emboîtèrent le pas, laissant les hommes avec une unique phrase qui sonnait plus comme un défi.


_ Libre à vous de rester ici comme des pleutres, les gars. Mais marcher est bon pour la digestion.
_ Presque autant que l'émotion des plus influençables dans une crique maudite, hein ?

Tout à fait Maya, de sortir quelque chose de relativement censé quand on s'y attend le moins.

_ Tu voudras être payée en chocolat ou en or ?

La réponse avait intérêt d'être la seconde, pour Maya. Sinon, elle risquait fort de ne plus être copine avec la brune. On ne lui piquait pas sa ration de chocolat comme ça. Si quelqu'un devait être payée avec cet aliment, c'était elle. Et personne d'autre. Son oeil unique arbora d'ailleurs une lueur étrangement menaçante dans la teinte émeraude. C'est sûrement la première fois qu'elle empruntait cette lueur, depuis le début de son infiltration. Mais il faut la comprendre. Si elle n'a plus son carburant sucré et chocolaté, la blonde sera moins prolifique et moins efficace. Du coup, elle risquerait de tout foutre en l'air.

_ Tiens, l'entrée de la crique est par là !

Du doigt, la blonde désigna une trouée dans un rang de buisson armés de piques. Un escalier grossièrement taillé dans la roche descendait abruptement, et finissait sur une lande de sable doux, plat et chaud. Et le navire était bien en vue, à quelques brasses du rivage, tandis qu'une chaloupe attendait, arrimée à un rocher.

Maya ne comprenait pas pourquoi les habitants la trouvaient maudite cette crique. Elle y venait souvent, étant gamine.

Mais peut-être que la nuit, les esprits sortaient ?

C'est vrai qu'en tournant le dos à la mer, on voyant les pentes de la falaise éraflées, comme par des griffes, et couvertes d'une terre rougeâtre à certains endroits.


_ Elle aime bien cette crique. Elle ne comprends pas pourquoi les gens la croient maudite.
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-Alors comme ça tu ne crois pas aux fantômes ?

Rachel marchait en tête, très légèrement, d'environ un pas ou un pas et demi, à peine suivie par une Maya aux tics de langages perturbants. Elles évoluaient au milieu d'un décor aussi magnifique que chaotique. Elles devaient sauter de rochers en rochers, éviter les crevasses et faire des détours pour ne pas marcher sur une famille de crabes aux pinces aussi grosses que leurs cuisses – en outre pas très épaisses, ni à l'une ni à l'autre – et porter une attention toute particulière aux mousses qui envahissaient le décor, aux moules tenaces qui rendaient les appuis encore plus dangereux qu'ils ne l'étaient déjà et aux oiseaux marins qui descendaient en piqué pour des raisons inconnues. Çà et là, les marques de violentes marées passées donnaient des idées sur la raison de ce qui avait valu à cette crique sa notoriété de hantée. Sur le chemin, quelques carcasses éventrées, des barques échouées, des bouts de falaises écoulées en éboulis peu engageants.

Très vite, il fallut descendre presque à flanc de montagne, sur des roches naturelles taillées par les vents, le sel, l'écume et le soleil en un escalier naturel. Parfois, un buisson d'épineux, un petit arbre, donnait l'impression d'un endroit paisible et Rachel discernait les marques du passage de l'équipage lorsqu'il s'était éloigné de la crique, dans l'autre sens. Ils avaient laissé le navire ici, sans craintes aucunes, avec pour seule certitude que personne ne s'approcherait d'une crique soi-disant hantée. Même si les histoires n'étaient plus bonnes qu'à faire peur au fils du boucher du village tout près, les marins restaient principalement d'énormes superstitieux. Rachel se souvint de ce qu'elle avait vécu sur ce navire pirate qui avait été le sien et celui de ses ères pendant de très nombreuses années et sourit à cette pensée. Des trouillards courageux. Dommage que les pirates ne soient que des hors-la-loi souvent meurtriers et sanguinaires. Ils faisaient de très bon personnages de romans.

Les deux brunes finirent par débarquer sur une petit plage de sable et de roches. Et aucune traces de fantômes ou d'autres. Dommage. En même temps, il ne faisait même pas nuit. Le vent était frais et léger, l'écume d'ordinaire volatile ne quittait pas la crête des vagues et ces dernières elles-même venaient s'échouer paresseusement à leurs pieds.

-C'est un beau navire que vous avez là.

Il n'était pas bien grand, mais décoré avec goût. Des enluminures semblaient courir tout le long de son bastingage. Il ne s'agissait cela dit que de simples peintures décoratives. Le visage de proue oscillait sous la houle, aux formes d'un bouc enchaîné par des fers rouillés, si près d'elles que Rachel était persuadée que si elle tendait le bras, elle aurait pu lui caresser les cornes. Il était étonnant de remarquer à quel point la crique était profonde malgré sa proximité avec les ravins qui s'enfonçaient dans les eaux claires. Si le vent forçait, il y avait de grandes chances pour que les deux mâts viennent s'éclater contre les rochers avides. Deux mâts plus un Beaupré. L'étendard était replié et le bois propre. Et puis il avait deux ponts.

Quel dommage qu'il faille le balancer dans les filets de la marine et ordonner sa destruction.

-Il est en très bon état... Si je peux me permettre, qu'est-ce qu'il s'est passé avec votre capitaine pour qu'il se fasse capturer sans même endommager votre navire ?

Et si elle pouvait se dépêcher de répondre, parce que l'un des mecs de l'équipage s'était visiblement dit que c'était une mauvaise idée de laisser seules avec le navire les deux dernières arrivées. Auxquelles il ne faisaient pas confiance. Lui et les quatre autres mecs qui le suivaient cahin-caha entre les rochers qu'ils bravaient comme ils avaient dû braver l'autorité des femmes fatales qui tenaient l'équipage. À moins que ce ne soit elles qui justement ne faisait pas confiance à l'une des deux voire au deux. Et comment les en blâmer ? Maya et Rachel restaient en effet les deux loups dans leur bergerie. Même si chacune ignorait l'identité de l'autre. Pour l'instant tout du moins.
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