Sören avait travaillé très dur pour pouvoir rejoindre l'expédition. Au domaine, son père l'avait d'abord accueilli avec méfiance, comme s'il redoutait un mauvais coup. Mais la vue de l'argent confié par Tahar l'avait aussitôt rassuré. Comme prévu.
D'ailleurs, Jörgen était allé jusqu'à prendre son fils dans ses bras en riant, en le félicitant sur sa manière de gérer la publicité... Deux bouteilles de Grand Cru Hurlevent en une seule journée, il fallait bien dire que c'était un événement ! Surtout depuis quelques années, comme si un malheur ne devait jamais arriver seul. La famille avait plus que jamais besoin de faire des bénéfices.
En guise de récompense, le père n'avait donc pas vraiment posé de questions lorsque le garçon s'en était allé avec les bouteilles en disant qu'il ne rentrerait probablement que le lendemain. Les vignes avaient été traitées, et l'absence d'un des garçons de la propriété était un moindre mal. D'autant plus qu'il s'était mis à pleuvoir et que le sol détrempé ne permettrait qu'un désherbage pénible et inefficace. Oui, pour une fois, se disait le vigneron, mieux valait lâcher un peu de lest. Brom avait raison sur un point : le petit n'avait rien d'un fainéant. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de songer qu'il ne reprendrait certainement jamais l'exploitation, pas davantage qu'il ne s'occuperait de lui et de sa femme, lorsqu'ils auraient vieilli. Il sentait que son fils avait la bougeotte, la maladie du voyage et du vagabondage. Une honte pour un enfant de la terre.
Il haïssait cette fatalité, et bénissait par le même temps la fertilité qui était la sienne et qui lui avait donné bien d'autres fils, plus tranquilles et aussi peu enclins à la paresse.
Ce fut donc un Sören victorieux qui se présenta à bord du navire dépêché par la marine. Il ne remarqua pas le regard intrigué des militaires, et l'allure sombre de leur nouveau supérieur n'était pour lui qu'un élément du décor épique qu'il avait fantasmé pendant une bonne partie de la nuit. Brom l'accueillit avec un sourire complice.
-J'suis là ! J'suis pas en r'tard, hein ? Eh, m'sieur Tahar ! J'ai vos bouteilles ! Grand Cru Hurlevent 1604 et 1607, nos deux meilleures années dans ce... oh, vous m'écoutez ? Bah, pas grave. J'vous les mets dans la cambuse ! Et puis j'reviens !
Tout excité, Sören s'en alla en cuisines, ignorant le personnel comme s'ils n'étaient que de simples figurants, et dissimula les précieuses bouteilles derrière des sacs de lentilles et de pois cassés. Mieux valait pour la bourse de Tahar que d'autres ne les remarque pas avant qu'il ne vienne les récupérer. Bien que jeune, le garçon avait conscience de ce qu'était l'argent. Il avait connu la faim, trois ans auparavant. Et il avait deviné que l'officier était très loin d'être un riche. Il ne pourrait se permettre de racheter du vin si celui-ci venait à se perdre.
Lorsqu'il s'en retourna sur le pont, le petit paysan eut l'immense plaisir de constater que le navire avait appareillé. Sous le crachin salé de l'océan, les marins s'activaient sous les voiles. Sans demander l'avis de personne, Sören donna la main à ceux qui faisaient l'impression d'être en peine. Il n'avait rien d'un mousse, mais les quelques foires aux bestiaux où il s'était rendu par le passé lui avaient appris les bases de la navigation. Ses efforts étaient louables et plutôt appréciés, mais lorsque Brom se mit lui aussi au travail, il ne resta plus guère d'ouvrage pour les autres. Bien que vieillissant, le berger demeurait redoutable dans des domaines aussi nombreux qu'insoupçonnables.
A cette pensée, le garçon fronça les sourcils. Ce devait être étrange pour un ancien pirate que de se retrouver à naviguer sur un navire de la marine... D'autant plus que, parmi les militaires, il y avait un vieux. Suffisamment vieux pour avoir connu le personnage sous d'autres atours... Mais pour l'heure, le concerné se contentait de fixer une encablure avant de regagner la cambuse d'un pas assuré par l'expérience. Il avait un équipage à nourrir.
D'ailleurs, Jörgen était allé jusqu'à prendre son fils dans ses bras en riant, en le félicitant sur sa manière de gérer la publicité... Deux bouteilles de Grand Cru Hurlevent en une seule journée, il fallait bien dire que c'était un événement ! Surtout depuis quelques années, comme si un malheur ne devait jamais arriver seul. La famille avait plus que jamais besoin de faire des bénéfices.
En guise de récompense, le père n'avait donc pas vraiment posé de questions lorsque le garçon s'en était allé avec les bouteilles en disant qu'il ne rentrerait probablement que le lendemain. Les vignes avaient été traitées, et l'absence d'un des garçons de la propriété était un moindre mal. D'autant plus qu'il s'était mis à pleuvoir et que le sol détrempé ne permettrait qu'un désherbage pénible et inefficace. Oui, pour une fois, se disait le vigneron, mieux valait lâcher un peu de lest. Brom avait raison sur un point : le petit n'avait rien d'un fainéant. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de songer qu'il ne reprendrait certainement jamais l'exploitation, pas davantage qu'il ne s'occuperait de lui et de sa femme, lorsqu'ils auraient vieilli. Il sentait que son fils avait la bougeotte, la maladie du voyage et du vagabondage. Une honte pour un enfant de la terre.
Il haïssait cette fatalité, et bénissait par le même temps la fertilité qui était la sienne et qui lui avait donné bien d'autres fils, plus tranquilles et aussi peu enclins à la paresse.
Ce fut donc un Sören victorieux qui se présenta à bord du navire dépêché par la marine. Il ne remarqua pas le regard intrigué des militaires, et l'allure sombre de leur nouveau supérieur n'était pour lui qu'un élément du décor épique qu'il avait fantasmé pendant une bonne partie de la nuit. Brom l'accueillit avec un sourire complice.
-J'suis là ! J'suis pas en r'tard, hein ? Eh, m'sieur Tahar ! J'ai vos bouteilles ! Grand Cru Hurlevent 1604 et 1607, nos deux meilleures années dans ce... oh, vous m'écoutez ? Bah, pas grave. J'vous les mets dans la cambuse ! Et puis j'reviens !
Tout excité, Sören s'en alla en cuisines, ignorant le personnel comme s'ils n'étaient que de simples figurants, et dissimula les précieuses bouteilles derrière des sacs de lentilles et de pois cassés. Mieux valait pour la bourse de Tahar que d'autres ne les remarque pas avant qu'il ne vienne les récupérer. Bien que jeune, le garçon avait conscience de ce qu'était l'argent. Il avait connu la faim, trois ans auparavant. Et il avait deviné que l'officier était très loin d'être un riche. Il ne pourrait se permettre de racheter du vin si celui-ci venait à se perdre.
Lorsqu'il s'en retourna sur le pont, le petit paysan eut l'immense plaisir de constater que le navire avait appareillé. Sous le crachin salé de l'océan, les marins s'activaient sous les voiles. Sans demander l'avis de personne, Sören donna la main à ceux qui faisaient l'impression d'être en peine. Il n'avait rien d'un mousse, mais les quelques foires aux bestiaux où il s'était rendu par le passé lui avaient appris les bases de la navigation. Ses efforts étaient louables et plutôt appréciés, mais lorsque Brom se mit lui aussi au travail, il ne resta plus guère d'ouvrage pour les autres. Bien que vieillissant, le berger demeurait redoutable dans des domaines aussi nombreux qu'insoupçonnables.
A cette pensée, le garçon fronça les sourcils. Ce devait être étrange pour un ancien pirate que de se retrouver à naviguer sur un navire de la marine... D'autant plus que, parmi les militaires, il y avait un vieux. Suffisamment vieux pour avoir connu le personnage sous d'autres atours... Mais pour l'heure, le concerné se contentait de fixer une encablure avant de regagner la cambuse d'un pas assuré par l'expérience. Il avait un équipage à nourrir.