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Rempli d'amour pour la haine et plein de haine pour l'amour

Rappel du premier message :

Le 27 août 1623.

Le regard rempli d'incrédulité, Sören fixait le marchant qui lui faisait face, poings sur les hanches, visiblement très agacé.

-C'est quoi, le problème ? J'ai rempli ma part du contrat, 'faudrait voir à honorer la votre. J'ai un criminel à pister du côté de South Blue, moi !
-Ah ouai ? J't'ai pas souvent vu défendre le navire contre les pirates. Et c'était le marché.
-Pas ma faute si vot' navire était pas assez brillant pour attirer l'forban. La prochaine fois, si vous insistez, j'donn'rais le mot à toute la racaille du port. Et puis 'faudra faire dans l'clinquant et l'rutilant. Une vieille barrique flottante attire pas son voleur.

L'air passablement ennuyé, retenant un bâillement, l'homme hocha la tête, l'esprit occupé à autre chose.

-Les affaires sont les affaires. Nous avons de bonnes propositions ici, alors, notre départ attendra la quinzaine. Nous n'avons pas parlé de délais dans le contrat, petit. Si tu ne peux pas attendre, c'est ton problème.
-J'peux pas vous forcer la main. Mais comptez pas sur moi si y vous arrive une embrouille. J'me trouv'rai un autre navire. A bon entendeur.

Après avoir passé quelques mois à resserrer les liens avec ses vieux amis de North Blue, Sören s'était décidé à repartir pour un second grand voyage, dans l'espoir de trouver enfin des compagnons solides avec lesquels il pourrait espérer partir s'aventurer sur Grand Line. Il n'avait rien à espérer d'un royaume qu'il ne connaissait pas, et dont il n'avait pas entendu que du bien. Ceci dit, il n'avait pas le choix. Le navire avec lequel il était venu était le seul en présence à être étranger. Ses poches étaient vides, en plus, ce qui ne lui laissait pas le choix. Il devrait faire le spectacle pour pouvoir manger et dormir le soir venu.

Il passa donc l'enceinte de la cité, et fut accueilli, à son grand étonnement, par une odeur de crasse et de pourriture. Un parfum qui n'avait rien à voir avec ses pieds nus, pourtant porteurs de la souillure d'une semaine en mer. Partout, les gens avaient l'air de mendiants à un point tel que lui, avec ses vêtements de vagabond, donnait l'impression d'appartenir à la caste du dessus.
Les chats qui avaient commencé à s'agglutiner autour de lui étaient faméliques, et le poil leur manquait. La gale était le lot commun des uns et des autres.

Touché par tant de misère tout en demeurant pragmatique, le garçon poursuivit son chemin vers le centre de la ville. Il ne gagnerait rien à faire le spectacle en pareil endroit. Car il était bien décidé à commencer par là. Il ne connaissait pas Goa, et la musique était un excellent moyen pour amorcer le tissage d'un réseau de sympathie.

Après n'avoir vu que des ruelles sales et grises pendant près d'un quart d'heure, il parvint finalement à atteindre un quartier des plus corrects, où se pressaient des commerçants affairés, ainsi que ce qui s'apparentait à une petite bourgeoisie proprette et distinguée. Sören esquissa un bref sourire, en caressant Morgan qui ronronnait sur son épaule. Il avait trouvé l'endroit idéal. Quoique... en regardant bien, les bâtiments du dessus avaient l'air plus fastueux. Ici, les gens travaillaient. Là-haut, peut-être s'ennuyaient-ils dans le luxe. Après tout, s'il se faisait rejeter, le barde redescendrait d'un échelon et reprendrait son bouzouki. La vie d'un musicien itinérant était plutôt simple, dans ces grandes cités à castes...

Finalement, il fût heureux de constater la justesse de son jugement. Il marchait sur une grande rue pavée aux motifs floraux, en compagnie de dames en longues robes à traine et de messieurs en costumes et cannes sculptées. Tout ce beau monde feignait de ne pas le voir, mais Sören souriait. Visiblement, personne n'était pressé dans sa routine. L'endroit était vraiment parfait.

Avisant un grand portail en fer forgé, le chasseur posa son unique bagage, et entreprit d'accorder son instrument. Autour de lui, une cohorte de chats appartenant aux trois différents niveaux de la cité faisait masse. Le ronronnement était tel que certains curieux, en passant, jetaient un regard inquiet vers le ciel bleu et lourd. Août, le mois des orages...


-Très bien ! Approchez, approchez ! Les petits devant, les grands derrière, approchez !

Mais personne ne s'était approché, au contraire. Les passants en beaux atours avaient même accéléré le pas, en s'efforçant bien de ne pas regarder le barde dans les yeux. Un brin perplexe, mais nullement décontenancé, celui-ci se mit à aligner quelques accords de base sur son bouzouki. Le point de départ d'une ballade aux nobles paroles, qui ne pouvait que séduire la faune locale. Quelque chose à propos d'un bel amour réunissant deux grandes familles qui se querellaient depuis des générations... Mais si les chats se balançaient langoureusement au rythme de la musique (ce qui, en soit, constituait déjà un spectacle), la foule restait de marbre. Certains s'étaient figés, mais leurs yeux étaient trop occupés à détailler l'apparence du malheureux barde pour que leurs oreilles puissent rapporter à leurs cerveaux la présence continue d'une vibration musicale.

Sören persévéra encore sur un morceau, puis un autre. Une foule aussi compacte que dégoutée s'était constituée autour de lui. Certains auraient pris cela pour une victoire, mais il était difficile de ne pas sentir la gêne monter des rangs en même temps qu'une certaine agressivité. Mais soudain, un bruit assourdissant domina la musique. On aurait cru celui d'une carriole de foire avec rubans, clochettes et grelots, menée par trois percherons.

En fait, ça n'était pas loin d'être cela, puisqu'il s'agissait d'un carrosse de conte de fée qui tentait de se frayer un chemin sous les exhortations d'un grand personnage maigre à la moustache taillée en pointe.


-Diantre, mais enfin, poussez-vous ! On ne peut même plus rentrer chez soi ? Aller, aller ! Enfin, pour qui vous prenez-vous ? Place ! Place !

Mu par un seul et même mouvement, l'ensemble des chats se retourna en direction de la source du tumulte qui venait d'arrêter net une chanson qu'ils avaient l'air d'apprécier particulièrement. Quelques fourrures se gonflèrent sous les feulements et les crachats, tandis que le carrosse dispersait les badauds endimanchés. Chacun s'en retourna chez soi, en essayant de préserver le maximum de dignité dans son maintien. Sören avait reposé son instrument, et s'apprêtait à décaler ses affaires pour laisser l'équipage passer la grille. Mais celui-ci ne lui en laissa pas le temps. Le barde eut tout juste le temps de se jeter sur le côté avec son précieux instrument tandis que les chevaux piétinaient ses affaires. Rien de bien précieux, mais en revanche, l'un des chats de la ville basse s'était retrouvé sous les roues du carrosse, et miaulait plaintivement en laissant son poil frémir une dernière fois sur son corps efflanqué. Le sang de Sören ne fit qu'un tour, et il peina à masquer la colère de sa voix.

-Eh, là ! Faudrait voir à surveiller vos sacrénom de manières ! Oh...

L'homme ne daigna même pas le regarder, lorsqu'il lui répondit. Mais Sören n'écoutait pas. Il était allé rechercher le cadavre du félin, bien décidé à aller l'enterrer quelque part. Seulement, ce faisant, il bouscula accidentellement le noble qui venait de descendre de calèche, pour ouvrir les grilles de sa propriété. Un acte d'autosatisfaction, dont il n'accordait le bénéfice qu'à lui-même.


Dernière édition par Sören Hurlevent le Sam 24 Nov 2012 - 13:31, édité 1 fois
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    Quelques pas seulement jusqu'a la trappe si proche... Mais c'est connu, c'est toujours les plus petites distances qui sont les plus longues à franchir...

    Morgan est déjà sur la trappe et se retourne vers toi quand tu le vois feuler de rage. Mais tu n'as pas le temps de te retourner qu'un claquement sec retentit et qu'une lanière vient s'enrouler autour de tes jambes, te faisant trébucher et tomber au sol. Habitué de ce genre d'exercices tu ne fais que rouler pour te relever aussitôt et faire face...

    -Franchement, vous pensiez vraiment pouvoir me voler mes chats ? Vous êtes ridicule...

    Rempli d'amour pour la haine et plein de haine pour l'amour - Page 2 Wednesday-addams-by-lazy-legend-d3fr0qj_imagesia-com_6isb_large

    La gamine qui te fait face ne doit pas avoir quatorze ans, mais la froideur, l’indifférence et le mépris que tu ressens dans sa voix a déjà de quoi te glacer le sang. Elle se tient bras croisés face à toi, aussi hautaine et sure d'elle qu'on peut l’être quand on a vécu toute sa vie entourée d'esclaves dociles et obéissant et accompagné par un énorme garde du corps ayant plus de points commun avec un monstre de foire qu'avec un être humain...

    Un garde du corps qui enroule machinalement le fouet qui lui a servi à t’arrêter tout en regardant la scéne avec un détachement et une absence d’intérêt tout ce qu'il y a d'inhumain. Encore un de ses esclaves si endoctriné qu'il n'a plus aucun libre arbitre...

    -Igor... Reprends lui mon chat... Et fais le crier, je veux qu'il ait mal... Mais fais attention de ne pas le casser, je veux jouer avec lui après...
    Le faire crier, hein ? Comme si ça gueulait pas encore suffisamment en lui. Pour lui glacer le cœur, elle l'avait fait, la petite garce. Assez pour le pousser à prendre des décisions froides. A côté desquelles le légendaire royaume de Drum, c'était de la rigolade.
    Le regard creux, le maître fouet toisait Sören en faisant siffler son arme. Mais son regard à lui était bien plus noir que le sien. Quelque chose qui faisait mal et qui faisait peur, au milieu de sa barbe blonde mal peignée et de ses traits ronds.

    Au loin, la brigade des mille et uns miaulements arrivait, stimulée par une présence étrange et attirante à laquelle ils n'étaient pas accoutumés.

    Le chasseur ne les attendit pas pour agir. Un pas, deux pas. Il évita un coup rasant, et frappa le grand à l'entre-jambe. Bien, d'être petit. Bien, de voir combien c'était facile et rapide de voir ses propres principes fracassés par la nécessité.

    Et pendant que le fouettard grogne ou gémit, au choix, c'est la serpe du Sören qui vient caresser la gorge de la princesse. La princesse qui a pas l'air de comprendre, qui croit qu'elle domine toujours. Qui menace, qui parle de sévices auxquels son agresseur n'aurait même pas pensé. Lui, tout ce qu'il voulait, c'était partir. Tenir ses engagements, rester droit. Le plus droit possible. Mais elle est là, avec son garde qui se relève, qui croit pas au danger qu'il représente pour sa maîtresse. Lui, il ne veut pas la tuer, il ne veut tuer personne. Ça n'a jamais été son intention, de décider du sort des autres.

    C'est dans des moments comme ça que l'on peut se rendre compte que l'on est jamais vraiment parti de l'île natale. Qu'on a pas encore enterré les vieux principes de l'enfance. Qu'on a pas compris qu'il y avait des situations, où, quel que fût le choix, il serait mauvais.

    Buter la gamine et castrer le grand. Ou se laisser faire, perdre du temps, mettre en péril sa propre vie, l'idée que l'on se fait de la justice, et peut-être presque deux-cent esclaves en attente d'un paladin pour les aider à combattre. Ils n'avaient peut-être pas vraiment besoin de lui. Mais il avait promis qu'il jouerait les fédérateurs et les spadassins.

    En gros, une promesse, Morgan et la liberté contre la vie d'une sale môme et les couilles d'un gros con.

    Pour un Sören à bouts de nerfs, de fatigue et de colère, le choix était vite fait.

    La fille s'effondra sur le sol à ses pieds, comme une poupée de chiffon, sous les hurlements terrorisés de son esclave. Le sang qui tâchait le sol ne pouvait pas le tromper.
    Masque de fer ne parlait pas vraiment. Il beuglait, grognait, gémissait. Facile de comprendre pourquoi, on lui avait tranché la langue. Sören allait le priver d'autre chose quand les chats débarquèrent pour se jeter sur lui, sentant sans doute le danger qu'il représentait pour leur idole du jour.

    Braves bêtes. Père fouettard commençait à peine à se remettre du choc que son ennemi avait disparu.





    Dernière édition par Sören Hurlevent le Lun 25 Mar 2013 - 11:50, édité 1 fois
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    Après quelques minutes de course effrénée au milieu des cris et des larmes, Sören s'était retrouvé dans le dédale des galeries. Il avait bien failli se perdre, mais heureusement, les convoyeurs étaient bruyants. Il déboula dans leurs rangs comme un fou, les vêtements tâchés de sang, les yeux cernés, les cheveux en bataille. Même son sourire avait quelque chose de trop excessif pour être rassurant. Heureusement qu'une clameur venue des voltés vint rassurer ceux qui n'étaient pas encore au courant de ce qui se tramait. Chacun lâcha son fardeau. Le chasseur réclama le silence, de sa voix rauque et forte dont il aimait user lorsqu'il jouait les contre-maîtres. Le boyau, éclairé par des torches dont le suif encrassait les poitrines et faisait tousser ceux qui y travaillaient, lui renvoyait l'éclat de sa propre voix. En cet instant, il avait le pouvoir.

    -Les gars, comme certains d'entre vous l'savent déjà, on quitte c'royaume de mes couilles ! Pour ça, j'sais qu'c'est pas évident, mais tout a été pensé. Vous d'vez faire c'que j'dis. J'vous protègerais autant que je l'pourrais, parole d'honneur !

    Certains râlaient un peu, beaucoup s'inquiétaient des représailles. La menace des nobles avait troublée les nouveaux venus, qui n'avaient aucune connaissance de la Volte. On ne pouvait pas trier les évadés potentiels sur le volet. Ce n'était pas dans l'idée. Il fallait accepter le risque de voir un nerveux tout faire rater.

    Ou accepter de l'abandonner, proprement égorgé. Porteflamme avait été clair : la liberté à tout prix. Même si elle ne devait s'acquérir, pour certains, que dans la mort. Sören avait accepté l'évidence quelques minutes plus tôt. A présent, il savait qu'il ne reculerait plus devant rien, quitte à se flinguer quand tout serait terminé.


    -A l'heure qu'il est, les gardes ont d'jà bouché les issues, des deux côtés. Y vont remplir d'eau pour nous noyer comme des merdes. Mais on a une voie d'secours, qui va nous m'ner à not' navire sauveteur. Ceux qui sont au courant pass'ront d'vant. Mais avant : tous à poil. J'veux plus voir une nippe portée. Goa pense qu'on a un allié qui fait disparaître les corps. C'est not' chance pour éviter les renforts et les poursuites.
    -Et le bateau ? Pas gardé ?
    -... si.

    Le regard du garçon conserva sa fermeté. Il savait que la sale journée n'était pas finie, qu'elle lui réservait encore son lot de contradictions et d'atrocités.

    -Y'aura qu'ceux qui contrôlent les réparations. Les autres s'ront centrés sur l'boyau, hors de vue du chantier. Nous n'aurons que que'ques minutes pour tous les massacrer avant d'nous planquer à bord après avoir appareillé. C'la condition pour leur faire croire au tour de magie. Et épargner ceux qui rest'ront, autant qu'possible.

    Un bref silence, des protestations. Des cris de joie furieuse, aussi, rien qui suffise à écarter les brumes qui s'étaient de nouveau emparées du cœur du chasseur. Il tuerait encore aujourd'hui, la chose était claire. Il ôterait la vie méthodiquement, pour la cause qu'il avait choisie d'embrasser. Pour Morgan. Finalement, il ne valait pas vraiment mieux qu'un autre. Il était capable de tout les excès lorsque les conditions l'exigeaient. Ses propres principes n'avaient pas été un rempart assez fort.

    La révélation finale de cette réalité glacée ne suffit pas à le décentrer de l'instant. Il avait encore beaucoup à faire, avant d'avoir le droit de méditer. De s'en vouloir pour ce qu'il n'avait pas encore commis. Qu'il n'aurait peut-être pas à commettre, si quelques-uns de ses compagnons du jour étaient de vrais assassins. Qu'il commettrait tout de même, en faisant cause commune avec les mains qui se souilleraient. Qu'il avais déjà commis autrement, un peu plus tôt, sur une gamine.

    Il soupira, en imitant les esclaves qui jetaient leurs loques serviles au sol, avec rage, peur, ou sans rien. Beaucoup ne suivaient que par réflexe, par instinct grégaire. Comme les moutons du troupeau de Brom. Si les choses venaient à tourner, ils se rangeraient du côté des plus forts.

    La volonté de ne jamais avoir à souffrir est la volonté des faibles.
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    Ils sortaient du tunnel comme des taupes hors de leur trou. Aveuglés par la lumière, un peu hagards, allant nus et sans armes. Sören fermait la marche, et quelques hommes de la Volte guidaient les plus vaillants en avant, au combat.
    Des protestataires, il y en avait eu. Certains continuaient de redouter davantage la mort que leur condition actuelle, qui s'en rapprochait pourtant. Des sous-hommes, serviles, et lâches. Voilà ce que Goa avait voulu faire d'eux. Mais fort heureusement, il était des volontés que rien ne pouvait broyer. A part la faim, peut-être. Mais les nobles ne gagnaient pas grand chose à affamer de trop leurs esclaves.

    Et surtout, la Volte avait su fédérer les esprits les plus forts pour leur enseigner la patience, et l'art de mordre quand la main tendue pour frapper n'était pas gantée de fer.

    Ces esprits forts, ils s'étaient jetés sur la galère affrétée alors que les travailleurs se rebellaient à leur tour. De son côté, le chasseur pressait les retardataires. Ça criait dans le boyau, les vannes allaient être ouvertes. Et il était sensé refermer le sas, et déclencher les explosifs...


    -Bougez-vous, bordel de merde !
    -Nous donne pas d'ordres.
    -J'sais c'que j'ai à faire, connard. Avance, si tu veux pas crever ici.
    -Ça commence à bien faire, ces manières ! Peut-on au moins savoir qui vous envoie ? La marine ?
    -J'aurais l'droit d'vous expliquer quand on s'ra à l'abri. Et j'suis prêt à promettre que j'le f'rais. Mais courrez, et en attendant, posez pas trop d'questions, j'vous jure qu'c'est dans not' intérêt à tous. Et aussi dans c'lui d'ceux qui restent.
    -Moi, je partirais pas sans ma femme. Et elle n'est pas avec nous.
    -Gars, t'as pas compris. Tu marches, ou tu meurs.

    Dans le regard du chasseur, il y avait suffisamment d'arguments pour convaincre n'importe qui que ce qu'il venait d'affirmer, ce n'était pas de la blague. Ceux qui feraient les fortes têtes seraient abandonnés. Et le jeune homme se sentait assez vide et creux pour faire n'importe quoi, du moment qu'il quittait Goa.

    -Alors on est d'accord. Passez d'vant, j'ferme.

    Coupant court à toute protestation, Sören referma la lourde porte, et actionna le levier supposé déclencher les explosifs. Les esclaves qui avaient réussi à concevoir le passage étaient de sacrés ingénieurs, c'était certain.

    -Alleeeer, vindieu ! Attendez pas qu'ça saute, on va louper l'coche si vous continuez à jouer les couilles molles !

    * * *

    Sur le bateau, le combat faisait rage. Les gardes étaient peut-être un peu plus nombreux que prévu, et mieux armés. Lorsque Sören arriva enfin, une douzaine d'affranchis gisaient au sol, les mains crispés sur leurs blessures. Le chasseur cligna des yeux devant l'horreur. Certains avaient été amputé d'une jambe ou d'un bras, châtiment préféré des esclavagistes désireux de limiter les fuites. On ne tue pas, on réduit juste un peu plus l'homme. On le découpe, on lui fait sentir à quel point il n'est rien d'autre qu'une sorte d'outil mobile, susceptible d'être raboté ou brisé en cas d'état défectueux.

    Dans les yeux du garçon, une rage nouvelle venait de s'allumer. Il ne combattait plus pour Morgan, mais il était prêt à tuer pour ses frères humains. Il se jeta dans la bataille avec une sauvagerie que n'aurait pas renié le grand Belzébuth, seigneur et maître de tous les chats. Feulant, criant, riant comme un fou, il esquivait, feintait, offrait des ouvertures aux plus vaillants. Plusieurs matons tombèrent, la gorge tranchée. Cela suffit à donner à regain de courage aux rebelles qui achevèrent la partie la plus sale de la besogne. On exécuta, froidement, sans laisser de seconde chance. Les sous-hommes agissaient comme on le leur avait appris : sans y mettre de cœur, méticuleusement, et en oubliant l'honneur.

    Les voltés survivants qui connaissaient la galère s'occupèrent de poster les rameurs, tandis que Sören s'activait autour de l'unique voile. Le travail de mousse, il connaissait. Ses gestes étaient efficaces, les coups de rame, vigoureux.

    Et l'alerte sonnait tout juste dans le port que le navire était en route vers l'horizon.


    -Mec, j'm'appelle Sam.
    -Oh, c'est vrai qu'on peut, maintenant. Lundvik, mon ami.
    -Ouaaaais, les gars ! Souquons, souquons ferme ! Et 'pouvez tous m'appeler Belmud, maintenant !

    Une clameur terrible porta les planches de la galère plus fort, plus avant. En haletant entre deux coups de rame bien rythmés, tous les voltés scandaient leur nom, l'identité qu'ils avaient gardé secrète pour éviter les représailles en cas de problème. En quittant Goa, ils retrouvaient un peu de ce qu'ils avaient cru perdre à jamais.

    Sören ne se mêla pas à l'allégresse, mais il sentit malgré tout que son vieil optimisme reprenait le dessus, galvanisé par l'espoir général. Il tiendrait bon dans la tempête. Avec, ou sans innocence, qu'importait ? Maintenant, il connaissait le nom du tonnerre et de la foudre. Il savait tout de sa propre force, de la haine et de la colère. Mais il saurait orienter la voile. Il s'en fit le serment silencieux, tout en exécutant un nœud marin.
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      -Une voile, une voile !

      Et dire que tout semblait presque joué...
      Au cri de la vigie tous ceux qui ne rament pas se ruent vers la proue pour tenter comme l'homme du mat d’apercevoir le bateau signalé...

      -C'est une galère !

      Inutile de rappeler qu'il n'y a sur cette mer qu'un seule endroit ou l'on utilise des galères. Et que celles d'ici ne servent qu'aux soldats... Quelle guigne de quitter le port au moment précis ou l'une des patrouilles côtières du Royaume décide de rentrer à la base...

      A l’arrière ou tu te tiens au coté du type qui s'est accaparé le pilotage tu finis comme les autres par apercevoir les voiles à l’horizon. Trois, la ou la votre n'en possède que deux. Un type de la volte te rejoint rapidement, dans sa main une longue vue qu'il s'empresse de déplier pour observer le navire. De ta place, et malgré ses mains levés à hauteur de visage tu le vois pâlir sur place...

      -Non ! Non c'est pas juste !

      Tu tends la main et il se laisse délester de sa longue vue sans sourciller, l'homme est un dur, et pourtant il semble soudain prêt à s'effondrer en pleurant...

      -C'est pas juste putain... On y était presque...

      Ta vision met une seconde à s’accommoder à l'appareil, il t'en faut quelques unes de plus pour trouver et faire le point sur l'adversaire. Une galère qui vue de prêt parait encore plus énorme, tu n'es pas un expert mais tu sais compter, trois mats, à vue de nez prés de cinquante rames, et au moins six pièces d'artillerie sur l'avant la ou la votre n'en compte que deux...
      Un autre homme de la volte vous rejoint pour interpeller le premier...

      -Et quoi ? C'est qu'un bateau. On va l'éviter en l'ignorant et tout ira bien...
      -C'est pas n'importe quel bateau. C'est le Prince De Goa... C'est le bateau de Mendoza...

      La bas la galère vire de bord, te permettant d’apercevoir le capitaine adverse qui comme toi vous observe depuis le château arrière...

      Le Capitaine Commandant Don Armando Adamo Rojas Martinez Mendoza. Le commandant suprême de toute la flotte de Goa, celui que les esclaves considèrent comme le diable en personne et que personne ne surnomme autrement que le boucher de Goa...

      Rempli d'amour pour la haine et plein de haine pour l'amour - Page 2 Mendoza_imagesia-com_6tuo_large

      -Ils virent de bord. Ils savent. Et on ne pourra pas leur échapper... C'est fini. On va tous mourir...
      -On s'calme, les gars, on s'calme !

      A bord de la galère, c'était l'anarchie. Les plus faibles parlaient déjà de se rendre à l'ennemi. Certains s'étaient jetés à la mer et nageaient vers le port, en espérant échapper au Boucher. Sören faisait de son mieux pour imposer son autorité, épaulé en cela par les voltés les plus ardents.

      -Putain, je l'avais toujours dit qu'il fallait pas mêler des couilles molles à un plan pareil ! Tant qu'y'a de la vie, y'a de l'espoir bande de cons ! Mais rev'nez, bordel à queues !
      -Te fatigue pas. C'leur choix, nous, on va tout faire pour s'en tirer.
      -Quoi qu'il arrive, moi, je finirais la journée en homme libre.
      -Range ton sens du tragique dans ta poche cinq minutes, mec. A cette distance, on a deux minutes pour prendre une décision. Et moi j'dis, les attaquer. Et tant pis si on crève tous.
      -Non, ça, c'est le dernier recours. Écoutez-moi. J'ai bossé sur les navires un moment, vu que je suis charpentier de métier. Le Prince de Goa n'a pas de canons latéraux, comme la plupart des galères. Juste une tour à la proue, qui couvre une aire de tir de deux-cent soixante degrés. Autrement dit, tant que nous nous tenons à la poupe, et que nous manœuvrons bien – ton rôle, Sam, je crois que t'étais bosco ? - on peut leur faire assez mal pour les pousser à abandonner.
      -Et on va pas être sous les tirs ? 'Doivent être un peu plus qu'armés...
      -Il y aura des morts. On a le bastingage pour nous protéger, un petit canon à la proue, et un énorme avantage niveau mobilité. Si on garde assez de rameurs, et un vent favorable.

      -Moi, je suis.
      -Évidemment qu'on suit ! En plus, on est débarrassé des lâches !
      -La vooooolte !

      Aussi vrai qu'il manquait une cinquantaine d'hommes à l'appel, il restait encore largement assez de bras pour occuper les cent postes de la galère. Postes qui avaient l'avantage de se situer sur des tranchées pratiquées en bordure de pont. Les ordres pouvaient être donnés par un seul homme, ceux qui se chargeaient des voiles et de la barre seraient aussi réactifs que les rameurs. Les poitrines se serraient, le désespoir se changeait peu à peu en une nouvelle force. Ceux qui n'avaient pas fui étaient pour la plupart des braves ou des voltés, ce qui était loin d'être incompatible.

      -Tout le monde à son poste ! Ceux qui savent pas ni se battre, ni naviguer, aux rames ! Les matelots, aux voiles, les combattants, sous les ordres du blondinet !
      -Hein ?
      -Un problème ? Quoi, tu vas pas laisser un charpentier et un dramaturge mener l'attaque, quand même ?
      -Ouais, pardon. Avec moi, les gars !

      Dans les rangs de Sören, il y avait une vingtaine de costauds, plus une femme. Plusieurs la regardèrent avec soupçon, mais son regard restait fier et sans peur. Le chasseur ne s'attarda pas à juger, il ne pouvait s'en offrir le loisir. Et puis, Morgan ronronnait sur son épaule, ivre de bonheur et indifférent aux circonstances.

      -Bon, on s'est occupé de l'armement en pensant faire face à quelque chose de léger. Mais on a quand même quelques fusils. Qui sait tirer ?

      Plusieurs mains se levèrent, mais pas celle de la femme.

      -Quoi, ne me dis pas que tu es canonnière ? Faut être sacrément costaud.
      -Je suis pas canonnière. Mais j'ai besoin de trois hommes avec moi.
      -Pardon ?
      -Je faisais partie des rabatteurs de gibier de la famille De Grammon. J'avais pour devoir de m'occuper de l'entretien des arcs. Vu que je fais partie de la Volte, j'ai été prévenue et j'ai réussi à me greffer à l'équipe de déchargement. Mon maître était trop occupé à organiser sa prochaine réception pour se rendre compte de mon absence, et de celle d'une petite partie de son matériel.
      -Trois arcs et des flèches...
      -Tu sais s'il y a de l'huile de lanterne à bord ?
      -Oh putain... Trois mecs avec elle ! Et un au moins qui sache faire la poix des torches, et allumer un feu ! Ceux qui restent, au canon !

      La galère avait récupéré un mouvement fluide. Les rameurs étaient rouges, et dégoulinaient de sueur des pieds à la tête. Drôle de spectacle que ce navire mené par des hommes et des femmes au moins à moitié nus. Pour un peu, le capitaine du grand navire de guerre aurait peut-être pu croire à une nouvelle lubie de l'un de ses compatriotes. Mais il était trop tard pour risquer un tel pari. D'autant plus que les escargophones de bord avaient du faire leur office.

      Les deux galères dansèrent l'une autour de l'autre pendant quelques minutes, mais celle des esclaves, deux fois plus petite, gagnait en maniabilité ce qu'elle perdait en puissance brute. D'autant plus que leurs compagnons qui ramaient à l'autre bord étaient très loin de mettre à l'ouvrage le cœur qu'ils y mettaient, eux.


      -Passe le boulet, gars.
      -Restez à l'abri, mais tenez vous prêts.
      -Haaar, haaaar ! Haaaar, Haaaar ! En rythme ! Barre à soixante... à vingt... Abattez derrière, merde !
      -Okay, attend un peu pour l'allumage. Et on s'tient prêt pour les suivantes.
      -On vise la voilure, on est bien d'accord ? Tirez de biais vers le ciel, les flèches iront plus loin.
      -A portée ! A portée ! Virez de bord, faut garder l'angle pour le canon !
      -Allume, on est bon.
      -Feu ! Feu ! Feu !
      -Trempez... Allume... Tirez !

      Le premier boulet se contenta d'effleurer le navire, emportant avec lui quelques rames qui volèrent en éclat. Des cris indignés suivis d'une série de coups de fouet rageurs résonnèrent jusqu'à bord de la galère volée. Mais le vacarme des baïonnettes et des tromblons eut tôt fait de recouvrir le tumulte. Ça gueulait comme ça pouvait, dans les deux camps. Les rameurs des insurgés hurlaient à chaque effort, pour lutter contre les crampes qui leur venaient aux bras et aux épaules. Deux tireurs tombèrent, mêlant leurs sangs à celui qui tâchait déjà le pont, depuis la courte bataille des quais.

      Les flèches enflammées avaient répandu une terreur insoupçonnable. Deux voiles étaient en feu, la galère peinait à maintenir son cap entre les tirs. On cherchait à déplacer les canons mobiles pour trouver un angle à la poupe, on tirait, Mendoza hurlait des ordres sur un ton qui se voulait glacé. Pourtant, les révoltés s'en trouvaient galvanisés. Il était clair que le Boucher n'avait pas souvent eu affaire à de telles péripéties en cours de patrouille. Il était dépassé.

      Mais pourtant, il persistait, et tentait à présent l'abordage. Manœuvre désespérée qui n'échappa pas au regard vif de Sam, qui prit le risque de pointer le navire sur un flanc adverse, évitant ainsi le contact.


      -Allume ! Feu, morbleu, feu !

      Le boulet frappa presque à bout portant. La sciure du bois arraché retomba jusque sur le pont des insurgés. Une poussière rouge, fine, qui collait au dos des rameurs comme des cendres volcaniques. Tous avaient l'air sauvage des mineurs ou des gladiateurs, tant l'effort devenait terrible.

      Mais la riposte vint aussitôt : un projectile s'apparentant à une sorte de nunchaku démesuré fut tiré au canon, et brisa le mat net. Aux dépends des deux matelots qui ne réagirent pas assez vite pour échapper aux conséquences de sa chute. Pour eux, la mort.


      -Banc de gauche : stop ! Stop, putain ! Banc de droite, arh, arh, arh, arh ! Et barre à babord !

      Sous les ordres de Sören, les combattants vinrent remplacer les rameurs les plus faibles. Ce n'était pas le temps de mollir, ni même de chanter victoire. Les cœurs battaient fort, à en faire vibrer la coque. C'était toute la galère qui avançait au même rythme, comme un seul vivant. Un vivant qui cherchait son trou d'air, son océan d'un bleu libre.


      Dernière édition par Sören Hurlevent le Sam 30 Mar 2013 - 10:32, édité 1 fois
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        Surpris par ces esclaves qui refusent de se laisser mater peut être, mais dépassé jamais. Quand on a sué sang et eau pour mériter un surnom aussi claquant que le sien, on ne se laisse pas marcher sur les pieds par une bande d'apprentis pirates. Foi de Mendoza !

        En type exigeant ayant l'habitude des larbins incapables d’exécuter correctement ses ordres Mendoza commence par réprimer... Dégainant sa rapière il loge trente centimètres de lame dans la gorge de l'abruti de maitre de nage visiblement incapable d'imposer la cadence suffisante aux esclaves, attrape le flingue d'un de ses hommes pour abattre un rameur au hasard puis agonit d'injures les survivants, les menaçant des pires tortures s'ils n'arrivent pas à mettre la main sur l'adversaire.

        Le tambour reprend, et les fouets claquent de plus en en plus vite sur les esclaves qui s'accrochent désespérément à leurs rames pour essayer de suivre le rythme inhumain qu'on leur impose. Et suivant les ordres du Commandant, le Prince de Goa se met à virer sur place pour replacer sa proue dans l'alignement de la galère qui lui échappe, manœuvre vitale pour entamer une canonnade sérieuse suivie d'un éperonnage dans les règles de l'art.

        Mais ça ne suffit pas. Et en méchant habitué à prendre les choses en main quand les sbires se révèlent une fois de plus être des abrutis incapables, Mendoza abandonne l’arrière pour traverser le navire d'un pas conquérant. Il piétine un blessé, bouscule et balance à l'eau un matelot qui tarde à dégager le chemin, ignore les flammes et les types qui s'y brule et gravit quatre à quatre les échelons de la tour avant pour y rejoindre son jouet favori.

        Arrachant le drap qui recouvre une forme étrange posée au centre de la plateforme de tir il dégage une baliste à l'ancienne. Une baliste dont le projectile est muni de crocs recourbés pour qu'il soit impossible de l'extraire facilement d'un pont ou d'une coque.

        -A REBOURS !

        Sur un ordre des contremaitres les deux bancs de rameurs inversent brusquement leur mouvement, le Prince de Goa se fige sur place et pivote immédiatement dans l'autre sens, et le temps que la galére de la volte suive le mouvement Mendoza a obtenu son angle de tir. Et un lourd grappin vient perforer le pont du bateau des esclaves. Un lourd grappin équipé d'une chaine qui réduit considérablement les mouvements des deux batiments...

        -Cadence d'éperonnage ! Préparez vous à l'abordage !
        -Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
        -Putain de nom de Dieu, ça y était pas la dernière fois que j'ai briqué le pont !

        Les hurlements indignés ne changèrent rien à l'affaire. La galère avait été tractée en arrière avec la même facilité que s'il s'était agit de l'œuvre d'un géant. La dernière voile, bousculée par le vent soudainement contraire, avait manqué de provoquer le chavirage de tout le bâtiment. Heureusement, il était resté suffisamment de rameurs déterminés et réactifs pour suivre un ordre de Sam qui rétablit un équilibre relatif.
        Mais aussitôt les grappins d'abordage lancés, tous avaient jailli de leur poste avec fureur. La peur première était passée, et leurs cris de rage ne parlaient que de batailles, de revanche, de haine qui brûlait de s'exprimer enfin. Ceux qui n'avaient pas encore goûté au sang réclamaient leur tribut. C'était un bien curieux spectacle, aussi curieux qu'improbable. Même ceux qui tremblaient un peu plus tôt étaient comme transportés par leur première victoire. Plus personne ne voulait abandonner la promesse d'une liberté qui n'avait jamais été aussi proche, aussi palpable.

        Dans cet état d'esprit général, les plus sages avaient perdu toute prudence.
        Au diable les grands principes, au diable la perspective du prix à payer. Il fallait agir, et c'était aussi la pensée de Sören.

        Bien que fourbu et courbaturé, celui-ci avait quitté le canon pour ses serpes encore souillées d'un sang mixte et mal caillé. Et il sentait dans tout son corps ce que devait éprouver le bon soldat porté par ses pairs au cours d'une bataille. Un mélange confus, mais galvanisant de peur et de désir, le tout couplé à une drôle d'impression de toute-puissance.
        Celle des moutons qui marchent dans le même troupeau, et qui se sentent forts face aux loups.

        Sauf que le garçon riait, son chat sur l'épaule. Un rire qui tenait plus de celui du fou que de celui du sage. Car les soldats de Goa étaient parés à l'abordage, la promesse du meurtre dans leurs yeux.


        -Des deux côtés du pont
        Le troupeau est épart
        Les mutins, les matons
        Vivent du mêm' regard.

        Je n'éprouve plus de doutes,
        Mon cœur est vid' de craintes.
        Qu'importe ce qui m'en coûte ?
        Ma fureur s'est éteinte.


        Autour du jeune homme, ça gueulait, ça s'armait, ça mourrait. Mais lui en avait trop encaissé pour pouvoir prendre encore de front. Il s'était réfugié dans sa citadelle intérieure à lui, son cynisme de troubadour. Et il chantonnait, bravache, en ayant l'air de rien et en tuant à tour de lames, pourtant. Les esclaves du Prince de Goa s'étaient soulevés à leur tour, les plus farouches comprenant qu'il leur appartenait de déterminer l'issue de la bataille. Les canons de la tourelle tiraient à l'aveuglette, le navire des insurgés tanguait, percé de toutes parts, les boulets emportant avec lui toujours trop d'hommes.

        -J'esquive, je feule et slack ! Estoc !
        Tu ne vois rien venir
        Mais attends-toi au pire
        Fuis, cours, plonge, nage loin ! Et toc !

        L'âme sourde du vagabond
        Est-c'que tu l'entends battre ?
        C'est le chant du grillon
        Qui fait la joie du pâtre.


        Entre deux attaques encaissées, malgré ses muscles qui se tendaient à l'extrême à chaque esquive, botte, contre-offensive, il y songeait, à ce chant, à cette joie innocente. Et au fond, il savait que jamais plus, elles ne sauraient être vraiment siennes. Il avait tué. C'était une nécessité, il n'y avait rien à regretter. Mais s'il parvenait au bout, il ne serait jamais plus le baroudeur un peu naïf qu'il avait été si longtemps. Peut-être pas un mal.

        Je crie, je crisse, et tu t'écroules ! Encore !
        Je suis un drôl' d'insecte
        Les précieux je débecte
        Puant et purulent, brave pécore !

        En tuant j'ai pleuré
        Mon enfance fanée
        Mon innocence' bafouée
        Et ma fierté flouée.

        Mais Goa la mégère
        A joué les guerrières
        A bord de ses galères
        C'était de bonne guerre.

        Je porterais mes couilles
        Comme j'ai porté leurs bouilles
        La gloire pour les arsouilles !
        Goa sera bredouille !


        Sa chanson, Sören la reprenait inlassablement, guettant la variante propice. Et il esquivait, bloquait, pas toujours avec bonheur. Il se concentrait sur ses propres mots pour ne pas sentir le goût du sang, pour ne pas entendre les cris, pour ignorer le liquide brûlant et rouge qui lui tachait la peau sans possibilité de retour.

        Autour de lui, ses compagnons tombaient les uns après les autres. Beaucoup ignoraient tout du combat, et leur nudité les handicapait prodigieusement. Malgré tout, Sam, Lundvik et Belmud faisaient figure de héros et de meneurs. Ils se protégeaient les uns les autres, et taillaient leur route au milieu de soldats qui n'avaient de cesse de regarder leur noble sang couler. Les galériens survivants avaient changé de camp, et tentaient de s'approcher de Mendoza. Certains, forts comme des bœufs, brandissaient des tonneaux à bout de bras. Et c'était merveille que de les voir enfoncer les rangs ennemis à grands coups de leur chargement dont le contenu se déversait ici et là. Le vin d'épices et le rhum agricole faisaient torrent commun avec le rouge qui imprégnait le pont, et le tout courait au milieu des vivants comme un fleuve poisseux et glissant.

        Sören avait l'impression de mener la danse d'un curieux ballet. Il tourbillonnait, frappait, se dégageait lestement. Et de plus en plus, il fatiguait, se faisait plus lent, encaissait. C'était comme si la bataille durait depuis des heures, il avait perdu le sens du temps. Seule sa chanson lui redonnait conscience du rythme. Une part de lui-même était déjà partie lorsqu'un de ses adversaire vint le frapper au visage, sa lame levée comme un poignard.

        Il n'en eut pas conscience, sa vue s'étant brouillée dans un nuage de sang, mais le terrible capitaine avait pris une balle dans le même temps. C'était ainsi, bien souvent, que mourraient les chefs : d'un tir anonyme, incroyablement bien placé.

        Les derniers soldats furent vite dépassés par le nombre, sans leur chef pour les couvrir du haut de la tour de proue. Ils furent assassinés sans cérémonie, comme des bêtes.
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        A l'issue de cette bataille, il n'y eut ni hourras, ni cris de joie. Plutôt une incrédulité terrible qui s'était abattue sur tous, et qui se répandait dans les cœurs comme une sale traînée de poudre. Des amis de longue date gisaient les uns sur les autres, dans le désordre des corps qui faisaient comme un tapis sanglant sur le le pont de la galère amirale. Et Sören peinait à contrôler le son de cloche qui lui vrillait les tympans, emporté qu'il était par la fatigue, les blessures, et l'absurdité de tous ces morts. Au fond de lui-même, rien d'autre que la certitude qu'il ne pouvait pas s'échapper. Chaque centimètre carré de sa peau était imprégné de pourpre. Il se sentait poisseux, souillé en profondeur. Morgan, qui s'était caché pendant la bataille, frottait sa tête contre sa barbe rendue rêche par tout ce sang versé et épongé. Il sentait la détresse de son compagnon de toujours, avec la sensibilité mystérieuse des bêtes. Mais Sören n'était pas tout à fait lui-même. Ses yeux vides comptaient les rangées de cadavres.

        -Mec, mec, relève-toi.

        Sam, celui qui avait si brillamment mené la galère un peu plus tôt, gisait au milieu du charnier, le visage tremblant dans ses mains moites et rougies. Il avait fait la grande gueule, avait joué les inébranlables, mais c'était sans doute la première fois de sa vie qu'il prenait conscience de la fragilité. La sienne, celle des autres. Et il avait peine à se sortir de sa transe, malgré Lundvik qui le soutenait en chancelant sous son poids.
        Lui, au contraire, avait les yeux qui brillaient d'un éclat que les peintres aimaient donner aux regards des héros. L'horreur, l'absurde, il les côtoyait tous les jours. Le théâtre lui avaient appris à les considérer comme des données vitales, mais incapables de le toucher, lui, l'architecte puissant qui construisait chaque jour son propre fort intérieur, qui traçait des chemins sensés dans les sillons sanglants.

        Sören voyait, sentait cela. Mais il restait immobile, trop exténué pour se trouver encore en proie au doute. Et puis, son esprit poétique dansait encore fort en lui, créant le même type de défenses que celles du dramaturge. Il reprit peu à peu possession de son corps, et replia ses serpes.

        Un peu plus loin, l'exubérant Belmud baignait dans sa moelle, l'échine fracassée. Dans cette masse encore tiède, il n'y avait pas de poings levés. Juste de la chair broyée sans pitié. Personne ne célébrait la victoire, parce qu'elle avait un goût de trahison. Ceux qui vivaient encore, à l'exception de Lundvik et de quelques autres, peinaient à comprendre ce qu'ils faisaient encore debout sur leurs deux jambes. Ou sur leur jambe unique. Voir pas debout du tout, mais vivants quand même.


        -Hé, l'homme au chat. Sören, hein ? Est-ce que ça va ?

        Visiblement, le dramaturge s'évertuait à cheviller les âmes aux corps encore valides. Histoire de reprendre possession de la situation, de donner un sens aux morts, et une chance aux vivants. Le chasseur l'observa, et acquiesça en silence.

        -Ah, bien. Il faut nous presser. Si nous restons plantés là, Goa finira par se douter de quelque chose. Nous ne pouvons pas nous permettre de faire face à une autre bataille. Tu imagines les conséquences ? Mec, regarde-moi, regarde nous. On doit être près de deux-cents à avoir survécu.
        -Ouais. Sam va mieux ? On a b'soin d'lui. Faut voir quelle galère on récupère. Les deux ont encaissé.
        -Sam, on pourra pas compter sur lui. Mais il est pas le seul à être capable.

        Concentré sur la situation, Sören compris. De sa voix puissante, il s'époumona, secoua les nouveaux affranchis, cognant parfois, giflant souvent. La douceur ne règlerait rien. Il fallait piquer au vif, réveiller le bœuf qui s'étonne d'avoir écrasé son fermier sous le coup de la colère.

        Malgré son état, on récupéra la petite galère. Ironiquement nommée « Douceur de vivre », comme le fit remarquer le cynique Lundvik. Les moins invalides reprirent leur poste aux rames, les autres se laissèrent tomber sur le pont. Ou s'y firent transporter.


        -Qu'est-ce que tu fais avec ça ?
        -Y'a plus personne d'vivant à bord d'la grande galère, non ?
        -On est au complet, mais...
        -T'veux qu'Goa récupère l'bâtiment ? On coule, gars, on coule. Et puis, ça f'ra comme une sépulture pour les morts.
        -... tu es dans le vrai. Je vais t'aider.

        En fait, ce furent six hommes qui s'affairèrent autour du canon. Tous avaient troqué la consternation de leur visage contre une expression de froide détermination. Pas un mot de plus ne fut échangé tandis que l'on chargeait et que l'on tirait.
        Tout le stock fut épuisé. Vingt et un tirs, pour qu'enfin le gigantesque navire bascule d'avant en arrière, et soit progressivement englouti.

        Certains rameurs se levèrent et se signèrent. D'autres murmurèrent une prière, un juron, ou rien.
        Et l'on se mit en route, sous les encouragements de Sören, de Lundvik, et des quatre costauds qui avaient aidé au canon.


        -Un peu plus à droite... pardon, à tribord. Oui, c'est ça. Dans la ligne du soleil.

        Ça, c'était Clémentine. La jeune fille à l'arc qui avait survécu, bien que défigurée par une lame de baïonnette dont le sillon lui traversait le visage de l'arcade au lobe de l'oreille. Une antique boussole à la main, une carte marine dans l'autre, elle corrigeait sans cesse la trajectoire que maintenait un Sam silencieux. Heureusement que ses compétences étaient intactes, car son verbe vif, sa présence, son panache s'étaient évaporés.

        -Ça va ? Tu veux que j'prenne le r'lais ? Y'a un gars qui trouvait qu'j'étais trop cuit pour ramer, l'a voulu m'remplacer...
        -Les doc ont pas besoin d'une paire de bras en plus ?
        -Ils ont juste voulu qu'on leur trouve la pharmacie du bateau. Ils veulent pas d'aide, 'disent qu'on risquerait d'faire plus d'mal que d'bien.
        -Et les charpentiers ?
        -Déjà trop nombreux pour la surface d'la cale.
        -Tu devrais dormir, alors. J'ai cru comprendre que tu en avais fait beaucoup.
        -Non, j'me suis jamais senti aussi éveillé.
        -Dans ce cas, je te laisse ma place. Cap sur Orange, d'accord ?
        -Sur Orange.

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