Hinu Town, cette île où il fait chaud tout le temps. Cette île... Cette île qui recèle tant de souvenirs douloureux. Dix ans déjà se sont écoulés depuis que le professeur Leidenfrost y a été assassiné. Un an que le scientifique y est revenu, plein d'amertume, toujours sans réponse à ses questions, mais avec la ferme intention de s'engager activement dans la révolution, de faire ses preuves. Un an passé à ressasser ces souvenirs d'un autre temps, seul dans cette ville où tout semble tourner au mieux, qui ne semble pas se rendre compte de ce qu'il se passe dans ses bas-fonds... Et dans ses hautes strates. Cette ville le rend malade, notre bon révolutionnaire.
Il ne s'y est pas fait d'amis, que des connaissances. Il ne s'y est pas bâti un foyer, juste des endroits où dormir. Il n'y a pas pris de vacances, juste du temps pour laborieusement se former à aider la révolution. Avec ce ninja qui l'attaquait tous les soirs jusqu'il y a peu, exerçant ses réflexes, le blessant parfois, améliorant sa résistance, sans jamais le tuer. Certains révolutionnaires ont des méthodes peu commodes pour entraîner les recrues.
Et puis, il y avait eu cette mission... Complètement inadaptée! Il était un scientifique. Pas un ingénieur. Et qu'est-ce qu'on lui demandait? De prendre des plans incomplets, volés à des scientifiques gouvernementaux, et les compléter, les améliorer, optimiser l'efficacité des machines. Non, mais sérieusement. Ce mec, c'est un gars qui a passé plein de temps à regarder des gouttes sur des poêles à frire et à s'extasier de leur temps d'évaporation long... C'est un mec qui pourrait passer son temps à dessiner les motifs créés par une mousse qui se propage entre deux plaques parallèles... Vous croyez sérieusement qu'il a une quelconque passion à mater un plan avec des bidules partout et à essayer de faire que le rendement du machin soit le meilleur possible? Non. Moi non plus. Lui non plus. On est tous d'accord. Mais pour l'heure, pas l'choix faut y aller, comme disait l'autre.
Et après une semaine à plancher là-dessus, finalement, la solution la meilleure semblait de continuer à réfléchir. Autrement. Changer d'air, oui, c'était pas con comme idée. Un petit passage là-bas, dans la cité portuaire. Prendre l'air de la mer, sortir de l'air vicié de cette cité folle. C'était un peu le secret de tous les artistes en mal d'inspiration, finalement. Sortir des conditions expérimentales foireuses. Et comme tout autre artiste, le scientifique connaissait aussi cette méthode.
La ville portuaire, ceci dit, autant il y avait les mouettes, les embruns, l'odeur d'iode, autant pour le reste, c'était un peu pareil que la capitale. Beaucoup de marines, des gouvernementaux, une administration omniprésente, un ordre excessif, et une certaine pauvreté qui ne choquait personne. Certainement pas les jeunes marines qui viennent ici pour être formés. Enfin bref, c'était une ville.
Et comme je le disais au départ, il y faisait chaud. Très chaud. Il y fait toujours très chaud, d'ailleurs. Et un mec habillé en noir est forcément sensible à cette chaleur. Mais bon, avoir la classe a son prix. Alors il ne se baladait pas trop pendant l'après-midi, ou le moins possible. Il avait quelque peu ses habitudes dans le coin, bien que ce ne soit pas là qu'il résidait la plupart du temps. Mais il connaissait bien cette taverne, légèrement à l'écart du port et de son activité incessante et bruyante. La salle principale ressemblait plus à un préau qu'à une salle. Un toit, soutenu par des piliers ; une large surface, fermée sur un côté, celui qui donnait vers les terres. Un joli panorama. Un décoration simple, d'un goût exotique, avec des arcades sculptées et percées de formes géométriques. Oui, beaucoup de formes géométriques partout. Sur les tapis colorés aussi. Et de la pierre blanche qui permettait à la salle sans lumières de rester assez claire. La nuit venue, des torches et des bougies éclairait l'ensemble.
Ici, pas de piliers de comptoir, et généralement pas de bagarres de pilier de comptoir. C'est l'avantage quand il n'y a pas de comptoir à proprement parler. L'endroit restait calme, trop à l'écart de l'animation, trop sobre, trop traditionnel pour attirer les jeunes fêtards. C'était surtout de vieux habitués, ou des touristes voulant se reposer qui passaient par là. Des gens qui buvaient des liqueurs douces, parfois du vin plus corsé, mais souvent du thé. Des thés épicés qui laissait se répandre une agréable odeur légèrement piquante. Parmi ces gens, Kyoshi Okabe se trouvait là, assis sur un coussin, adossé à un pilier. Sa main encore valide tenait crayon qu'il mordillait régulièrement, l'air songeur, avant de recommencer à gribouiller des formules dans son cahier de notes après avoir jeté un dernier coups d'œil à ces fameux plans.
Un homme en habit traditionnel vint lui apporter un thé. Le petit plateau, la fleur d'oranger, la théière avec des airs de lampe à génie comme on en décrit dans les comptes pour enfants. Le geste de l'homme fut précis lorsqu'il servit le thé dans le verre décoré subtilement. Sa main monta, puis redescendit. Le liquide s'éparpilla en gouttelettes, le jet se dispersa, mais rien ne fut renversé. Il paraît que ça aère le breuvage de faire ça. Bien possible. Quelques gouttes de fleur d'oranger, puis les deux hommes s'échangèrent un signe de tête, et le serveur repartit. Là bas, on faisait confiance au client. Ils payaient toujours.
Le chapeauté toucha le verre. Trop chaud. Alors il plaça sa main au-dessus du verre et regarda la paysage sur lequel la lumière de l'après-midi déclinait doucement. C'est étrange, cette sensation : quand il fait chaud, réchauffer une partie de son corps seulement fait du bien au reste. Un sentiment de plénitude. Oublier les soucis de cette ville, de ce pays, de ce monde. Oublier la révolution un instant, et oublier son problème actuel, les plans devant lui.
Mais il fait chaud...
On y échappe pas.
Dernière édition par Kyoshi Okabe le Dim 30 Déc 2012 - 21:15, édité 2 fois