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Lève toi et marche

    Jour 1

    Depuis Dead End, tout était flou. Je ne me souviens de rien. M’étais-je évanoui ? Mon premier souvenir me vient de mon réveil, dans cet endroit sordide appelé Impel Down, mais je ne savais pas encore que c’était cet endroit. Comme vous devez vous en doutez, ce n’était par de gentils caresses que l’on me réveilla, mais plutôt le contact bouillant de l’eau en ébullition. Un chaudron rouge alimenté par un feu ardent qui maintenant l’eau calcinant. Pour purifier qu’ils disaient. Manquerait plus qu’à ajouter des légumes pour faire un festin… Si primitif et superstitieux. La chaleur qui purifie ? Je croyais que l’enfer était fait de flammes, et il faut passer par ce degré de température pour se purifier ? Un peu étrange comme procédé.

    Mais à ce moment là, je ne pensais pas à ça. Je m’empressais plutôt de sortir de cette marmite avant d’y fondre, pour remarquer que mes vêtements avaient changés. Des habits rayés, comme ceux que portent les esclaves de Tequila Wolf. Cela faisait-il de moi un prisonnier ? Des menottes autour de mes poignets vinrent appuyer cette théorie. Mais où ? Et quand ? Je ne me souviens de rien. J’ai juste mal à la tête, et ça ne fait qu’empirer quand j’essaie de me remémorer. Un peu plus loin, je vis un homme jetait ma chemise dans le feu pour alimenter l’eau purificatrice. Ils avaient donc coupé mes habits… Ma belle chemise…

    On ne me laissa pas finir mon deuil, me poussant pour que j’avance alors que je ne savais même pas où j’étais. J’ai mal à la tête, à mes jambes… Je les regarde, elles sont encore cet aspect calciné de Dead End, mais j’arrive à les utiliser, lentement mais sûrement. Aucun souci me suis-je dis, il me suffisait d’une petite injection pour que toute cette douleur s’envole. Mais mes doigts restèrent normaux, je me sentais faible. Impuissant et faible. Les menottes devaient être en granit marin. Et ils appellent ça un fruit du démon. Démon tu parles, jamais entendu parler d’un démon qui avait peur d’une roche. Malédiction, ça je suis d’accord. Mais là n’était pas la question. Je devais donc faire avec et prendre mon mal en patience.

    Les hommes qui m’entouraient continuaient de me faire avancer, mais je ne faisais pas attention à ça. J’essayais de me concentrer, de me remémorer. Que s’était-il passé ? J’étais à… J’étais à Dead End. Ma tête, elle me fait mal. Mais je dois savoir… D’où viennent ces menottes ? J’étais avec… Il y avait… Tahar. Oui, il était là… Je me souviens… Je vois… un trou dans son torse… Il était affalé par terre. Nous avions perdu la bataille ? Je regarde à droite et à gauche, mais je ne vois mon capitaine nulle part. Est-il mort ? Non, Tahar ne peut pas mourir. C’est le genre de monstre qui violerait Dame la Mort pour l’avoir cherché. Mais il est où alors ? Et je suis où ?

    Je reviens comme de loin, prenant peu à peu mes esprits encore brumeux. Bon, vraisemblablement j’étais prisonnier. Mais de qui ? Par qui ? Les pauvres de Dead End ? Non, comment pourraient-ils avoir du granit marin ? Mais si c’est pas eux, c’est… La tête de Pride Parama, le capitaine corsaire vint clignoter dans ma tête comme une évidence. Le gouvernement ! La marine ! Comme je m’arrêtais, surpris par cette révélation, l’un des hommes approcha sa main dans la ferme intention de me pousser en avant, mais je me décalai en lui criant de ne pas poser ses sales pattes sur moi ! Effet inverse, il me frappa ventre, me faisant cracher du sang. Un chien de la soit disant justice qui lève la main sur ma sublime ? S’il veut jouer, on va jouer. Je relève la tête dans un air de défi, prêt à lui foncer dessus, toute dent dehors, mais un deuxième garde me cogna au visage, me faisant tomber au sol. J’étais pas encore dressé qu’il disait, avant de me ruer de coups pour avoir osé tenir tête.

    Les mains liées, blessé et impuissant, je n’avais d’autre choix que de les laisser faire, tentant tant bien que mal de protéger mes organes, mais avec les poignets dans le dos c’était peine perdu. Le sol fut tâché de sang, de mon sang. Mais il semblerait que le sol soit jonché de sang un peu partout ici. Trop affaibli pour me relever, ils durent me trainer sur le reste du chemin, écorchant ma peau contre les dalles de plus en plus chaudes à mesure que l’on descendait les étages. Mais les étages de quoi ? Entre deux coups j’avais pu apercevoir un étrange symbole sur l’uniforme des gardes. Sûrement un indice sur notre localisation, mais je n’avais jamais été très doué pour ça à l’école…

    Dans ma tête douloureuse, et malgré ma vue un peu trouble, je comptais les étages que l’on traversait. Bizarrement, la température ambiante approchait celle de l’eau divine, mais l’un des gardes signala que cela allait vite changer. Que voulait-il dire ? Nous arrivions au 4ème étage. Plein de prisonniers travaillaient alors que la fournaise semblait prendre sa source dans les environs. C’était ici que j’allais me retrouver ? Non, l’ascenseur continua de descendre. Ce que fit aussi la température, subitement. Mon corps se mit à trembler, passer d’un extrême à l’autre comme ça, c’était un véritable choc thermique. Hormis pour les gardes qui étaient vêtus en conséquence, mais ce petit tissu rayé n’était pas adéquat pour cette situation. Je faisais une crise, mais personne ne semblait y faire attention. Les justiciers du monde ne devaient pas aider les personnes dans le besoin ? J’avais même pas assez de force pour tenir debout, je me mettais à convulser, à voir de plus en plus noir. J’essayais d’ouvrir la bouche pour dire quelque chose, mais aucun son compréhensible n’en sortit. Puis, plus rien. Le néant total.
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    Jour 2


    Froid… J’ai froid… Le noir commençait à se dissiper, mais pas la douleur. Lentement, j’ouvris les yeux, mais les refermais très vite. Il y avait trop de lumière, je n’arrivais pas à voir. Je me redressais d’abord, m’asseyant et me recroquevillant pour minimiser le froid avant de les ouvrir de nouveau. Blanc, du blanc partout. Neige, glace, flocon, Jack Frost était passé par là, par contre le Père Noël ne viendra pas. Il ne va que chez les enfants sages, et tout le monde sait que les enfants qui sont derrière les barreaux ne sont pas sages. A l’évidence, j’étais derrière des barreaux. Une cellule hivernale. De la neige un peu partout, et quelques blocs de glace par-ci par-là. Plutôt spacieux si l’on omettait le confort inconfortable de ce lieu. Il devait s’agir de geôle pour plusieurs. Mais j’étais seul, à part la statue d’un type pas loin de moi. Au moins, il y avait un peu de décoration… Non ? C’est un homme qui a fini congelé ! Est-ce là mon destin ? Mais où suis-je ? J’étais dans une fournaise l’espace d’avant, ce ne pouvait être le même endroit !

    Recroquevillé en boule, sur un bloc de glace, je tentais tant bien que mal de lutter contre le froid. Dehors, je voyais une forêt à l’horizon. On était dehors ? Je levais la tête, mais il y avait un plafond. Le soleil n’était pas là, que des lampes, et je ne le reverrais pas avant longtemps. Peut-être jamais ? Non… Je suis Reyson D. Anstis ! J’ai déjà été souvent dans le pétrin, j’ai déjà endossé ce pagne rayé, j’ai déjà été derrière les barreaux, mais j’avais toujours fini par revoir le soleil. Ils pensaient vraiment pouvoir me garder ici indéfiniment ? C’était bien mal me connaître ! Mais d’abord, je devais me reposer. J’avais mal… Trop mal… Et ce froid glacial, il faisait battre mon organisme au ralenti, comme si je sombrais lentement en hibernation. Un sommeil qui m’attire, la fatigue qui me gagne. Je trouverai une issue plus tard, j’observerais ensuite. D’abord, lutter contre tout ça, mais lutter ça fatigue encore plus. Alors je m’abandonne dans les bras de Morphée sans savoir ce qui m’arrivera.


    Jour 3


    Déjà moins mal, mais toujours aussi froid. En plus de ça, mon ventre se mit à gémir. C’est vrai ça, ne nous donne-t-on pas à manger ici ? Si c’était pour nous laisser mourir de froid et de faim, autant nous tuer tout de suite, que l’on meure comme des hommes face à une lame et non comme des chiens enchainés à une niche ! Je regarde dehors, pas de trace de garde. Mais je vois des escargoméra. Le froid les maintient à distance, et ils se contentent de nous regarder, confortablement assis au chaud entrain de boire du café ? Même moi je n’aurais jamais fait ça. Je suis un prisonnier, traité comme un chien, comme un moins que rien, mais je reste humain, au fond. Eux, ce sont des monstres, pas des justiciers. Laisser faire ça sans broncher… Voilà pourquoi je ne supporte pas ces gens, et l’un d’eux m’a touché… Même plusieurs d’entre eux. Je porte encore les marques de leurs coups, lentement masqués par des engelures. L’habit rayé ne sert strictement à rien contre le froid, un mouchoir aurait le même effet. Froid… J’aimerais bien retourner dans cet endroit, au début, pour retourner dans leur eau purificatrice. Mon dieu que ça ferait du bien, de l’eau chaude… Même bouillante. Je commence à geler, mon cœur bat dangereusement doucement. C’est pas bon, je dois réchauffer mon corps.

    Lentement, je me relève, grimaçant lorsque mes pieds nus et encore à moitié brûlés écrasent la neige. Prenant mon courage à deux mains, j’essaie de marcher pour me réchauffer. Je dois bouger. Mais ça suffit pas, j’ai toujours froid. Je commence à courir alors. Mon corps me fait souffrir. Mes blessures n’ont pas encore guéries et j’ai faim, je manque d’énergie. Très vite, je tombe par terre. La respiration haletante, de la fumée sort de ma bouche, montrant une température ambiante glaciale. Je me relève pas. Pas la force. Comme mes mains sont menottées dans mon dos, je ne pus me protéger de ma chute et je m’ouvris la tête contre un bout de glace. Mais je ne bougeais pas, je restais couché dans ma cellule. Doucement, un sourire s’affichait sur mes lèvres : j’avais réussi à trouver un peu de chaleur dans ce monde hivernale. Mon sang qui s’écoulait sur ma peau, et qui recouvrait ma joue. Dieu que c’était bon. Jamais je n’aurais cru aimer être blessé. C’était avec ce petit réconfort, au bout de force, que je me perdis dans les limbes des songes.
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    Jour 4


    Le symbole, je le vis en rêve. Un présage ? Bon ou mauvais ? Un son métallique me sortit de ma torpeur. Toujours couché sur le sol, j’ouvris mes paupières. A côté de moi se trouvait une gamelle. On nous nourrissait donc ! Le garde se trouvait au niveau des barreaux, il s’apprêtait à continuer sa tournée mais j’eus le temps d’apercevoir le mot inscrit sous le symbole de son uniforme. Impel… Down. Impel Down. L’Impel Down ? J’ignorais que le gouvernement me tenait en si haute estime pour me donner une place dans la plus prestigieuse des prisons. Alors c’était donc ici, l’enfer ? Je comprenais mieux ce froid et ce manque de confort… Mais mon estomac me stoppa dans mes réflexions. D’abord manger, puis penser.

    Je tentais de me relever, mais j’étais comme collé au sol. Je ne compris pas tout de suite, mais le sang qui s’était écoulé sur ma joue avait fini par se congeler, plaquant ainsi mon visage au sol… Que faire ? Je n’avais pas beaucoup de choix. Soit je restais là jusqu’à mourir de faim, soit je me détachais pour me sustenter un peu. Non, je n’avais pas de choix… Allé, on ferme les yeux, on inspire un gros coup, et crac. C’était le bruit de la glace qui se brise, mélangé à l’arrachement de la peau de mon faciès. Un gémissement étranglé par le froid glacial retentit. Pendant que l’une de mes mains essayait d’évaluer les dégâts, l’autre se dirigea vers la gamelle. Avec quelques nutriments, ça ira mieux. J’essayais de prendre la purée qui se trouvait dans la gamelle, mais ça ne sortait pas. J’avais pris trop de temps. Comme mon sang, la nourriture avait congelée, ce n’était plus qu’une bouse glacée dans une gamelle pour chien. Non, même les chiens ont de plus belles gamelles. On n’était pas considéré comme des humains, mais non plus comme des chiens. Alors qu’étions-nous ?

    L’une de mes dents se brisa contre le contenu du récipient. Oui, c’était trop tard… Dans un geste de rage, je me fatiguai davantage en lançant la gamelle en-dehors de ma cellule à coup de pied. Je tombais ensuite, à genoux. J’avais faim… Terriblement faim… Et froid aussi. Du coin de l’œil, je vis la peau attachée au sol. Ma peau, celle de mon visage, arrachée, déchirée. J’avais plus faim, cette vue me coupa l’appétit. Mais j’avais toujours froid. Ce froid, il commençait à me ronger. Si seulement je pouvais enlever ces menottes pour me réchauffer. Si seulement…

    Un autre cliquetis métallique, mais ce n’était pas la nourriture cette fois. Les menottes tombèrent par terre. Surpris, j’étais forcé de constater qu’elles étaient trop grandes pour mes bras. Pourquoi ? Je ne me souviens plus. Je ne me souviens pas. La seule explication possible est que je m’étais dopé les bras avant de me faire capturer, ce qui aurait eu pour effet d’agrandir mes poignets jusqu’à ce que ces hormones disparaissent de mon organisme. Mais en quel honneur ? Contre qui m’étais-je battu ? Je sais plus… Mais je recouvrai mes pouvoirs, mon démon était libre. Je pouvais ignorer la douleur, régénérer ma peau, améliorer mes conditions de vie, …

    Du moins, en théorie. Mais je n’en fis rien, je ne pouvais rien faire. J’étais toujours enfermé derrière des barreaux, dans une cellule qu’ils ne prennent même pas la peine d’ouvrir pour nous donner le repas. J’étais donc condamné à rester ici, et si je me soignais, ils le verront avec les escarméras, viendront me voir, me blesseront encore davantage, et me donneront de nouvelles menottes. Je pouvais donc aller mieux, mais je n’avais pas le droit de le faire. Véritable torture… Je gardais donc mes mains dans mon dos, près des menottes, pour qu’ils ne remarquent rien. J’attendais que leur système de surveillance regardait une autre cellule pour me frotter les bras, avant de reprendre ma position initiale. Le froid, il commençait à s’en prendre à moi, à mon âme, à mon esprit. Mon corps ne lui suffisait plus. La preuve, je ne me souviens plus vraiment ce qui s’était passé avant mon arrestation. C’est pas bon, je dois trouver quelque chose. Ne pas oublier…

    Je pris l’orteil de mon collègue de cellule frigorifié, et je l’utilisais pour graver des mots sur les murs et le sol, lorsque les gardes ne regardaient pas par là bien sûr. Doucement, j’écris ce qui m’était arrivé les premiers jours. Enfin, je dis jour mais mon échelle de temps était relatif. On avait pas de soleil pour s’orienter, les lampes au plafond ne se couchaient jamais. J’écrivais ce qui me passait par la tête, avant d’oublier. Les paroles s’envolent, les écrits restent. Tout comme moi d’ailleurs, je reste derrière ces barreaux… Pendant combien de temps encore ? Toujours ? Le froid semble engloutir tout soupçon d’espoir. Mon corps est couvert d’engelure, lorsque je lui demande de faire quelque chose, il y a un temps avant qu’il ne s’exécute, de sorte que je connais déjà les trois prochaines lignes avant qu’elles ne soient inscrites. Je fonctionnais au ralenti, et à présent le froid s’en prenait à ma tête. Je le remarque, je le sens. Je commence à avoir des trous, des souvenirs troubles, de la brume… Le temps entre la pensée et l’inscription suffira encore longtemps, ou je me mettrai à oublier entre temps ? Si c’est le cas, je dois me dépêcher avant qu’il ne soit trop tard, avant que l’oubli ne me rattrape. Je suis Reyson D. Anstis. Je ne suis ni un homme, ni un chien. Je ne suis plus rien, rien que l’ombre de mon ancien moi, une ombre qui attend son heure pour se changer en une misérable statue de glace…
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    Tiens, il semblerait que je ne sois pas le seul à avoir eu l’idée d’écrire un journal intime. Encore plus étonnant, il date ses récits dans le temps. Comment fait-il ça ? Il n’y a aucun moyen pour se repérer dans le temps. A la limite, on pourrait compter le nombre de repas qu’on a eu ? Pour moi, c’est quatre et demi. Je dis et demi car j’étais pas assez rapide la dernière fois et je n’avais pu manger que la moitié avant que ça ne congèle entièrement. Et ils n’en apportent pas souvent, de repas. Toutes les semaines ? Tous les mois ? Bah, je les comprends. Il fait trop froid pour avoir envie de venir ici. D’ailleurs, qu’est-ce que je fais ici ? J’écris là où je peux, mais je ne sais pas pourquoi j’écris. Une habitude sans doute. Un orteil glacé dans ma bouche, j’essaye tant bien que mal d’écrire. Pourquoi avec la bouche ? Parce que mes mains sont menottées dans mon dos pardi. D’ailleurs, pourquoi suis-je menotté ? J’avais frappé le garde lors d’un de ses passages ? Je l’avais insulté ? Je devais probablement l’avoir mérité, on ne met que les méchants derrière les barreaux. D’ailleurs, ils ne m’auraient pas roué de coups sinon, avant de me menotter.

    Pour passer le temps, je lis ce que l’autre a écrit. Je vois qu’il a signé son récit. Au moins, lui a un nom. Moi je n’en ai pas, j’en ai jamais eu, ou sinon je m’en rappelle pas. Reyson D. Anstis… Ce nom me semble familier. Je l’avais peut-être connu dans une autre vie ? C’était peut-être le type glacé auquel j’ai emprunté l’orteil ? Peut-être… C’est bizarre car sa façon d’écrire me dit aussi quelque chose. Sans doute une coïncidence. De toute façon, je n’ai plus toute ma tête, ni tout mon corps d’ailleurs. A moins que j’avais déjà la peau sur les os à mon arrivé ici ? D’ailleurs, depuis quand étais-je ici ? La barbe ornant mon faciès misérable semblait dire longtemps, peut-être trop longtemps. Où suis-je ? Qui suis-je ? Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est qu’il fait froid. Heureusement que de braves hommes viennent de temps en temps combattre la neige pour m’apporter à manger, à défaut de trouver les clés pour me sortir de là. Je le sais, je leur avais demandé s’ils ne pouvaient pas plutôt ouvrir la cellule, que je les accompagne, mais ils m’avaient répondu que je rêvais. Remarque, comment trouver des clés ici, avec toute cette neige et ce froid ? Elle pourrait être n’importe où, dans l’un des arbres de la forêt là-bas par exemple. Au moins ils viennent de temps en temps. Ils doivent aussi être pauvres, car ils ne veulent pas me donner des vêtements supplémentaires. Et malgré tout, ils continuent de me nourrir. De chics types. Sans eux, il y a longtemps que je ne serais plus. Mais je ne sais pas combien de temps je serais encore…

    Le marchand de sable passe me voir de plus en plus souvent. Le froid est de plus en plus pesant. Morphée semble de plus en plus sinistre et lugubre. J’ai froid, faim et mal partout… Je ne sais plus qui je suis ni où je suis, je ne sais plus rien, je ne suis plus rien. Pourquoi continuer dans ces conditions ? Pourquoi continuer à s’attacher à la vie ? Je sens Dame la Mort prendre la place de Morphée, lentement. Je sens ses bras, plus glacials que d’habitude, me serrer contre elle. Serait-ce la fin ? Enfin ? Je n’aurais pas pu signer mon œuvre. Je ne suis qu’un rien qui ferme les yeux, et qui s’en va doucement au loin…
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    A priori, mon heure n’était pas encore arrivée. Je suis encore là. Pourquoi suis-je encore là ? Dans mon inconscience, j’avais vu un couteau. Si j’avais pu, je l’aurais pris et me serais transpercé la poitrine avec. Pourquoi la Mort se joue-t-elle ainsi de moi ? Je ne comprends pas. Pourquoi me montrait un couteau ? Devait-il me rappeler quelque chose ? Il me rappelait juste que je ne voulais plus vivre. Je me levais, lentement, avec mes jambes à moitié gelée qui tremblent. J’inspire un grand coup, puis je cours en direction des barreaux, paupières fermées et tête la première. Bang. Le barreau se mit à résonner tout comme ma tête d’où quelques gouttelettes de sang perlaient. Même ça, ça n’a pas suffit à me tuer. Etais-je trop répugnant pour que la Mort m’accepte en son sein ? Ne pouvais-je rejoindre le véritable enfer ? Ou était-ce ici, l’enfer véritable ?

    Le choc me renvoya au sol, pendant qu’un homme passait pour jeter la gamelle à travers les barreaux. Levant la tête, je vis qu’il tenait un journal. Mon regard passa par hasard sur la date. 9 mai 1624… Cela me disait quelque chose. Sur le coup, je ne réfléchis pas plus et je me jetais sur ma pitance avant qu’elle ne soit plus comestible.

    Le couteau hanta mes prochains songes également. Mais accompagné de cries et d’un bébé. Ce bébé, il me ressemblait, au niveau des yeux. C’était moi ? Le couteau avait tranché le cordon ombilical. Ce couteau, symbolisait-il ma vie ? Sur le mur de ce flash se trouvait un calendrier, c’était un 9 mai… J’étais né un 9 mai ? C’était mon anniversaire ? Pourtant, je n’étais pas content pour autant. Sans doute parce que cet événement n’était pas qu’assimilé à de bons souvenirs dans mon esprit ? Mais alors à quoi ? J’avais un peu moins froid, comme si le voile de l’oubli commençait à se lever. Mais je ne savais toujours pas qui j’étais, juste que j’étais plus vieux d’une année. Mais des années, combien j’en ai ? Je cherche, mais je ne trouve pas.

    D’autres flashs. Une femme qui crie. Un coup de feu. Un homme qui tombe à terre. Du sang partout. Qui sont ces gens ? Ma tête, elle me fait mal… C’était comme si un troupeau d’éléphant était passé dessus. Qui suis-je ? Je suis derrière les barreaux, j’ai donc fait quelque chose de mal. Je suis un criminel ? Un voleur ? Un assassin ? Est-ce pour cela qu’on me punie ainsi ? Si je dois rester ici, je suis en droit de savoir pourquoi ! Quelle faute dois-je expiée pour être perpétuellement exposé au froid ? Qu’ai-je fait de si grave pour avoir à peine assez à manger pour tenir encore debout ? Quel pêché ai-je commis pour errer dans une cellule où l’inaction l’espace de quelques secondes nous glace au sol, nous obligeant à nous arracher la peau pour récupérer le peu de nourriture qu’on nous donne ? Suis-je un tel monstre pour mériter tout ça ? Je crie injustice, mais le seul résultat est de m’époumoner, en plus d’avoir un loup devant ma cage qui me regarde d’un air affamé. Moi qui croyais que c’était les animaux qu’on enfermait. Du moins, ça et les pirates. Pirate… Ce mot me dit quelque chose. Je le répète dans un murmure, comme s’il venait d’outre tombe. J’eus un autre flash, celui d’un drapeau noir, avec des dessins blancs dessus. Un pirate. En étais-je un ? Cela expliquerait ma présence ici.

    Revoyant le nom de Reyson D. Anstis gravé dans un coin de la cellule, d’autres souvenirs me revinrent. Omyage… C’était mon île natale, sur East Blue. Non, plus sur East Blue. Elle n’existe plus… Pourquoi ? Je sais plus… Et ma famille ? Je me souviens du couteau, celui qui a coupé mon cordon ombilical. Je l’utilisais souvent. 9 mai… Mon anniversaire… de vie mais aussi de mort. Mort de qui ?

    Lentement les morceaux de puzzles s’affichaient, doucement ils s’organisaient et s’emboitaient les uns dans les autres, jusqu’à compléter le tableau. Ma mère, elle s’était tuée suite à ma naissance, avec ce couteau, parce que mon visage lui rappelait mon père, un pirate qui avait abusé d’elle. Elle est morte parce que la marine n’était pas intervenue à temps. Il ne me manquait plus que mon père, mais il fut tué par un coup de feu, d’un marine. La faute leur revenait donc. Anniversaire de vie et de mort, je me souviens à présent. Reyson D. Anstis, c’est mon nom. Fils d’un pirate et de l’héroïne d’Omyage. Eduqué par le maire. J’étais mal vu des autres à cause de ce sang de pirate. Mais, c’était pas pour ça que j’en étais devenu un. C’était pourquoi déjà ? Pourquoi j’en voulais autant à la marine et au gouvernement ? La raison s’appelait Buster… Buster Call. C’était aussi la raison pour laquelle mon île natale n’est plus ! Je n’avais plus de famille, et ils s’en sont pris à tout ce qu’il me restait uniquement pour que le trésor ne tombe pas entre les mains de pirates ! Je me souviens de tout maintenant. Le couteau qui signifiait tant pour moi, et que j’ai perdu face à un soldat d’élite de la marine, sur les Blues. Par la suite, j’avais obtenu Shusui, un meitou trancheur de dragon. Lui aussi je ne l’ai plus. Il doit encore être sur Dead End… Dead End. Les Saigneurs ! Eux aussi, je les ai perdus. Ils se nomment justicier, mais ils ont tort ! Voilà pourquoi j’étais devenu pirate, pour leur enlever ce qu’ils m’avaient enlevé, pour pointer l’injustice dans leur justice. Mais il semblerait que je n’ai pas réussi…

    J'étais là, assis dans une cellule, menotté, faible, impuissant et pathétique. Ils m’avaient eu. Vous êtes fiers de vous ? Vous m’avez enfin arrêté ! Il ne me restait plus rien, rien que mes souvenirs retrouvés, mes cauchemars que je voyais défiler. Les boulets de canon qui s’écrasaient sur mon île, les corps qui jonchaient les rues, le maire qui s’était occupé de moi durant toutes ces années… Une larme coula sur ma joue, mais elle se gela rapidement. Pourtant, une autre goutte vint perler à ses côtés avant que le froid ne l’attaque aussi. Très vite, d’autres pleurs vinrent les rejoindre. Depuis tout ce temps, je n’avais encore jamais réellement pris le temps de les pleurer. Mais à présent que je ne pouvais plus rien faire, que j’avais échoué dans ma mission, il ne me restait plus que ça, je n’avais plus que ces fantômes à ressasser…

    Le sang, j’en ai tant fait couler. Ces derniers temps, massacrer des marines était devenu une habitude, un loisir. J’avais même pris goût à cela, oubliant la véritable raison pour laquelle j’étais devenu pirate. A présent que j’étais en cure, que j’avais tout le temps du monde, cette raison m’était revenue. Ma haine contre ces justiciers retrouva sa source. Mais le plus important, je repensais à mon passé caché derrière ces crimes. A genoux, les paupières fermées, mes lèvres remuaient mais aucun son ne sortait. Je priais, je m’adressais à eux, et le bruit n’était pas nécessaire pour cela. Tout ce qu’il me fallait, c’était me rappelait. Me rappeler d’eux, de mes amis, de ma famille, de mon foyer… J’aimerais bien les revoir, juste une dernière fois. Peut-être que je les reverrai bientôt ? A quand mon heure ? Je voudrais vous rejoindre, vous serrez dans mes bras, me reposer enfin contre vous. Je suis las de tout ça, et j’ai perdu. Pardon Omyage, pardon tout le monde…

    Un rictus commença à apparaître sur mon visage, effaçant lentement mes larmes. Depuis tout à l’heure, le loup d’avant s’était mis à aiguiser ses dents contre les barreaux de la cellule, m’interrompant dans mon silence, premier moment de repos depuis tant d’année, et cette bête gâchait ce moment ! D’un geste brusque, je tournais mon visage vers l’animal, le regardant dans le blanc des yeux et lui ordonnant de se la fermer. J’avais hurlé comme jamais je n’avais hurlé, déversant ma souffrance, mon sentiment d’impuissance sur l’animal qui sembla comme tétanisé avant de s’enfuir en courant. Comme quoi, on me considérait comme rien mais il me restait encore de l’énergie, une chaleur royale.

    Là, voyant le panorama de l’autre côté des barreaux, je me souvins que j’étais à Impel Down. Entre les mains de ces hommes qui m’avaient tout pris, ces justiciers qui osaient appeler cela justice. Ce froid, ce manque de nourriture, ces menottes. Ils cherchent à me faire taire. Ils ne m’ont pas tué, je ne suis pas encore mort. Ce n’est donc pas encore mon heure ! Désolé mes amis, vous devrez m’attendre encore un peu, ma mission n’est pas encore fini. Je m’appelle Reyson D. Anstis. Je ne suis ni un homme, ni un chien. Je suis un pirate !

    Pirate non par choix mais parce que l’on ne m’a pas donné le choix. Pourtant, je le crierais haut et fort, je suis un pirate ! Jusqu’au bout, je tiendrais tête et dénoncerai l’injuste dans leur juste. Toi qui me lit, je ne suis peut-être déjà plus là, je suis peut-être le bloc de glace près de toi. Mais même si c’est le cas, sache que je ne suis pas seul, car je suis également un Saigneur. Qu’importe ce que l’on fait, on s’en sort toujours. Et ils réussiront, jusqu’au bout. Pour le moment, je suis encore là, et je continue de crier, crier tant que je le peux, crier de toute mon âme, jusqu’à ce que ces menottes tombent, je crierais à en cracher mes poumons !
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