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Le bon combat [Ft. Sören]

- Tu me connais Dena', tu sais que j'ai pas l'habitude de discuter ...

- Dis toujours.

- C'est pas une bonne idée, je le sens pas. C'pour toi que je le dis, hein.

- Je sais ce que je fais.

- T'es bien l'seul ...

Normalement, c'pas pour Dena' que je m'inquiète, quand il me refourgue une mission.
Mais bien pour moi. Parce que le danger est omniprésent, et malgré le fait que, les trois quarts du temps, on n'me demande que de me planquer pour canarder la malheureuse victime, il y avait toujours une chance que ça parte en vrille. Au moment où tout était fini, et que j'étais loin du lieu de l'exaction.
Mais cette fois, c'était différent. Las Camp était certes un lieu dangereux, mais un lieu dans lequel les personnes comme moi avaient certaines facilités. Donc, les problèmes que les gens normaux pourraient avoir, bah moi, j'en avais un peu rien à faire.

Même si, mon but, c'tait quand même de tuer une des grosses têtes pensantes des lieux.
Sinhg Yin Fu, le matronne, la truande, responsable du trafic d'opium et de catins sévissant sur cette Blues et à n'en pas douter bien d'autres. Son clan était reconnu, et s'était fait une place de choix parmi les gangs locaux. Pour ne pas dire qu'elle était tout en haut, au niveau de la chaîne alimentaire de la lie de cette île. Mais, il y avait un mais. Y'avait quelqu'un qu'avait décidé que ça se passerait pas comme ça.

L'sergent chef Mogaba.

Même au South, on le connaissait de nom, et il nous inspirerait un franc effroi, pour pas dire qu'on tremblait comme des feuilles quand on entendait les horribles histoires à son sujet. C'est à cause de ses conneries qu'on l'a balancé dans ce coin abandonné des dieux, dans l'espoir qu'il se fasse buter par un des nombreux malandrins du coin. Mais nan, la mauvaise herbe, elle meurt pas si facilement. Et c'est parmi les ronces et les orties qu'elle grandit le plus, jusqu'à ce qu'on ne puisse plus la déraciner.
C'mec là était vraiment dangereux. Même si, entre nous, j'le savais hein, y'en avait des pires.
Mais niveau immoralité et brutalité, il tapait un magnifique huit sur dix sur l'échelle de la beauferie.

Bref, tout ça pour dire que mon Dena', bah, il s'tait arrangé pour s'associer avec lui.
Pour un coup, un casse, dans le domaine de la truande. Pour la tuer, et que son clan n'le dérange plus dans ses sordides affaires. Ca me plaisait pas. Je l'ai dit à Dena', que c'était un mauvais plain, que c'était lui qu'on devrait buter et pas la matronne. Que tant que la situation restait comme ça, y'avait beaucoup plus à y gagner.

Mais il m'a pas écouté.
Il m'a jamais écouté.
Et pourquoi il le ferait hein ? J'suis qu'une petite conne, comme il s'amuse à me le dire si souvent.
Tssk, c'est un connard de toutes façons.

Mais j'avais besoin d'un peu d'argent pour un nouveau bracelet en argent !

Qu'importe, on s'en fout qu'il fasse une connerie en aidant la Marine, Dena' ! C'est sur lui que ça retombera ! Et si on le tue, j'm'en fou, j'suis qu'une anonyme moi ! Puis je l'aimais pas de base, alors tant mieux, une sale face en moins à me coltiner !

...
Mais si il meurt ... Qui me donnera des p'tits jobs ..?

...
C'pour ça qu'en arrivant sur place, mon visage reflétait plus de tourments qu'ils ne l'auraient dû.

J'savais que c'tait un sale plan, j'le savais !
Et même cette viande c'tait pas du bœuf ni du porc !
    Deux semaines s'étaient écoulées. Le sourire aux lèvres et le trou de sa bourse comblé par le trésor de l'Archipel Vert, Sören avait posé le pied sur Las Camp en grand seigneur. D'abord, pour une fois, il n'attirait bien que les chats. Les mouches restaient sagement autour des poubelles et de la crasse des ruelles, particulièrement abondante il fallait bien l'avouer... Pourquoi un tel endroit, pour un riche d'un jour ? Pourquoi une île sordide, menée par l'anarchie des gangs et menacée par la volonté unique d'un sergent ambitieux, en un mot, le pire coupe-gorge de tout West Blue, voir de toutes les Blues ?

    Pour une connerie, tout simplement. Une connerie de voyageur encore débutant qui, malgré les expériences souvent complexes qui étaient venu lui serrer la main, continuait de croire en l'humain et en sa bonne fortune.

    En fait, comme à son habitude, Sören avait quitté l'Archipel et ses joyeux insulaires à bord d'un bateau de pêche. Jusque là, il n'y avait pas eu d'embrouille possible. Le capitaine était un ami de Mathurin, le tavernier du village qui lui devait, du reste, une fière chandelle. Petit voyage paisible sans vraie contrepartie jusqu'à Hinu Town. Trop chère et trop peu attractive pour un baroudeur. Baroudeur qui n'avait pas hésité à monter sur le premier navire louche qui partait ravitailler Las Camp en morue salée. Officiellement, du moins. Car la condition de la présence du chasseur à bord supposait l'existence d'une motivation largement moins légitime que le commerce de brandade en puissance.
    Arrivé au port de Las Camp, il devait s'acquitter d'une mission. Transmettre une missive codée à une certaine Sinhg Yin Fu.

    Il pouvait évidemment sembler peu légitime qu'un homme qui avait sa fierté s'abaisse à servir les intérêts d'un gang influent pour poursuivre son voyage. Mais...


    -Mouais. Et c'est qui, au juste, Sinhg Yin Fu ?
    -L'une de nos principales partenaires commerciales, pardi.
    -... Et pourquoi que vous m'envoyez, moi ? Pas que j'me plaigne, mais c'est pas un peu léger comme contrepartie ?
    -Pour être honnête, son succès fait des jaloux... et ceux de Las Camp ont le sang chaud. Tu pourrais bien tomber dans une embuscade en cours de route, si ça venait à se savoir, que tu as des données importantes à lui remettre. D'où le codage de la missive, d'ailleurs.
    -Ouais, j'vois... Difficile, le commerce.
    -Ça, je te le fais pas dire.

    Bref, Sören avait bu les explications du truand avec complaisance. Et c'était avec les mains dans les poches qu'il se frayait un chemin à-travers rues et ruelles sans même demander son chemin. Il valait mieux uniquement se fier aux explications du capitaine, apparemment. Plus prudent.

    Au fond de lui, il sentit un drôle de sentiment lui étreindre les tripes, tandis qu'il s'approchait de son but. Comme s'il était en train de ménager une place terrible aux ennuis, pour les heures qui suivraient. Mais c'était l'époque où Sören était encore, hors temps de crise et situations violentes, un garçon aussi débrouillard qu'insouciant. Il ne remarqua même pas le regard que certains passants plus ou moins rutilants ou loqueteux lui lançaient, tandis qu'il administrait trois coups à une petite porte dérobée en disant :


    -Suzanne, ouvre-moi.

    Parce que les mots de passe ne manquaient jamais ni d'esprit, ni de discrétion.
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    Je ne savais pas trop comment m'y prendre, maintenant que j'étais sur place.

    Enfin, si, ne nous le cachons pas ! Je savais comment le faire ! J'avais des dizaines d'idées même ! Sauf qu'elles étaient un peu pas réalisables. Oui, tout faire péter quand on a aucun explosif, voilà quoi. Ou envoyer une armée de mercenaires les occuper pendant que, moi, j'prends en visu' la vieille et la snipe, bah ça marche pas quand on est toute seule. Bref, j'vagabondais dans des ruelles qui avaient tout de l'inconnu et du pas très salubres, occupées par bien des âmes en peine, enfants à moitié à poil et vagabonds à la mine loqueteuse.

    Limite, j'me sens compatissante. Limite.
    Parce qu'il faut pas déconner, moi j'trouve que c'est tous des déchets, est-ce que quelqu'un de normal a de la pitié pour une vieille peau de banane ?! Bah nan ! Alors pourquoi j'ferai une exception pour eux ?! Ils avaient qu'à avoir étudié, tiens ! Bien fait pour leur gueule, ils ont que ce qu'ils méritent !

    Mais bref, v'là. Au moins, ils osaient pas me déranger. Mon arme à elle seule était une raison suffisante pour ne pas m'adresser la parole, et garder une distance de sécurité. Après tout, la folie avait saisie pas mal de gens dans le coin, on ne savait pas qui pouvait vous descendre pour un regard de travers ou juste parce que la couleur de vos chaussures ne plait pas, ou encore par simple malsaine curiosité de connaître la teinte de votre sang versé dans un caniveau à moitié inondé.

    Heureusement que moi, je suis une fraîche et légère demoiselle, bien dans ses baskets !

    Mais j'étais une demoiselle avec pas beaucoup de ressources, bien que de ressources, elle n'ait besoin que de son intellect supérieur tellement que ça rend les autres jaloux !
    J'adore me bercer de tendres illusions hihi.

    Et là, au détour d'une rue, v'là que sans même m'en rendre compte, j'croise un bonhomme qui n'a pas sa place ici. Ca m'a pas marquée au premier abord, j'passais même à coté de lui et marchais quelques mètres, avant qu'sa tête m'intrigue. J'me retourne, j'le vois avancer, l'air paisible et insouciant. L'air du mec qui n'sait pas où il est.
    L'air du mec qui n'a aucune idée des dangers qui rôdent, et qui n'a aucune idée qu'il vient d'en croiser un de grands, de danger.
    Un magnifique sourire au coin des lèvres, v'là que je décide de le suivre, à une certaine distance, prenant bien soin de m'occulter là où les renfoncements de mur me le permettent, jusqu'à ce qu'il s'arrête à une porte.

    J'sais pas ce qu'il fout, mais v'là qu'un chat sauvage, vous voyez, ce genre de chats tout moche, tout gris, tout couvert d'saletés, borgne et à la queue coupée, c'limite si il me saute pas dessus ! La terreur m'envahit, je recule de quelques pas, me mettant à découvert avant de lâcher un couinement.

    Oups ?
      -Mmh ?

      Visiblement chassée de sa cachette par un chat aussi prudent que bienveillant à l'égard de celui qui l'hypnotisait par sa seule présence, elle lui était presque tombé dessus. Une fille avec un fusil de précision, l'air peu fière de la situation.
      Se faisant d'un coup plus méfiant, instinct de chasseur aidant, Sören allait dire à ceux de la porte de la laisser fermer, sauf qu'ils l'avaient déjà entrouverte. Une grosse main poilue s'agitait dans l'embrasure.


      -Passe la lettre.

      Ils avaient du être prévenu par escargophone... Alors, le barde fit abstraction de la présence de la curieuse, et porta la main à sa poche intérieure, dans le revers de son vieux veston, là où il plaçait habituellement ses avis de recherche pliés en deux.
      Elle était vide.


      -Qu'est ce que tu fous, bordel de merde ?
      -J'suis suivi, j'viens de m'rendre compte. Fermez cette porte !
      -Tu l'as perdue ? Hein, c'est ça ?

      L'adrénaline lui montait aux tempes à mesure qu'il se rendait compte que la voix bourrue qui s'adressait à lui jurait avec le contexte qu'on lui avait planté. Il sentait venir le coup fourré, lorsqu'une main puissante le saisit au col pour l'attirer à l'intérieur du bâtiment. Trois tours de verrou suivirent aussitôt tandis que Sören se retrouvait collé au sol, la joue droite écrasée sur le parquet ciré, un mastodonte sur le dos.

      -Écoute moi bien, mon bonhomme. Ici, la règle elle est simple : une trahison, une balle. Une connerie majeure, une oreille. Un doigt si y'a plus d'oreille, et une balle si y'a plus de doigts. Sauf que t'es qu'un coursier, et on aime pas les bavures. Alors tu vas arrêter de me servir tes conneries, retourner dehors, et retrouver cette lettre avant qu'elle ne tombe entre les mains des mauvaises personnes. Ou au moins avant qu'ils ne puissent déchiffrer le code. C'est pigé ? Ouais. Bon garçon. Et oublie pas : tu te plantes, je te plante. Ne tente rien de stupide.

      Et sur ce, le chasseur se trouva repoussé dehors sans cérémonie, le cœur battant la chamade. Oui, il en avait vu, mais toujours pas assez pour toujours appréhender les situations de ce genre. Et là, il était dans la merde. Jusqu'au cou.
      Tandis qu'il pensait déjà retourner toute l'île pour retrouver le billet, le visage de la jeune fille entrevue plus tôt lui revint en tête. Armée... une petite étincelle insolente dans le regard... est-ce qu'elle ne l'avait pas percuté ? Volontairement ?

      Oui ! C'était sans doute elle la responsable, sans doute une voleuse à la solde des adversaires de Sinhg Lin Fu ! Un chat miaula. Elle s'enfuyait à-travers la ruelle. Il fallait absolument qu'il la rattrape ! Son sort en dépendait !

      Sören prit donc ses jambes à son cou, et se lança sur la trace de la fugitive... sans savoir qu'à bord du navire par lequel il était arrivé, le capitaine venait tout juste de se rendre compte qu'il avait oublié de lui fournir la lettre. Parce que l'étourderie voyage toujours en groupe.

      Facétie du sort.
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      Je l'ai vu. Il m'a vu. Nos regards se sont croisés. Et c'est limite si je me suis pas affalée de tout mon long sur sa personne.

      Heureusement, je me suis rattrapée à temps. Ou il m'a rattrapé, ça revenait à peu près au même pour moi. Le fait que, si jamais il avait pu avoir de l'étonnement, tout s'était évaporé à l'instant même où mon magnifique fusil rencontrait son regard. Il se méfiait de moi, et à sa place, j'aurai fait pareil. En pire. J'lui aurai décoché un coup de truc contondant ou pas avant de me casser en courant (et en criant, mais ça c'tait juste dans des endroits un peu mieux fréquentés, notez le bien).

      Je rencontrais à nouveau son regard. Le rouge me montait un peu aux joues. Je maudissais intérieurement le chat décrépi, et me promettais de le foutre à la casserole si je le croisais. Mais en attendant, je savais que j'étais grillée auprès de celui qui aurait pu devenir mon nouvel ami pour la vie ! Bah oui, j'ai un fusil, j'suis donc une méchante !
      Ce que je trouve trop pas justifiée ! Je suis gentille et quand je dis gentille, je le pense vraiment ! J'aime bien les petits oiseaux moi ! Les nuages ! Les arc-en-ciel ! Tout ces petits trucs kawaii et mignons !
      Lui et moi, on aurait pu faire plein de truc ensemble ! Ecouter de la musique, faire des balades, je sais pas moi !

      Ou bien, l'utiliser comme appât pendant que je fais mes trucs tordus, et le laisser dans la merde sans regret aucun.

      Ouais, plutôt ça !

      Mais merde ! Tao, tu te recentres ou bien ?! Rappelle toi qu'c'est mort là !
      Hmm, m'oui. Cherchons une autre poire !

      Honte passée, gêne ignorée, j'fais genre que je m'excuse en marmonnant deux-trois que même moi j'arrive pas à comprendre, avant de disparaître aussi vite que je suis apparue !
      Mais en fait, il était déjà plus là quand je m'excusais, mais ça, je m'en étais pas rendu compte. P't'être parce que je m'en moquais, tiens !

      Puis, j'sais pas pourquoi ...
      Mais alors que ça faisait un quart d'heure que je vagabondais, cherchant sans trop de conviction un quelconque quidam à exploiter ...
      ... L'étranger de tout à l'heure trace en ma direction.

      Je le vois. Il me voit. Je hausse un sourcil.
      Et j'comprends pas, du tout. C'est quoi le déliiiire ?!
        Le barde l'avait rattrapée. Curieux, elle ne bougeait pas. Peut-être qu'elle avait des alliés tout prêts à lui sauter dessus ? Une possibilité à prendre en compte. Mais pour l'heure, seule une chose comptait aux yeux de Sören...

        -T'vas m'rendre c'te sacrénom de papelard sans faire d'histoires, la glaude !

        Elle le regardait, sans avoir l'air de vouloir comprendre. Sauf que le garçon était bien décidé à reprendre ce qui lui épargnerait un passage à tabac doublé d'un abandon de son conavireur. Oui, conavireur. Non pas que le capitaine de l'esquif qui l'avait plongé dans cette galère eut été dénué d'intelligence. Un peu étourdi, sans plus. Simplement, comment voulez-vous appeler autrement le partage des frais de voyages dans un monde composé de 95% de mers et d'océans ? Question ouverte.

        Bref. Il se jeta donc sur sa jeune cible, qu'il prit par les épaules et secoua comme un vil prunier. Tout en lui réclamant son dû dont elle jurait ne jamais avoir entendu parler. Sauf que la scène attira bien des oreilles et des regards indiscrets. Et bientôt, le miracle de l'escargophone Alabastian aidant, toute l'île fût au courant que l'on avait voulu envoyer des informations plus que confidentielles à la plus grande des matrones de l'île; que la lettre avait été perdue en cours de route; et que le navire servant d'origine à cette histoire mouillait paisiblement dans le port de Las Camp. Avec à bord, son capitaine qui avait déjà dépêché deux solides matelots retrouver Sören, et le ramener pour qu'il puisse enfin lui confier le pli.

        Sauf que les matelots en question furent pris en étau entre les partisans de Singh Yin Fu et ceux de Mogaba. Et se retrouvèrent noyés dans une marée humaine aussi sanguinaire qu'inattendue. Les rumeurs les plus folles circulaient par-rapport à celui qui aurait récupéré la missive, et l'on s'entre-déchirait. Les Mogabiens, pour offrir à leur maître un avantage majeur, et les Yiniens, pour préserver les affaires de leur maîtresse.

        Un philosophe aurait contemplé la scène sereinement qu'il se serait étonné de la violence de l'effet papillon couplé au quiproquo.


        [Hrp : hésite pas si ça ne va pas, et hésite pas non plus à prendre les rennes du scénar" :p]
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        Il m'avait attrapé, le bonhomme.

        Et il m'avait secoué, comme cet homme aux cheveux longs avait secoué ce cerisier en criant, joyeux, *Banne caille ?!*.
        Sauf qu'il était pas joyeux, ce bonhomme, et qu'il me gueulait de lui rendre un papier dont je n'avais jamais entendu parler. Il avait parlé de glaude à un moment, mais j'en savais rien de ce que c'était, et le seul truc que je lui répliquais, plus et plus affolée, c'est que c'était pas à moi qu'il fallait en parler, de son papier, que moi j'étais innocente, et que tout ça, oui, tout ça, c'était juste un malentendu !

        Mais il était encore plus paniqué que moi, et je devinais que ça devait être un papier 'achement important pour qu'il perde autant de temps à m'agiter. Mais moi, je commençais à être dans son même état de panique. Les gens écoutaient, le contraire aurait été dur. Et ils avaient compris qu'un papier ultra-important était dans la nature, et que celui qui le trouverait deviendrait riche ! Enfin, ça, c'était pour les gens sans camp. Ensuite il y avait les partisans de Mogaba et Sinhg Yin Fu, qui cherchaient à faire prévaloir leur camp, et qui tous deux pensaient que c'était l'autre qui détenait le fameux papier.

        Un vrai bordel venait de s'installer, à cause d'un malentendu. Et d'un clochard qui n'avait RIEN à faire ici !

        Je me sentais obligée de faire quelque chose. Avec lui. Alors, finalement, je lui ai foutu une grosse baffe. Par principe, j'aime pas être confondue avec un arbre fruitier, quel qu'il soit !
        Puis, je me défais de son étreinte, et je le prends par la main. Juste pour l'entraîner dans un endroit au calme. Ce que j'allais faire de lui ? Aucune idée, ça me viendrait en temps voulu. Mais rester là, c'était juste la porte ouverte au n'importe quoi. Et surtout à une mort à la con, dû à un projectile perdu.

        Je l'entraîne quelques rues plus loin, là où je pense qu'on peut discuter en toute quiétude.
        Et, je me retourne vers lui. Avec un magnifique sourire. Qui pouvait être franchement menaçant, vu qui allait suivre.

        - Bon, j'ai menti. J'ai ton papier à la con, et je vais te le rendre. Mais, parce qu'il y a un mais, j'aimerai un petit cadeau. Tu peux faire ça ? M'offrir un tout petit cadeau ? Un cadeau de dix millions de berries, dis, tu pourrais bien faire ça pour moi, hein ? Après tout, c'est rien, dix millions ! Enfin, c'est rien comparé à tes jambes. A tes bras. Et à tes dents - une très belle dentition que tu as là, c'est bien que t'en ai pris soin jusque là !

        Je croise les bras, et j'attends une réponse. Je crois que l'indignation l'étouffe, face à mon chantage sordide. Mais je crois qu'il a peur, aussi. Il a peur d'y passer, ici, si loin de sa terre natale et à n'en pas douter plus amicale.

        *Il est à moi*, je pense, alors que mon sourire s'acère et que je le pousse avec mon bras, celui que j'utilise pour tenir la crosse de mon fusil. Il s'retrouve donc contre le mur, et entre le mur et ailleurs, y'a moi. Moi qui lui barre la route. Moi qui sourit d'une façon franchement malsaine. Et qui lui chuchote, limite amusée.

        - Mais bon, écoute, on peut avoir un arrangement. Je suis très arrangeante, tu sais ? Et moi, je t'avoue, ça me ferait mal d'apprendre qu'il pourrait t'arriver une bricole ... Puis, j'comprends, on s'balade pas tout le temps avec autant de berries, alors, on va faire ça, d'accord ? Tu m'ouvres une porte, et moi, je te le donne, ton papier. Ça te va ? Juste une porte à ouvrir, et tu pourras repartir comme t'es venu, sans avoir à t'inquiéter de quoi que ce soit ... Après tout, t'es jeune, nan ? T'as une vie qui s'offre à toi, pas vrai ? Ça s'rait quand même bête que ça se finisse mal, tu trouves pas ..?

        La porte en question ? Celle du repère de la matrone.
        Sauf que j'ai jamais dit que j'allais l'emprunter, cette porte.


          Il comprenait à comprendre dans quel traquenard il s'était fourré. Pas fou, le Sören. Encore un peu décalé par-rapport aux réalités pas très pures d'un monde pas très propre sur lui, c'était certain. Naïf, en un mot. Mais pas fou. Là, tout ce qu'il voyait, c'était qu'une gamine le prenait e haut. Une gamine avec un flingue, peut-être, mais fallait pas déconner non plus. Il n'avait pas fait le trajet direct île du Loupiac / Las Camp. Avant ça, il avait connu Manshon, la rue, la misère. Il s'était interposé sur une scène de génocide, aussi. Il en savait assez pour ne pas frémir devant la menace d'un canon pointé droit sur lui.

          Au pire, une balle, il savait déjà ce que ça faisait.

          Oui, il croyait toujours plus ou moins à la bonté de l'esprit humain. Mais pas jusqu'à la connerie. Pas jusqu'à avoir peur d'une môme avec un gros calibre. Elle avait l'air sûre d'elle. Elle se trompait même sur son âge. Vrai qu'il faisait jeunot, en comparaison des caïds de Las Camp qui avaient l'air de brutes dès l'âge de douze ans. Avec sa barbe blonde clairsemée, sa peau blanche de gars du nord, il détonnait.

          Il toisa la jeune femme, la fierté prenant le pas sur la peur première. Au-delà de la ruelle, c'était un bordel monstre qui sévissait. Quoi qu'il advienne, il devait se sortir de là avant que ça ne prenne trop l'allure du cauchemar. Récupérer son papelard, le donner, se barrer. Et plus jamais remettre les pieds à Las Camp.

          Et cette couillonne qui le collait au corps-à-corps, alors même qu'elle disposait d'un fusil longue portée.

          Hop. Pas de discussion. Revers de paume contre le canon. Pas de balle qui part, joli contrôle. Et au contact, c'est là qu'il était le maître. Saisie du bras porteur, et une bonne balayette. Menace au sol, rapport de forces inversé. Le chasseur tenait le fusil.


          -J'suis pas ton môme, désolé. Donne le papelard.

          Non ? Bon. Il n'aimait pas ça, mais il allait devoir insister. Toujours pas ? Il était prêt à la foutre à poil, s'il le fallait. Il le lui signala, explicitement. Ce ne fut qu'à cette condition qu'elle lui fit admettre l'inadmissible : il s'était gouré. Sa seule piste s'évanouissait, et maintenant que la ville était en ébullition, il n'avait plus beaucoup de chance de retomber dessus.

          Avec les costauds qui chercheraient certainement à lui tomber dessus, il ne lui restait plus qu'une option. La fuite, à tout prix.


          -J'm'excuserai pas. Tiens.

          D'un geste auquel il manquait un peu d'habitude, le chasseur vida le barillet de l'arme, et la rendit à sa propriétaire légitime. Pas question de courir le risque d'un geste d'humeur.

          -J'aime pas qu'on cherche à m'utiliser. Ça fait deux fois aujourd'hui, dont une de trop. S'tu veux aller cogner chez les fous, t'm'as entendu dire le mot d'passe. Le reste, j'm'en carre, c'est pigé ?

          Sur ces mots, Sören allait s'enfuir avec le maximum de dignité, sauf que les évènements de la rue rendaient le projet plus qu'utopique. Au minimum, il lui faudrait quelqu'un pour le couvrir, tandis qu'il tracerait sa route jusqu'au navire...

          -Quoique. J'crois qu'on va p'têtre pouvoir négocier un truc.

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